Entretien avec une rouquine [Ostrea]

Ostrea ouvrait toujours la porte de sa taverne le plus tôt possible... Elle ne restait fermée que quelques heures par jour, le temps de changer de barman... Parce que la flamboyante rouquine refusait catégoriquement de rester au Blaireau Doré la nuit. Ce n'était pas parce qu'elle avait peur, Ostrea n'est pas une fille comme ça. Il en faut beaucoup pour l'effrayer. Mais elle détestait passer la nuit debout et les malfrats qui fréquentaient les tavernes de nuit étaient souvent par trentaine, voir cinquantaine... Ça avait de quoi faire hésiter une aussi splendide jeune sorcière à rester pendant les heures de fréquentation de la racaille de Meca... C'est pourquoi elle avait engagé Persivald...

C'était un gros bêta, certes, mais il faisait le travail comme il faut ! C'était un grand dadais un peu con aux yeux gris et aux cheveux en brosse d'un blond pâlissant avec les années. Un humain dans la fin trentaine, aux gros bras, de quoi dissuader, n'importe qui, mis à part Teoh'dor qui une fois bien saoul s'en prendrait à un dragon tout seul, mais passons, de s'attaquer à la taverne en général... Ostrea était toute seule ce matin. Persivald venait de partir rattraper quelques heures de sommeil et elle préparait le thé aromatisé pour les Commères qui arriveraient d'ici une heure au maximum. Depuis quelques semaines, elle avait pris l'habitude de prendre de l'avance sur elles puisqu'elles venaient tous les jours...

Mais on frappa à la porte au moment ou elle mis l'eau à bouillir... Prenant son temps, laissant à cette personne le temps de réaliser que c'était ouvert, elle sortit les tasses, la théière, une magnifique bouteille de rhum toute neuve dans un délicat cliquetis de verre et de porcelaine, laissant encore une fois tambouriner contre la porte cette personne bien pressée... Puis elle entendit grincer doucement. Enfin il/elle avait compris ! Elle termina lentement, histoire de laisser à l'arrivant le temps de se trouver une table ou d'admirer l'état de l'établissement somptueux... Parce que selon Ostrea, pour une taverne de Meca qui se réveillait d'une nuit agitée, c'était tout à fait somptueux, le mot n'est pas trop fort...

- Hey ! Y a quelqu'un ? C'est pour un tatouage ! Si ca répond pas, je brûle tout !

Oh tiens ! Ça faisait un moment que ce n'était pas arrivé ça ! Une demande de tatouage en plus d'une menace ! La jeune fille déposa la théière pleine de feuilles de thé délicatement sur un comptoir dans l'arrière boutique et passa la porte ornée d'un rideau de billes de bois qui cachaient a moitié l'activité derrière. Avec un sourire radieux et une étrange impression de se faire répondre sans que ce soit le cas " Tu fais ça et j't'enferme dedans pour que crames avec et j'en remet une couche pour être bien sûr que tu sortes pas. "... Parce que proposer de tout cramer devant Ostrea qui est une sorcière de feu n'est pas franchement une bonne idée...

S'appuyant au comptoir, la charmante rouquine observa l'arrivante... Tiens, mais c'est une de l'Onirique celle là... Ostrea servait de temps en temps un peu tous les navires du port... Elle n'était pas particulièrement fidèle à qui que ce soit et naviguait avec qui demandait gentiment ou plutôt, qui payait le mieux...

- Hé bien bonjour, si tout le monde pouvait commencer par ça, on arrêterait peut-être de commencer à se bouffer le nez en partant ! Fit-elle en haussant les sourcils, sinon c'est pas grave, moi je vous le dis, " Bonjour ! ", pour un tatouage, vous voulez quoi ? On vous a référé à moi pour la Rose Des Vents ? Fit-elle passant vaguement un coup de poignet sur une petite tâche du comptoir...

Ostrea sourit lorsque Kassandra confirma qu'elle ne commencerait pas à faire sa rapiat pour un tatouage... Déjà le dessin commença à se former dans l'esprit de la rouquine. Elle savait parfaitement ou placer ses lignes et ne se trompait jamais. Elle avait fait un nombre impressionnant de roses jusqu'à maintenant et jamais personne n'avait regretté ses écus...

- Va pour une Rose ... Sans couleurs, mais avec les fioritures. Ça fera deux écus, donc.
- Exactement.

