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| La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] | |
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Dun Eyr
Ancien
Nombre de messages : 2219 Âge : 31 Date d'inscription : 14/04/2010
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| Sujet: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Lun 15 Oct 2012 - 1:58 | |
| Dessous les pierres d’Almia, dans les galeries offertes aux bourrasques souterraines, la vie reprenait son cours. Depuis que le Dolbarg’Ma avait planté la pointe de son bâton dans la carcasse de la cité, la chair commençait à se reformer autour de la vielle dépouille mordue par la poussière. Si un Nain étranger aux pionniers d’Almia, un clanique du Nord ou bien un des marchands gras de Lante, avait alors posé ses bottines dans le camp de fortune des mogaristes, il aurait senti la vie bouillonner à nouveau entre la rocaille tourneboulée. Si la vue n’était pas encore triomphante – ce n’était que tentures de mauvaise peau, baraques branlantes et forges aux soufflets crevés – le visiteur aurait donné crédit à ses oreilles : partout, les Nains faisaient du bruit, la pioche claquait, le marteau tombait, les pierres roulaient ou s’éboulaient, sous les ordres aboyés de quelques ingénieurs aux traits gonflés par la soif et le sommeil. Pourtant, dans les galeries Ouest – la Casemate des Cuisines – pas une pioche, pas un marteau, pas un roulement ; et les chefs de chantier eux-mêmes, penchés au-dessus de l’ouvrage, avaient relevé la tête, interloqués. Car, depuis le garde-manger de la cité, une tempête de voix roulait dans toutes les galeries.
« Non, non ! Trois fois flûtes ! Lirgan ou pas Lirgan, c’est non ! Si les Prêtres pillaient tous les provisions, nos frères creuseraient avec les dents, il ne leur resterait que les caillasses à boucaner ! »
Tobard Triple-Gosier, le rondelet Cuistot-Chef d’Almia, vociférait à grands renforts de postillons depuis son domaine, son royaume des Cuisines ; et sa longue louche de vieil étain, comme un grand sceptre, louvoyait dans les airs au bout de son bras grassouillet, et menaçait de fracasser les crânes passant proche. Alentour, trois autres cuisiniers, qui les mains dans une poularde, qui un rutabaga à la poigne, hésitaient à savoir s’ils devaient intervenir ; Tobard était un tempérament, une bouche agitée par un immense coffre – et bâti comme un colosse, avec cela ! Mais sa large carrure, tout comme ses postillons rageurs, laissaient froid son interlocuteur ; seule une veine, bleutée et palpitante au côté du front, laissait songer que le Triple-Gosier n’avait pas le monopole de la fureur. Sous sa robe de Haut-Prêtre, mitée et mordue par les voyages, la poitrine de l'autre se gonflait déjà à grands souffles.
« Cuistot ou pas cuistot, maugréa Dun Eyr, j’ai besoin de sang ; de chair chaude et vivante. Et pour sonder le sort de deux Nains enfuis depuis une saison, les rats ne suffiront pas, cette fois, Triple-Gosier. J’ai besoin d’une biquette pleine. »
Tobard cracha au sol, et grommela quelques paroles qui heureusement se perdirent dans sa barbe aux douze tresses. Son œil, noir comme le basalte, passait du Haut-Prêtre aux trois chèvres attachées à un pieu, à l’arrière de la galerie. La biquette était à la base de l’alimentation de la cité entière. A la fois tendres pour leur viande, généreuses en lait épais et gras, et recherchées pour leur cuir qui faisait des gourdes robustes, elles étaient parfois lâchées dans les galeries supérieures pour en arracher champignons et herbes vertes. En un mot, la nouvelle Almia avait tenu l’hiver grâce à ses seules biquettes – et à la viande apportée par Dun Eyr. Mais la cité avait mordu à pleines dents dans le troupeau – et, avec seulement trois bêtes encore sur pattes, Triple-Gosier veillait jalousement sur elles comme sur un joyau. Il y tenait autant qu’à sa propre famille ; peut-être même davantage – en témoignait que depuis le Printemps, il couchait dans la Casemate, près de ses biquettes, un œil toujours entrouvert pour repérer les rôdeurs nocturnes à l’estomac grognon.
Pourtant, Tobard le savait, on ne discutait pas avec un Haut-Prêtre ; et encore moins avec ce Dun Eyr, ce damné Lirganique, dont l’étrange silhouette passait de loin en loin sous toutes les galeries. Un dernier crachat au sol, et le Cuistot-Chef abaissa sa louche-maillet. D’un œil bilieux, il suivit le Haut-Prêtre marcher vers les trois bestioles, et choisir son offrande au Moqueur… * * * * C’était une chose bien étrange…
Le Haut-Prêtre, penché sur la dépouille de la chèvre, observait les dernières convulsions qui secouaient la pauvre créature ; ses membres tremblotaient comme sous les fureurs d’une grande tempête, et sa langue bleuie pendait hors des deux mâchoires affolées. Dun Eyr, étrangement, sentit une inquiétude passer dans son corps ; il frissonnait. Ce n’était pas la sinistre vue qui le tourneboulait, mais les exigences du Moqueur : du sang, de la chair et des vies ! Lui, le Créateur Cosmique, l’Entrelaceur d’Echeveaux, réclamait de grandes rasades fort rouges avant de parler ; comme un barbare aviné aurait hurlé pour son vin, ou pour trinquer dans le crâne de ses esclaves. Le Haut-Prêtre, muet, ruminait de noires pensées. C’était comme si la Grande Fournaise l’avait contaminé – comme si le spectacle des cités éboulées, et des Nains fondant sur d’autres Nains, avait donné des idées à Lirgan…
Dun Eyr grogna et s’ébroua, comme pour chasser ces tristes songes, et empoigna le long coutelas runique. Il allait enfin savoir ; enfin connaître le destin mystérieux des deux Nains, la Prêtresse et le soldat, que les galeries inférieures avaient comme dévoré. Et depuis une saison déjà, nul ne les avait plus revus…
Alors, la lame s’abattit sur la dépouille, dans un bruit mat – et l’œuvre morbide s’ouvrit. * * * * « Agrarald. »
Le garde sursauta, d’une volte se retourna ; et il s’en fallut de peu qu’il défaillit.
Là, mangé par l’obscurité, à l’entrée des quartiers du Dolbarg’Ma, se tenait un Nain ; un religieux, à en juger par la robe. Et un bien étrange religieux, suggérait le reste de la dégaine. Balafré de sang jusqu’aux oreilles, la pogne gauche encore enfoncé dans le crâne d’une biquette – qu’il tenait par deux doigts passés au travers des orbites creuses – l’étrange Prêtre se tenait comme une grande masse, presque granitique. A sa main droite, une terrible masse de chairs grasses pendait ; le sang en ruisselait à gouttes épaisses et lourdes, comme une vendange lugubre. Quelque chose dans les yeux du Haut-Prêtre, presque de l’affolement, suggérait une certaine urgence dans sa demande d’audience…
« Agrarald » répéta le Haut-Prêtre.
Le garde ne se le fit pas dire deux fois ; l’instant d’après, il s’encourrait quérir le Reconstructeur d’Almia.
Alors Dun Eyr baissa à nouveau les yeux vers la cervelle de la biquette, qui palpitait dans sa main droite, et il reparcourut l’étrange chemin tracé par l’ongle du Moqueur. Entre les ondulations du cerveau, comme de gros vermisseaux violacés, la route jaillissait claire et simple ; elle retraversait les niveaux mille fois parcourus par les bottes du Nain, il y avait si longtemps de cela. Depuis les tavernes du troisième gouffre, jusqu’au Carrefour du Marché, et le Hall des Silencieux laissé à main droite ; puis une descente par le Double-Escalier, et les échoppes de Baltrok – paix à lui, le vieux Baltrok. Et là, sur la gauche, l’ouverture tordue d’une salle bien mystérieuse, et qui avait ouvert ses flancs à peut-être dix Nains en dix siècles…
« Yaron, grommela Dun Eyr dans son hébétude. Le Petit-Temple de Yaron… »
Pourquoi donc avait-il fallu que, sept ans après l’Effondrement, ces deux Nains s’égarent là-bas…
Dernière édition par Dun Eyr le Mar 23 Déc 2014 - 21:08, édité 3 fois |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Mer 17 Oct 2012 - 21:52 | |
| Assis devant le modeste feu qui réchauffait sa tente, Agrarald méditait sur les jours qui venaient de s’écouler. Les yeux perdus dans les flammes, le serviteur de Mogar scrutait les volutes dans l’attente d’un signe divin qui se faisait cruellement attendre. Depuis l’arrivée du Haut-Prêtre de Lirgan les choses s’étaient accélérées pour la modeste communauté d’Almia. Bien des Nains avaient repris courage, réconfortés tout à la fois par les vivres et l’énergie communicative de Dun Eyr. Partout, les marteaux et les pioches s’étaient fait entendre avec une vigueur renouvelée. Leur chant emplissait à nouveau les cavernes de la Perle du Nord, roulant sous la roche comme le souffle d’un géant endormi. Pourtant, Agrarald n’avait pas l’esprit tranquille. Ses nuits étaient encore agitées. Au fond de lui, le vieux Nain pressentait que de nouvelles épreuves les attendaient, lui et tous ceux qui avaient été assez fous pour le suivre. Malheureusement, ses prières restaient vaines et aucune réponse ne lui était encore venue. Les flammes persistaient dans leur mutisme comme si le Père avait détourné son obscur regard de ses enfants. Avec un pincement au cœur, Agrarald se dit que c’était peut-être finalement l’exacte vérité. Qu’en dépit de tous leurs efforts et de leurs sacrifices, ses fidèles et lui avaient été incapables de regagner les faveurs du Dieu de la Guerre. Après tout, n’était-il pas possible qu’après sa Colère Mogar eut abandonné les fils qu’il avait eu de la Mère roche ? Ne pouvait-il pas s’être tourné tout entier vers le Peuple Sombre ?
Comme par réflexe, Agrarald glissa sa main droite sous sa tunique à la recherche de la bourse qu’il y conservait précieusement. Elle était toujours là, logée tout contre sa peau, diffusant sa légère chaleur et palpitant au rythme de sa propre respiration. Trois des cinq pierres d’Esprits Gardiens de Mogar y étaient conservées dans l’attente du jour où se dresserait un temple digne de les accueillir. Leur présence aurait dû suffire à tranquilliser l’esprit du Haut-Prêtre, mais il ne pouvait s’empêcher d’y voir une mise en garde : le rappel constant que son peuple avait failli à la tâche que son Dieu leur avait assignée. Ils avaient si lamentablement échoués à conserver leurs vertus guerrières que Mogar avait fini par se tourner vers les Drows à l’heure de choisir son champion. Celui-là même qui avait fait don des pierres à Agrarald.
Le vieux prêtre en était là de ses méditations lorsqu’on vint l’avertir qu’il était mandé par Dun Eyr. Sans attendre, trop heureux de se soustraire à ses funestes pensées, Agrarald se redressa et sortit de sa tente. Sitôt qu’il eut posé ses yeux sur son homologue, il congédia le garde de faction. D’un geste, il invita Dun à pénétrer sous sa tente et lui désigna un modeste tabouret proche du feu. Sans même y penser, il posa une casserole de vin sur le feu et y jeta négligemment quelques épices. Tandis que le vin chauffait, il s’assit à son tour et dit :
- A en juger par la mine que tu arbores, les tâches de sang qui maculent ta tunique et le crâne de cette chèvre, je devine que tu es porteur de tristes nouvelles. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 21 Oct 2012 - 5:40 | |
| Qu’était-ce, servir Lirgan le Moqueur ? C’était comme être l’épouvantail d’un champ d’herbes folles, voué aux assauts des corbeaux, tandis qu’un démon jouait à tournebouler la direction des vents ; c’était humer dans l’air fou, qui tout autour filait en tous sens, les pensées du Lutin qui présidait aux destinées de ces souffles ; c’était deviner le parfum d’une tempête alors que l’océan n’en était encore qu’à des clapotements. Ces jeux et devinettes avaient mené Dun Eyr, par monts et par vaux, au travers de tous les chemins du monde connu ; c’avait été comme si une grande main muette, gantée d’un sourire, l’avait tracté par la pointe de la barbe. Et durant toutes ces années, ces décennies à cavaler sur les traces embuées du Ciseleur, le Nain avait relevé les empreintes, il avait fidèlement suivi la piste. Ses croyances étaient une forme de traque féroce, sur la piste d’un infatigable colibri – et le trappeur avait tenu la distance, qu'il neige ou qu'il vente.
Mais là, cisaillé par un grand écho fêlé, Dun Eyr avait perdu les empreintes de la Bête, du Danseur. Le vent avait mordu les marques de ses griffes d’arlequin, et la neige avait refermé ses soupirs autour des grandes errances du Moqueur. Hagard, les yeux gonflés, le corps fendu par l’effort, voilà que Dun Eyr pantelait dans une tente souterraine, face au Dolbarg’Ma, son compagnon. Un sang épais, et noir, maculait sa bure rongée par l'harassement ; une tête de chèvre pendouillait depuis sa pogne, et le Haut-Prêtre aurait bien été à la peine d’en énoncer une raison. Le coutelas passé dans la gorge de la bête, les signes déchiffrés entre le croupion et le cœur, tout cela s’évanouissait devant Dun Eyr comme dans une grande brume. La signification de tout cela lui était ravie, le Moqueur avait dérobé ses ruses de tourmaline au premier d’entre ses hussards. Déjà, signe funeste, les Runes s’embrouillaient dans l’esprit du Nain, tout prenait la même et sombre couleur de la terre en tous sens retournée. La charrue du Moqueur était passée, avec son soc chargé d’embruns.
