L'innocence n'existe pas .. Chaque demeure est une antre secrète [Gaucelm]

Le bruit si particulier du burin sur le ciseau qui mordait la pierre, avait repris de plus belle, alors que « l’incident Elverion » s’était achevé par un aller simple pour le cachot. Le Gras avait encore du mal à croire l’audace et l’arrogance dont l’elfe avait fait preuve, venant dans SON château, s’adressant à LUI comme à un vulgaire pion. Non mais il était pas net, ce type. Au moins, aura-t-il appris que les humains ne se laissent pas impressionner par des promesses, qui semblent aussi possible de tenir que de marcher sur le soleil. L’immortalité ! Ahah ! Y avait de quoi se marrer quand même ! Ce bon vieux Dagobert, qui lui porte la culotte à l’endroit, avait repris le travail avec entrain, poussant de petits gémissements alors qu’on commencait à reconnaître les traits du Gras qui jaillissait de la pierre brute. Voilà maintenant plusieurs jours, que Sa Grassouillerie posait pour Leroux, avançant dans le travail avec une efficacité qui était autant du goût de Gaucelm que de celui de l’artiste. De temps à autre, un serviteur venait apporter un raffraichissement à l’un des deux hommes, seul vrai interruption qui n’était pas accueilli par le sculpteur comme une perte de temps inutile, et encore …
Bref, cette journée de printemps se déroulait comme beaucoup de ses sœurs, sous le chant des rouges gorges et des cliquetis du ciseau à pierre. C’est à ce moment que ce brave Guy entra, marchant d’un pas leste vers son gras suzerain, les traits légèrement tendu. Il traversa la salle sous le regard inquisiteur de Dagobert, qui s’interrompit un bref instant pour toiser le brave servant, puis reprti en tapotant lentement, sentant la mauvaise nouvelle venir. Sa Riante Bedonnerie se tourna vers son laquais et hocha légèrement la tête en guise de question sur ce que désirait Guy, qui annonça.

Monseigneur, une inquisitrice de Tyra est à nos portes et souhaiterait avoir une audience …

Il se pencha vers le Gras en chuchotant la fin de sa phrase, se rendant compte de l’attitude de Leroux qui semblait bien plus intéressé par l’annonce du serviteur que par son ouvrage, ce qui n’échappa pas à Gaucelm.

… Au sujet de la sécurité des terres

Non mais, dites donc, vous ! Je ne vous paye pas pour que vous écoutiez ce qui ne concerne que moi ! Au travail ! Fainéant !

Leroux tenta de bredouiller une explication, puis reprit son ouvrage en rosissant légèrement, comme un enfant prit en faute. Il fit parler le marteau et le burin tendit que le comte le toisait toujours, réfléchissant par là même, à cette visite aussi inhabituelle qu’inquiétante. Une inquisitrice de Tyra ! Voilà, qui était étrange. D’ordinaire, ces dévôts de la Déesse des Âmes restaient cloîtrés dans leur temple à se regarder le nombril et à se toucher la nouille, comme le disait certains. Toujours tourné vers le tailleur de pierre, le Gras reprit.

D’ailleurs, fichez moi le camp, Leroux ! Faisons une pause.

Alors qu’il allait protester, Leroux fut muselé par un regard froid de Sa Grasseté, qui en disait long sur son sort, si il osait l’ouvrir. Il posa ses instruments et sortit en bougonnant quelque chose à propos de larbin et de temps perdu. À peine la porte se referma derrière le sculpteur, que Gaucelm se tournait vers son fidèle serviteur.

Faites la entrer, je la recevrais ici.

Guy partit rapidement pour faire pénétrer la jeune femme dans l’antre du Bélier, qui le hêla avant qu’il ne franchisse la porte.

Et apportez nous du vin !

Gaucelm prit place dans un des fauteuils à accoudoirs larges, renforcé pour supporter le poids du comte d’Odélian, une sorte de petit trône pour Sa Grasse Majesté … Laissons le à ses rêveries, tandis que la porte s’ouvrait à nouveau pour voir une jeune damoiselle entrait, précédé de Guy et suivit par un jeune serviteur, portant le vin demandait plus tôt et dont le nom échappait toujours à Gaucelm … Derrick ? Berrick ? Ferrick ? Cette vermine immigrée d’Olysséa portait un nom ridicule et agaçante. Et puis ce n’était qu’un gueux … Le fardeau était déjà suffisamment lourd à porter comme ça. Il accueillit l’inquisitrice en ouvrant les bras en signe de bienvenue, mais sans pour autant lever son popotin … Avez-vous remarqué qu’il y a deux « po » … Comme dans hippopotame … Bref !! Je digresse et là n’est pas le lieu, ni le moment.

Bienvenue en Odélian, Inquisitrice ! Si vous voulez bien vous donner la peine de vous asseoir … Quelles nouvelles amenez vous ?

Et elles avaient intérêt à être bonnes, les nouvelles !

Voyons voir ce qui s’amenait là. Une petite bonne femme, au chapeau trop grand pour elle, se donnant des airs de corsaire … La gueuse, elle était ridicule. Elle jeta un coup d’œil à l’œuvre qui naissait sous les coups de burins de Leroux, probablement envieuse d’une pareille gloire. Ah ça ! C’est pas à elle qu’on érigerait une statue ! Elle revint au visge du comte, légèrement incrédule devant l’accoutrement de son interlocutrice puis, elle prit enfin le temps de lui répondre.