Fit-elle en souriant. L'arrière boutique dans laquelle Ostrea entraîna la pirate était parfaitement ordonnée. Des rangées de bouteilles vieillissantes, une cuisinette dans un coin avec tout ce qu'il faut pour faire de petits repas pour accompagner un bon verre, les murs étaient faits de bois blanc, neuf, rendant la pièce bien éclairée malgré le peu de fenêtres présentes. Elles s'arrêtèrent un instant et Kassandra lui remit les deux écus en question que la propriétaire du Blaireau rangea dans son corset... Elle le mettrait dans ses coffres plus tard.

- Au fait, si vous pouviez la faire dans le bas du dos, au niveau des reins. Pas quelque chose d'imposant, une taille à peu près raisonnable.. Enfin vous connaissez votre boulot mieux que moi.
- Si, si, bien sûr, sans problème.

Répondit la rouquine avec un sourire tandis qu'elles débouchaient dans une petite pièce isolée, entre deux murs et deux étagères remplies d'un peu n'importe quoi... Surtout de petits tonneaux et de belles bouteilles racées dont le verre a été très artistiquement travaillé... Au centre de ce coin se trouvait une sorte de table en bois solide avec un long coussin et des couvertures de lin propres (...Une sorte de table d'examen chez le médecin mais version... Ben version moins moderne ), à côté duquel se trouvait un tabouret très haut sur pattes et une table également surélevée couverte d'aiguilles et d'un socle ou se trouvaient plusieurs bouteilles d'encre. Un peu plus loin derrière se trouvait une bassine vide en étain, un tonneau fermé, une bouilloire, un petit poêle noir, des linges propres et un savon... Professionnelle. On croirait presque à un cabinet de médecin. On ne déconne pas avec les aiguilles... Graver dans la peau de quelqu'un, c'est pas un jeu... Si ça s'infecte... Enfin, bref, l'endroit était immaculé.

- Assoyez vous là.

Fit Ostrea en désignant la table avec un coussin recouvert d'un drap.

- Vous savez que ce s'ra long, n'est-ce pas ? J'vous préviens tout d'suite, faut pas être pressé.

Expliqua t-elle en ouvrant le tonneau qui s'avéra rempli d'eau dans lequel elle remplit la bouilloire et la posa sur le poêle. L'odeur légère de bois qui brûle, la cannelle, les épices, l'alcool... Puis la rouquine tendit à Kassandra une bouteille de rhum, couleur caramel, luisant au soleil de la seule fenêtre présente dans le mur près du poêle.

- Pour engourdir. Ça vient avec, pas besoin d'le payer.

Ricana Ostrea en retournant s'affairer à allumer plusieurs lampes autour d'eux... sans utiliser de flamme... Comme si elle allumait les lampes en pinçant la mèche... Beaucoup d'alcool et beaucoup de bois, mais elle s'éclaire tout de même à la flamme. Courageuse ou folle...

- J'imagine que c'est le rhum que vous distillez vous même ?

La rouquine se retourna légèrement pour croiser le regard de sa cliente qui débouchait sa bouteille d'un geste expert.

- Oui. C'est le rhum maison du Blaireau. Une merveille selon certains.

Fit-elle vaguement en continuant d'allumer ses lampes... Quatre en tout qui donnèrent à la pièce un éclairage orangé doré... Finalement, on avait presque l'impression de se retrouver à l'intérieur même d'une bouteille de l'alcool dont Ostrea faisait le commerce. Se frottant ensuite les mains, vidant dans la bassine d'étain l'eau tiède de la bouilloire, elle y trempa un linge propre, se lava les mains et se retourna vers Kassandra...

- Vous êtes pyromancienne ?
- Wah ! Le mot !

S'exclama t-elle visiblement sans en avoir totalement conscience... Ostrea savait faire beaucoup de choses... Mais son habileté avec les mots ne dépassait pas vraiment la base du vocabulaire. Elle savait à peine écrire et lire quoi... Elle se reprit merveilleusement bien malgré qu'elle venait franchement de s'impressionner avec un rien... Elle tordit un peu sa serviette, la posa sur son épaule, attrapa une bouteille transparente avec ce qui ressemblait à de l'eau à l'intérieur, quelques boules de coton et s'avança tranquillement avant de poser le tout sur son tabouret.

- Eum, bafouilla la tatoueuse en essayant de se souvenir de ce que signifiait Pyro..., je suppose que si j'ai un certain contrôle sur le feu... On pourrait dire que je suis Pyromachin ?

Demanda t-elle, dans le doute, mieux vaut passer pour un con tout de suite que d'attendre trop tard et de se rendre compte qu'on a été con longtemps...

