Préparatifs pour la fiesta ! Yeah Baby ! [Marc-Aurèle et p'têtre Clothaire]

Le sentiment du devoir manqué, de la mission inachevée, de l’honneur bafoué, tiraillaient les entrailles du seigneur de Terrefière. Mais pour la première fois de sa vie, une autre chose tiraillait l’esprit du très noble, très fidèle, et très compréhensif Marc-Aurèle. Pourquoi le Comte d’Arétria se sentait-il aussi floué face à une nouvelle qu’il n’aurait pas pu apprendre plus tôt ? Et surtout, pourquoi réagir comme il le fit, pour simplement une seule Drow éloignée de toute base arrière et de toute force militaire d’aucune sorte ?

La distance froide comme le marbre, imposée par le maître des lieux ajoutait une sorte de rancœur à cette incompréhension. Marc-Aurèle haïssait l’erreur, le manquement au devoir. S’il ne se haïssait pas encore lui-même, il s’en voulait profondément. Les jours qui suivirent le retour, Marc-Aurèle les passa à s’entraîner, maniant sa célèbre claymore, participant à des parties de chasses, et passant du temps avec sa promise, Alicia de Terresang.

Puis vient un ordre que le Premier Conseiller n’attendait plus. Le Comte d’Arétria, son Excellence Magnus de Terresang, sommait la présence de son conseiller, immédiatement. Heureux à l’idée de pouvoir de nouveau retourner dans le giron de son suzerain, Marc-Aurèle abandonna sa tâche, celle-là même à laquelle il s’appliquait depuis déjà plusieurs jours : lire les documents des archives d’Arétria-la-Ville, et de Terresang. Depuis plusieurs jours, il tentait d’apprendre des actes, des actions, des projets et des supputations du chef de ces lieux, tant au niveau politique qu’au niveau économique et social. Il apprenait les noms des vassaux et des vavassaux, leurs histoires en rapport avec Arétria et les Comtes successifs, et avec les Terresangs. Il mesurait les degrés d’implications diverses et variées, et mesurait un peu plus à chaque fois, ligne après ligne, l’étendue de son futur rôle… A moins que cette convocation ne soit pour l’en destituer.

Lorsque la porte s’ouvrit, ce fut un Marc-Aurèle légèrement haletant – car il avait couru au travers du château – qui se présenta et qui, mains dans le dos afin de rester noble et droit, s’avança jusqu’au souverain. Comme à son accoutumé, Marc-Aurèle ploya le genou devant Magnus, bien qu’il connût sa réticence face à ce genre d’actes. La bienséance le demandait… Tout comme l’étrangeté du moment. Vint ensuite la question, sobre, mais qui n’invitait point Marc-Aurèle à se relever pour autant. Alors, toujours genou à terre, mains et avant-bras posés sur le genou en trépied, Marc-Aurèle répondit simplement :

« Votre Excellence, je n’ai pas la prétention de connaître vos réflexions, ni l’honneur de les partager. Mais je me montre ici, devant vous, afin de recevoir les termes de ma nouvelle mission et de respecter mon serment que j’ai réalisé sur mon honneur. Je vous écoute, votre Excellence. »

Le protocole, toujours le protocole. Quitte à recevoir une sentence, une punition, ou même un déshonneur, autant les recevoir avec l’honneur de la droiture et du courage.

Le soupir de Magnus était bien connu de Marc-Aurèle. Une fois n’était pas coutume, le vassal s’était montré des plus protocolaires, et avait oublié – ou le faisait-il volontairement – les centaines de fois où Magnus lui demandait de le tutoyer, de ne point plier le genou, et de simplement être l’ami et non uniquement le subordonné. Mais cette fois-ci, ce soupir revêtait une autre aura : il était aussi froid que la mort et la déception. Mais Marc-Aurèle s’exécuta.