« Agrarald, grommela enfin le Nain, Agrarald, je sais où sont passés nos deux disparus, le garde et la petite, la Prêtresse. »
Et le Lirganique d’ajouter, les yeux mangés par la pénombre :
« C’est d’ailleurs bien la dernière chose que j’ai percée à jour, dans les énigmes du Moqueur. Et ç’a été des flots de sang répandus pour ce piètre indice. »
Un frisson saisit à nouveau Dun Eyr, comme lorsque l’échine de la chèvre se brisait pour la grande gloire de Lirgan. Il se sentait avançant dans un grand labyrinthe familier, dont un fou aurait chamboulé à l’envi les trouées et les portes. Le front labouré par le souci, il laissait divaguer ses pensées entre les rebords du chaudron posé sur le feu, là où le vin lourd et aigre tournait et frémissait, comme traversé d’un clapotis sanguin.
« Agrarald … », grogna doucement le Nain.
Face à lui, carré dans un mauvais siège de gros bois, se dressait peut-être le Nain le plus dévasté des Terres du Nord : le Dolbarg’Ma, le héraut du Dieu Méprisant, celui qui avait vu le Brûleur se détourner de son peuple et porter son regard au Levantin… C’avait dû paraître au Mogariste un coup de hache porté au cœur, un suprême dédain craché par le Seigneur des Incendies ; et voir rôder ces Drows, ces Oreilles-Noires, et les entendre grommeler eux aussi son nom, et le savoir qui leur répond, à ces âmes traîtresses et faibles. Mais ce n’était qu’à l’instant, un absurde crâne de biquette passé entre ses doigts, et comme écorché et ponctionné des murmures du Moqueur ; ce n’était qu’à cet instant lugubre, tandis que plus rien de résonnait sous sa barbe aux tresses rituelles, que Dun Eyr caressait la terrible tristesse du Prêtre rejeté par son Prince. Le Dolbarg’Ma était là, à trois pas au plus ; et son visage paraissait moins démonté et dévasté qu’aux premiers temps. Dun Eyr, alors que la tempête du vide s’abattait sur son cœur, aurait pu tout lui demander – quel autre religieux aurait pu lui porter conseil, que celui qui avait déjà senti dans sa chair une pareille ablation ? Le frère Mogariste aurait su tout dire, tout apaiser. Alors le Lirganique ouvrit la bouche, en tira une langue pâteuse pour s’humecter les lèvres, déglutit – et enfin, parla, et déclara :
« Agrarald, ils sont dans les ruines de Yaron, quelque part sous la troisième profondeur. »
Et ce fut tout. Que dire de plus ? Le chemin jusqu’au Petit-Temple, chacun le connaissait aussi bien que l’autre, ils l’avaient tous deux parcouru il y avait des millénaires de cela. Ce qu’il restait de ce chemin depuis l’Effondrement, alors ? Dun Eyr n’en savait rien ; peut-être le Dolbarg’Ma en saurait-il davantage, alors le Lirganique le laisserait parler et aviser. Quant à la chaleur du Moqueur qui s’enfuyait et mourait loin de son corps… Aucun importance, songea Dun Eyr, une grande dureté burinée sur la trogne. Aucune importance. Retrouver les disparus.
Faire face. |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Lun 5 Nov 2012 - 15:51 | |
| Durant quelques secondes, le temps sembla suspendre son cours. Dans la tente faiblement éclairée par les lueurs mouvantes du feu, les deux Nains s’observèrent sans oser prononcer la moindre parole. Peut-être sentaient-ils de manière instinctive que la révélation de Dun Eyr risquait de les mener plus loin qu’ils n’auraient pu le désirer. Pour l’heure, le contrôle que les Nains exerçaient sur la cité pouvait au mieux être qualifié de précaire. Si le premier niveau était sécurisé, le petit peuple n’osait toujours pas s’aventurer au-delà de l’escalier du second. Les quelques patrouilles qui s’étaient enfoncées plus profondément sous la terre de Larz Garb avaient été obligées de battre en retraite face aux attaques gobelines. Dans ces tunnels obscurs, partiellement éboulés et encombrés de nombreux débris, les attaques surprises étaient monnaie courante et Agrarald avait jugé inutile d’y risquer ses hommes. Quand le vieux prêtre jugerait l’heure venue, les Nains descendraient en nombre et écraseraient les Peaux vertes par la puissance de l’acier, la magie des runes et la force de leur volonté. En attendant ce jour glorieux, il semblait plus sage d’assurer une veille vigilante autour de l’escalier du premier niveau et d’en tenir éloigné tous les gobelins. Les Nains d’Almia avaient affronté plus que leur part de souffrances et ils avaient bien gagné le droit de souffler un peu. Telle était du moins l’opinion d’Agrarald jusqu’à la venue de Dun Eyr. L’arrivée du serviteur de Lirgan et le présage dont il était porteur avaient tous deux mis à mal les convictions du Haut-Prêtre de Mogar. A en croire le Lirganique, Gorlart et Marbienna, un soldat d’élite et une prêtresse de Brienna, étaient quelque part sous leurs pieds, dans le temple de Yaron.
Tendant sa main droite en direction du feu sur lequel bouillonnait faiblement une casserole de vin chaud, Agrarald saisit deux timbales en étain et les remplit. Sans un mot, il en tendit une à Dun Eyr avant d’entourer la sienne de ses deux mains. Tout en chérissant la chaleur qui réchauffait ses paumes, le vieux prêtre s’abîma dans la contemplation du liquide ambré. Deux jours déjà étaient passés depuis que les sentinelles lui avaient rapporté la disparition des deux Nains. Deux longues journées pendant lesquelles Gorlart et Marbienna avaient erré dans les profondeurs d’Almia, entourés de Mogar savait quoi. A l’heure actuelle, qui pouvait prétendre savoir quelle était leur situation. Certes, Dun Eyr avait la certitude qu’ils se trouvaient dans l’ancien temple de Yaron, mais comment allaient-ils ? Si on s’aventurait dans les tunnels de l’ancienne cité, était-il seulement encore possible de leur porter secours ? Ne retrouverait-on pas plus vraisemblablement deux cadavres affreusement mutilés par les Gobelins ? Le Haut-prêtre de Mogar avait-il le droit de risquer la vie de ses hommes pour courir après une chimère ? Lentement, Agrarald porta sa coupe à ses lèvres et y but une longue gorgée. Alors que le goût des épices réveillait ses sens, il plongea son regard dans les yeux de son vis-à-vis. Ce qu’il y découvrit lui sembla étrangement familier. Visiblement, Dun Eyr partageait ses doutes. Néanmoins, il lui sembla percevoir autre chose dans le regard que lui rendit le Lirganique. Une chose que le prêtre de Mogar ne connaissait que trop : le sentiment que la vie vous échappe inexorablement. La crainte de découvrir que le fondement même de votre existence, la foi que vous portez à votre dieu, n’est rien d’autre qu’une vaste supercherie. Après la Colère de Mogar, Agrarald s’était posé ces mêmes questions. Et il lui avait fallu bien des mois pour commencer à y voir plus clair. Aujourd’hui encore, il lui arrivait parfois de s’éveiller de quelque songe, le cœur battant à tout rompre tandis qu’une pellicule de sueur glacée lui recouvrait le corps. Le souffle court, ses couvertures repoussées loin de lui, il cherchait la cause de ses tourments. Une peur revenait sans cesse : celle d’avoir perdu l’estime de Mogar, de n’être plus digne de parler en son nom. Sur le point d’adresser quelques mots de réconfort à Dun Eyr, Agrarald se ravisa finalement. Le Haut-Prêtre de Lirgan n’était visiblement pas venu chercher conseil. Au contraire, il lui proposait ses services pour porter secours à deux Nains égarés. Pour l’heure, leurs esprits à tous les deux devaient se focaliser sur la seule survie de la colonie. Reposant sa tasse, le serviteur de Mogar se tourna légèrement en direction des flammes et les fixa de ses prunelles ambrées. Sa décision était arrêtée. Il ne pouvait risquer l’avenir de toute la communauté pour porter un secours hypothétique à deux Nains perdus en territoire gobelin. Il était simplement hors de question de mettre sur pied pareille expédition. Alors qu’il allait faire part de ses conclusions à son homologue, Agrarald sentit les pierres des Esprits Gardiens palpiter sous sa tunique. Elles irradiaient avec une force qu’il ne leur connaissait pas jusqu’alors, réchauffant jusqu’à la moelle de ses os. L’espace d’une seconde, il eut le sentiment d’être à nouveau en totale harmonie avec son dieu. Son regard toujours fixé sur les flammes, il demanda simplement.
- Peux-tu me dire s’ils sont encore en vie ?
Alors que la question planait encore entre les deux hommes, Agrarald se rendit compte que sa main gauche caressait la hampe de son sceptre comme si elle était pressée de tracer des runes et de dispenser mort et vengeance. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Mer 14 Nov 2012 - 16:18 | |
| Le vin au fumet d’épices fouettait les narines du Nain comme un ressac. Entre les mains de Dun Eyr, la chope laissait de grandes fumerolles s’échancrer tout alentour de sa tête. Sa crinière argentée qui pleuvait sur le breuvage, le Lirganique la secoua dans un vaste ébrouement ; puis il renversa la tête, et laissa le vin épais et sombre lui brûler la gorge. Cette rivière de feu le traversa comme de part en part, et fit dans son corps un clapotis qui dura longtemps ; d’une extrémité à l’autre de la carcasse du Nain, les flots rageurs prenaient tout, emportaient tout, et puis un vent frais chassait les brasiers et leurs fumées. La masse capillaire du Nain était retombée sur ses épaules en une pluie. Sous son front plissé, une discipline avait saisi les traits qui sans cela auraient affaissé son visage ; ses yeux roulaient dans ses orbites, bondissaient d’une place à l’autre.
Alors Dun Eyr repoussa sa timbale d’étain, se redressa sur son siège, et puis parla :
« S’ils sont en vie, éh … ? »
Qu’en savait-il ? Et d’ailleurs, comment le Lirganique aurait-il su ? Le Moqueur avait comme refermé toutes les échauguettes de son domaine ; le Nain se retrouvait à courir, nu-pieds, sous les remparts inaccessibles. Alentour, dans l’Amia qu’il arpentait depuis un siècle et la moitié d’un second, le concert des pierres s’était soudain tu ; la roche grognait encore, mais Dun Eyr n’en percevait plus la grande harmonie lithique — cela faisait une cacophonie d’oisillons criailleurs. Quant à la magie, il paraissait qu'elle avait fui ses doigts devenus gourds. Pour autant, Dun Eyr gardait le front clair et dégagé de rides trop alourdies. Lirgan avait replié ses étendards, qu’y pouvait donc son héraut ? Il n’allait pas errer d’une taverne à l’autre pour trouver conseil dans la ripaille de Girdon. Au bout des pognes de Dun Eyr, ses jointures étaient gonflées et comme prêtes ; il y avait trop longtemps que ses doigts ne s’étaient plus resserrés sur la garde anguleuse d’un tranchoir, d'une doloire tout droit sortie des Grand’Forges de Thanor.
La voix rendue rauque par son bain d’épices, le Lirganique — l’était-il encore ? — claironna à son ami le Dolbarg’Ma :
« Comment savoir, Agrarald ? Yaron n’est pas bavard, sa Cavité est bien gardée. »
C’était d’ailleurs bien là le plus intriguant de l’affaire ; que Lirgan ne s’était pas dérobé à Dun Eyr pour lui souffler où se trouvaient les Nains — et que Yaron, l’Etrange Ermite, avait laissé le Moqueur faire intrusion jusqu’aux entrailles de sa citadelle... Mais enfin, à cette heure, il n’y avait plus beaucoup de Runiste en Dun Eyr ; c’était bien plus le sang rouge et fier des Nains, plein d’ivresse et de colère, qui battait à en gonfler les veines de son cou.
« Je vais y aller, Agrarald, rechercher Gorlart et Marbienna. »
Ses poings, maintenant, le démangeaient comme s’ils avaient voulu mordre ; le Nain n’aurait été qu’à moitié surpris, que ses ongles soudain s’entrechoquent comme deux rangées de crocs. C’était une étrange sauvagerie qui secouait le Maître Ciseleur — et une œillade jetée à son compagnon le Mogariste, le renseigna qu’il n’était pas seul à sentir s’agiter cette colère sous la roche.
Les paroles suivantes s’envolèrent de la bouche de Dun Eyr, évidentes :
« Viens avec moi, Agrarald, faisons-le tous deux ; et laissons Almia dormir. »
Sans le soutien de Lirgan, le chemin ne serait pas aisé ; les roches ne plieraient pas sur leur passage, la pierre ne ferait pas révérence devant leurs bottines. Mais cela ne troublait guère le Nain. Les passages vers les profondeurs n’avaient pas tous ployé avec le temps, et quelques voûtains tenaient encore bon sur leurs croisées ; il restait seulement que c’était le terrain de chasse des Vertegueules. Le Petite-Temple de Yaron logeait au creux de la septième profondeur ; du moins était-ce ainsi, avant le Grand Chamboulement. En un instant, tout revint à l’esprit du Nain, ces trouées où il avait gambadé étant gamin, et guerroyé devenu vieux.
« Le Double Escalier coule en colimaçon sur dix niveaux, si les Gobelins ne l’ont pas effondré. Tous les autres passages ont été éboulés, ou bien nous en avons perdu la trace ; si nos deux égarés ont atteint la profondeur de Yaron, ce doit être par ce chemin-là. »
Un présage lugubre saisit Dun Eyr lorsqu’il prononça ces repères. Les Verdâtres avaient depuis longtemps fait main-basse sur cette dorsale de la montagne, qui joignait tous les niveaux supérieurs de la cité ; les Nains avaient reçu ordre de ne point approcher le Double-Escalier, de peur de réveiller le cœur de la meute gobeline. Lorsque l’on venait à arpenter les galeries proches, une terrible odeur vous écœurait jusqu’aux tréfonds du poumon, tandis que l’air cliquetait de crissements et de caquètements sinistres. Un haussement d’épaules chassa ses sombres pensées, et Dun Eyr revint à ses souvenirs quant à la structure de la cité éboulée ; il reprit alors :
« Reste la Forge de Bartok ; on dit que ses soufflets de cuivre crachaient tant de vapeur, qu'il avait dû creuser des cheminées d'air jusqu'à la surface. Mais le passage est étroit, et tombe à-pic ; et nous avons perdu sa trace, il doit s’élever quelques coudées plus au Nord de nos guitounes. »
Dun Eyr se tut, il n’avait rien de plus à dire ; une voie ou l’autre, ou même une autre encore qu’il aurait oubliée, l’étreinte de Tari les accueillerait, c’était probable — sous la forme de quelques verdâtres à la gueule hideuse, c’était certain. Mais les veines du Nain palpitait, son sang battait sourdement à ses oreilles ; il irait.
