Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]

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MessageSujet: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeJeu 16 Déc 2010 - 17:27

La porte. Elle, au moins, n’avait guère changé dans ses périodes de grand trouble – peut-être était-ce bien la dernière chose immuable, que cette petite porte détournée au revers du Temple de Lirgan en la Cité Naine. La serrure en était éventrée, la poignée avait roulé au sol, mais la belle charpente de bois demeurait là. Un gond pendait dans le vide, toutefois.
Le Temple. Combien de jours avaient passé, combien de calamités, depuis que Dun Eyr avait quitté sa belle Cité de Kirgan ? Un petit millénaire avait dû fuir – au bas mot.
Toujours, le Haut-Prêtre avait trouvé la sérénité dans son temple : ses grands murs de pierre, ses parois de roche brute, la folle géode du ciel-de-roc, sculptée à même la montagne – tout cela l’avait toujours apaisé de ses grands voyages de l’Est à l’Ouest pour sauver son peuple qui crevait à gorge déployée. Alors bien sûr, les temps avaient changé, la guerre et le feu étaient passé par là, mais que diable… son Temple ne pouvait avoir tant changé que cela ?
Alors, il franchit la porte, pénétra le lieu, et leva les yeux.
Non. Mogar n’avait pu faire cela. Pas tout cela, du moins.

Le Temple n’était plus qu’un vaste champs de gravats, plein de poussière et de rocaille cabossée. Les colonnades, les sculptures évasées et l’escalier en fleur-de-roche, il ne fallait plus y penser ; un vague sillon crevassé, et trois marches brisées, c’était là tout ce qu’il restait du légendaire Escalier de Lirgan. Quant à la masse de roche et d’argent mêlés, qui toujours avait trôné par-dessus les prêtres, suspendue à son piton rocheux au ciel du Temple, elle gisait sur le sol où elle avait foré une brèche en s’y abîmant
Nombre de Nains dans Kirgan connaissent – ou connaissaient – Dun Eyr, le Haut-Prêtre toujours affairé, le grand amoureux des roches. Si le Petit Peuple s’est toujours entiché de la belle pierre, Dun Eyr en était là l’amant passionné, le grand sculpteur qui travaillait le roc de ses doigts de fée, le fou qui ressortait noyé de poussière après avoir ciselé quelques chefs-d’œuvre encore – aussi comprendra-t-on le poids des paroles de Dun Eyr, lorsqu’il gronda « Tout cela n’est que de la caillasse. »
Oui, sa belle pierre n’était plus que caillasse, et il s’en fichait. La poussière pouvait tout emporter, le Holwerm pouvait engloutir ce Temple en ruines, peu importait.

Car entre la caillasse gisaient les têtes.

Kori-Ban le Grand, Farhtok, Bortingrald – et là, Sturkh le Jeune, et le petit Volkaut qui venait de recevoir sa bure de Prêtre – tous égorgés. Même les Néophytes avaient leur crâne dans la poussière.
Mais il n’y avait là que leurs têtes, soigneusement découpées et scarifiées à la lame – pas de corps. Pas d’armes non plus ; ils avaient été massacrés de sang-froid – même Orikath le Taureau était tombé sans hache à la main.
Et là-derrière, contre le mur, un long filin et quelques reliquats de sculpture.
D’un coup, Dun Eyr se détourna et vomit à plein estomac.

Le filin, c’était des tripes. Les sculptures, des cadavres mutilés. Tous, ils les avaient cloués au pilori sanguinolent.
Ce n’était pas digne d’un Dieu.

A peine relevé, Dun Eyr bondit contre la roche pourprée, et s’y ouvrit le front à coups redoublés. Autant de morts, autant de balafres. Jamais Lirgan n’avait vu de telles horreurs en son Temple – jamais un Nain n’aurait dû contempler l’ombre d’un dixième de tout ceci. Voici donc pourquoi le Dieu Ciseleur avait rappelé son Haut-Prêtre sous forme d’un rat, douze semaines durant sous la terre à galoper de cafards et cloportes.
Les Nains ne pleurent pas, ils n’ont que le visage fermé comme roche – mais contemplez un visage de Nain après un désastre, observez les rides sillonnées qui soulignent ses grands yeux muets, et vous n’aurez plus besoin de larmes. Dun Eyr se laissa tomber lourdement au flanc d’un rocher.

– Mogar, tu n’es plus digne des prières des Nains.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeVen 17 Déc 2010 - 22:33

Caché dans les ombres d’une colonnade effondrée, Agrarald avait observé en silence le Haut-Prêtre de Lirgan rentrer en ses foyers. Il pouvait sans peine s’imaginer la terrible affliction qui étreignait le cœur de Dun Eyr : rentrer chez soi après un long voyage pour n’y découvrir que cendres déjà tièdes et cadavres mutilés, voilà spectacle qu’on ne pouvait souhaiter qu’à son pire ennemi.
Et savoir qu’il en était de même un peu partout dans la noble cité de Kirgan, ou plutôt parmi les ruines maudites de ce qui avait été une si belle place naine, n’apaisait nullement le chagrin que ressentait Agrarald en voyant son ami s’effondrer, le visage ravagé par la douleur.