Il se plaça d’un côté de la table, face au souverain de ces lieux. Se saisissant d’un verre de bière, et prenant place, il écouta avec une attention tout à fait particulière les propos du Comte. Et plus celui-ci distillait les informations, plus Marc-Aurèle sentit s’installer sur ses épaules, le poids d’un millier de responsabilités. Jusqu’à-ce qu’un serviteur ne dépose d’une main fébrile, le fameux vélin signé et cacheté du sceau du Comte d’Arétria.

Ainsi allait-il être régent. Vavassal de son Excellence Magnus de Terresang, seigneur de Terresang et Comte de tout Arétria, petit seigneur de Terrefière, un bourg qui ne souffre d’aucune véritable importance stratégique ou économique – outre se grande implication dans le maintient à niveau des greniers de Terresang – il allait être… Régent.

Marc-Aurèle ? Régenter tout un Comté ? Dans une période où, en plus de tout cela, il allait être le plus « haut » seigneur de tout le Comté, car tous les autres – petits et grands – seront à Diantra ?

Avait-il été clairvoyant, le Comte, lorsqu’il proposa à son fidèle sujet une assise et une bière ? Car heureusement qu’il était bel et bien assis sur son séant ! Soudainement, le verre de bière y passa complètement, d’un large trait, sans difficulté. Le seigneur de Terrefière n’était pas qu’un excellent combattant : il était un très bon buveur de bières – et autres liqueurs.

Heureusement pour lui, ses longs cheveux bruns étaient noués en un chignon haut et serré, réalisé grâce des tresses serrées et correctement nouées sur le côté du crane. D’ordinaire, le petit seigneur préférait les longues tresses ramenées vers l’arrière du crâne et descendant jusqu’au milieu du dos, ou de la poitrine, mais aujourd’hui, ses tâches administratives demandaient de la praticité, et de longs cheveux tombant sur le bureau serait une certaine gêne.

Comme pour vouloir se rassurer sur sa santé mentale, le vavassal se redressa et se plaça au-dessus de la tablée, relisant une seconde – ou serait-ce une troisième – fois les termes de ce vélin ratifié par Magnus. Non, ses oreilles et ses yeux ne l’avaient point dupé : il était régent. Finalement, il osa risquer un regard vers le souverain du Comté :

« J’aurais un millier de questions à poser, j’en suis sûr et certain ! » Tenta-t-il de plaisanter, mais de manière bien pathétique. « Êtes-vous certain de ne pas vouloir confier une telle responsabilité à un Terresang ? » Demanda-t-il, se rendant immédiatement compte de la faiblesse de cette demande. « Je veux dire… Oui, je veux tout savoir. J’ai besoin de savoir quel seigneur de quelle localité gère quel dossier, quelle question épineuse. Quels sont les enjeux actuels du Comté, quelles sont vos promesses et quelles sont vos conditions, dans les affaires en cours. J’ai besoin d’être vos yeux et vos oreilles, votre main droite, ferme et violente, et votre main gauche, réfléchie et tenant votre sceau. »

Les informations dispensées par le Comte firent presque tourner de l’œil le jeune seigneur de Terrefière. Tant de noms, tant de missions, tant d’objectifs, tant d’obligations, tant de projets qui, à n’en point douter, n’étaient que la partie émergée de l’iceberg.

Mais le professionnalisme de Marc-Aurèle lui dictait de contrôler ses craintes. Oui, il serait à la hauteur. Oui, il ferait son maximum. A mesure que les propos du Comte dépassaient ses lèvres, Marc-Aurèle mesurait à quel point son rôle allait être critique, et à quel point il allait être épuisé. Car il se voyait déjà passer des heures, des jours même, derrière le bureau Comtal à éplucher les vélins et autres parchemins recelant des informations importantes pour sa mission. Il se voyait déjà prendre son cheval et parcourir la Malelande, et le Comté, afin d’aller rencontrer Ballis et Régents, petits seigneurs et chefs de guildes. Oui, Marc-Aurèle pouvait physiquement ressentir le poids de mille-et-unes responsabilités sur ses épaules – frêles en comparaison.