Dusse-t-il y perdre sa barbe et sa magie, il irait. |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Jeu 6 Déc 2012 - 15:59 | |
| Les paroles de Dun Eyr tournaient inlassablement dans la tête d’Agrarald : « Viens avec moi », avait-il dit. « Faisons-le tous les deux et laissons Almia dormir », tels avaient été les mots du Lirganiste tandis que dans sa voix vibrait une violence tout juste contenue. Mogar ! Que son offre était séduisante. Agrarald et les siens avaient passé tant de mois à se défendre contre les assauts des Vertegueules. Pendant près de six ans, ils avaient été réduits à l’inactivité. Trop peu nombreux pour passer à l’offensive et libérer leur cité, ils ne pouvaient qu’attendre. Demeurer sur leurs gardes et prier que la prochaine escarmouche n’emporte pas leurs défenses était leur seule option. Et malgré leurs consciences exacerbées du danger, ils ne pouvaient rien faire sinon espérer tenir et résister toujours plus longtemps. Aussi Agrarald aurait-il donné cher pour pouvoir enfin rendre les coups encaissés tout au long des hivers passés. La simple idée de s’enfoncer l’arme au poing dans les anciennes galeries de sa cité, lui donnait des fourmis dans les jambes. L’appel du sang résonnait à ses oreilles et dans son cœur retentissait un hymne barbare en l’honneur du Dieu de la Guerre. Mais pouvait-il raisonnablement abandonner la cité pour se lancer dans pareille aventure ? Avait-il le droit de risquer sa vie et celle de Dun Eyr sur un coup de dés ? Sa place n’était-elle pas, au contraire, en plein cœur de la cité, au plus près de sa communauté ?
Pour raisonnables que fussent ces idées pleines de bon sens, elles se heurtaient dans l’esprit du vieux Nain au désir lancinant que lui insufflaient les Pierres Gardiennes. Par leur intermédiaire, Mogar semblait lui murmurer des paroles de vengeance et de mort. Les échos d’antiques chants guerriers bourdonnaient à la limite de sa conscience. Ils lui emplissaient l’esprit d’images de carnages et de gloire. Ils attisaient la flamme de son courroux, obnubilant ses pensées et embrasant ses sens. Grisé par la puissance des Pierres, Agrarald s’abandonna tout entier à leur influence. Aiguillonné par leur magie, il balaya ses dernières craintes d’un revers de la main. Sa place n’était-elle finalement pas là où son dieu désirait le voir ? Et Mogar pouvait-il rêver mieux qu’un champ de bataille ?
Lentement, sa main droite serrée sur la hampe de son sceptre, le Haut-Prêtre de Mogar se tourna pour faire face à son homologue. Tandis qu’un sourire carnassier apparaissait sur son visage buriné, Agrarald hocha la tête.
– Tu as raison, ami. Il est plus que temps pour les Nains de se mettre en chasse. Nous avons trop longtemps attendu. Montrons aux Vertegueules que le Petit Peuple est de retour chez lui. Qu’ils apprennent ce qu’il en coûte de s’en prendre à deux des nôtres. Il est plus que temps que cette vermine s’acquitte des anciennes dettes. Passant sa main gauche dans sa barbe, Agrarald réfléchit quelques secondes avant de reprendre : Bien qu’il me tarde de leur faire goûter à mes flammes, je ne pense pas que nous devrions passer par le Double-Escalier. C’est assurément la voie la plus directe, mais les Vertegueules y sont trop nombreuses. Nous n’atteindrions jamais le Septième niveau. Les cheminées de Bartok sont notre meilleure option. Se frayer un chemin dans ses conduits à pic ne sera certes guère aisé, mais Lirgan pourvoira à notre sécurité. Je n’en doute pas.
Agrippant l’épaule de Dun Eyr, Agrarald lui adressa un clin d’œil. La simple idée d’enfin passer à l’action avait ôté un poids considérable des épaules du Haut-Prêtre. Malgré les risques inhérents à l’expédition qui se préparait, il débordait d’enthousiasme. Pour la première fois depuis six ans, les Nains d’Almia allaient faire payer les Gobelins. Sans plus attendre, il ajouta :
– Avant que nous ne nous mettions en route, je dois m’entretenir avec certains d’entre nous. Je ne peux partir sans leur expliquer ce que nous comptons faire et leur indiquer que faire si nous ne revenons pas. Après une seconde de réflexion, le vieux Nain reprit : Je pense en outre qu’il serait plus sage de demander à quelques guerriers de nous accompagner. Si nous retrouvons Gorlart et Marbienna en vie, nous aurons sûrement besoin de bras pour les ramener au premier niveau. S’ils pouvaient marcher, ils seraient certainement déjà revenus. Qu’en penses-tu ? |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Ven 21 Déc 2012 - 17:08 | |
| Là, quelque part sous les défroques du Mogariste, les Pierres Gardiennes devaient battre contre son flanc ; mais leur écho tumultueux passait outre la simple bure de son ami, et venait tinter aux oreilles de Dun Eyr, à ses esgourdes chaudes et rouges. Les sages paroles du Dolbarg’Ma, les doctes recommandations quant à s’entourer d’une escorte, planaient au-dessus de la scène, comme incapables d’atteindre la pensée du Lirganique : son souffle était rendu trop court par la colère. D’une œillade, Dun Eyr considéra les vieux Hauts-Prêtres drapés et doctes qu’ils étaient devenus à force de soucis ; brusquement, dans l’atmosphère lourde et farouche d’une veille d’assaut, dans l’antre du reconstructeur d’Almia, le Nain regretta la fougue de ses soixante printemps : il avait été un temps où ils auraient plongé dans l’abîme, le maillet à la pogne, beuglant des borborygmes pour affoler les Vertegueules. Un vieux soupir passa sur les lèvres de Dun Eyr : le souffle fit danser autour de son crâne quelques cheveux argentés qui lui retombaient sur le front. Ses genoux étaient raidis, ses jointures blanchies à force d’être crispées ; nul doute, les ans étaient passés sur son corps, comme ils avaient fondu sur le Doblgarg’Ma, et voilà les deux Nains qui comblaient à force de prudence ce qu’ils avaient perdu en tumulte. Dun Eyr laissa refluer, pour un temps, sa colère ; c’est d’une voix posée qu’il répondit à son comparse : « Tu dis vrai, Agrarald, mon ami. Les Gobelins ont dû barbouiller là-dessous les cavernes de leurs idoles grimaçantes, et peut-être que nos dieux ne pourront plus nous y prêter magie. Nous prendrons des Nains, ils valent bien toutes les étincelles de la Terre. »Un vieux réflexe de vadrouilleur de la surface saisit Dun Eyr : il leva les yeux, comme pour chercher le ballet des étoiles. Mais le plafond de grès engloutit son regard, couvrant tout le ciel comme un couvercle ; le Nain en avait presque oublié ce que signifiait vivre sous la roche. Pas d’astres pour mesurer l’écoulement du temps, mais cela ne faisait rien ; les Nains compteraient sans cela, comme ils l’avaient toujours fait. Dun Eyr resta muet un instant, durant lequel quelques idées lui bousculèrent l’esprit, puis il fit face au Dolbarg’Ma et claironna : « Occupe-toi des tiens, Agrarald, et prévois ce qu’il adviendra si Yaron ne nous prête pas vie. Je vais aller trouver les bras qu’il nous faut pour ce périple ; et quelques paquetages de venaisons, parce que le cadavre de Gobelin ne nourrit pas son Nain. »Non, cent printemps auparavant, jamais Dun Eyr n’aurait prévu son en-cas avant de bondir dans les gouffres ; mais il faut dire que depuis l’Embrasement, la montagne avait tourné trop Verte pour qu’on fût certain d’y trouver encore de quoi combler un estomac de Nain. « Ainsi, dans trois heures aux galeries du Nord ? »* * * * Les boyaux les plus au Nord, cachés derrière des caveaux effondrés de la vielle Almia, demeuraient les moins envahis par le retour des Nains : la roche y était demeurée ferme et robuste, le Sang Vert n’avait pas putréfié ces bonnes pierres de l’ancien temps. Partout, les écureuils blafards, les chauves-souris râblées, et toute la vermine bouillonnante des petites galeries, vivotait là-dessus comme dans un vaste repaire caché. Pourtant, cette fois, les mères souris durent prendre leurs souriceaux à la gorge, et les lapereaux des mines s’en furent boitiller plus loin : de lourdes bottes faisaient tonner l’écho de ces caves. Dun Eyr parut parmi les gravats, s’éclairant d’une torche à la lumière crachotante. A y mieux regarder, la torchère était étrange, ce n’était pas même du bois : dans la poigne du Nain s’élevait un jarret de Gobelin, horriblement tranché, et auquel on avait bouté le feu. Le bois s’était fait trop rare sous terre, et ces charognes brûlaient très honorablement. Le faible faisceau de lumière laissait deviner trois autres barbes, surmontées de figures aux petits yeux et parcourues de bâillements : lancer campagne au milieu de la nuit, étrange idée de Dun Eyr. Le premier des visages était fin et élancé, presque délicat, c’était Trogan le Rodministe ; s’il s’agissait de se frayer à coups d’épaule un chemin dans la pierre, celui-là ne serait pas de trop à la compagnie. Derrière lui, les deux autres trognes venaient ensemble, presqu’indissociables : Baltor et Derntor, les jumeaux de la garde. Certains les appelaient des brutes, d’autres parlaient de sauvages, mais tous s’accordaient à les trouver efficaces ; la carrure de ces deux mastocs des Clans du Nord saurait bien trouver son utilité, si les Vertegueules les assaillaient par douzaines. « Et puis, songea Dun Eyr dans une pensée joyeuse comme lui seul avait le secret, si les Gobelins nous dévorent tous, j’aurai au moins débarrassé Almia de ces deux rustauds-là. »Le délai convenu avec le Dolbarg’Ma touchait à sa fin : quelque part là-haut, les loups devaient hurler pour signifier la fin de la traque nocturne ; et le jour commençait à batailler avec les étoiles. Dun Eyr leva le poing pour faire signal, et d’un coup d’épaule il laissa tomber au sol sa lourde besace ; la viande séchée chut comme une pierre. Les quatre Nains étaient parvenus jusqu’à un mur ; c’était peut-être la pointe la plus au Nord des excavations de la nouvelle Almia. Le Lirganique eut un regard alentour, pour toutes les pierrailles rompues, les gravats éboulés ; la pierre était dure par ici, trop dure pour les crocs des Gobelins. Les Nains avaient largement ignoré tout ce renflement, lorsqu’il s’était agi de reprendre pied sur la première profondeur. « Amenez-la baliste », ordonna Dun Eyr. Les deux frères avancèrent lourdement jusqu’à rejoindre Dun Eyr au pied de la paroi. Ils marchaient en file et ils portaient entre eux, hasardeusement carrée entre leurs deux torses gonflés, la lourde machine ébranlée et frêle que Mordak avait restaurée. Aux dires de l’ingénieur improvisé, le scorpion dévorerait désormais la roche avec plus de force encore ; tâtant d’une paume la fière pierre qui leur faisait face, Dun Eyr se prit à l’espérer furieusement. La suite fut empressée, comme jouée par des automates ; combien de fois déjà, le Lirganique avait-il apprêté la baliste bringuebalante à éventrer la roche ? Trogan tendit le chanvre en peinant sur le levier, les jumeaux placèrent la lourde charge sans mot dire ; quelques craquements encore, et la baliste fut fin prête, oscillant et grimaçant sous la masse de la roche qu’elle devait emporter. « Prêts ? » fit le Nain. Son regard flotta une dernière fois sur la paroi rugueuse ; là-derrière, à dix ou douze coudées, devaient se profiler les cheminées de Bartok — ou bien leurs ruines. Dun Eyr aboya un ordre, et le projectile alla se fracasser contre le mur de roche.