Respectant le deuil de Dun Eyr, le Haut-Prêtre de Mogar ferma les yeux et repensa aux jours qui venaient de s’écouler : colère, haine, meurtre et sang. Autant de sentiments qui lui étaient familiers. Quel guerrier pouvait les ignorer ? Quel prêtre de Mogar pouvait les balayer d’un revers de la main ? Ils étaient le fondement même de la puissance brute du Dieu des Batailles. Ils offraient au guerrier le pouvoir d’affronter Tari et de lutter avec honneur et vaillance jusqu’à son dernier souffle.
L’honneur et la vaillance… Dieu ! que ces mots paraissaient creux en ces temps de troubles. Où avait été l’honneur lorsque des frères s’étaient entretués, poussés par la fureur aveugle du Dieu ? Où était la vaillance quand des foules armées pénétraient dans les temples pour y massacrer les quelques prêtres qui y demeuraient ?
Ces questions, Agrarald se les posait depuis plusieurs jours à présent mais il aurait été bien incapable d’y répondre. Il ne pouvait que se terrer dans les ruines de Kirgan et y attendre que la fureur de Mogar s’estompe complètement. C’était d’ailleurs la raison qui l’avait poussé à chercher refuge dans le temple de Lirgan. On disait que c’était le lieu le plus solide qui se puisse trouver dans la capitale naine. Et, si ce qu’il avait entendu était vrai, les prêtres y avaient déjà été massacrés aussi les maraudeurs n’avaient plus aucune raison d’y venir.
Il n’avait simplement pas imaginé que Dun Eyr choisirait ces tristes jours pour rentrer de son dernier périple.

Prenant une décision, Agrarald saisit le marteau qui pendait à sa ceinture et, délicatement, l’abandonna sur le sol. Il appuya ensuite son sceptre à un bas relief avant de déposer son casque sur un bloc de marbre blanc. Alors, essayant d’étouffer les bruits de son armure, il se releva.
A pas lents, tant pour ne pas trébucher sur les gravats qui maculaient le sol que pour laisser à Dun Eyr le temps de l’observer, il quitta les ombres protectrices de la colonne effondrée et pénétra dans une flaque de lumière. Ecartant largement les bras, il offrit son torse au Haut-Prêtre de Lirgan et inclina la tête comme s’il acceptait d’avance tout châtiment qu’on jugerait bon de lui infliger.
Sans même relever la tête, il dit :


Peut-être sont-ce aussi les Nains qui n’étaient plus dignes des bienfaits de leur Père. Laissant passer de longues secondes sans prononcer un mot, Agrarald ajouta finalement dans un souffle : Même si j’ignore quelles fautes méritent pareil châtiment… Tout ce que je peux dire pour défendre Mogar, c’est que ce sont-là haches naines qui ont œuvré. Les coupables sont de notre sang, quoique cela puisse vouloir dire.

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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeVen 17 Déc 2010 - 23:59

Lirgan tisse le Destin avec une cruelle ironie.

Le Temple sous la Montagne avait été dévasté du ciel au sol, plus une seule pierre ne tenait sur l’autre, ce n’était partout que massacre et désolation – les plus splendides colonnades de l’Âge Nain, jetées à bas par trois soudards de Mogar.
En une sinistre plantation, les cadavres pourprés fleurissaient de leurs macabres fruits, offrant au sol une débauche d’insectes et de fourmis qui rongeaient les intestins pour s’en faire un garde-manger royal. L’œil de Fahrtok avait roulé au sol, et quelques cloportes s’entredéchiraient pour le triste trophée.
Même la haute statue de Lirgan gisait fracassée au sol, en trois morceaux.

L’œuvre des Hauts-Prêtres du Ciseleur, de Kuln Khar et de Kuln Varil avant lui, tout cela avait subi une tempête rageuse en quelques jours, sous l’égide rouge du Grand Batailleur. Les trous forés à l’ongle dans les parois, témoignaient que les fanatiques de la Flamme tailladaient pour taillader, et ravageaient pour ravager.
Dun Eyr s’est toujours élevé contre les peuples du Sud qui proclamaient les Nains « barbares » – et pourtant, aujourd’hui, le Haut-Prêtre les croirait volontiers.
Si par extraordinaire, quelques-uns de ces barbares, même agonisants, même déjà morts, venaient à croiser le chemin de Dun Eyr, ils auraient à rendre la monnaie de leur haine.

Et voici que le Haut-Prêtre de Mogar ouvrait les bras devant Dun Eyr. Quelque part d’entre les roches, devait sourire Lirgan le Fou.
Pourtant, Dun Eyr, lui, ne fit que sourire, et rien de plus. Trop las, il ne se lèverait pas de son rocher, pas même pour aller rosser la vermine de Mogar – peut-être même ne quitterait-il plus jamais ce rocher. Après tout, le culte de Lirgan était mort – autant sombrer avec les siens.