- C'est de naissance d'après ce qu'on m'a dit.

Fit-elle en faisant signe à Kassandra de se coucher sur le ventre et en libérant l'espace sur ses reins de tout vêtement embarrassant sans pour autant la déshabiller... Posant la serviette chaude sur la zone à tatouer sur le dos de la Pirate, Ostrea s'attela à nettoyer avec le liquide transparent et un autre linge propre, plus petit cette fois, ses aiguilles... L'odeur d'alcool pur vint s'accrocher aux narines de Kassandra... Une chose est certaine... Tout est propre et stérile. Peu fréquent dans les endroits ou vivent les pirates...Puis elle retira la serviette chaude, tamponna la zone avec de l'alcool sur une boule de coton et se pencha avec sa plus petite aiguille et un pot d'encre noire.

- 'tention ça va piquer.

Prévint Ostrea avant de commencer la torture...

- Py-ro-man-cienne. C'est le fait de contrôler le feu, oui. Je disais ça vu que vous allumiez vos lampes à la main, au sens propre...
- Alors, oui, c'est ça.

Répondit la rouquine en reprenant son travail... Terminant d'allumer les lampes, remplissant sa bassine, désinfectant ses linges, ses aiguilles pendant que Kassandra s'installait sur la table...Puis elles se mit en position pour commencer son oeuvre...

- C'est parti ...

Le soupir qui précéda le signal que Kassandra lui donna pour commencer fit grimacer Ostrea. Personne n'aimait se faire faire mal volontairement... C'est dans la nature humaine. La tatoueuse inspira profondément et commença à entrer l'aiguille dans la peau de la rouquine sur la table par petits coups... Directement, sans avoir fait de dessin avant, la propriétaire du Blaireau Doré semblait parfaitement savoir ce qu'elle faisait... C'était douloureux... Le silence de la concentration prenait toute la place dans la pièce... On entendait seulement le crépitement des petites flammes dans les lampes à l'huile et dans le poêle à bois...

Une fois de temps en temps, un doux froissement d'étoffe venait troubler le silence pour essuyer le trop plein d'encre, un changement d'aiguille dans un tintement presque féérique, pour une plus petite ou une plus grosse... La douleur avait été intense au début mais s'était amoindrie avec le temps, rendant la zone tellement engourdie que tout ce qui était ressenti était un petit picotement désagréable et constant... Le temps passa dans un silence douloureux qu'Ostrea préféra ne pas troubler, histoire de ne pas faire d'erreur bien qu'elle était loin d'en être à sa première Rose...On est jamais trop prudent...

Quelques heures, environ trois, durant lesquelles la rousse était penchée sur le dos de Kassandra avec une concentration chirurgicale... Puis la tatoueuse se racla la gorge doucement, comme si elle voulait... tester le niveau de nervosité avant d'ouvrir la bouche.

- Il me faudrait votre nom, pour mes registre.

Fit-elle en passant son troisième linge blanc sur le tatouage. De son point de vue, Ostrea pouvait voir que le tatouage n'avait pas encore fière allure... fraichement fait, il était enflé, il saignait un peu, débordait d'encre d'un peu partout et la peau de toute la zone était rougie... On aurait dit une blessure sale plus qu'un tatou. Nettoyant de son mieux le tout avec son linge et sa bouteille d'alcool, ce qui occasionna la brûlure habituelle du liquide sur une blessure fraiche, la rouquine se redressa, laissant Kassandra seule sur la table à cuver sa douleur, un autre linge tiède sur la zone du tatouage atténuant un peu le tout...

Prenant un petit livre a couverture en cuir noir sur une étagère, refermé par une solide lanière de cuir avec un cadenas, elle prit également une plume, l'ouvrit avec une clef qu'elle remit dans sa cachette aussitôt, que Kassandra n'eut pas le temps de voir, puis y nota quelques petites choses, des chiffres apparemment... La date, plus précisément... avant de s'approcher de la table et de se pencher au niveau du visage de sa cliente.

- Faudrait que vous me signez ici.

Dit-elle en souriant... Eh ouais, fallait recenser toutes les Roses de la Marine Marchande... Le livre semblait très vieux et en était à ses dernières pages. Il sentait le vieux cuir, le parchemin usé... Ostrea le lui mit sous le nez avec la plume... Et posa la bouteille de rhum entamée, ramassée au passage, sur le tabouret sur lequel se trouvaient les aiguilles...