Je vous remercie de cette entrevue Comte. Je suis ici en mission sur vos terres pour le compte du Temple de Tyra. Les rumeurs courent que ces terres sont devenues le repère de Cultistes du Chaos, ayant fuis leur cité d'Abyssea. Mon enquête a permit d'affirmer ces rumeurs et la présence du Chaos en Odélian.
Je pourchasse actuellement leur chef de groupe : un Elfe nommé Elverion.
J'ai rencontré cet Elfe sous le couvert de l'anonymat voici quelques temps. Il m'a échappé mais je suis parvenue à retrouver sa trace. Et, étrangement, mes informations et ma quête m'ont amenée à votre demeure, Comte. J'ai l'intime conviction que cet Elfe a séjourné ici et je suis venue découvrir ce que ce Chaotique pourrait faire chez vous.

Le jeune serviteur servit … Comme c’est cocasse … Et s’en alla en trottinant, sous le regard amusé du Gras qui avait écouté le réquisitoire de l’inquisitrice avec une attention approximative. Elverion … Ah oui, le comte de Linaëh ! Oh, bah il pourrit dans les geôles, là … Elle se permettait tout de même d’accuser le comte de complot avec la vermine chaotique. La réponse fut cinglante, alors qu’il reposait sa coupe après s’être désaltéré.

Elverion, dites vous … Non, personne ne s’est présenté à moi sous ce nom. J’ai eu la visite du comte de Linaëh, il y a quelques jours, mais il est reparti le jour même

Il fit tourner le vin dans sa coupe, observant la danse du liquide pourpre sur les bords décorés avec raffinement. Puis il poursuivit, usant d’un ton un peu plus ferme.

Il est venu me parler de la sécurité de mes terres … Comme vous ! Il est venu me provoquer … Comme vous ! Et si vous ne voulez pas vous retrouver sur le pavé d’Odélian … Comme lui ! Je vous demanderais de mesurer vos propos et vos sous-entendus, Inquisitrice.

Il avait ponctué sa phrase d’un regard à l’encontre de Aelhën, un regard qui laissait présager que la plaisanterie n’était pas de rigueur. Lui, d’ordinaire si jovial et enjoué … Elle me l’avait froissé ! Et puis, tous ces intrus venant claironner leurs exigences étaient réellement insupportable. Cette discussion serait brève, il en avait le sentiment profond.

Elle avait écouté, patiemment, soutenant le regard du Gras ... La petite effrontée! Son regard inquisiteur, rien d'étonnant pour une inquisitrice, trahissait la suspiçion, mais Gaucelm feignit de ne rien voir, jouant au méchant noble qui s'emporte, pour jauger la part de certitude et la part d'intuition qu'il y avait dans les accusations à peine voilées d'Aelhen. Il la laissa parler, elle allait découvrir son jeu elle-même.

Le comte de Linaëh .. Elverion donc .. Vous avez eu affaire à lui comme je le pensais.
Mais je doute vraiment que cet Elfe ait quitté cette demeure car personne ne l'a vu ressortir. Je ne serais jamais venue me présenter à vous si je savais qu'il était parti ailleurs. Ce Chaotique possède une particularité : il se présente comme tel à ses interlocuteurs. Etant donné qu'il vous a provoqué vous ne pouvez ignorer donc la dangerosité de cet individu.
Et comme vous connaissez sa dangerosité je doute fortement que vous ayez relâchés un individu qui menace la sécurité de vos terres. Non, Elverion est toujours présent dans ce manoir.

Je ne remet nullement en cause votre intégrité Comte. Mais, étant donné le danger que représente Elverion il serait dans l'intérêt de vos terres si vous me confirmez que cet Elfe est toujours dans votre manoir. L'Inquisition de Tyra est habilitée à s'occuper de ce genre d'individus et à circonscrire la menace qu'ils représentent.

Vous doutez de ma parole?!!

Qu'il est beau lorsqu'il s'énerve, avec ses petites rides au coin des yeux et ses joues qui rougissent. Il continua le jeu de l'emportement et sa réponse fut cinglante.

Vous doutez qu'il ait quitté ses lieux? ... Mais ... Mais ... Je ne connais ni chaotique, ni Elverion d'aucune sorte ... Vous remettez totalement mon intégrité en cause, Madame!

Ce dernier mot fut prononcé avec un mépris et un dégoût des plus extrêmes, soulignant bien l'ironie du terme employé. Mais, poursuivons ...

JE ... suis le seul habilité à m'occcuper de MES terres!! Gardes! ... Malgré mes avertissements, vous persistez à me calomnier et à m'insulter ... GARDES!!

La porte s'ouvrit alors avec fracas, laissant entrer les soldats par dizaine. Ils savaient que lorsque le Gras hurlait à la garde, il fallait rappliquer vite ou tâter du fouet, et nombreux, parce qu'à chaque fois, c'était pour s'occuper de bonshommes bizarres, y avait qu'à voir le dernier, un elfe ... Non mais, un elfe quoi! En Odélian, on avait tout vu ... Le soldat fut sorti de ses pensées par l'ordre de Sa Grasseté, clait, précis, tout en nuances et finesse.

Foutez-moi ça à la porte de la ville!

... Classe hein? ... Bref, aussitôt dit, aussi fait. Le Gras se retrouva seul, songeur. Cet elfe posait des soucis, même enfermé dans les geôles. Il fallait remédier à ça, le tournoi serait l'occasion de rencontrer le Roy et de lui souffler un mot sur sa capture. Laissons le à ses sombres machinations, nous le retrouverons bien assez tôt en train de les mettre en oeuvre ...