Un regard vers les lambeaux de cadavres, et Dun Eyr ne détourna plus les yeux cette fois. Se courbant, il traça du bout du doigt une large Rune de Lirgan dans la poussière des gravats ; quelques gouttes de sang séché se retrouvèrent prisonnières de l’insigne.
Vraiment, le Dieu Moqueur n’avait jamais aussi bien porté son nom qu’en ce jour gris.
Écachant la Rune du poing, Dun Eyr murmura quelques mots aux cadavres suspendus à leur fil rougeâtre, et Lirgan offrit à ces corps tués dix fois le passage vers le Repos. De grandes sculptures, simples, épurées, et brillant comme l’ondine – et des tombes de pierre au-devant – voilà tout l’hommage que Dun Eyr put faire à ses frères, ses fils, ses amis, tombés alors que lui-même était loin.
La Haut-Prêtre ne pipait mot. Il aurait pu hurler ou tempêter, peut-être même frapper, mais qu’importait ? Tout avait sombré – les Nains n’ont pas de revanche à prendre sur les lâches Dépeceurs de Mogar. Il n’y avait plus rien à venger.

Des statues. Était-ce bien tout le pouvoir de Lirgan ? Le Grand Guerrier sait mener les flammes et les courroux, il commande aux volcans et à la guerre – tandis que le Ciseleur ébauche des statues. De la pierraille taillée, de la roche. Et rien de plus.
Sturkh avait été cueilli par la hache à vingt-deux printemps à peine. S’il avait été un adorateur de Mogar, un fanatique qui maniait la flamberge, serait-il encore vivant à ce jour ? Mais pour son malheur, Sturkh avait choisi les Ciseaux de Lirgan – et il était désormais une statue que la lave avalerait dans quelques jours. Un souvenir de souvenir.
Pourtant, là, sur ce marbre poli par le Dieu, Sturkh semblait si jeune encore. Son bras droit se levait, et sur le visage juvénile s’esquissait ce beau sourire qui était le sien, lorsque sa main avait révélé la beauté dans la pierre.

Alors Dun Eyr parla, très lentement, et sans se retourner :

– Sturkh le Jeune avait vingt-deux ans au jour de sa mort.

Le Nain marqua un long silence, pour mieux contempler le beau visage du jeune Apprenti, une fois encore. Et puis :

– Dis-moi, Haut-Prêtre mon frère, penseras-tu au visage de Sturkh, la prochaine fois que tu t’inclineras devant l’autel de ton Dieu des Carnages ?
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeDim 19 Déc 2010 - 13:34

Sentant l’énergie s’accumuler, Agrarald avait serré les dents dans l’attente du sort qui le délivrerait de ses tourments. Il espérait que Dun Eyr lui offrirait une mort rapide. Ainsi, peut-être pourrait-il retrouver son dieu et comprendre les raisons de tout ce qui venait de se passer et des souffrances qui étaient encore à venir.
Mais nulle flamme ne vint lécher ses chairs, aucun marteau ne s’abattit sur sa nuque et aucune lance de pierre ne perça son flanc. Comprenant que l’heure du repos n’était pas encore venue, Agrarald releva la tête et vit ce que le Haut-Prêtre de Lirgan avait accompli. Les corps des membres de son ordre avaient disparu, remplacés par des statues. Ces dernières avaient été réalisées avec tant de soin que chacun des traits gravés semblait réel. Dans la lumière tremblotante des torchères, elles paraissaient animées d’une vie propre. Mais ce n'était-là qu'une simple illusion, car les âmes des fiers Nains représentés ici avaient depuis longtemps rejoint les sombres corridors de Tari.
Ne sachant que faire et ignorant quelles paroles pourraient apaiser la douleur de Dun Eyr, le Haut-Prêtre de Mogar se tut, attendant en silence de découvrir quelle serait la suite de cette rencontre.

Lorsqu’enfin le serviteur du Ciseleur prit la parole, ce fut d’une voix posée. Il détacha distinctement chaque syllabe comme s’il manipulait ses outils et qu’il désirait graver ses paroles directement dans le cœur d’Agrarald. Nul cri ne franchit ses lèvres, aucune menace ne fut proférée. Il se contenta de poser une unique question qui mit le cœur du fidèle de Mogar au supplice.

Avisant la base d’une colonne, Agrarald s’y laissa choir. Il fit du regard le tour du temple et ne put s’empêcher de noter que rien n’avait échappé à la fureur des assaillants. Il n’y restait absolument rien qui puisse rappeler sa grandeur passée. Tout n’était désormais que ruines. Seules les statues érigées par Dun Eyr faisaient écho au talent des bâtisseurs qui avaient œuvré en ce lieu. Mais, dressées là où elles l’étaient, au milieu d’une marre de sang séché, ces statues des martyrs de Lirgan ressemblaient plus à un défi jeté à la face de Mogar qu’à un hommage à la permanence du Bâtisseur. Rappel de la barbarie des Nains plus que de leurs dons pour manipuler la pierre.
Avant de répondre à la question qui lui avait été posée, le vieux Nain se lissa la barbe. Ce geste semblait presque déplacé en ce lieu où le chaos régnait en maître. Vouloir remettre de l’ordre dans sa tenue y paraissait futile. Pourtant Agrarald avait toujours agi ainsi : pris en défaut, il répétait toujours ce geste.
Au bout d’un instant qui sembla durer des heures, il finit quand même par répondre d’une voix infiniment lasse :


