Souviens-toi... [Vioron]

Linaewen se troubla quand il regarda la tiare, croisant les bras pour ne pas la reprendre et lui demandant pourquoi elle ne pouvait pas la garder. Mais... enfin, c'était évident quand même! Elle ne méritait pas ce bijoux précieux, n'en avait pas l'utilité! Ça dépareillait totalement avec son allure général, qui tenait plus de l'épouvantail que de la dame! Elle baissa les yeux sur sa main tenait la tiare et suivit les délicats tracés du doigts, avant de finalement rompre le silence d'une voix faible :

- "C'est un bijou magnifique. Précieux. Dans lequel tu as mis tout ton génie, ton talent, et peut-être même ton âme. Comme chaque chant que j'investis."

Elle se mordit la lèvre, cherchant ses mots. Linaewen chantait avec son cœur et son âme, c'était cela qui différenciait un bon d'un mauvais barde. Chaque chant était une part d'elle-même, chaque mélodie. Et les créations de Vioron lui donnaient également cette étrange impression. Et cette tiare était trop personnelle.

- "Enfin, regarde-moi... Je ne suis pas une dame, je suis dépenaillée, je ne ressemble à rien... Mon corps est ravagé par trop d'années de sévices. Cette tiare est trop belle, je n'en suis pas digne, je ne la porte pas avantageusement. Elle sera mieux sur la tête d'une Dame Protectrice ou même d'une princesse."

Elle n'avait pas relevé le regard, peinant à se décrire ainsi, pourtant le miroir lui renvoyait impitoyablement son reflet à chaque fois qu'elle s'y mirait. Chose qu'elle avait évité de faire d'ailleurs. Au Puy, la coquetterie n'était pas de mise et elle n'avait pas vu l'étendue des dégâts, même si elle ne pouvait ignorer ses os saillants. Elle avait eu l'air d'un oiseau sans plumes, sans graisses, trop fragile pour survivre.

Elle avait repris des formes et du poids, mais pas suffisamment encore. Non, elle n'était pas belle, même pour les elfes, elle était trop maigre, son regard trop hanté, sa peau trop diaphane. Tout son être avait manqué de soleil, d'amour et de soutien et on n'effaçait pas cela simplement en réintégrant la vie.

- "Je ne suis qu'une barde Vioron. Une simple barde."

Ses réponses l'ébranlèrent, balayant ses certitudes de ne pas être digne d'un tel présent. Il avait raison, si cela était un bout de son âme, qui mieux qu'une amie était apte à l'arborer? Elle était prise à son propre piège. Même si cela lui semblait encore sacrilège que de porter un bijou aussi riche. Des années, des décennies dans la dénuement le plus total lui avaient fait oublié qu'elle aussi, elle avait le droit aux belles choses. Enfant, elle n'avait manqué de rien, étant la petite princesse de ses parents, gâtée, adorée. La vie au Puy lui avait vite fait oublier tout cela. Elle n'avait alors porté que des guenilles qui ne méritaient même pas l'appellation de vêtements. A quoi bon parer son corps décharné de toutes façons? Elle n'avait été qu'une esclave, une elfe, la race honnie par les Sombres. Davantage encore que les humains ou les nains. Et pourtant, on s'était abaissé à la violer. Un mince sourire recourba ses lèvres quand il insista en lui répétant que ce n'était qu'une simple tiare.

- "Je déteste cette abréviation de mon nom."

Il le savait, elle le lui avait dit, et le lui dirait encore. C'était un jeu entre eux, mais c'était surtout une marque d'affection de l'enfant qu'il avait été envers sa camarade de jeu. Elle ne s'en offusquait plus, mais le faire remarquer lui permettait de réflechir à ce qu'elle allait bien pouvoir faire de ce cadeau. Finalement; devant son obstination, elle soupira et remit la tiare sur sa tête.

- "Tu es d'un entêtement..."

Il avait gagné. Et bien qu'elle se sente encore mal à l'aise de porter telle merveille, elle en était aussi heureuse et fière. C'était un cadeau précieux, davantage encore pour son symbole que pour sa valeur marchande.

- "D'accord, tu as gagné."

Elle s'approcha doucement de lui, glissant une main sur la joue de Vioron, un mince sourire accroché au coin des lèvres. Puis, elle se hissa sur la pointe de pieds et l'embrassa doucement, sur la commissure des lèvres.

- "Merci."

Un simple mot pour exprimer toute sa gratitude. Mais il n'avait pas besoin de davantage. Il la connaissait, il savait interpréter ses sourires, ses regards. Il l'avait su tout du moins. Jusqu'à quel point avait-elle changé?

- "Nous ferions mieux de partir, je suis en train de fondre avec cette chaleur."

Elle joignit le geste à la parole et quitta la forge en compagnie de celui qui avait été son fiancé... Et qu'elle comptait bien reconquérir!