Dernière édition par Dun Eyr le Lun 21 Jan 2013 - 21:03, édité 1 fois |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 6 Jan 2013 - 14:33 | |
| Agrarald observa le rabat de sa tente retomber et masquer ainsi à son regard la lourde silhouette de Dun Eyr qui partait se préparer de son côté. Sans perdre une seconde, le vieux prêtre de Mogar se mit lui-même à la tâche. L’écho des pas du Lirganique n’avait pas encore disparu dans les galeries proches qu’Agrarald s’activait déjà. En deux pas, il se retrouva face à un vaste coffre qui occupait tout un angle de sa tente. Pour l’heure, le couvercle de ce dernier était encombré de tant de cartes, codex et vieux ouvrages poussiéreux qu’un observateur inattentif l’aurait sûrement pris pour un bureau quelconque et ne s’y serait pas attardé une seule seconde. Pourtant en quelques gestes rapides, Agrarald débarrassa la malle du fatras qui l’encombrait révélant ainsi un objet splendide bien que sensible à l’usure du temps. Sculpté dans du bois de chêne à la couleur riche et profonde, bardé de larges bandes d’acier finement ouvragées et parfaitement trempées, l’arche d’Agrarald était une petite merveille. Sur ses flancs courait une fresque présentant l’histoire d’un obscur clan du Nord dont le motif principal consistait en une armée victorieuse rendant grâce au Père des Batailles. Après s’être agenouillé, Agrarald laissa ses doigts courir sur le bois patiné. Non sans un léger sourire, il espéra que la fresque serait de bon augure pour la quête qu’il allait entreprendre. Puis, glissant sa main sous sa barbe, il attrapa un lien de cuir auquel pendait une clef. Après l’avoir introduite dans la serrure, il déverrouilla le coffre et entreprit d’en repousser le lourd couvercle. Ses paumes appuyées sur le bois, le vieux Nain exerça une forte poussée jusqu’à faire complètement basculer ce dernier sur ses charnières. Quelques secondes durant, Agrarald demeura immobile, se bornant à fixer le contenu de la malle. Là, protégés de la poussière par d’épaisses couches de cuir huilé, reposaient les seuls biens qu’il avait sauvés lors de la destruction de Kirgan. Obéissant à des gestes que le temps et les épreuves lui avait rendus par trop naturels, Agrarald entreprit de se dévêtir des pièces d’armure qu’il portait depuis son arrivée à Almia. Ces dernières, faites de bric et de broc, l’avaient certes gardé en vie lors des combats qu’il avait livrés pour la reconquête du premier niveau, mais aujourd’hui qu’il s’apprêtait à s’enfoncer profondément sous la montagne, il lui fallait un équipement de meilleure qualité. Soulevant le cuir qui les protégeait, il sortit avec précaution l’armure que lui avait forgée son père bien des années auparavant. Ainsi, près de soixante ans plus tard, l’acier sorti des forges d’Almia revenait dans les galeries qui l’avaient vu naitre. Après avoir soigneusement tressé sa barbe ainsi que ses cheveux, Agrarald enfila sa lourde côte de maille par-dessus son gambison. Bien qu’il lui fût parfois arrivé de revêtir des armures de plates complètes, il ne les avait jamais vraiment appréciées. Si elles offraient une excellente protection, elles entravaient par trop les mouvements et avaient la fâcheuse tendance d’épuiser leurs porteurs. Plus légères, les côtes de mailles avaient toujours eu la préférence du vieux Nain. D’autant qu’au fil des ans, il avait eu le loisir de s’habituer à leur poids. Il connaissait leurs forces et faiblesses et avait même appris à en atténuer les cliquettements. Sans perdre de temps, le Haut-Prêtre de Mogar passa ensuite sa tunique de lin avant de l’assujettir par une lourde ceinture de cuir et d’acier à laquelle il pendit le symbole de son ordre. Plongeant à nouveau ses mains dans son coffre, il en sortit deux paquets qui se révélèrent être de larges épaulières. Après les avoir solidement fixées sur ses épaules, il sortit son bien le plus précieux : les deux protège-poignets légués par son père. Ces derniers sentaient encore l’huile qui les avait préservés de la rouille pendant les six longues années durant lesquelles ils avaient patienté dans ce coffre. Tandis que le second se refermait autour du poignet d’Agrarald en émettant un claquement sonore, le vieux Nain espéra se montrer digne de la mémoire de son aïeul. Enfin, après avoir récupéré son casque, il se munit d’un lourd marteau de guerre qu’il glissa à sa ceinture. Ainsi équipé, il prit le temps de réunir quelques affaires qu’il jeta dans un sac avant de se passer ce dernier en bandoulière par-dessus l’épaule. Quittant finalement sa tente, il prit soin de souffler les bougies qui l’éclairaient chichement. Enfin il attrapa le sceptre symbole de son rang et se mit en route. Etrangement, il se sentait plus détendu qu’il ne l’avait été depuis de longues années. Fredonnant un chant guerrier, il se mit en marche le cœur léger. Pour la première fois depuis six ans, il avait une tâche concrète à mener à bien. En dépit de la difficulté de la mission qui l’attendait, Agrarald goûtait ce sentiment nouveau. Mais avant de retrouver Dun Eyr et de courir à la ruine, la sienne ou celle des Gobelins, il lui fallait encore laisser des instructions pour la bonne marche de la cité. * * * La poussière ne s’était pas encore dispersée et le grondement de la roche emplissait encore les oreilles d’Agrarald lorsqu’il pénétra dans la galerie menant aux anciennes cheminées de Bartok. A travers les particules en suspension, le vieux Nain distingua une silhouette qu’il avait appris à reconnaitre. Frappant le sol de son sceptre pour s’annoncer, Agrarald fit quelques pas en direction du groupe des Nains qui venaient d’ouvrir le chemin vers Mogar savait quoi. Passant près de la baliste, Agrarald esquissa un sourire en repensant au jour où il avait vu cet appareil pour la première fois à l’œuvre. C’était peu de temps après l’arrivée du Nain qui avait rapporté l’espoir dans ces galeries, celui-là même qui lui faisait face aujourd’hui. Tendant son bras en direction de son ami, Agrarald le salua de la tête avant de tourner son attention vers les trois autres Nains qui l’attendaient. A l’attention de chacun d’entre eux, il adressa un léger signe de tête avant de se frapper la poitrine du poing droit ainsi que le voulait la tradition mogariste. Enfin seulement, il prit la parole :
Trogan, Baltor et, toi, Derntor je vous salue tous trois et vous remercie d’être là en ce jour. Je ne doute pas que Dun Eyr vous ait mis au courant de nos projets. Le simple fait que vous n’ayez pas reculé devant la tâche suffit à prouver votre valeur. Ce disant, il ponctua sa phrase en recouvrant son poing droit fermé de la paume de sa main gauche, symbolisant par ce geste le marteau du père des Batailles. Après quoi il poursuivit : La tâche qui nous attend n’aura rien d’une partie de plaisir. Nous ignorons ce que nous réservent les niveaux inférieurs. A vrai dire la seule chose dont nous soyons à peu près certains est qu’on risque fort d’y croiser des Gueules Vertes… Agrarald caressa alors la tête de son marteau de guerre avant d’ajouter tandis qu’un mince rictus se dessinait sur son visage : Mais ça, ce n’est pas pour nous déplaire, hein.
Sans rien ajouter, Agrarald vit quelques pas dans le boyau encore encombré de poussière de roche. Les yeux plissés, il avançait lentement en fixant le sol du regard. Au bout d’une dizaine de mètres, il laissa échapper un long sifflement. A ses pieds s’ouvrait une large fissure. Elle semblait s’enfoncer profondément sous la montagne, tandis qu’au-dessus du Nain, elle se perdait au-delà d’un coude quelques huit mètres plus haut. Les suppositions de Dun Eyr s’étaient donc révélées exactes : Agrarald contemplait une des cheminées de Bartok. Les parois étaient faites de roche nue même si, ça et là, on devinait les marques qu’avaient laissées les outils des maîtres tailleurs Nains. A n’en pas douter, les anciens forgerons d’Almia avaient aménagé des fissures naturelles pour évacuer les fumées de leurs feux. Si les ravages qu’avait connus Almia n’avaient pas trop abimé cette partie de la cité, l’expédition pourrait peut-être utiliser les anciennes voies d’accès qu’utilisaient les Nains pour nettoyer et entretenir les cheminées. Se retournant en direction de ses compagnons, Agrarald lança comme si de rien n’était :
Eh bien, mes amis, la journée promet d’être passionnante. J’espère que vous avez des cordes car la première marche est haute. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Lun 21 Jan 2013 - 21:32 | |
| Au travers des nuages de poussière brune, Dun Eyr et Rodmin marchèrent quelques pas derrière Agrarald, et se frayèrent un chemin parmi les gravats jusqu’au bord de la crevasse. Leurs lèvres s’arrondirent de surprise, mais le Mogariste les devança tout deux : le long sifflement qu’il émit suffisait à décrire l’à-pic radical qui s’ouvrait devant leurs pieds. Leur regard pouvait plonger sur dix ou douze mètres dans l’abîme, mais au-delà l’obscurité mangeait tout. Dun Eyr amena son jarret de Gobelin flambant au-dessus du gouffre, comme pour tenter d’en percer les nappes d’ombre : la lumière crachotante semblait dévorée avant d’atteindre la roche. En d’autres temps, le Lirganique aurait commenté la forme de la fissure qui maintenant se découvrait sous leurs yeux ; mais sa foi semblait maintenant trembloter dessous sa bure frappée du blason du Moqueur, et Dun Eyr préféra rester coi et muet. Finalement, après une œillade perplexe, Trogan le Rodministe inspecta les roches et déclara à la petite compagnie :
« Ces crevasses ne filent pas droit dans la pierre, elles sont obliques ; jamais les Nains n’auraient pu aménager des fissures si elles avaient plongé droit au cœur de la montagne. »
Puis, promenant un doigt sur la paroi la plus proche, Trogan ajouta :
« Et avec les fumées qui y ont couru durant des décennies, elles sont sales, également. »
Il n’avait pas essuyé la suie collée sur son large pouce, que déjà Dun Eyr avait passé une corde de gros crin autour d’un piton ; la barbe rejetée sur l’épaule, le Haut-Prêtre s’accroupit sur le bord du gouffre et, laissant le jarret de Gobelin à Baltor, il entreprit de descendre dans le précipice enténébré. Il était trop conscient que cette initiative violait tous les us et coutumes des Nains sur les derniers siècles, et que jamais un Haut-Prêtre n’aurait dû se risquer en premier chef dans l’inconnu, lorsque les silhouettes rudes et trapues des jumeaux restaient indolentes sur le bord de la roche, les bras inemployés ; mais Dun Eyr avait accepté de plonger dans l’énigme de cette quête comme un pied-de-nez au Moqueur, qui devait contempler en silence cette épopée balbutiante. Et on ne défie pas le Tisseur des Hasards en restant assis sur un parapet. Sous le Nain, la corde pendait et disparaissait dans le vide et l’obscurité ; Dun Eyr crapahutait au fil de celle-ci, poussant sur la roche avec ses pieds aux bottines esquintées. Lorsqu’il levait le menton, il pouvait encore voir la mine préoccupée de Trogan et, à ses côtés, le visage inflexible du Dolbarg’Ma. Le jarret de Gobelin était resté là-haut, presque éteint, et la flammèche dansait sur la noble armure dans laquelle Agrarald s’était enchâssé, comme les Seigneurs Claniques de jadis lorsqu’ils entraient en guerre et fondaient depuis le Nord sur leurs bouquetins ferrés d’argent. Les reflets de la cotte de maille portaient jusqu’aux pupilles de Dun Eyr ; en comparaison, lui ne s’était orné d’aucune splendeur pour plonger vers la ruine : sa barbe crasseuse pendait dessus l’épaule de sa bure délavée par les errances, et sur laquelle cette descente le long de la paroi noircie laissait des traces charbonneuses. Sous son vêtement sempiternel, il n’avait pas même passé une broigne pour endurer les flèches égarées.
Parvenu à près de dix mètres dans son escapade, à une profondeur d’où seul l’éclat argenté de sa barbe se laissait encore deviner depuis le parapet où patientaient les autres Nains, Dun Eyr stoppa sa descente ; s’il avait espéré que les ténèbres se laisseraient percer lorsqu’il serait parvenu parmi elles, le voilà désappointé. Tout paraissait aussi sombre à lui qui se balançait le long de son filin de crin, à peine devinait-il les deux parois de la fissure autour de son corps ; quand à deviner un coude sous lui, il aurait eu meilleure fortune, dans ce puits obscur, à être cartomancien. Levant la tête vers ses compagnons, Dun Eyr lança à Trogan :
« Donne-moi de la lumière ; j’ai les mains prises sur la corde. »
Le Rodministe dut penser qu’un Runiste de la capacité d’un Haut-Prêtre, même suspendu dans un ravin, aurait su élaborer une incantation d’aussi piètre exigence ; mais son visage resta impassible derrière sa barbe noire, et il se saisit par terre d’un caillou poli qu’il grava et écacha sans hésiter. Un mot, et la lumière de Néera jaillit aussitôt dans le poing du Runiste, illuminant avec peine le galet tant les ombres opaques ne voulaient pas céder un pouce de leur domaine ; alors, plissant un œil, le Nain visa et jeta le caillou luminescent dans l’abîme. Dun Eyr ne tendit pas le bras pour s’en saisir ; la pierre fila derrière son dos, rebondit contre une paroi, et continua de sombrer sous ses pieds en ligne verticale. Le Haut-Prêtre se contorsionna pour voir disparaître l’étincelle ; et là, à quatre ou six mètres au-dessus, la pierre heurta un sol dur, ricocha, puis disparut dans une travée. C’était tout ce que le Nain devait savoir : le sol était proche, la crevasse obliquait à quelques pas plus avant ; se balançant le long de la paroi, et jouant des pieds, Dun Eyr parvint sans encombre jusqu’à à un sol dur et ferme sur lequel poser ses bottes.
« Rejoins-moi, Trogan, lança le Nain, en détachant les syllabes pour couvrir l’écho. Il faut de la lumière ici ; la crevasse semble plonger sur la gauche, devant moi. »
Sur le parapet, là où la poussière s’était dissipée, les autres Nains étaient presque plongés dans l’obscurité. Le jarret de Gobelin crachait ses dernières lueurs sur les quatre barbes assemblées là, et il ne restait plus dans la poigne de son porteur, Baltor, qu’un tiers de tibia d’où s’échappait l’odeur de la moelle brûlée. Il fallait faire vite ; alors Trogan ouvrit la besace qui pendait autour de son cou, arrondie et bombée par d’étranges formes, et le contenu qui s’y tenait fut trahi par son fumet : quatre autres membres de Vertegueule, soigneusement tranchés et cautérisés, attendaient de recevoir une étincelle pour servir de torchère. Trogan en saisit deux et y bouta le feu : le premier vint remplacer le moignon de torche que tenait Baltor ; quant au second, le Rodministe le saisit entre ses dents — le goût de la vieille chair de Gobelin lui arracha un haut-le-cœur — et, les mains passées autour de la corde, il fila rejoindre Dun Eyr dans l’abysse. La flamme oscillait autour de sa joue et faisait courir des ombres gigantesques sur la paroi, derrière la nuque du Nain, tandis qu'il descendait à bonne allure le long de la corde de crin. A peine atterri aux côtés du Haut-Prêtre, Trogan saisit sa torche d’une main et explora de quelques pas prudents la pente qui s’allongeait à main gauche ; Dun Eyr lui emboîta le pas, tâchant de ne pas perdre de vue la torche dans ces souterrains recouverts de suie glissante. La pente tournait bientôt vers l’intérieur de la montagne, à la verticale au-dessous du parapet, si bien que les deux Nains disparurent pour leurs trois compagnons restés plus haut ; seul restait le halo de la torche, qui venait roussir l’angle de la pierre, là où la corde touchait le sol. Rendue rauque et lointaine par la courbure de la galerie, la voix de Dun Eyr remonta jusqu’au parapet :
« Descendez tous, il y a un boyau qui s’allonge ici ; Bartok a dû aménager d’autres conduits comme celui-ci pour atteindre ses cheminées. Rejoignez-nous là-dessous. »
Puis il y eut un grondement sous la roche, et la voix comme son écho disparurent soudain ; l’éclat de la torche s’était lui aussi évanoui. Depuis le parapet, sous les yeux des trois Nains, ne restait plus que la corde plongeant dans l’obscurité. Au risque de chuter, Baltor se courba sur l’abîme et agita sa torche vers la profondeur, en vain ; son regard ne perçait pas plus maintenant l’obscurité, qu’avant que Rodmin n’y apportât une lumière.