La guilde des Marcheurs Austères, les Hospitaliers, la cité portuaire de Lün, Clothaire de Chtoll, Valcan et Théodore de Valcan… Négociation avec les Nains… Tant de choses… Tant de choses…

« Hum… Bien… Bien. J’exécuterais ma mission avec honneur et fidélité. Quel autre devoir voulez-vous que je remplisse votre Excellence ? »

On ne peut pas dire que le voyage fut de tout repos, loin de là, mais l'option prise par Clothaire s'est avérée payante. Deux sacs légers pour les vêtements, une escorte réduite à sa plus simple expression, pas d'arme si l'on excepte une dague. Des arrêts dans des auberges ou des nuits à la belle étoile. Dans l'absolu, ils ont évité les villes et filer au plus droit. Il n'avait pas trop à craindre les bandits de grand chemin. Déjà, il ne paie pas de mine et son escorte était toute petite, pour la simple raison qu'il ne pouvait s'en payer une plus grande. Puis quand on voyage à vide, c'est qu'il n'y a pas grand chose à voler. Au mieux est-il passé pour un marchand venant prendre une commande et faisant donc une partie du voyage à vide.

Cela aurait pu rendre le voyage agréable si on oublie deux "détails". Clothaire n'est pas un grand cavalier et est épais comme une feuille d'arbre. Les maux de dos, de fessier et sa difficulté à se faire obéir de son cheval auront fait sourire ses accompagnants, qui lui auront reconnu une valeur qui a son prix : il ne s'en est jamais plaint. Paraît que le gamin a d'autres talents, que c'est une "tête". Disons que c'est à espérer pour lui.

Voilà qu'avec les précautions prises, donc partir un peu en avance pour ne pas arriver en retard, voyager plus vite que prévu parce que moins chargé et faire de longues étapes, Clothaire est arrivé en avance, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Ce fut l'occasion pour des ablutions car on ne se présente pas crotté à un Seigneur. Ce fut aussi l'occasion de brosser son chien, qui adore cela. Une belle acquisition et une belle bête. Clothaire et son chien loup se sont entendus de suite, sans qu'on se l'explique et le long voyage n'a pas épuisé la brave bête, qui en prime s'est nourrie seule. Et finalement, c'est peut-être bien son chien sa meilleure escorte. Lorsqu'on agresse quelqu'un, on accepte le risque de prendre un mauvais coup, mais moins de se faire bouffer la couenne par un étrange loup, même s'il parait bien dressé. Puis Clothaire a fait, seul, un détour par le Temple de Néera, pour renouveler ses prières, avant de rejoindre le chateau du Comte et de s'y présenter.

Bras gauche plié sur son estomac, il se tient droit et utilise une marche ferme et décidée pour faire bonne impression, ce qui n'est pas simple avec une patte folle, une petite taille qui fait qu'il pourrait passer pour un nain s'il était plus épais et poilu et une carrure laissant à penser qu'il s'envolerait à la moindre brise. Mais bon, depuis le temps, lui s'y est habitué. Ici, ils ne l'ont jamais vu. Il est vêtu de noir et ses vêtements sont bien taillés, bien qu'il semble flotter dedans. Son visage n'exprime que douceur, tout comme son regard, qui ne vrille pas. Il ne paraît pas particulièrement impressionné.

- Monsieur le Comte, Premier Conseiller. J'ai eu la chance d'effectuer un voyage calme et plus rapide qu'espéré qui m'ont permis de réduire les étapes. Nous avons vaincu les prévisions les plus optimistes. Comme un travail important m'attend, j'ai pensé que me présenter sans attendre était la bonne solution. Si j'arrive à un mauvais moment, il vous suffit de me congédier après tout.

Il l'a dit d'une voix calme et douce et paraît serein.

- Je serai ravi d'être informé de la situation actuelle à Lün, population, état des lieux, effectif militaire, estimation pour les récolte, état de la flotte et des comptoirs, afin de me faire une première idée. Si vous avez des parchemins à ce sujet, je pourrai les étudier à mon aise. Ensuite, il sera temps que vous me fassiez état de vos attentes à mon égard pour Lün et de la marge dont je disposerai, pour investir, corrompre ou régler des dettes.