Non, frère, je n’y penserai pas. Trop nombreux sont les fantômes qui hantent mes pas. Trop de visages, trop de noms à honorer. Comment pourrais-je penser à Sturkh le Jeune sans aussi me souvenir de Kori-Ban le Grand et de Farhtok ou de Bortingrald ? Tous quatre ont œuvré dans le Temple de Mogar. De leurs ciseaux agiles, ils ont donné forme au Père, sculptant son regard aveugle, modelant son air farouche. Après une courte pause, Agrarald ne put s’empêcher de poursuivre : Et il y en a tant d’autres comme eux ! Presque tous les prêtres de Mogar ont trouvé la mort ces derniers jours. Mes frères ne sont plus. Je suis le Haut-Prêtre d’un culte moribond. Où que mon regard se pose, je ne vois que des cadavres de Nains qui sont tombés sous les coups de leurs frères.

Toujours assis sur la base d’une colonne brisée, Agrarald n’ajouta rien de plus. Il se borna à observer Dun Eyr, ne sachant que dire. Sa peine était trop grande pour que de simples mots suffisent à l’exprimer et l’heure de pleurer les morts n’était probablement pas encore venue.
Pourtant, d’une voix à peine audible il murmura autant pour lui-même que pour Dun Eyr :

N’oublie pas que le Père n’est pas le dieu des Carnages. Il est le maître de la Guerre. C’est tout. Les atrocités sont le fruit des Nains, non celui du Dieu.

Alors, comme s’il n’y croyait pas lui-même, le Haut-Prêtre de Calymentar secoua la tête et, d’une main lasse, il chassa la sueur qui lui brûlait les yeux.
Lors des guerres civiles qui avaient secoué le Royaume quelques années plus tôt, il s’était déjà interrogé sur sa foi. Son père lui avait alors dit que le Dieu modelait le peuple nain comme l’armurier forge une lame : chauffant l’acier, le martelant de coups jusqu’à le rendre plus solide que la pierre elle-même. Mais il arrivait parfois que lors de la trempe, l’acier se fende pour avoir été trop chauffé ou mal préparé.
Agrarald craignait vraiment qu’il en aille de même aujourd’hui avec le peuple Troglodyte. Ces derniers jours risquaient fort de détourner les Nains de leur Père. Lui-même, premier des serviteurs de Mogar, ignorait que penser de tout cela.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeDim 19 Déc 2010 - 15:41

Dun Eyr s’était quelque peu apaisé. Peut-être les paroles du Nain – tout Haut-Prêtre du Dieu-Boucher qu’il ait pu être – avaient-elles su radoucir le serviteur de Lirgan plongé dans ses ténèbres. Partout, les cadavres, les murs ravagés, et un siècle de la vie de Dun Eyr mis à bas par les fous, tout cela semblait s’estomper doucement. Qu’y pouvait la petite personne du Nain, si son peuple était devenu dément en un jour ? Car il s’agissait bien de crimes fratricides, et les Nains étaient tombés sous le coup des Nains. Nul incarnation pourpre de Mogar n’avait dévasté la Cité Blanche de fond en comble, seuls quelques fous avaient livré bataille à d’autres fous – et les perdants étaient le Petit Peuple.
Dun Eyr avait cheminé sous les arcanes des Dieux durant de multiples décennies, il avait servi, honoré Lirgan le Moqueur, et vu nombre de prodiges que jamais il n’avait compris. Des morts terribles, des guet-apens à la nuit tombée, des dignes Prêtres précipités dans les gouffres par leurs frères, tout cela avait été passé sous l’égide de Lirgan. Souvent, la vérité s’était révélée à Dun Eyr quelques jours plus tard. Parfois, des mois ou des saisons furent nécessaires à comprendre l’écheveau que filait le Ciseleur. Quelquefois même, les obscures raisons n’avaient jamais paru au grand jour – mais jamais, jamais Dun Eyr n’avait dévié ses flèches lorsque le Dieu l’intimait. Les forces cosmiques livrent des batailles dont les Nains ne comprendraient jamais une bribe.
Alors, que Mogar ait fait pleuvoir la guerre, que les Nains aient égorgé leurs frères sous la bénédiction du Grand Empaleur, eh bien… soit. Peut-être le frontière Ouest s’en trouverait-elle mieux gardée, ou bien les Gobelins relâcheraient-ils leurs assauts sur Almia la Rebelle ?
Pour un peu, Dun Eyr aurait presque souri à Argarald – pauvres pantins qu’ils étaient entre les doigts des Marionnettistes.
Presque.

