[bal]Dernière danse (pv)

Durant cette soirée, le roi s'était fixé trois cavalières à absolument honorer : sa femme, sa sœur (ce qui n'était guère surprenant) et la dame des lieux, la baronne de Hetalia. Elle était l'hôtesse, il était normal qu'il l'invite pour au moins une danse afin de signifier sa satisfaction d'être ici et lui dire combien tout avait été parfait. Cela ne mangeait pas de pain et était toujours apprécié. Peut-être avait-il dansé avec elle lors du bal costumé, comment savoir? Doucement, il fit part de son désir à Lilianna qui acquiesça et le conduisit non loin de Lucrèce, avant de lui indiquer où la trouver. Trystan aimait son indépendance et aimait donner l'illusion qu'il n'était pas si dépendant que cela aux autres. Et Lilianna assumait son rôle de guide discrète à merveille.

Il s'avança donc jusqu'à la jeune baronne. Jeune baronne qui trainait déjà quelques rumeurs peu reluisantes derrière elle, notamment à cause du scandale causé au tournoi. On disait d'elle qu'elle avait trompé son époux avec un chevalier, chevalier à qui elle avait donné ses faveurs au tournoi. Une chose assez mal vue, surtout que le dit chevalier n'était issu ni de ses terres, ni de celles de son époux. Harnyll avait fort mal prit la chose et on ne pouvait l'en blâmer.

Pourtant, elle était toujours baronne. L'affaire n'avait pas du être aussi grave pour qu'il lui pardonne et la garde comme épouse. De ce qu'on lui en avait dit, les deux jeunes gens, mariés par intérêt, avaient su apprendre à s'aimer et offraient la vue d'un charmant couple. D'après les rumeurs, bien entendu, la réalité était toute autre même si tous l'ignoraient.

Le roi inclina légèrement la tête en guise de salut, avant de tendre une main aux longs doigt fins et de demander d'une voix grave :

- "La Dame de ces lieux et divine organisatrice de ces festivités me ferait-elle l'honneur d'une danse?"

Il sentit la petite main de Lucrèce dans la sienne et sourit alors que leurs corps se rapprochaient pour entamer la danse.

- "J'espère que vous n'êtes pas trop exigeante concernant vos cavaliers ma Dame."

Une manière détournée de lui rappeler qu'il ne pouvait pas faire n'importe quoi; malgré son aisance feinte. Ils commencèrent à danser au son de la musique mélodieuse.

- "Je tiens à vous féliciter pour ces trois jours d'amusement, ces bals ont tenu toutes leurs promesses, mais j'imagine que vous devez avoir hâte que cela se termine pour retourner à une vie plus routinière... Ce genre d'organisation est épuisant."

Si le roi ne voyait point, ses autres sens eux, compensaient largement. Habitué à deviner plus qu'à voir, à ressentir, à ne pas se laisser abuser par les apparences désormais, il était un interlocuteur perspicace. Trop parfois, mettant mal à l'aise ceux qui subissaient ainsi son acuité, comme si, à défaut de voir les visages, il voyait les âmes. Aussi, les paroles de Lucrèce alors qu'ils dansaient ne lui échappèrent-elles pas. Il haussa un sourcil, tandis que son cerveau analysait l'information. Organisation épuisante dans son état... Pour avoir suivi les deux grossesses de Lilianna, il devinait que c'était davantage une histoire d'héritier que de maladie. Si elle était souffrante, Lucrèce ne serait pas en train de danser avec lui, à moins qu'elle ne soit inconsciente. Néanmoins, le roi, préféra rester sur sa première impression.

- "Porteriez-vous l'héritier d'Ysari ma Dame?"

Un fin sourire ourla les lèvres du roi à cette question. Lucrèce était bien jeune et déjà enceinte. Néera semblait clémente ces temps-ci. Il n'avait pas entendu parler de cette grossesse, était-elle encore officieuse?

- "Les félicitations sont de rigueur, quand pensez-vous rendre la nouvelle publique?"