« Dun Eyr ! » s’exclama Baltor, penché sur le gouffre.
Son timbre guttural se perdit au-dessus de lui, l’écho roulant longtemps entre les parois de la crevasse. Les deux Nains avaient comme disparu.
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Ven 1 Mar 2013 - 21:24 | |
| Tandis qu’Agrarald vérifiait son équipement et ajustait la position de son sceptre afin que ce dernier n’entrave pas ses mouvements lors de la descente, un sinistre craquement se fit entendre loin sous ses pieds. Montant de la cheminée, le grondement s’éleva jusqu’aux trois Nains demeurés sur la corniche. Tous les trois ne connaissaient que trop bien ce son. Au fil des ans, ils avaient appris à le redouter. Pour le peuple troglodyte, il n’existait pas de présage plus sinistre. Il annonçait invariablement quelque tragédie : l’anéantissement en quelques secondes d’années d’efforts ou la mort d’amis chers pris sous des tonnes de roches. Roulant le long des parois, l’onde s’amplifia, rebondissant d’un bord à l’autre jusqu’à devenir un vacarme assourdissant. Ce dernier sembla durer des heures bien qu’il ne s’agit en réalité que d’interminables secondes. Terribles instants durant lesquelles les Nains demeurèrent interdits, tous leurs sens en éveil. Ils sentirent plus qu’ils n’entendirent la roche céder sous leurs pieds. Les vibrations du sol pénétrèrent leurs êtres tout entiers, leurs colonnes vertébrales vibrant à l’unisson de la roche martyrisée. Puis, alors que l’écho de la catastrophe s’éloignait peu à peu, un léger nuage de poussière vint confirmer leurs pires craintes : quelque part dans les profondeurs, une partie des galeries d’Almia venait de céder.
Avant qu’Agrarald ne puisse esquisser le moindre geste, le cri de Baltor résonna dans les galeries redevenues silencieuses. Le vieux Nain tendit l’oreille, mais nulle réponse ne monta des profondeurs. Il n’en venait pour ainsi dire jamais. Poussé par l’urgence, Agrarald fit un rapide signe de la main à Derntor. Sans attendre ce dernier se saisit de la corde et, d’un signe de la tête, garantit au Haut-Prêtre qu’il assurerait sa descente. Passant la corde autour de sa taille, Agrarald s’approcha du bord de la cheminée. Au passage, il repoussa fermement Baltor. Mogar seul savait ce qu’étaient devenus Dun Eyr et Trogan, perdre Baltor suite à un stupide faux pas n’aurait eu aucun sens. S’agenouillant puis passant par-dessus le précipice, Agrarald croisa le regard du guerrier. Avant de disparaitre derrière l’à-pic, il lui dit :
- Attends que je sois parvenu en bas. Sitôt que j’y serais, remonte la corde et rejoins-moi. N’oublies pas de prendre nos sacs et dis à ton frère de nous suivre. Qu’il fasse bien attention, il n’y aura personne pour assurer sa descente.
Alors sans attendre une seconde de plus, le Haut-Prêtre de Mogar entreprit de rejoindre le premier coude de la cheminée sans savoir ce qu’il y trouverait. Dun Eyr avait parlé d’un boyau, sûrement un moyen d’accéder aux cheminées, mais l’effondrement l’avait-il épargné ? Lentement, assurant ses prises les unes après les autres, Agrarald descendait. La corde, confiée aux bons soins de Derntor, demeurait tendue au-dessus du vieux Nain. Centimètre après centimètre, il s’enfonçait sous la roche en direction des niveaux inférieurs. Ses mains gantées peinaient à trouver des prises sûres, tandis que ses lourdes bottes ripaient invariablement sur la roche. Sans les efforts de Derntor, Agrarald aurait lâché prise des dizaines de fois. Retenant son souffle et faisant jouer les muscles de ses bras déjà tétanisés par l’effort, le mogariste se promit que s’il parvenait à toucher le sol, il retirerait bottes et gants avant de se lancer à nouveau dans pareille entreprise. Quelques minutes plus tard, ses pieds touchèrent finalement le parapet dont Dun Eyr avait parlé. Agrarald dénoua rapidement la corde qui lui enserrait les reins et s’accorda une petite pause pour souffler et détendre les muscles endoloris de ses épaules et de ses bras. Cela fait, il leva les yeux en direction de la corniche qu’il venait de quitter et cria à l’attention de ses deux compères :
Baltor, Derntor, je suis arrivé en bas. Venez rapidement et n’oubliez pas d’emporter vos affaires. La descente n’est pas vraiment difficile mais mieux vaudrait vous assurer de bonnes prises. Après une seconde de réflexion, il ajouta : Ne vous inquiétez pas pour la torche, je m’occupe de nous fournir toute la lumière dont nous aurons besoin. Ce disant, Agrarald enleva le gant qui couvrait sa main droite. Un genou à terre, il passa son index sur les roches qui l’entouraient et le retira couvert d’une suie centenaire. Ainsi qu’il l’avait déjà fait des milliers de fois, il traça sur la paume de son gant gauche quelques runes avant des les écacher. L’espace d’une seconde, sa main gauche sembla entourée d’une brume évanescente avant qu’une flamme ne lui entoure le poing. Protégé par les runes de Mogar, le poing du Haut-Prêtre pouvait désormais contrôler le feu sans être sensible à ses morsures. Le bras levé, Agrarald patienta jusqu’à ce que Baltor et Derntor l’eussent rejoint. Lorsqu’ils furent réunis, les trois Nains se mirent en route. Sur leur gauche s’ouvrait un tunnel relativement étroit mais néanmoins praticable. Ouvrant la marche, sa main gauche diffusant une chaude lumière, Agrarald ouvrit la marche. Les trois compagnons avançaient prudemment, les Nains avaient en effet eut tout le loisir de découvrir à quel point il pouvait être dangereux de progresser sans précaution dans une zone sujette aux mouvements de terrain. Aussi Agrarald n’avançait-il qu’à pas mesurés, scrutant le sol à la recherche du moindre indice pouvant laisser présager un danger ou de la présence de Dun et Trogan. Au bout de quelques dizaines de mètres, les trois Nains tombèrent sur une large fissure qui coupait la galerie de part en part. Elle n’était large que d’un mètre cinquante mais elle semblait particulièrement profonde. Accroupi, le Haut-Prêtre de Mogar en examina les bords avec attention. Lorsqu’il se redressa, il fixa ses compagnons :
Cette fissure ne me plait pas. Ses lèvres sont tranchantes, tout en pics et saillies. Elle n’est pas érodée ainsi qu’elle devrait l’être. Levant sa main droite, il montra à ses camarades un doigt presque immaculé. En outre, il n’y a pas trace de suie. Autrement dit, nous sommes tombés sur une fissure récente. Probablement l’origine du vacarme que nous avons entendu tout à l’heure. Se grattant la barbe, le vieux Nain ajouta : Ce n’est pas bon et ce ne me plait pas du tout. Ces tunnels devraient être stables, ils ont été conçus par nos pères et sont demeurés en l’état pendant des siècles. Pourquoi la roche se réveille-t-elle aujourd’hui ? Ca n’a pas de sens.
Agrarald tourna alors son regard sur la galerie qui continuait sa lente progression sous la montagne au-delà de la fissure. Malgré la faible lumière qui entourait son poing, il ne distinguait qu’à grand peine le tunnel qui s’enfonçait en pente douce sous la roche. Pour autant qu’il pouvait en juger de là où il se tenait et dans la pénombre environnante, le couloir semblait s’enrouler lentement sur lui-même, comme s’il décrivait une longue spirale descendante. Se retournant vers ses camarades, Agrarald dit :
Quoiqu’il en soit, nous n’avons guère le choix. Si Dun Eyr et Trogan avaient pu nous rejoindre, ils nous auraient attendus sous la corniche. Soit ils ont continué dans le tunnel, soit l’un d’eux est tombé dans la fissure et l’autre a tenté de lui porter secours. Pour l’heure, Agrarald se refusait à envisager la persective qu’ils fussent tous deux tombés au fond de ce gouffre béant. Et tant qu’il n’en aurait pas eu la confirmation, il se refuserait à y croire. Fixant son regard sur Baltor, il lui dit : Baltor, essaie de voir où mène ce tunnel. Ne prends aucun risque. Avance prudemment et fie toi à ton instinct, si tu découvres la moindre trace importante reviens nous trouver. En t’attendant, Derntor et moi allons essayez d’explorer cette fissure. Si Dun ou Trogan y sont pris au piège, il nous faut les en tirer. Hâtons-nous !
Sans plus attendre, pressé par un sentiment d’urgence, Agrarald repassa une corde autour de ses hanches, ôta gants et bottes et bascula par-dessus le bord de la fissure. Tandis qu’il le descendait dans les profondeurs de la terre, Derntor, suant sous le poids du Haut-Prêtre, ne vit bientôt plus du mogariste que la pâle lueur du halo de flammes qui entourrait ses poignets. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Mer 6 Mar 2013 - 1:10 | |
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      Voilà ce qui s’était passé pour nos deux Nains.
      Arrivé à l’entrée de la galerie, Trogan avait attendu Dun Eyr pour s’y engouffrer ; mais les Nains n’avaient pas fait trente pas vers l’intérieur, que leurs bottes cessaient de claquer sur le sol de pierre. Voilà qu’elles s’enfonçaient mollement dans ce qui semblait toujours de la roche, mais ployait comme une éponge sous leur poids ; et des reflets verdâtres jaillissaient dans le halo de la torche, révélant la peste qui rongeait la montagne. Le Sang-Vert semblait noyauter la galerie sur toute sa longueur, aussi loin que les deux Nains pouvaient en juger.
      « Dun Eyr, est-ce que la pierre peut supporter cinq Nains là-dedans ? s’enquit Trogan.       — Je crois que... »
      Mais nul ne saura jamais ce que croyait le Haut-Prêtre à cet instant car, au-dessus de leurs têtes, une large pierre s’abattit brutalement et transperça le sol sous leurs pieds. Dun Eyr n’eut que le temps de bondir en avant, et d’attraper la main de Trogan, tandis que le sol s’effritait et s’éboulait au-dessous de lui ; l’instant d’après, le Nain pendait au bout du bras du Lirganique, les jambes ballant dans ce qui se profilait comme une crevasse vertigineuse. Trogan avait lâché la torche et celle-ci chutait à présent dans le boyau vertical, rebondissant mollement sur des parois gorgées de reflets verdâtres, et sans jamais devoir s’arrêter.
      « Tiens bon, Trogan ! haletait le Nain en hissant son ami hors du gouffre. »
      A force de s’arc-bouter, les deux Nains furent bientôt réunis, debout sur le rebord de la crevasse, sains et saufs dans la galerie malade. Une large brèche les séparait à présent de l’entrée, et si jamais Agrarald et les jumeaux descendaient la corde, il leur faudrait encore trouver comment repasser la faille. Les sourcils froncés, le Lirganique leva les yeux : une gigantesque entaille, trop arrondie pour être naturelle, marquait l’emplacement depuis lequel la pierre avait été précipitée sur le sol friable de la galerie.
      « Une pierre comme celle-là ne tombe pas toute seule, Trogan, grogna Dun Eyr en tentant de percer le tunnel noyé dans l’ombre, car ils n’avaient maintenant plus de lumière.       — Pourquoi est-ce que Bartok aurait piégé ses galeries ?répliqua la voix soucieuse de Trogan, quelques pas en avant du Haut-Prêtre.       — Bartok ne l’aurait pas fait, non ... admit le Haut-Prêtre à demi-voix. »
      Des sifflements dans l’obscurité mirent ces deux barbes en alerte : une galerie abandonnée ne devrait pas crachoter comme celle-là le faisait. Les pires soupçons des Nains furent bientôt confirmés, comme des crochets perçants se refermaient tout autour d’eux.
      « Croche-Nains ! s’écria Dun Eyr en se plaquant au sol. »
      Le Haut-Prêtre évita la plupart des hameçons, mais Trogan n’eut pas la même présence d’esprit, et il disparut en avant dans les ombres. Le croche-Nain était une ingénierie récente des Vertegueules, développée on ne savait comment par ces bestioles sans esprit, car la technique était redoutable : les Gobelins propulsaient de fines cordes hérissées de crochets pour agripper la chair des Nains, puis le ferraient ensuite comme s’ils avaient pêché à la ligne. Lorsque douze de ces crochets vous transperçaient de tous côtés, et vous attiraient violemment jusqu’à la meute féroce, le piège se refermait et vous broyait impitoyablement.       Sur la masse de crochets projetés, seuls trois avaient atteint Dun Eyr, dont un au dedans de la joue ; le Nain se débarrassa des deux premiers hameçons d’un revers de la main, et il préféra laisser le dernier lui entailler la bouche plutôt que d’être happé par la horde des Vertegueules. L’instant d’après, il était debout et se ruait dans la galerie tortueuse, ses pas s’enfonçant dans la roche spongieuse et molle, une dague nue à la main ; lorsqu’il entendit des ricanements dans l’ombre, Dun Eyr murmura le nom de Mogar, et depuis sa main écachée jaillit une lumière bleue comme l’acier.