Presque, car ce sinistre héraut du Farouche Ensanglanteur, ce sombre Haut-Prêtre du Dieu Carnassier, cet Argarald de malheur, mentait. Il mentait, re-mentait, et mentait une fois encore.
D’un geste, l’arbalète de Dun Eyr jaillit à sa main, et s’en fut osciller à bonne distance du front de Dolbarg’Ma, entre ses deux yeux couleur de terre.

– Mes frères sont morts sous la coupole de Lirgan, tandis que le Ciseleur me rappelait de mes lointaines contrées, et que, rat, je courais sous les galeries de ce monde. Si j’avais été en ce Temple lorsque les pourceaux de Mogar crachèrent leur tempête de fer, j’aurais été le premier des fils de Lirgan à tomber, et nul, pas même le moindre des apprentis, n’aurait eu à verser de goutte de sang tant que mon corps n’aurait pas été tout à fait froid. Mais que je sache, Seigneur Argarald, vous étiez à Kirgan lorsque les fous firent assaut sur votre Temple ? Et quelle raisons pour que les Initiés de Mogar gisent sur le grès de nos rues, si vous avez échappé à toutes les haches ?

Dun Eyr marqua une pause, et raffermit son empoigne sur l’arbalète. Justice ne serait jamais rendue de ces innombrables cadavres, mais la vengeance, en pis-aller, est bonne compagnonne.

– Sous les collines de l’Arétrian, frère Nain, à des centaines de lieues d’ici, deux douzaines de Fils de la Montagne ont creusé quelques galeries sous mon commandement et travaillent le bon minerai, comme s’ils excavaient à Kirgan et non chez les Hommes de Boue. Et de ces presque trente Nains, pas un n’a été pris de folie, pas un n’a levé de hache contre son fils ou son frère – pas un n’est fou. Moi-même, en Arétria à l’heure où tonnaient les massacres, n’ait jamais versé le rouge sang de mes camardes de guerre.
Et je ne sache pas que, au-delà des montagnes, Mogar étende son emprise jusque chez les Grandes-Jambes.


Temps troublés, âges troublés…
Dun Eyr avait quitté, il y a des saisons de cela, un Royaume Radieux, pour retrouver à son retour des cavités moribondes et rougies. Les Nains avaient cheminé hors de sa vue.
Qu’Argarald parle clairement, et le serviteur du Ciseleur jetterait au loin cette lourde arbalète qui jamais n’aurait dû être encochée.
Mais que ce Nain se révèle un quelconque fou de Mogar, et lâche par-dessus, et le carreau trouverait bien un sentier à la cervelle du traître.

Dun Eyr s’apprêtait à abattre son frère – le Porteur de Guerres corrompait tout.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeMar 21 Déc 2010 - 23:09

Les traits burinés du visage d’Agrarald ne trahirent aucune surprise lorsque Dun Eyr pointa son arbalète sur lui. Le Haut-Prêtre de Mogar s’était déjà préparé à accueillir la mort et, sur ce point au moins, ses sentiments étaient clairs. Le pire s’était déjà produit et rien de ce qu’il ferait ne pourrait rien y changer. Aussi se borna-t-il à secouer la tête avant d’écouter ce que le prêtre de Lirgan avait à lui dire.
Une fois le discours de ce dernier terminé, Agrarald secoua derechef la masse de ses cheveux roux, faisant doucement tinter les anneaux de cuivre qui retenaient ses tresses. Dans le silence du hall dévasté, ce bruit résonna étrangement, comme s’il sonnait le glas d’une époque vouée à disparaître. Adressant un pâle sourire à son vis-à-vis, le premier serviteur de Mogar tendit une main hésitante et effleura du bout de son index le carreau qui menaçait son front.


Ainsi donc, voici la redoutable Crache-Airain ! Jamais je n’aurais imaginé avoir un jour l’honneur de la contempler de si près. Laissant passer quelques secondes, Agrarald demanda ensuite d’une voix rauque : Alors, vous la sentez à votre tour ? L’influence de Mogar. Cette soif irrépressible qui réclame du sang frais et obscurcit votre jugement. Que dîtes-vous de ce besoin lancinant de voir couler la vie ? De cette rage qui oblitère votre esprit ? Estimez-vous heureux, bâtisseur, de n’être arrivé que récemment en ce lieu de malheur. Sinon vous auriez participé à plus de massacre que vous ne pourriez vous le rappeler. L’appel du dieu est moins fort à présent et il est plus aisé d’y résister.

Sans attendre de réponse, le Haut-Prêtre détourna les yeux et se massa lentement les tempes. Lorsqu’il retira sa main, son regard s’était fait plus dur et plus distant. Une lueur fauve y brillait, transformant ses pupilles en deux brasiers incandescents. L’espace d’une seconde, on eut presque l’impression de contempler le Père en personne. Mais l’instant ne dura pas et, si les traits d’Agrarald ne s’adoucirent nullement, sa ressemblance avec le Dieu de la Guerre s’estompa pour laisser place à une forme de mélancolie où les regrets le disputaient à la crainte.