Il comprenait que l'on attende pour se faire. Lui-même avait attendu d'être certain que son épouse ne ferait pas une fausse couche avant de l'annoncer. Quand cela avait commencé à se voir. Les robes amples finissent par ne plus dissimuler totalement ce genre de détails.

Le roi et la baronne dansèrent ainsi quelques minutes, en échangeant quelques paroles. Mais il sentit sa cavalière se crisper et ralentit de lui-même le rythme, un brin soucieux de la santé de la jeune baronne. Et celle-ci ne tarda pas à reprendre la parole. Elle préférait cesser la danse mais désirait profiter encore de sa compagnie et lui proposait une petite promenade dans les jardins. Il savait déjà que les rumeurs allaient aller bon train, mais qu'importe. Il savait être fidèle et Lilianna le savait aussi. Il acquiesça donc doucement.

- "Avec plaisir."

Il lui tendit son bras, donnant ainsi l'impression de l'escorter, alors que ce serait à elle de le guider, ce qu'il fit remarquer avec un brin d'humour dans la voix :

- "Je vous suis ma Dame."

Il comprenait la décision du couple de ne pas annoncer la grossesse trop précipitamment. Trop souvent le bébé n'allait pas à termes, mieux valait être sûr que tout allait bien et apparemment, tout n'allait pas si bien pour Lucrèce. Elle semblait fatiguée et semblait également souffrir. De quoi exactement il n'en avait aucune idée. Mais il avait un mauvais pressentiment, aussi la suivit-il dans le jardin comme elle le lui demandait. Était-ce son fameux don de prescience qui s'exprimait ainsi ou juste un 6e sens développé? A moins que ce ne soit l'analyse inconsciente de plein de petits signes qui ne trompaient pas.

Ils allèrent dans les jardins, Lucrèce le guidant doucement. l'air était effectivement très doux. Très agréable, loin de la chaleur étouffante de la salle de bal, loin des brouhaha qui lui cassaient les oreilles devenues sensibles. Il se promit de ne pas rester trop longtemps avec la baronne, il n'aimait pas abandonner ainsi Lilianna qui n'était guère ravie de ce genre de festivités.

Et puis soudain, tout s'enchaina : un gémissement et la main de Lucrèce qui quittait son bras alors qu'il entendait quelque chose tomber. Aussitôt, il se figea, cessant d'avancer, conscient que la jeune femme n'allait pas bien. Par tous les dieux, quelle folie que de s'éloigner avec elle! Elle ne pouvait pas défaillir au milieu du bal, devant tous les invités? Devant des invités qui voyaient!

Il retint un juron fort peu royal et s'accroupit, cherchant la jeune femme à tâtons. Il découvrit ses cheveux et remonta jusqu'à son visage.

- "Dame Lucrèce? Dame Lucrèce! Que vous arrive-t-il?"

Et pas un badaud alentour, bien évidemment. Que pouvait-il bien faire pour l'aider? Il ne connaissait pas les jardins, quand bien même il l'aurait prise dans ses bras pour l'emmener, comment s'y serait-il retrouvé? Non, sans y voir clair, c'était trop dangereux, mieux valait ne pas la déplacer. Le tout était de ne pas paniquer. Surtout ne pas paniquer, cela n'aiderait pas la jeune femme.

Le sang du roi se glaça dans ses veines quand Lucrèce n'eut que le courage de lui parler du bébé. Il n'était pas idiot, il savait faire l'addition de deux et deux. Lucrèce qui se crispe, qui propose de prendre l'air, qui se plaint de fatigue, puis qui s'écroule en gémissant... Sa grossesse était encore assez récente et délicate apparemment. Et malheureusement, il semblerait qu'elle soit en train de perdre le bébé, là, devant le roi. Il était accroupi près de la jeune femme, impuissant à lui procurer le moindre secours. Et une fois n'est pas coutume, il maudit les dieux, ou la magie, qu'importe, de lui avoir ravi ses yeux pour l'empêcher de venir en aide à lucrèce. Pour un homme comme lui, il était absolument abominable d'être incapable de rien faire. Terriblement frustrant.