Il est prêt à se mettre au travail de suite, et se mettre au travail, c'est préparer la future politique qui sera menée sous son égide à Lün. Il faudra d'abord convaincre le Comte, ensuite les habitants de Lün. Autant dire que ça n'est pas gagné.

- Vous avez dit "prochain régent" en désignant le Seigneur de Terrefière. Cela signifie que vous quitterez vos terres bientôt ? Une date est-elle déjà prévue ?

Il a bien fait d'arriver en avance, finalement.

D’autres informations, encore. Mais cette fois-ci, des informations bien plus proches des sphères auxquelles Marc-Aurèle avait l’habitude de se frotter. Bien que ses yeux se firent ronds devant la quantité phénoménale de stères de bois commandées, avant de se faire très petits devant la raison d’une telle commande – une raison qui provoqua une onde de satisfaction dans les entrailles du petit seigneur – le vassal du Comte se sentait investi d’une mission à sa hauteur.

Oh, ne vous méprenez point. Il avait beau être fier – fier d’être un seigneur local, d’être Premier-Conseiller, d’être le futur Régent du Comté, d’être un guerrier solide et compétent – il avait quelques qualités que d’aucun qualifierait de rare chez le commun des mortels. Marc-Aurèle était humble, bourré d’honneur, et il avait cette capacité de faire prévaloir l’intérêt des autres au-dessus des siens. La stupeur et la peur passées, le vassal du Comte se rendit rapidement compte de l’honneur qui était le sien, que d’être placé face à de telles responsabilités. Soudainement, son cœur s’empli d’une volonté aussi dure que le roc et aussi aiguisée que le plus tranchant des aciers.

« Très bien. Je ne l’exécuterais point avant votre retour. Toutefois, laissez-moi l’interroger. Je pense pouvoir réussir à lui extirper quantités d’informations qui pourraient nous permettre de localiser le reste des forbans. Et si je les localise, m’autorisez-vous à les exterminer ? »

Quand soudainement, un évènement impromptu. Le fameux noble du nom de Chtoll venait d’arriver avec, visiblement – d’après le faciès du Comte – beaucoup, beaucoup d’avance. Lorsqu’il entra, Magnus fut le premier à prendre la parole, mais il ne se leva point. En tant que Comte de ces lieux, il n’était point de son devoir que de se lever ici, tout comme ce n’était point le cas du seigneur de Terrefière qui, bien que n’étant point un grand seigneur, ni issu d’un grand lignage, était tout de même seigneur d’un bourg, à la différence du jeune Clothaire. Aussi, Marc-Aurèle ne prit point le temps de se lever, mais il offrit tout de même un léger signe de tête en guise de salutations respectueuses. Le protocole l’exigeait.

L’aplomb du très jeune seigneur – il n’avait que deux années de plus que la promise du Terrefière là où ce dernier en avait presque dix – faisait toutefois plaisir à voir. Il était fort bien au courant qu’une grande tâche l’attendait, et, apparemment, il était plus qu’heureux de s’y atteler le plus rapidement possible. Un jeune noble avec l’aplomb nécessaire et le courage grandissant, permettrait assurément de réussir une mission si complexe que celle de redresser la cité portuaire de Lün.

« Jeune sieur de Chtoll, votre envie et votre aplomb fait plaisir à voir. Nul doute que son Excellence de Terresang a été bien clairvoyant en vous engageant pour ce travail harassant. Nous devrons œuvrer tous les deux cependant, car, vous l’avez deviné, son Excellence s’apprête à rendre hommage à notre bon Roy à Diantra, dans quelques ennéades. Vous et moi devrons nous rendre à Lün d’ici peu. »

Pour le reste de ses questions, le Comte serait le plus à-même d’y répondre.

Tout en écoutant le Comte, Gendry s'empare de sa main valide des parchemins qui lui sont désignés pour avoir une idée de la situation. Par deux fois, il "tique" sans que cela ne paraisse être un tic nerveux, mais plutôt l'expression d'une surprise.