      « Trogan !... murmura le Haut-Prêtre, le souffle coupé. »
      L’ami de Dun Eyr n’était plus ; à peine avait-il été tracté par la horde des Vertegueules, que ceux-ci avaient commencé à le dévorer. La tête ne semblait plus qu’une masse informe et rouge, à laquelle pendait encore la fière barbe de Trogan ; son habit était troué de part en part, et la chair rongée à vif portait en de maints endroits la marque de dents aiguës et avides. Un gros Gobelin dévorait l’épaule du Nain à grandes bouchées, tandis que le reste des bestioles s’attaquait déjà à son ventre et à ses pieds.
      « Pourritures ! tonna Dun Eyr en maudissant mille fois les Nanophages. »
      La flamme au bout de sa main s’enfla démesurément, et de larges langues de feu en jaillirent pour aller transpercer les Gobelins ; dans sa rage, Dun Eyr déversa un torrent de feu dans la galerie, jusqu’à ce que le dernier ricanement soit transformé en un hurlement de douleur, la plainte insoutenable d’un animal piégé par le feu. Avant même de rouler sur ses joues, les larmes du Haut-Prêtre étaient vaporisées par la fournaise ; hameçons, cordes et Gobelins, tout brûla, et jusqu’à la dépouille de Trogan qui fut elle aussi dévorée par l’incendie. Bientôt pourtant, les flammes s’apaisèrent par manque de combustible, et il ne resta plus que la pierre malade qui continuait à rôtir entre les mâchoires du feu magique.       Si Dun Eyr avait souhaité se recueillir, le loisir ne lui fut pas laissé. De nouveaux ricanements grossirent de l’autre côté de l’embrasement, et des pierres se mirent à pleuvoir depuis le fond de la galerie vers le Nain ; voilà qu’un premier Gobelin franchissait l’anneau des flammes, suivi d’un autre, et toute la horde des Vertegueules venait avec eux. Il n’importait pas à la première de ces bestioles de brûler par le feu, car son cadavre servirait de marchepied à ses semblables ; en quelques secondes, une véritable marée grouillante et crachotante se déversait à l’assaut du Nain, prête à venger ses semblables comme Dun Eyr avait vengé Trogan.
      « Par la Sainte-Barbe ! lança le Haut-Prêtre. »
      Le Lirganique assomma le premier des Vertegueules qui l’assaillit, et envoya un nouveal arc de feu rôtir les deux suivants ; mais la meute était innombrable pour un seul Nain, et il lui fallut bien vite tourner les talons et se mettre à courir. Ses bottes ferrées s’enfonçaient dans la pierre amollie comme s’il avait piétiné un organe malade ; derrière lui retentissaient des couinements et des crachats, tandis que des pointes de métal rebondissaient sur son dos ou bien se fichaient dans la pierre. Heureusement pour Dun Eyr, les croches-Nains semblaient avoir été brûlés par le feu, et ces autres Gobelins n’en possédaient pas.       Les Gobelins formaient une race débile, incapable de mener la moindre innovation, pas même assez rusés pour utiliser les forges des Nains qu’ils avaient trouvées dans les profondeurs des cités conquises par leur race — du moins, c’était là ce que Dun Eyr pensait jusqu’à ce jour ; mais ce piège redoutable, où une pierre effondrée coupait toute retraite tandis que des croche-Nains attiraient les proies, voilà qui outrepassait tout ce que le Lirganique aurait cru jamais pouvoir redouter des Vertegueules. De difficile, la reconquête d’Almia deviendrait désespérée si les Nains devaient faire face à des Gobelins méthodiques et industrieux.
      Mais pour l’heure, Dun Eyr ne réfléchissait pas à ce nouveau mystère : remontant à toutes jambes l’arc de cercle de la galerie, il déboucha sur la ligne droite où la pierre avait créé une fissure : là se trouvaient deux Nains, peut-être Agrarald était-il l’un d’eux.
      « Gobelins ! rugit Dun Eyr à ses frères sans freiner sa course. Gobelins dans la galerie ! »
      Avec une telle cohorte lancée à ses trousses, le Haut-Prêtre devait vite trouver une échappatoire à ce boyau de Bartok récupéré par l’ennemi ; il lui fallait bondir dans la fissure, et miser sur les roches malades et spongieuses pour amortir leur chute qui s’annonçait déjà vertigineuse. Dun Eyr envoya une dernière boule de feu s’écraser derrière lui — un couinement lui indiqua qu’il avait fait mouche — puis il saisit Baltor par la taille et fondit au travers de la brèche, entraînant avec lui Agrarald et Derntor qui avait lâché la corde.
      Alors, rebondissant sur les parois molles de la faille, les quatre Nains se mirent à chuter à une vitesse effrayante vers les profondeurs inférieures de l’ancienne Almia.
Dernière édition par Dun Eyr le Mar 23 Déc 2014 - 17:11, édité 1 fois |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Sam 9 Mar 2013 - 0:47 | |
| Centimètre après centimètre, toujours accroché à la corde que tenait Derntor, Agrarald descendait dans la fissure. Toutefois la progression n’avait rien d’aisée, chaque fois que ses doigts entraient en contact avec la roche, le vieux Nain ne retenait qu’à grande peine un mouvement de recul. Sous ses paumes, la roche prenait peu à peu un aspect fongueux des plus désagréables. Durant les premiers mètres de sa descente, Agrarald avait cru s’être fait des idées : la roche d’Almia avait toujours été d’excellente qualité. On n’y trouvait pas de veines calcaires et très peu d’argile. Quelques secondes durant, il avait envisagé l’idée qu’il eut pu tomber sur des champignons souterrains. Malheureusement, il avait dû rapidement se rendre à l’évidence : la fissure qu’il explorait était faite de roches souffreteuses. Autour de lui, la pierre suppurait. Une humeur visqueuse sourdait entre ses doits crispés, rendant ses prises délicates. Pour ne rien arranger, la fissure toute entière semblait, à la lueur des flammes conjurées, baignée dans une atmosphère maladive et verdâtre. Almia souffrait de la présence des Gobelins, Agrarald en était convaincu bien qu’il ignorât comment ces derniers avaient pu réaliser pareils maléfices. Quels périls la Colère de Mogar avait bien pu réveiller dans les profondeurs des galeries ? Pour l’heure le Haut-Prêtre du dieu de la Guerre n’en avait pas la moindre idée, mais il avait la conviction que la réponse se trouvait sous ses pieds, quelque part dans les niveaux inférieurs de la cité. Néanmoins, ces questions pouvaient attendre. Il était autrement plus urgent de retrouver Dun Eyr et Trogan. Sans oublier les rescapés qu’ils étaient tous venus chercher. Tout à ses méditations, Agrarald ripa sur une pierre traitresse. Crispant ses doigts sur les prises qu’il avait assurées, il parvint finalement à se stabiliser. Suspendu dans le vide, le vieux Nain souffla longuement afin d’évacuer le surplus d’adrénaline. Alors qu’il allait poursuivre sa route vers les profondeurs, la voix de Baltor lui parvint :
- Haut-Prêtre, il se passe de drôles de choses par ici. Au bout d’une poignée de secondes, la voix se fit à nouveau entendre : Il me semble apercevoir de drôles de lumières… et j’entends comme des explosions venant du fin fond du tunnel. - Derntor, remonte-moi, hurla Agrarald avant, lui-même, de forcer sur ses bras et ses jambes pour remonter vers les deux Nains.
Alors que Derntor faisait son possible pour faciliter la remontée d’Agrarald, une terrible explosion secoua la galerie. Sitôt que les échos se furent estompés, un concert de couinements et de cris de détresse parvint aux oreilles des trois Nains restés près de la fissure. Alors qu’Agrarald n’était plus qu’à quelques mètres de la surface, Bartor lui cria :
- Dolbarg’Ma, je crois que je vois un Nain venir vers nous. Quelques secondes après cette affirmation, il reprit : Je crois que c’est Dun Eyr, mais…
Agrarald devait attendre longtemps pour découvrir ce que Baltor avait à lui dire, car, comme pour confirmer l’intuition qu’avait eue le Nain, la voix affolée de Dun Eyr retentit. Alors tout s’accéléra et le monde se mit à tourner autour du Haut-Prêtre de Mogar. Les parois de la fissure défilaient à toute vitesse devant ses yeux. Très vite, Agrarald fut complètement désorienté. Un concert de cris et de grognement accompagnait la chute des Nains. Ces derniers rebondissaient d’une paroi à l’autre. La maladie qui infectait les pierres, les rendant étrangement souples, évitait aux Nains de subir des blessures trop graves. Cependant, Agrarald eut le souffle coupé à plusieurs reprises et son armure fut mise à rude épreuve. Tandis que leur chute se poursuivait, le temps sembla suspendre son cours. Minutes ou secondes, Agrarald ignorait depuis combien de temps il tombait. Seul les coups et le vent sifflant à ses oreilles l’assurait d’être encore en vie. Mais cela pouvait fort bien n’être qu’un état provisoire. Car une chose était certaine : le sol, où qu’il se trouvât, se rapprochait d’eux à toute allure. * * * Lorsqu’Agrarald reprit conscience, il lui fallut quelques instants pour comprendre où il se trouvait. Allongé sur le dos, il distinguait le conduit par lequel il était tombé. Une maladive lueur verte s’en échappait. Clignant des yeux, il essaya de se repérer, mais seules les ténèbres l’entouraient. La magie qui animait ses protèges poignet avait dû se dissiper lorsqu’il avait perdu connaissance. Précautionneusement, craignant de ressentir une terrible douleur, il tenta de remuer ses doigts. Bien qu’engourdis et pris de fourmillements, ces derniers bougèrent sans difficulté. Partiellement rassuré, Agrarald prit une longe inspiration qu’il interrompit soudainement lorsqu’une terrible douleur lui déchira l’abdomen. Retenant un grognement, le vieux Nain palpa tout doucement ses côtes. Il y sentit de nombreuses contusions expliquant sa douleur précédente, mais, fort heureusement, il ne trouva pas de fracture. Partiellement rassuré, il tenta de se redresser sur son céans, mais abandonna bien vite l’idée tant la tête lui tourna. Retenant un haut le cœur, il se rallongea et s’appliqua à respirer aussi délicatement que possible. Par quel miracle était-il encore en vie ? Il ne pouvait s’empêcher de s’interroger à ce propos. Après une chute pareille, il n’aurait rien dû rester de lui qu’une flaque de matière organique. Et pourtant, il était là. Bien vivant et entier, à quelques douloureuses ecchymoses près. La réponse lui apparût au bout de quelques minutes, quand il fut suffisamment remis pour prêter attention aux détails. Contrairement à ce qu’il avait cru, la grotte où il gisait n’était pas complètement sombre. Ses yeux commençaient à y percevoir l’étrange luminescence verdâtre qu’il avait vue tantôt. Finalement, il ne devait à aucune divinité d’avoir survécu. Mogar n’était pour rien dans le miracle qui venait de s’accomplir, seule la maladie qui rongeait les roches d’Almia expliquait sa survie. Grognant sous l’effort, Agrarald se redressa sur un coude et fit des yeux le tour de la cavité où il se trouvait. Outre la fissure d’où ils étaient tombés, il croyait distinguer deux ouvertures dans les murs est et ouest. D’autres conduits d’aération peut-être ? Même s’ils semblaient trop grands pour n’être que cela. Plus près de lui, trois formes humaines gisaient à même le sol gluant. Avec un peu de chance, ce devait être Dun, Baltor et Derntor. Un concert de grognements lui appris que tous trois devaient encore être en vie. Bien… ainsi seul Trogan manquait à l’appel.
Tout en se massant la nuque, le Haut-Prêtre de Mogar se mit à genoux. En quelques gestes rapides, il traça un sort de contrôle du feu et donna un peu de lumière au groupe. Quelques secondes durant, la flamme magique sembla tournoyer à l’unisson de la tête du Haut-Prêtre avant de se stabiliser. Tirant de sa besace une outre d’eau à laquelle il but longuement avant de la passer à la forme la plus proche, Agrarald dit :
- Merde, quelqu’un a pensé à récupérer mes bottes ? et se disant, il agita tristement ses orteils qui reposaient sur la roche malade. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 10 Mar 2013 - 4:53 | |
|       Dun Eyr était tombé en boule, hagard, le bas de sa bure roussi par les flammes qu’il avait déchaînées dans les profondeurs supérieures ; assaut des Gobelins ou dureté de la pierre, son front était barré d’un filet de sang lorsqu’il tenta de se relever. Mais la roche verdâtre, gonflée par le Sang-Vert, avait amorti le plus lourd de sa chute, et ses jambes n’étaient pas brisées. Pourtant, par l’effarante durée de leur course vers le bas, ils devaient avoir atteint au moins la huitième profondeur d’Almia, peut-être davantage.       Le Haut-Prêtre roula sur lui-même et fut bientôt sur ses pieds, quoique chancelant ; ses yeux n’étaient pas encore habitués à l’obscurité translucide et malade, que déjà il promenait un regard inquiet tout autour de leur petit groupe, à la recherche d’éventuels Gobelins qui les auraient suivis dans leur chute. Mais il n’y avait pas de ces silhouettes trapues et détestables alentour, alors le Nain rangea sa dague à sa ceinture ; il aurait pourtant éprouvé une joie cruelle à cet instant, à tenir une seule de ces engeances entre ses deux paumes...
      « Trogan est mort, grogna-t-il à Agrarald. Des croche-Nains ... »
      Il était inutile d’en dire plus ; tous quatre ici connaissaient le sort de ceux que les Gobelins accrochaient. Dans la pénombre, le Dolbarg’Ma tendait une outre d’eau fraîche à Dun Eyr, et celui-ci but goulûment ; sa gorge était empâtée par la poussière malade et lourde qui s’exhalait du sol. Alors seulement le Lirganique remarqua les pieds désormais nus d’Agrarald, englués de vert jusqu'aux chevilles, profondément fichés dans la roche spongieuse sur laquelle ils se tenaient ; le Mogariste pestait contre ses bottes perdues dans leur fuite.