Vous me demandez pourquoi je ne gis pas parmi les miens ? Pourquoi je n’ai pas trouvé la mort avec mes frères ? Peut-être aurait-ce été préférable, en effet. Je l’ignore. Tout ce que je peux vous dire, encore que je ne pense pas vous devoir d’explication, c’est que lorsque le temple de Mogar a été pris d’assaut, je ne m’y trouvais pas. J’assistais à une réunion du Conseil. Serrant les poings, Agrarald poursuivit : A présent, si vous voulez savoir quelle a été ma réaction en découvrant le trépas des miens, allez faire un tour dans les ruines du saint des saints… La voix réduite à un simple murmure, il conclut : Je n’en tire nulle gloire, mais l’influence de Mogar était alors si forte que je me suis laissé envahir par mon désir de vengeance.

Après s’être ainsi confessé, le Haut-Prêtre laissa échapper un long et profond soupir. Il observa durant quelques secondes le visage de l’adorateur de Lirgan avant de demander :

Comprenez-vous toujours les desseins de Lirgan, Haut-Prêtre ? Pour ma part, j’avance le plus souvent environné de ténèbres profondes. Je ne sais pas ce que Mogar attend de moi. J’ignore ses souhaits et ne comprend qu’imparfaitement ses désirs. Après une pause, il demanda : Comment pourrais-je vous expliquer ce qui se passe ou ne se passe pas en Arétrian alors que je doute de saisir ce qui se trame ici. Peut-être l’influence de Mogar se limite-t-elle au seul Royaume. Peut-être avez-vous quitté vos amis avant que la folie ne les gagne.

Après avoir ainsi parlé, Agrarald écarta les bras et riva son regard à celui de Dun Eyr.

A présent, si vous n’avez pas d’autres questions, tirez ! Ou pointez votre arme vers une autre cible.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeMer 22 Déc 2010 - 2:09

C’est le moment, Dun Eyr. C’est le moment. Tu n’as qu’à effleurer le détente du bois, et le carreau vole dans le cervelet. Sturkh aurait voulu que tu le venges, tu sais ? Tu ne peux pas laisser partir sans gloire tes frères, Dun Eyr.

Des cadavres.
Partout, des cadavres.
Kirgan n’était plus grand-chose d’autre que la vaste fosse commune du Petit Peuple, noyée de sang et d’âmes, et dans laquelle les griffes des agonisants achevaient le travail entamé par quelques milliers d’autres larbins de Mogar. Alors, dans les monceaux rougis, un cadavre de plus ou de moins, qu’importe ? Le Grand Écarteleur a rappelé à ses palais la grande part de ses servants – et n’est-ce donc pas souffrance pour son Haut-Échanson de s’attarder encore un peu dans cette fin de partie, ce lendemain de fête de la hache ?
Allons, Dun Eyr.
Un bon geste.

D’un seul coup, d’un seul, le Nain balança Crache-Airain devant les pupilles du Mogariste, et envoya l’arbalète prégnante s’abîmer dans la rocaille brisée du vieux Temple en gravats. Peu importait que la Runique Siffleuse se dissolve en deux ou trois morceaux – et qu’elle se fracasse en mille fragments, soit ! – car Dun Eyr n’aurait pas tenu un instant de plus le fratricide couperet entre ses pognes de Nain.
Par les mille-barbes, non, le Seigneur des Tempêtes de Flammes, l’Incendiaire Démentiel, le Grand Artilleur des Météores, ce n’était pas entre ses mains qu’allait échoir la victoire – et que Dun Eyr ait offert un siècle de son être sur l’autel du Ciseleur, ainsi sont les choses, et somme toute elles sont bonnes.
Mieux vaut s’éventrer pour un Moqueur qu’éventrer pour le Boucher.

Alors, alors seulement, comme le découvrant enfin – mais qu’avait-il, jusqu’à cette heure, défié parmi les roches ? – Dun Eyr dévisagea cet Agrarald, le fier Haut-Prêtre du Colérique, dont nombre de Nains avaient évoqué le nom lors même que Lirgan appelait son serviteur plus au Sud. Garmin l’Absent avait laissé planer sur son Royaume nombre de tourments, et un temps durant ce fut Dun Eyr qui supporta la fardeau du Petit Peuple à la force des épaules, à la vigueur des bottes sur tous les chemins du Continent. Mais le Haut-Prêtre s’est égaré en route, il a trébuché au détour d’un sentier, le petit rat s’est coulé dans ses galeries presqu’humaines – et c’est ce Dolbarg’Ma, l’honorable Dolbarg’Ma, qui a depuis lors soutenu à toute-force les écheveaux des tisseurs de destin.
Qu’était-ce que la sagesse, sinon foutaise, lorsque le Très-Avisé Dun Eyr en vient à contempler son frère à la lueur d’un carreau de feu ?

Au loin, par-delà la crasse poussière, rougissait une langue de lave qui s’étirait mollement dans les entrailles de Kirgan, et effleurait de ses doigts rouges les roches du Temple.
Quelle raison pouvait bien retenir Dun Eyr d’y plonger à barbe rabattue ?
Peut-être les yeux de l’Agrarald. Une trop noble tristesse pour admettre qu’un compagnon aille lover ses petits soucis dans le recoin d’un feu de lave – de grands yeux, des fiers yeux. Peut-être.