- En douceur mais rapidement ? J'ai le physique pour. Nul ne verrait en moi, au premier coup d'oeil, un tyran. C'est sans doute là mon meilleur atout. Les gens se diront que je ressemble à rien, mais qu'au moins je ne ferai pas de mal. Cela m'offrira sans doute quelques jours de répit. Et ils salueront votre sagesse d'avoir pris un érudit fragile et non un guerrier pour calmer les choses. Après une période de tyrannie, les gens aspirent surtout au repos. Puis bon, ils se diront que je resterai pas longtemps quoi qu'il arrive, ce qui me rendra plus supportable.

Il poursuit la lecture, en diagonale forcément, et hoche la tête.

- Crise spirituelle, économique et infrastructurelle. Mouais, je trouve cette définition gentille. En lisant ceci, je me dis qu'il serait plus simple de finir le travail de mon prédécesseur, de tout raser et de tout reconstruire. Mais je doute que ça soit bien perçu. Les Temples sont à réinstaller en priorité et devront nous accepter, ce qui n'est pas garanti et pour le reste... faudra que je voie sur place.

Il jette un regard vers le futur Régent lorsqu'il est cité par le Comte puis écoute la suite de son discours et cela lui convient moins.

- Entendons-nous sur les mots, votre Seigneurie, car ils sont importants. Ici, il s'agit de cuisine interne, de comment les choses vont effectivement se faire et je suis d'accord sur tout. Vous êtes le Seigneur, je suis le gars que vous placez là faute de mieux, vous en êtes conscient, j'en suis conscient. Mais aux yeux du monde, je suis le nouveau Seigneur de Lün, non pas jusqu'à ma mort, mais jusqu'à ce que quelqu'un se soit montrer apte à occuper le poste. Mais je suis le Seigneur de Lün et je n'obéis qu'à vos ordres, ceux du Régent en votre absence et à ceux du Roi. Cela signifie qu'officiellement, je suis un décideur, votre seigneur local est là pour me seconder et commander les armées et j'ai les clés du coffre.

Il marque un temps d'arrêt puis explique.

- Si je ne suis qu'un intendant de plus, les gens se diront que si je marque un refus, ils peuvent aller voir un des autres intendants, si je marque un accord, sans l'accord des autres il est caduque. La confiance ne s'installera pas et ralentira les projets. Or, vous l'avez dit vous même, il faut faire vite. Officiellement, j'agirai en Seigneur et dans les coulisses, j'attendrai les accords requis pour officialiser une décision ou disposer d'un argent qui n'existe pas.

Il sourit

- Car dans les faits, avec une flotte absente, une industrie détruite, une économie à terre et une population au mieux sur la défensive, au pire hostile, vous me demandez de reconstruire sur du sable, de vendre du vent et d'acheter avec de l'air. C'est pourquoi la première chose que je vous demande est que la reconstruction des Temples soit officiellement de votre initiative et à vos frais, histoire qu'on ne me reproche pas d'avoir vidé les coffres pour les Temples en oubliant les autres corps d'activité. Un Comte qui s'inquiète de l'approbation des Dieux est un bon seigneur, un vassal qui priorise là-dessus est un vassal riche ou déconnecté de la réalité.

L'information sur le commandement actuel de Lün attire l'assentiment du petit noble sans terre, qui acquiesce mais précise :

- Bailli de Chtoll, votre Seigneurie. Mais vous avez été mal informé, je suis avant tout un gestionnaire, je n'ai jamais oeuvré comme diplomate. Aussi vais-je au départ simplement assister aux Conseils, avaliser leurs décisions, puis réduire ce conseil pour des raisons logistiques évidemment, y apporter mes idées, puis les informer de mes décisions et ne leur conserver qu'un rôle honorifique. Le vrai conseil sera composé de votre représentant, le seigneur local et moi-même, mais cela se fera en douceur. Car je ne suis qu'un jeune homme avide d'apprendre et qui a besoin du conseil des gens d'expérience.

Il salue le Comte, le Régent et s'apprête à se retirer.