Mais ce moment de terrible solitude ne dura pas et il entendit des bruits de pas et une voix féminine qui demandait à une autre personne d'aller chercher de l'aide. De l'aide féminine et en toute discrétion. Pouvait-on être discret lors d'un tel drame? La jeune femme sembla reconnaître le roi qui soupira de soulagement intérieurement. Cela était affaire de femme. Femme qui semblait connaître Lucrèce plus intimement.

- "Vous ne pouvez pas imaginer comme votre arrivée est bénie des dieux ma Dame."

Oui, il avouait avoir besoin de l'aide de la jeune femme, de lui passer le relais. Il entendit son murmure horrifié et soupira, résumant à mi-voix :

- "Nous dansions quand elle a proposé de faire un tour dans le jardin... Puis, elle s'est écroulée. Je ne savais pas que sa grossesse était aussi précaire, je n'aurais pas commis telle folie si je l'avais su."

Il y avait une trace de colère dans sa voix. Une colère froide et coupante alors qu'il se maudissait de ne pas avoir su être clairvoyant concernant le danger qui guettait Lucrèce. Mais par tous les dieux, pourquoi était-elle là à s'amuser et à se fatiguer, au lieu de garder le lit pour sauver son bébé? une telle grossesse devait être suivie de près par les médecins! Le Baron ne devait sûrement pas prendre cela à la légère! Pour avoir suivi les deux grossesses de Lilianna, il savait que les médecins étaient très prudents dés qu'il y avait des douleurs inhabituelles et préconisaient un repos complet. Pourquoi Lucrèce ne s'y était-elle pas conformée?

- "Elle est en train de perdre le bébé?"

il ne voyait pas, comment en aurait-il pu être certain? Mais étant donné la conjoncture des évènements et le murmure horrifié de la jeune femme, peut-être était-ce préférable qu'il ne voie rien à cet istant précis. Il laissa Lucrèce aux bons soins de son amie et attendit patiemment l'arrivée des secours, toujours impuissant, mais pas lâche au point d'abandonner les deux jeunes femmes. Et de toutes façons, sans accompagnateur, difficile de retrouver son chemin. Il était coincé en plein cauchemar. Il eut une pensée pour le Baron qui venait de perdre ainsi son héritier. Il le plaignait, se mettant à sa place l'espace de quelques secondes.

Sa place n'était pas ici, il n'aurait pas du assister à ce drame familial qui ne le regardait en rien. Mais les évènements avaient fait en sorte de placer la dame de Hetalia sur sa route et de la faire avorter en sa présence. Magnifique. Il ne manquerait plus qu'on l'accuse d'y être pour quelque chose! Il ne resta pas seul longtemps avec les deux femmes. Il entendit des bruits de pas précipités... Et une voix masculine, celle du Baron à en juger par ses paroles. Trystan s'était relevé et mis légèrement à l'écart de la scène. Il n'avait rien à se reprocher : il n'avait rien fait à Lucrèce et elle s'était mise en danger toute seule. Il n'avait pas chercher à l'entrainer dans les fourrés ou quoi que ce soit d'autre de ce genre. La fidélité du roi envers la reine était incontestable, même si les rumeurs lui prêtaient des aventures toutes plus saugrenues les unes que les autres.

Une seconde fois interrompit le Baron et l'exhorta à se pousser. Un médecin sans aucun doute. Un long silence tendu suivit, jusqu'à ce qu'il demande à emmener la baronne dans une chambre et qu'il annonce ce que nous savions déjà tous : elle avait perdu le bébé. Nouveau silence tendu, respectueux pour le deuil que devait faire Harnyll alors que la musique et les rires raisonnaient de façon obscène dans ce silence recueilli. Il entendit du monde partir, sans doute la servante, le médecin et Dame Lucrèce. Peut être dame Jena également. Mais d'autres personnes étaient restées... Le Baron, qui ne semblait pas capable d'assimiler la nouvelle.

De nouveau le roi aurait voulu être partout ailleurs sauf ici. C'était Lilianna qui était empathique et douée pour réconforter les gens d'un mot doux et d'un sourire compatissant. Pas Trystan. Mais il ne pouvait pas rester planté là à ne rien dire ou faire, bien qu'il soit condamné à ce que quelqu'un ai la gentillesse et surtout la présence d'esprit de le ramener dans la salle de bal.