Alors le Nain parla, et il parla lentement – comme revenant d’un mauvais rêve.

– Frère Dolbarg’Ma, on dit mon Dieu Sculpteur, et c’est un tort. C’est bien le revêche Mogar, lorsqu’il ébranle les roches d’un revers de son burin, qui s’en vient travailler dans sa chair notre Petit Peuple pour le façonner à ses songes. C’est à renforts de rocs, et d’embrasements, mais peut-être que le Guerrier ébauche la nouvelle carcasse de notre nation. Je ne sais trop s’il y a folie ou génie dans le massacre de nos fratries par milliers et légions, et Lirgan ne peut que me sourire depuis ses châteaux d’ombre, mais ce n’est certes pas parmi ses propres fils que le Porteur de Batailles abat le moins son maillet – et je sais tes frères vaincus par bataillons, lorsque les miens sont pas même deux douzaines à être tombés.

Une fois encore, Dun Eyr plongea la main à la ceinture, et en retira ses tablettes de cire pour les couvrir de quelques Runes – pourtant, il n’y avait plus colère ou remords, pas même de tristesse, lorsqu’il éleva contre la pierre son stylet. A peine un petit sourire de faiblesse, de honte mêlée.
Un statue encore jaillit de terre, mais cette fois-ci, ni immaculée ni vibrante – comme les quelques pinacles de marbre qui paraient la cendre alentour – mais une esquisse bien rude, cabossée au dessus, et calleuse comme peau de Gobelin. Le travail de quelque apprenti-marteleur, une œuvre de petit artisan des cavités basses – la signature du mineur, du Nain et de sa taverne, et non la folle exubérance de l’esthète cabriolant.
Lirgan sans tous ses masques.
Et qu’était-ce que cette gravure rustre ? La silhouette d’un Nain, d’un simple Nain, comme l’on en aurait croisé mille par jours dans la Halle du Marché – un Nain comme dix mille recouvraient depuis lors les pavements de la Blanche Troglodyte.
Il avait à la main le maillet du Moqueur, et sur la toge le blason du Guerrier.

– Que votre cœur trouve un peu de réconfort à mes petites ébauches, et je me sentirai pardonné.

Ni supplique, ni prière.
Le ton des dignes adversaires.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeDim 30 Jan 2011 - 12:25

Dans le temple dévasté on n’entendait plus aucun bruit, sinon le crépitement des quelques torchères qui peinaient à éclairer le Hall de Lirgan. De temps à autres, parvenaient cependant de sinistres craquements, signe que le tremblement de terre qui avait ébranlé la cité n’en finissait pas de provoquer des dégâts. Mais pour l’heure, le pire avait été évité : la cité n’avait pas encore sombré. Quant à Agrarald et Dun Eyr, ils avaient trouvé un terrain d’entente : l’arbalète gisait à quelques mètres des deux Nains, inutile. Mogar avait détourné son regard de cette salle et Tari avait visiblement moissonné son comptant de vies. Une paix fragile et éphémère régnait à nouveau dans cet ancien haut lieu de la beauté.
Lentement, Agrarald releva les yeux et contempla en silence la statue érigée par Dun Eyr. Ses traits épurés contrastaient avec la sophistication des œuvres qui avaient été exposées naguère dans le temple du Bâtisseur. Ici point de courbe patiemment polie, nul détail gravé avec minutie. Il n’y avait rien de plus à contempler qu’une simple ébauche sculptée à la hâte, et pourtant… Jamais statue n’avait si profondément touchée le cœur d’Agrarald : le Sculpteur et le Père réunis à jamais dans un être imparfait. L’essence même des Nains révélée aux yeux de tous.

Faisant quelques pas, le Haut-Prêtre de Mogar s’approcha et laissa ses doigts courir tout le long de la structure. Lentement, avec respect, il suivit les contours du maillet avant de s’attarder sur le marteau de guerre stylisé qui recouvrait la toge du Sculpteur.
La main droite posée sur le torse de pierre, Agrarald observa longuement les symboles qui lui faisaient face : le marteau de pierre sculpté par la magie de Lirgan et celui, identique, gravé dans ses chairs depuis son noviciat.
Alors, lui revint en mémoire le serment qu’avait prononcé le Haut-Prêtre Bargardor. A voix basse, il le murmura à nouveau, presque malgré lui :


La roche sous ta main pour que jamais tu n’oublies d’où tu viens.
Le feu sur ta peau en l’honneur de ton Dieu.
La marque pour que tous sachent qui tu es.
La douleur, enfin, pour que jamais tu n’oublies que Mogar est le Père de la Guerre !