- Sauf si vous avez des questions, je vais me retirer pour étudier ces parchemins plus en détail. J'espère pouvoir partir pour Lün le plus vite possible. Je vous demande une ennéade pour officiellement m'installer, période qui me permettra d'observer et de trouver quelques idées qui pourraient servir votre cité portuaire. J'établirai un premier rapport et nous pourrons alors en discuter, voir ce qui paraît envisageable, ce qui pourrait convenir ou non et établir une stratégie pour atteindre vos objectifs. Tout ceci se peaufinera au fil du temps, mais avec deux belles-mères pour me chapeauter, vous n'avez pas trop à craindre que je fasse des erreurs, pas vrai ?

Un sourire puis un regard pour Marc-Aurèle

- Si je réussis, toute la gloire retombera sur votre Comte et vous-même. Si j'échoue, la faute m'incombera. Telles sont les lois qui régissent ce monde. Quand je quitterai ce poste, j'espère que l'on dira : il payait pas de mine, mais il avait de bonnes idées. Messires, ce fut un plaisir

Une révérence, trois pas en arrière, courbé en signe de déférence puis il se retourne et s'il n'est pas retenu se retire.

Dès que le Comte revient le nommer "Intendant", Clothaire a compris. Visiblement, il n'est pas capable de différencier l'officiel de l'officieux. Oh, il pourrait faire l'effort, dire que ce que le Comte propose, dans les grandes lignes, c'est ce qu'il a dit. Clothaire n'avait aucune prise de décision autonome, aucun accès au coffre et que les deux autres intendants devaient marquer leur accord pour que quelque chose se fasse ou pas. Sans oublier, et cela il a oublié de le préciser, qu'il devra faire appliquer les décisions du Comte ou de ses représentants, comme tout vassal, intendant ou pas, est censé le faire.

- ... !

Le sourire de Clothaire grandit au fur et à mesure que le Comte s'énerve et son visage n'exprime que compassion et tendresse. "Gratte-parchemin", c'est encore gentil. Pourra-t-il seulement négocier avec un marchand qui voudrait installer un comptoir sur le port ? Et à quel titre ? Car là, il n'en a aucun. Il n'est même plus potiche, rôle qu'il avait accepté et décrit. Sans un titre sérieux, son seul rôle se limitera à dire "oh, j'ai une idée" et aux autres à décider si on en fait quelque chose ou pas. Et ceci, probablement, gratuitement. Il en vient à espérer qu'il aura quand même accès à un repas et un logement... et du parchemin car vu comment cela démarre, il en doute aussi.

- Clair ? Limpide, votre Seigneurie. Il appert que j'ai commis une erreur et mal analysé la situation. Je pensais qu'en débarquant comme un cheveu sur la soupe, le plus sain était d'aller droit au but, comme on le fait lors de réunions, et que je vous laisse aussi vite que possible gérer les choses importantes avec le futur Régent, conseil où je n'avais nullement ma place. Mais en me précipitant, je vous ai heurté, d'autant que je me suis visiblement mal fait comprendre. Mais cela n'est pas grave, il en sera fait comme vous l'entendez, avec trois intendants, dont un gratte-parchemin décoratif, pour le port de Lün. Cela me convient merveilleusement bien, d'autant que comme vous l'avez souligné, vous êtes le chef et que je ne décide de rien.

Il s'apprête donc à quitter les lieux, mais un tic nerveux le prend, qu'il a du mal à calmer et il fait un rapide demi-tour.

- Finalement, comme il y a déjà deux intendants, je peux prendre mon temps pour étudier de visu la situation à Lün. C'est plus lent, mais certainement plus efficace et j'éviterai d'abîmer des parchemins importants durant le voyage

Il les range précautionneusement, malgré son bras bloqué, puis s'en retourne, saluant par une révérence et trois pas en arrière son propre départ.

- J'ai prié au Temple de la Damedieu à mon arrivée pour qu'elle bénisse ces terres et ces récoltes. J'espère que pour cela, j'aurai été entendu. Seigneur Régent, Seigneur Comte, merci pour cette leçon d'humilité.