Il entendit la voix de Jena, elle était bel et bien restée, mais ne semblait pas plus à l'aise que lui pour présenter ses condoléances. Elle pleurait elle aussi.

Grand moment de solitude pour le roi.

Il finit par briser ce silence gênant.

- "Je suis navré Baron. Vraiment navré."

De ce qui lui arrivait, entendons-nous bien. Il n'avait rien à se reprocher. Il imaginait sans mal la douleur d'une telle perte, même si c'était moins terrible que la perte d'un enfant déjà né. Lucrèce était jeune, ils auraient d'autres enfants. Si cette petite inconséquente prenait garde, évidemment. Que dire? Il avait envie d'expliquer qu'il ne savait pas qu'elle était enceinte et que s'il avait su qu'elle était si fragile, il aurait décliné son offre, qu'elle n'avait rien à faire dans un bal si les jours du bébé étaient en danger, mais inutile d'enfoncer le couteau dans la plaie n'est-ce pas? C'est avec soulagement qu'il sentit le bras de Lilianna prendre le sien et l'entrainer loin de là, loin de la mort et du chagrin...

Alors que je souffrais mille martyres, je me sentis soulevée de terre. La douleur était à un tel point que je sombrai doucement dans une autre réalité sans prendre conscience de ce qui se passait autour de moi. Des voix dont je ne comprenais nullement les paroles comme si elles étaient tellement loin qu'il me fut impossible de les entendre.
Dans les jardins, le roi assistait à une tragédie humaine. Je laissais derrière moi ce roi, dame Jena et mon époux. Camille était venue avec moi alors que les aides du médecins me portaient à ma chambre. Le verdict était tombé, il n'y avait plus rien à faire pour sauver cet enfant que je perdais.

Une fois dans mes appartements, Camille se chargea de me retirer mes vêtements afin que le médecin m'examine plus amplement dès qu'il arrivera. Allongée sur le lit, je continuais à me torde de douleur. Sur mon front ruisselait la sueur de la fièvre. Le sang coulait toujours entre mes cuisses tachant les draps blancs.
Le médecin fit son entrée dans la pièce. Un regard en direction de Camille puis il s'approcha de moi. Posant sa main sur mon ventre, il commença à m'ausculter. Il n'y avait rien à faire, il fallait attendre que le foetus se décroche et que les spasmes utérins l'expulsent. Cela pouvait prendre plus ou moins de temps. Pour l'heure, il demanda à Camille de ne pas me laisser seule et de veiller sur moi.

Pas besoin de se répéter car Camille prenait très à coeur mon état de santé. Elle passa la nuit complète à mon chevet à changer régulièrement le linge humide sur mon front pour faire tomber la fièvre. Puis au bout de longues heures de souffrance, j'avais fini par dormir, épuisée.
Le lendemain matin, avant même que les premières lueurs du jour ne baignent la pièce, je m'étais réveillée. Je n'avais plus aussi mal au ventre mais je me sentais vidée de mes forces, totalement apathique comme si j'avais passé une nuit cauchemardesque. Je tentais alors de me redresser mais le bruit des froissements du draps éveilla Camille de suite. Elle s'était assoupie alors que le sommeil m'avait finalement emportée.

Restez allongée, dame Lucrèce. Il vous faut du repos après votre fausse couche de la veille...

Venait elle de me dire d'une voix désolée. Se levant du fauteuil, elle alla chercher un garde campé devant ma porte pour qu'il aille prévenir immédiatement le médecin. Quelques minutes plus tard, il arriva avec sa mallette.
Il m'ausculta à nouveau dans le plus grand des silences avant d'écarter mes cuisses ensanglantées et d'y trouver le foetus mesurant à peine plus d'une douzaine de centimètres. Un fils à n'en point douter d'après le médecin.

Enveloppant cette chose informe dans un linge, il quitta la pièce en recommandant un repos complet durant les prochains jours. A présent, il fallait brûler cette abomination qui n'avait pas survécu...


[HJ: Fin pour Lulu, je vous laisse continuer si vous en avez envie...]