      « Tu ne peux pas rester comme cela, Dolbarg’Ma, lança Dun Eyr d’une voix vive ; qui sait si ce qui ronge la roche, ne ronge pas aussi les Nains ? »
      Heureusement Baltor avait gardé la sacoche aux torches que Trogan lui avait confiée, et à côté des deux jarrets restants se trouvaient encore les guenilles qui avaient servi à les envelopper. Alors que Dun Eyr s’emparait d’un flambeau et l’allumait au contact du sortilège d’Agrarald, il lui tendit aussi les lambeaux de tissu.
      « C’est rougi du sang des Gobelins, et sale, admit le Lirganique, mais cela devrait préserver tes pieds du Sang-Vert. Espérons. »
      Laissant alors le Dolbarg’Ma à ses bandages, Dun Eyr fit quelques pas vers l’ouest, la torche hissée à bout de bras ; au-dessus de leurs têtes, le plafond de pierre était mangé par l’obscurité, mais une plus forte lumière semblait venir de ce côté de la caverne. Même s’il avait passé à Almia près d’un siècle de sa vie de Nain, le Haut-Prêtre ne parvenait pas à reconnaître l’étrange grotte dans le creux de laquelle leur chute les avait menés : des pierres brisées gisaient alentour, éparses, certaines à moitié immergées dans les entrailles de la roche malade. Un vent nauséabond, comme suintant du cadavre d’une charogne, empuantissait en permanence l’air à cette profondeur.       Devant Dun Eyr s’élargissaient les murs de pierre, et une large trouée de lumière rouge semblait se découper au loin ; peut-être allaient-ils retrouver le Double-Escalier, qui autrefois avait couru dans Almia au travers des grandes galeries. Les yeux de Dun Eyr butaient cependant sur des formes géantes, et irrégulières, qui ne rappelaient en rien le contour précis et harmonieux des Marches Dorsales autour desquelles s’enroulait la cité. Le Nain fit encore une quinzaine de pas vers les lueurs rougeoyantes ; un concert de piaillements aigus commençait à tinter à ses oreilles, empli d’accents étranges et répugnants.
      « Il y a quelque chose par là-bas, s’écria le Haut-Prêtre au reste des Nains, quelque chose d’immense et d’où s'écoule toute cette odeur de peste... »
      A son tour Dun Eyr convoqua les Runes de Mogar, pour qu’elles appuient l’aura de sa torche : le jarret de Gobelin soudain flamba de plus belle, et une lumière orange s’en alla frapper ce qui avait sans doute été les Escaliers d’Almia.       C’était une bête, une bête immense et démesurée ; une créature si formidable que le Nain ne pouvait voir de son abdomen que quelques ondulations, affalées en travers des Marches de la cité, tandis que la tête du monstre devait se perdre bien plus haut, dans les profondeurs supérieures. Le Haut-Prêtre avait déjà rencontré pareille bête, le jour où Mogar avait abattu son marteau sur Kirgan : c’était un Holwerm, un ver géant. Il avait fallu que Lirgan lui-même torde le cou de la bête pour l’abattre, lorsque Hardrek Ironwrist et Dun Eyr lui avaient livré bataille dans les abîmes de la capitale.
      « Quelle horreur ... murmura le Nain. »
      L’insecte gisait éventré mais encore vivant, et dans sa carcasse enroulée sur le Double-Escalier coulaient des filets gluants de sang et de lymphe. Les flancs du Holwerm avaient été largement percés sur toute la largeur de l’abdomen, et d’étranges silhouettes enflées se réchauffaient sous les membranes transpercées de la bête, lovées dans le creux de ses organes malades. Un coup d’œil aux créatures difformes et Dun Eyr reconnut leurs nez crochus et leurs doigts avides : des Gobelins. Des femelles engrossées, qui mettraient bas dans la chaleur qui suppurait des entrailles du monstre ; de là où il se tenait, le Nain pouvait deviner des douzaines de ces génitrices, chacune porteuse d’une nouvelle engeance.       Le Haut-Prêtre en eut le souffle coupé ; le faisceau surnaturel de sa torche balayait maintenant les abords du Holwerm, et sous la carcasse titanesque se laissaient deviner les angles de ce qui avait été les Marches Dorsales. Mais celles-ci se trouvaient à présent ravagées par le Sang-Vert, et la pierre poreuse était forée par endroits comme si une grêle d’acide l’avait rongée. Depuis le côté éventré de la bête, des gouttes de pus aux reflets verts tombaient parfois sur les reliefs du Double-Escalier.
      « Agrarald ! tonna soudain Dun Eyr. »
      Un haut-le-cœur saisit le Nain ; la scène de ce monstre noyauté par la vermine était effroyable, et l’odeur empirait à mesure que l’on se rapprochait des entrailles transpercées. Seuls les Vertegueules avaient pu élire domicile dans cette atroce puanteur sans être chavirés par la nausée.
      « Agrarald ! Les Gobelins ont colonisé le Holwerm, c’est par ses boyaux qu’ils pullulent et croissent toujours davantage ; ils entretiennent juste assez les plaies, pour que la bête ne meure pas. Et regarde le pus, il a putréfié toute la bonne roche autour de la carcasse : c’est le monstre qui propage le Sang-Vert. »
      Face à la démesure du spectacle, les Nains se sentaient écrasés ; leur petite équipée de cinq barbes — maintenant réduite à quatre — paraissait ridicule face à ce qu’ils avaient mis à jour. Mais dans l’esprit de Dun Eyr, déjà, de plus sombres pensées se formaient et l’assaillaient : comment les Gobelins avaient-ils pu réaliser une forme de vie aussi efficace ? Cette symbiose à la fois étendait leur race, protégeait leurs nouvelles bêtes, et rendait la montagne invivable pour les Nains en verdissant la pierre. Le Haut-Prêtre repensa au piège qui avait broyé Trogan, quelque six profondeurs plus haut, et un pressentiment funeste vint encore assombrir son front déjà labouré par l’inquiétude.
      « Le Holwerm est encastré dans l’Escalier, les Gobelins doivent le nourrir eux-mêmes, lança Dun Eyr en levant les yeux vers les galeries supérieures, là où devait gésir la tête du monstre. Mais quelle sorte de Gobelin peut savoir comment maintenir une telle bête en vie ? »
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Ven 15 Mar 2013 - 23:34 | |
| Ainsi Trogan n’avait pas survécu. Tout en confectionnant du mieux qu’il le pouvait des protections pour ses pieds à l’aide des linges que lui avait passés Dun Eyr, Agrarald récita à voix basse une courte prière en sa mémoire. Pareil Nain aurait mérité bien mieux que ces quelques bénédictions récitées dans la pénombre d’un tunnel inconnu, mais c’était là tout le luxe qu’Agrarald pouvait lui offrir. Des paroles rudes mais sincères et la promesse qu’une vengeance viendrait un jour prochain. Avec des gestes précis, fruit d’une trop longue habitude, Agrarald termina le rituel en conjurant une flammèche dans sa paume. Il la porta à ses yeux et la fixa intensément jusqu’à distinguer dans ses ondulations la figure de Trogan. Puis, ainsi que le voulait la coutume, il la laissa s’éteindre doucement, soufflée par quelques divinité tellurique. Ce faisant, tandis qu’une mince fumée blanche se perdait dans l’obscurité, il conclut le rituel par ces mots :
Puisses-tu retourner au Père, Trogan fils de Breanor Largetranche. Que le souvenir de cette flamme te guide dans l’obscurité de Tari et qu’ainsi Mogar demeure à tes côtés.
Frappant le poing de sa main droite contre la paume de la gauche, Agrarald inclina la tête et se recueillit quelques secondes. Pour l’heure, la caverne était calme, à peine troublée par les gémissements de Derntor et Baltor. Mogar seul savait quand pareil moment de paix se représenterait. De Trogan, le fil de ses pensées s’égara, porté loin dans le temps et l’espace à la recherche de visages qu’il pensait avoir oubliés. Lorsqu’il releva la tête, le regard du vénérable prêtre semblait lointain, coupé du monde par les voiles du deuil. Combien d’amis ces galeries avaient-elles vu tomber sous les coups des Vertegueules ? Depuis les longues années que lui et sa colonie s’étaient installés en ces lieux, le vieux Nain en avait presque perdu le compte. Pourtant dans les premiers temps de leur installation, il avait tenu un registre. Mais, attristé par le nombre des feuillets qu’il lui fallait rajouter, il avait finalement décidé de laisser les morts reposer en paix. Confiés à la garde vigilante de Tari, ils n’étaient pas plus mal lotis que bien des vivants.
La voix de Dun Eyr tira Agrarald de ses sombres méditations. Sans perdre une seconde, pressé par l’urgence qui sous-tendait la voix du Lirganique, le Haut-Prêtre de Mogar se hâta de rejoindre son camarade. A peine eut-il la présence d’esprit de récupérer son sceptre qui était tombé non loin de lui. Il retrouva Dun Eyr face à une corniche qui laissait entrevoir le dernier niveau de la cité. De leur poste d’observation légèrement surélevé, quelque part entre le septième et le huitième niveau de l’ancienne Almia pour autant qu’Agrarald pouvait en juger, les deux Nains avaient une vue parfaite sur ce qu’il restait des Marches Dorsales. L’ancien escalier, fierté d’Almia, n’était plus que l’ombre de lui-même. Là où naguère une douzaine de Nains auraient pu marcher de front, faisant résonner leurs bottes ferrées sur de larges marches de granit, ne trouvait-on plus désormais que ruines et failles béantes. Des pans entiers de maçonnerie s’étaient effondrés, entrainant dans le vide marches, rambardes sculptées et statues des Anciens. Constater les dégâts que les Marches avaient subis aurait suffi à entamer le moral d’Agrarald, mais ce qu’il avait devant les yeux dépassait ses pires cauchemars.
Ainsi donc, la Colère de Mogar a frappé Almia plus durement encore que je ne l’avais craint. Il n’a pas déchaîné contre nos frères du nord que feu et violence. Non content d’avoir rappelé les Vertegueules, et ce disant Agrarald cracha sur le sol malade de la caverne, il a lâché sur Almia la pire abomination qui se puisse imaginer. Après une courte pause, il reprit : Ces vers des volcans résistent au feu. Même ma magie est impuissante contre eux. Je pourrais y épuiser mes sortilèges qu’il ne sentirait rien. Et pour ne rien arranger, voilà que ces Rakhâs ont trouvé le moyen de tirer profit de sa présence.
Appuyant ses deux mains sur le pommeau de son sceptre, il continua d’observer le Holwerm et sa funeste progéniture à la lumière de la torche de Dun. Au bout de quelques secondes, il saisit la main de son compagnon et lui fit baisser sa torche. Alors seulement, il dit d’une voix sourde vibrant de colère.
Cette lumière pourrait trahir notre présence et nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour risquer un assaut frontal… Encore qu’emporter certains de ces chiens dans le royaume de Tari suffirait à mon bonheur pour l’instant.
Malgré la haine que lui inspiraient les Vertegueules, Agrarald s’efforça de se calmer. Mourir aujourd’hui ne sauverait pas la colonie et, s’ils voulaient revenir saufs de cette expédition, les quatre Nains auraient besoin de toute leur tête. D’un doigt empoissé de sang et de bile, Agrarald désigna à Dun Eyr les filets de pus qui sourdaient du corps à l’agonie du Holwerm.
Je pense que tu as vu juste pour ce qui est de la maladie qui ronge le cœur d’Almia. Mais je doute que le seul pus de cette immonde bête suffise à contaminer notre cité. Le mal s’étend sur de trop nombreux kilomètres. Sans compter que qu’il remonte en direction de la surface… Je soupçonne quelque magie gobeline d’être à l’œuvre ici. J’en jurerais. Après un dernier regard, Agrarald se tourna en direction de la caverne où les deux frères les attendaient. Viens, dit-il, il nous faut décider que faire maintenant.
En quelques minutes, Agrarald expliqua ce qu’ils avaient découverts à Baltor et Derntor. Ces derniers écoutèrent en silence, se bornant à grimacer sous le coup des révélations. Lorsque son exposé fut terminé, Agrarald observa les trois Nains qui lui faisaient face. De sa voix grave et caverneuse, habituée à haranguer les foules dans les temples de Mogar, il dit :
Peu de choix s’offrent à nous, mes amis. Et je ne pense pas qu’il existe une voie facile pour ce qui nous attend. Nous avons déjà perdu Trogan et je crains à présent il ne nous faille abandonner Marbienna et Gorlart. Les informations que nous détenons prévalent sur l’objectif qui était le notre au début de cette expédition. Comme à regret, il ajouta à voix basse : Il nous faut découvrir quels secrets se cachent derrière cette monstruosité. Après une seconde de réflexion, il reprit : Je pense savoir où nous nous trouvons. Je crois être déjà venu dans ces galeries avec mon père quand j’étais jeune. Laissez-moi vous montrer.
Alors tout en explicitant ses souvenirs, le vieux tenta de dessiner une carte schématique pour ses camarades. Le tracé en était grossier et pour le moins approximatif. Agrarald reconnaissait d’ailleurs que sa mémoire pouvait leur jouer des tours. Il n’était venu que peu de fois dans cette partie de la cité, néanmoins, s’il ne se trompait pas, les quatre compagnons se trouvaient dans une ancienne mine annexe. Ces cavités peu exploitées avaient été percées dans le mur nord d’Almia alors que les Nains étaient tombés sur une veine riche en minerai de fer. Malheureusement, la veine s’était vite tarie et le complexe minier avait été abandonné. Ses tunnels laissés à l’abandon s’étendaient d’ouest en est et remontaient sur plusieurs niveaux. Leur plan était complexe et pour le moins chaotique. Il était presque impossible de s’y repérer sinon au moyen de quelques marques qu’il serait aujourd’hui difficile de retrouver. Malgré tout les quatre compagnons n’avaient d’autre choix que de s’y aventurer.