Après quelques secondes, Agrarald reprit dans un souffle :

Le Père de la Guerre… Jamais jusqu’à aujourd’hui je n’avais mesuré tout ce que cela pouvait signifier. Sans pour autant se tourner en direction de Dun Eyr, le Haut-Prêtre de Mogar ajouta d’une voix plus assurée : Ce que nous vivons à présent est bien loin des campagnes honorables dont j’avais rêvé lors de mes jeunes années. L’aurais-je su, peut-être aurais-je pris d’autres décisions. Mais je crains qu’il ne me soit pas laissé le loisir de revenir sur ce qui n’est plus.

Agrarald retira alors sa main de la statue, non sans avoir auparavant laissé ses doigts s’attarder quelques secondes supplémentaires sur le marteau de guerre. Rivant ses yeux à ceux de son homologue, il inclina légèrement la tête avant de lui tendre la main.

Nul pardon n’est nécessaire. Bien des choses se sont passées depuis quelques jours et peu nombreux sont ceux qui n’ont pas à en rougir. Et de nous deux, je suis sûrement celui qui doit présenter ses excuses…

La main toujours tendue, Agrarald esquissa un pâle sourire. Ce dernier aurait pu faire illusion si une infinie tristesse et d’immenses regrets n’avaient voilé son regard.
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MessageSujet: Re: Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald]   Ils ont vécu de profundis, les joyeux lurons de jadis [PV | Agrarald] I_icon_minitimeLun 28 Mar 2011 - 14:19

Quelque part par-delà les étoiles, ou bien encore au cœur de la roche la plus dure, le Moqueur devait avoir laissé tomber ses artifices, son masque et ses reliquats de rictus, et s’en être allé bien loin de son théâtre des facéties. Cela avait dû finir par lui peser, que de toujours chatouiller du bout d’un ongle nacré d’illusions, les remous de haine qui peuplaient notre petit Dun Eyr. Jouer à Mogar, et faire illusion d’un maillet lorsque la réalité est un fleuret, cela occupait quelques éternités le Mystérieux – mais voilà que déjà, il bondissait à une autre occupation, et ce devait être aujourd’hui à Néra qu’il allait employer ses innombrables facettes, faisant déjà danser de longues larmes dans ses yeux sans paupières, ni sans yeux d’ailleurs.
Le Culte Lirganique agonisait par-delà les falaises, et partout alentour des gravats étaient étendu les cadavres de ses fils. L’un encore vivotait aux abords de Lante, trois harcelaient les Gobelins vers Almia ; mais trente, trente parmi les vivants, s’étaient employés à garder leur vie au revers de grands fourneaux, et les vastes cheminées crachaient leur mélopée de souffre sur Arétria.

Ainsi donc, une poignée du Petit Peuple, une fraction de ceux qui, il y a douze heures encore, se comptaient par légions ; une poignée donc, avait eu l’outrecuidance de mépriser de bien loin les imprécations du Pourfendeur et, sous les monts humains, se gaussaient des malheurs et malédictions ?
Lirgan éperonna le séant de Dun Eyr, et celui-ci en fut quitte pour bien plus sursauter et bondir, que saisir la main d’Agrarabld. Mais les deux paumes se rencontrèrent, et ce fut avec honneur que le Nain pressa la pogne de son frère.
Si donc Mogar avait fait montre de ses grands talents, c’était Arca le Solidaire, qui avait pris la fuite devant ces chaos. Kirgan, ou ses débris fumants, puaient l’indivision.

– Mogar a fait rougir les flots de Kirgan, et le peuple crie à l’horreur. Mais je crains que les roulements de la colère du Puissant ne durent encore un long temps au-dessus des cieux, et entourent la tribu esseulée des Nains.

Quel fou que ce Dun Eyr, ce prétentieux Lirganique, qui s’était imaginé que les Nains avaient pu, du repli de leur colline, passer outre la fureur d’un Dieu. Il n’était qu’à espérer qu’Arétria ne fût point encore, un cratère à cœur ouvert, et saupoudré diversement des épaves de nos Nains Suderons.

Alors, sans un regard pour l’arbalète jonchant le sol, sans un regard pour toutes les erreurs de ces heures – que Dun Eyr survécût à tant de bêtise, c’était un prodige, une thaumaturgie – le Haut-Prêtre porta l’œillade à son compagnon, et lui demanda non sans peur :

– Que Mogar ait poursuivi ses propres envies, qu’il ait parsemé de feu et de foudre ces galeries, ce ne sont pas deux Nains parmi les derniers, qui voudront le juger. Et, si le Culte du Rougeoyant ne peut qu’implorer, qu’il implore ; car j’ai peur que la malédiction tonitruante n’ait porté ses éclats jusqu’au lointain, et que ce soit charnier en prévision pour mes frères.

Lirgan, lové dans ses brumes de mensonges, devait faire voler vers les cavernes de Mogar, quelques serpentins messagers.
Que le Culte du Moqueur soit, pour cette fois, épargné ; qu’il prospère en paix, qu’il établisse ses grandes ambassades.

Et, lorsque les Lurons auront trouvé le silence et la richesse, qu’ils reviennent vers le Nord – ils feront grand honneur à Mogar, et hommage pour les avoir rejetés hors de ses tempêtes.
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