[ II ] - [ De l'Ordre dans le Chaos ] - [ Pv Esmeralde ]

A peine arrivé à la forteresse, centre de l’ancien pouvoir politique de la cité, qu’Esmeralde prenait la mesure de la situation et quantifiait la base de son pouvoir. Observant passivement, le Prime n’avait en tête qu’une seule et unique pensée : rejoindre ses appartements et endosser son armure. Nombre de monstres, humains ou non, arpentaient désormais les ruelles de la ville et agir sans une préparation adaptée relevait de l’inconséquence. Conscient de la présence de ses séides en périphérie de la salle et d’humeur sociale, il prit le temps de saluer son homologue avant de prendre congé.

« Il nous faut tenir Conseil au plus vite mais auparavant, il me faut recenser ce qu’il me reste comme moyens. Ceci fait, je vous rejoindrai pour vous livrer mes conclusions dans les annexes du Temple... »

Il s’éloigna de quelques pas avant de marquer une pause.

« … S’il n’a pas été saccagé par les incendies ou les barbares » ajouta-t-il sur un ton vide d’émotions, avant de ne disparaitre dans les couloirs cerclant l’entrée principale du bastion. Dispersant ses serviteurs à son arrivée, tel un oiseau de proie écartant de sa route un vol d’étourneaux, Arbalastre s’enfonça dans les méandres de la Forteresse, coupant au plus court pour rejoindre ses appartements. A sa suite, ayant de nouveau adopté une marche commune, ses partisans s’inscrivaient dans ses pas. Notant la présence de coutelas aux ceintures, il récolta les rapports et informations éparses récoltées par les prêtres.

« Du fait des troupes du Bourreau, la Forteresse n’a que peu subi de dégradations, Seigneur, vos appartements et ateliers ont été mis sous scellés et leur accès sévèrement réprimés aux étrangers » précisa un tout jeune prêtre, à peine sorti de sa formation lors du départ d’Arbalastre pour son expédition botanique.

« Nombre d’entre nous ont pu échapper aux combats mon Seigneur. N’ayant point de consignes, nous avons déclaré notre neutralité et avons protégé vos intérêts » annonça un prêtre à la voix un brin trop rapide pour paraître sincère.


Le Prime aurait pu en prendre ombrage mais il n’était point homme – l’était-il d’ailleurs encore ? – à gâcher la main d’œuvre disponible. Si son interlocuteur lui mentait effrontément pour masquer son manque de foi, l’Architecte se consolerait en faisant de lui un manœuvre, terrassier ou autre briquetier, aisément soumis.

« L’Entremetteuse est toujours vivante » susurra une voix souple, dont l’origine, diffuse, fut difficile à identifier : l’un de ses Arpenteurs.

Tout le monde s’immobilisa lorsque le Haut Prêtre posa son doigt sur les charnières de sa porte, vérifiant son bon engoncement. Constatant qu’elle n’avait point été ouverte depuis son départ, il se tourna de quart vers ses serviteurs, afin de leur confier ses premières instructions.

« Réunissez les nôtres et que tous récoltent les informations nécessaires à l’établissement … »

Ses séides frémirent conjointement, se préparant à l’affrontement.

« … d’un nouveau plan d’urbanisme. Nommez les seigneurs locaux, des puissances en place jusqu’aux rustres contrôlant une rue ou deux. Trouvez-moi des droits de passage, et une fois ceci fait, des passe-droits. Récoltez les ouvriers : manœuvres, terrassiers, briquetiers, plâtriers et charpentiers en priorité, afin de consolider ce qui n’a point encore été mis à terre. Notifiez aussi, puisque la régence de chaque rue est erratique, l'établissement d'un nouveau plan d'occupation des sols... »

Et sans saluer qui que ce soit, il entra dans ses appartements, refermant la porte sur un groupe d’homme restés dans l’expectative mais qu’il savait sous son emprise.

" Pelinor, entre."

La Dame, vêtue d'une longue tunique de toile épaisse, attendait debout près du portant. Le jeune homme entra, refermant la porte des appartements du Haut Prêtre derrière lui. Il était visiblement sorti de l'adolescence, et une barbe naissante assombrissait son visage plus qu'elle ne le vieillissait.

Habitué depuis longtemps à son travail, c'est sans un mot qu'il souleva la lorica hamata du portant, pour la glisser sur le corps de la Dame. Celle-ci imprima un mouvement souple à ses épaules, afin que les anneaux trouvent chacun leur place usuelle. Une pièce après l'autre, il ajusta les plaques de l'armure, rendant méconnaissable le Haut Prêtre pour qui ne connaissait pas encore cette apparence guerrière. Bien que la cuirasse portât les marques féminines, elles étaient si peu mises en valeur que de loin, on eût dit un homme, paladin de son état. Car l'armure était celle de l'Ordre des Paladins de Néera, auquel la Dame avait autrefois appartenu corps et âme, avant de se dévouer totalement au Chaos.

Serrant les poings dans ses gantelets pour les assouplir, elle se laissait chausser par son serviteur, la tête tournée vers la fenêtre. Elle avait vu sur la cité malmenée par la guerre civile, et de longues colonnes de fumées s'échappaient de différents quartiers. Certains, moins chanceux que d'autres, avaient visiblement été rasés.

" Où en est le rapport que j'ai demandé ? " entama-t-elle d'une voix morne.

Le serviteur s'arrêta un instant d'ajuster l'armure, l'air anxieux. Elle dirigea son regard froid sur lui ; la Dame était connue pour perdre patience rapidement.

" Hélas, votre Gracieuse Eminence, personne n'est encore revenu de la mission que vous leur avez confié. Mais... " ajouta-t-il, hésitant puis se taisant.

" Continue. "

" J'ai pu croiser quelques serviteurs de la Dame Cassimène : elle est toujours en vie, et rassemble ses forces. "

" La Noble Putain est donc encore de ce monde... Continue " murmura-t-elle sans plus d'émotion.

Les mains du jeune homme se serrèrent sur les plis de sa chemise, nerveusement.

" Le Seigneur Laurentis... chaque jour un nouveau pâté de maison tombe sous son commandement. "

Le silence seul répondit à l'allégation du serviteur. D'un geste, elle le congédia, lequel s'inclina puis sortit sans plus attendre. De quelques pas, elle se rapprocha de la fenêtre, tandis qu'une moue contrariée prenait naissance sur son visage d'ordinaire si figé.

" Aleksandr Laurentis. "

Elle attacha son baudrier à sa taille, ajustant le fourreau et la grand épée qu'il contenait. Elle vérifia la bonne place du stylet, et glissa la percemaille dans sa botte droite.

Le temps des alliances était venu.