Et cette fois il franchit la porte et se dirige vers les écuries, conscient d'avoir perdu son temps. Un roncin, un chien loup et un avorton franchissent les murs du château, puis de la cité, non en direction de Lün mais en direction de Diantra. Quitte à gratter des parchemins, il préfère être copiste. Cela sera toujours mieux que potiche. Et avec un peu de chance, il pourra participer aux festivités royales. Il aura laissé sur la table du Comte tous les parchemins, en ce compris celui avec le sceau comtal qui faisait de lui un intendant. Sa meilleure décision depuis très longtemps.

Le vassal ne comprit rien à la situation qui venait de se dérouler sous ses yeux. Enfin, plus que de ne rien comprendre, c’était plutôt son manque de préparation et la stupeur de l’instant, qui l’empêchèrent de réagir rapidement. Ainsi donc, celui qui devait être un atout – un atout exécutant mais un atout tout de même – se révélait être une personnalité difficile à cerner, en plus d’être complètement à côté du but de sa visite.

Images et titres officiels et officieux ne valent rien dans le cœur des Arétans. Un si jeune noble, sorti tout droit d’une lignée de vieux ennemis, inconnu au bataillon d’Arétria… Désireux de revêtir un rôle qui ne lui était point dévolu. La leçon de politique qu’il tenta d’inculquer au Comte Magnus toutefois, fut sans doute aucun le coup d’estoc qui terminerait sa courte vie politique.

Et la réaction de Magnus ne tarda point à donner raison à la pensée du petit vassal, devenu Régent. S’il avait pu, Marc-Aurèle aurait parié sur la réaction du Comte, et il aurait obtenu victoire et triplé sa mise ! D’ailleurs, il était même prêt à parier que Magnus dégainerait son plus puissant coup de poing directement dans la mâchoire du Bailli… Ou plutôt du nobliau qui se voulait en réalité copiste.

Le seigneur de Terrefière, Régent du Comté, Premier Conseiller, excellent guerrier à la claymore, regarda s’éloigner le petit copiste au pied bot, encore peu certains de ce qui se jouerait ici. Mais la réponse ne tarderait point : le Comte ne retint point l’intendant un peu trop sûr de lui et il put quitter le château aussi vite qu’il l’avait rallié depuis Diantra.

« Eh bien votre Excellence, s’il était un jour besoin d’un avis d’expert sur la qualité de la route entre Arétria et Diantra, nul doute que ce mignonnet qui s’en va pour son deuxième voyage saurait nous en dire tous les défauts ! » Commenta Marc-Aurèle sur un ton humoristique, avant de prendre un peu de bière. « Il faut croire que ce copiste n’était point parfaitement au courant de son futur rôle à Lün. Quelle est la suite des opérations ? »

Beaucoup de choses s’étaient jouées en ces très petites secondes. Un refus, un jouvenceau trop fier pour être intelligent, et Magnus qui, étonnamment… Était resté calme. Enfin, plus que calme, il était tout simplement resté courtois, n’expulsant son venin que plus tard… Face au fidèle vassal.

Et les choses reprirent. Théodore de Valcan devra prendre les rênes de Lün, et Marc-Aurèle devra donc s’occuper de ce dossier, en plus de tous les autres. Mais bizarrement, cela l’intéressait… Jusqu’à la notion de mariage, encore une fois. L’idée de se marier, il s’y était faite, au final. Il était plutôt d’accord, et surtout, il avait compris qu’en épousant la douce Alicia de Terresang, il allait devenir un homme chanceux. Nombreux sont les seigneurs – et les hommes tout simplement – qui désirent une femme aimante et qui connait sa place. Et plus nombreux sont ceux qui désirent une épouse courageuse. Marc-Aurèle, lui, allait épouser une femme qui possédait toutes ces qualités. Mais l’idée d’un mariage était toujours difficile à encaisser…

« Très bien votre Excellence, je me rendrais jusque chez le Valcan, et je m’occuperais d’appliquer vos édits et vos décisions. » Répondit le fidèle Seigneur de Terrefière, avant de reprendre. « Quant au mariage… J’en discuterais avec dame Alicia, je vous en fait la promesse. »