Mes frères, mon sang hurle vengeance. J’ai envie de fendre des têtes de gobelins, de répandre leurs cervelles pour venger la mort de Trogan et de tous ceux qui l’ont précédé. Cependant, si je ne doute pas que nous parviendrions à tuer ses maudites femelles et le fruit impie de leurs entrailles, nous n’avons rien à gagner dans pareille entreprise. Avant d’attaquer il nous faut savoir ce que nous risquons de réveiller. Tapotant du doigt la carte qu’ils observaient, Agrarald poursuivit : La tête du Holwerm doit se trouver quelque part dans les niveaux supérieurs et c’est là que sont les réponses que nous cherchons. Ces tunnels nous y mèneront loin des yeux inquisiteurs des Rakhâs. Alors, si Mogar nous sourit, nous saurons comment réagir.
Guettant un signe d’assentiment sur le visage de ses amis, Agrarald fixa son regard sur chacun d’eux. L’un après l’autre, ils lui répondirent. Ainsi, les quatre se mirent une nouvelle fois en route. Leur marche dans les tunnels abandonnés fut longue et difficile. A chaque croisement, ils tâtonnaient à la recherche des marques laissées par ceux qui les avaient précédés en ces lieux. Ils errèrent longtemps à la recherche d’une échelle leur permettant de remonter. Agrarald en venait même à douter de la pertinence de son idée, lorsque le passage s’ouvrit enfin devant eux. Ce n’était guère plus d’un étroit boyau qui montait presque à la verticale. Mais, bien des années plutôt, ses parois avaient été évidées pour laisser libre l’emplacement des mains et des pieds en un escalier rudimentaire. Au terme de leur ascension, les compagnons arrivèrent dans une nouvelle galerie aussi sombre que celles par lesquelles ils étaient déjà passés. Néanmoins, la roche moins affectée qu’au niveau précédent, leur renvoyait une étrange pulsation. Il fallut de longues minutes à Agrarald pour comprendre qu’il entendait les échos de nombreux tambours résonnant avec force. Non sans précaution, ils se remirent en route guidés par leur ouïe. Alors que les sons se faisaient plus insistants, une lueur apparut au bout du tunnel. A travers une fissure, les Nains virent un spectacle qui les saisit d’horreur. Les Vertegueules étaient réunis près de la tête du Holwerm. En une parodie de cérémonie, ils le nourrissaient de tout ce que leurs rapines leur avaient procuré. Pour affreux que fut ce spectacle, ce ne fut pas lui qu’observa Agrarald. Le vieux Nain n’avait d’yeux que pour l’horrible homoncule qui présidait ce macabre festin. Plus grand que les Gobelins qui l’entouraient, il donnait l’impression de les diriger tous. Plus que sa taille, ce fut son aspect hideux qui retint l’attention d’Agrarald. La créature, car Agrarald se refusait à lui donner le nom d’homme, était tout en chair flasque et corrompue. Adipeuse, des pans entiers de chair molle et gluante pendaient sur ses flancs déformés. Son aspect aurait pu être grotesque sans l’impression de puissance malsaine qui s’en dégageait. Tandis qu’il levait régulièrement son sceptre, ordonnant ainsi qu’on amenât plus de viande à l’Holwerm, Agrarald crut discerner sur sa poitrine le symbole de Mogar tracé en runes purulentes et maladives qui semblaient suinter du même pus qu’il avait vu un étage plus bas. Effrayé à l’idée de ce que cela pouvait signifier, le Mogariste recula, abandonnant sa place près de la fissure à ceux de ces amis qui oseraient s’y aventurer.
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| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Lun 18 Mar 2013 - 4:26 | |
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      Parvenus au sommet de l’escalier grossier, et qui derrière eux béait à pic, les quatre Nains se trouvaient à présent embusqués sous le renfort d’un rocher ; Agrarald, en avant des trois autres, avait passé la tête par-dessus l’anfractuosité et scrutait le mystérieux spectacle du Holwerm et de ses gardiens. Lorsque le Mogariste revint à l’abri de la pierre, la face livide et les yeux perdus, Dun Eyr escalada le rebord et tendit, à son tour, la barbe vers la scène sauvage.
      « Par les Miroirs du Moqueur ! s’exclama le Haut-Prêtre d’une voix étouffée. »
      Là se trouvait bien la gueule grande ouverte du Holwerm, et entre les mâchoires du vers géant, aux dents longues et parfois brisées, les Gobelins déversaient des flots de viande et d’autres étranges substances. Mais c’était la figure tordue, dressée sur une carrure large et rebondie, qui capta l’attention de Dun Eyr : l’abomination qui régnait sur cette cour macabre était une bête plus grande que toutes les Vertegueules alentour, et dont la figure épaisse était rongée par la maladie. Des lambeaux putréfiés pendaient depuis sa bedaine fendue jusque sur le sol, et du pus aux reflets jaune s’écoulait tristement hors de ses plaies éventées ; une odeur effroyable recouvrait la scène, pire encore qu’auprès des flancs ouverts du Holwerm, trois profondeurs plus bas.
      Quelle était cette nouvelle horreur qui commandait aux Gobelins et régulait le festin ? Dun Eyr n’avait jamais croisé pareille créature dans ses nombreuses aventures, pas même dans les contrées corrompues de l’Est ; et cela ne ressemblait à rien de ce qui peuplait les grimoires que le Nain avait pu parcourir, du temps de la grande bibliothèque de Kirgan. C’était assurément là une bête solitaire, la seule de sa lignée, et aucune race ni espèce ne devait produire une telle difformité. Sur sa poitrine couturée et fendue, s’étalait largement ce qui avait pu être la Rune de Mogar ; Dun Eyr frissonna à retrouver le blason du Père sur le thorax labouré de cette insanité. De la gueule édentée de la chose, étaient crachés des ordres sévères, dans aucune langue qu’une oreille de Nain aurait pu comprendre.
      « Quelle est cette bête que Mogar a éveillée, Agrarald ? murmura le Lirganique d’une voix inquiète, sans quitter son petit promontoire. »
      La monstruosité faisait face aux mâchoires toujours avides du Holwerm, et autour de ces deux créatures s’organisait la ronde des Gobelins porteurs de viande. Les Vertegueules n’avançaient que précautionneusement jusqu’à la gueule sans fond du ver géant, dont une seule canine aurait perforé de part en part leur constitution débile et faible ; et ces portefaix jetaient, plutôt qu’ils ne versaient, leur cargaison sanguinolente entre les crocs de la bête, toujours veillant à laisser leurs bras rachitiques hors de portée des dents se refermant en couronne. Dans l’obscurité de la caverne, Dun Eyr peinait à discerner ce qu’était la viande que les Gobelins offraient au Holwerm ; certains des morceaux semblaient se trémousser encore, d’autres remuer, mais le Nain ne pouvait percer l’ombre et la poussière qui les enveloppait.
      Autour de la créature de Mogar, les Gobelins n’approchaient pas non plus ; le respectueux détour qu’observaient les Vertegueules, faisait comme une aura de puissance à la chose qui brandissait là son sceptre au-dessus de ses serviteurs. Mais ce n’était pas la peur d’y perdre un membre, qui semblait retenir la vermine d’oser un pas de trop : dans leurs yeux chassieux, et fuyants, passait comme une crainte révérencieuse. Certains Gobelins, parfois, déposaient une dent devant les pattes putréfiées de la créature, comme pour l’honorer.
      Un souvenir fugace revint à l’esprit du Nain, un savoir glané dans les archives profondes de l’antique Kirgan.
      « Le dieu Gobelin, grommela Dun Eyr, la Bête Sacrée — ou du moins, c’est ce pour quoi le prennent les Vertegueules... quoi que soit cette horreur. »
      Le Haut-Prêtre en avait assez vu. Courbé sur lui-même, il tourna la barbe vers ses compagnons restés sous le couvert du rocher.
      « Nous remontons, Agrarald, par une voie ou l’autre. Ce serait folie pour quatre Nains d’attaquer cette créature-là. »
      Dun Eyr allait se laisser tomber auprès d’Agrarald, lorsqu’un éclat rouge attira son regard, sur la droite du Holwerm et du dieu : c’était une barbe, d’une belle couleur vive, et dessous se profilait la silhouette d’un Nain — un Nain encore vivant, et qui remuait. Quatre Gobelins le portaient, et allaient le présenter aux mâchoires claquantes du ver géant.
      Voilà pourquoi certaines nourritures hoquetaient encore : les Gobelins livraient de la viande vivante au gosier du monstre. Pour le Haut-Prêtre, c’était comme s’il avait été crocheté par des Gobelins, et son souffle s’était brusquement coupé : il connaissait cette barbe.
      « Gorlart ! s’étouffa Dun Eyr. »
Dernière édition par Dun Eyr le Mar 23 Déc 2014 - 17:18, édité 2 fois |
| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Ven 22 Mar 2013 - 23:26 | |
| Hanté par la vision qu’il venait d’avoir, Agrarald s’était accroupi à même le sol gluant de la caverne sans penser une seconde à ce que le SangVert pourrait faire à ses chausses. Son sceptre reposait sur ses genoux, tandis que d’une main lasse le vieux Nain se massait les tempes. La question que venait de poser Dun Eyr obnubilait toutes les pensées du Mogariste. Qu’était cette créature ? Comment expliquer sa présence dans les galeries d’Almia et, surtout, pourquoi arborait-elle une rune de Mogar sur son torse maudit ? Pour l’heure Agrarald n’avait aucune certitude. Seul un sombre pressentiment l’habitait. Pour malsain que puisse être l’aura qui se dégageait de ce corps meurtri et dégénéré, elle n’était pas dénuée d’un certain attrait pour le vieux Nain. L’eut-il perçue sans en connaitre la source véritable qu’il eût pu se méprendre et croire en un écho de la Colère de Mogar. Le corps tout entier du vieux Nain vibrait à l’unisson des vagues de magie qui se déversaient de l’abomination. Par ses muscles, ses tendons et jusque dans ses os, le Mogariste percevait l’appel contrefait de son Dieu tutélaire. D’une voix pâteuse et lointaine, comme s’il luttait pour s’exprimer, Agrarald répondit au Lirganiste :
- Je doute qu’il s’agisse du Dieu des Gobelins. Je n’ai jamais cru à cette chimère. D’un geste de la main, Agrarald désigna les Râkhas qui grouillaient sur le sol derrière lui avant de reprendre. Je refuse de croire que ces créatures aient pu naître d’un dieu. Fut-il aussi contrefait que le monstre qui nous fait face. Après un silence qui sembla durer une éternité dans la pénombre de leur tunnel, le vieux Nain ajouta dans un souffle : Si mes sens ne me trompent pas, nous faisons face à bien pis. Je crains que nous ne soyons les témoins de l’incarnation de la Colère de Mogar. Une partie de sa haine et du dégoût qu’il avait pour nous semble s’être incarné en cette chose. Peut-être nourrie par la haine que les Vertegueules nous vouent. Voilà qui expliquerait son air corrompu et la profonde répulsion qu’elle m’inspire.
Ayant ainsi parlé, Agrarald se mura dans le silence. Mais tandis qu’il tentait de faire le tri dans ses pensées, les paroles de Dun Eyr trouvèrent leur chemin jusqu’à ses oreilles. Ce dernier, non sans prudence, l’exhortait de remonter au premier niveau de la cité sans attendre. Ils avaient d’importantes informations à transmettre et il serait folie de mourir ici sans avoir prévenu la colonie du danger qui grandissait sous ses pieds. Mogar seul savait ce que cette étrange présence avait en tête. Alors qu’il s’apprêtait à donner le signal de la remonté sous les regards anxieux de Derntor et Baltor, Agrarald fut stoppé dans son élan par l’exclamation de Dun Eyr. Se ménageant une place au côté de son compagnon, le Mogariste fixa, incrédule, la scène qui se jouait sous ses yeux. Porté par quatre Gobelins, Gorlart était lentement mais inexorablement entrainé en direction de la gueule avide du Holwerm. S’il criait, Agrarald était incapable de l’entendre : les tambours omniprésents s’étaient faits assourdissants à présent. Le Haut-Prêtre de Mogar observait les gesticulations du fier guerrier qu’il avait bien connu. Ce dernier, dépouillé de tout vêtement, désarmé et impuissant semblait un simple jouet entre les mains de ses bourreaux. Par de nombreuses plaies superficielles, son sang sourdait lentement, se mêlant au SangVert sur le sol gluant de la caverne. Lentement, comme s’ils obéissaient à un rituel ancestral, les Gobelins l’amenèrent près de la créature. Cette dernière lui fit face durant de longues secondes. Pour Agrarald, le temps semblait s’être figé. Il observait cette scène et malgré la colère et le dégoût qui l’envahissaient, il était incapable d’agir ou même de détourner la tête. Il vit la créature s’approcher de Gorlart. Tandis qu’un sourire pervers naissait sur les bajoues tremblotantes de la bête, celle-ci leva haut son sceptre afin que tous les Gobelins puissent le voir. Puis, sans se presser, elle plongea sa main gauche dans le gosier de Gorlart. Agrarald mit de longues secondes à comprendre la scène qui venait de se jouer devant ses yeux, mais, sitôt qu’il vît la langue sanguinolente de son ami pendant entre les mains de l’abomination, il dût se rendre à l’évidence. Obéissant visiblement à un rituel aussi ancien que pervers, la créature traça lentement à l’aide de la langue du Nain des runes impies sur son corps supplicié. Lorsqu’elle eut terminé sa sinistre besogne, elle se débarrassa de la langue en la jetant dans un brasier. Visiblement satisfaite, elle fit signe aux porteurs Gobelins de disposer du Nain. Celui-ci fut finalement jeté, vivant, dans la gueule du Holwerm.
- Gorlart, non ! souffla Agrarald.
Mais avant qu’il ne puisse prendre la moindre décision sur ce qu’il convenait de faire, un mouvement parmi les Gobelins attira son attention. Loin dans la caverne de nouveaux porteurs s’avançaient déjà. Il n’y avait guère de doute sur la nature de leur charge. Brienna allait subir le même sort que Gorlart si les quatre compagnons n’intervenaient pas. De la voix grave et sourde qui avait toujours était la sienne lorsqu’il assistait les Rois de la Montagne lors des guerres naines, Agrarald recommanda à Derntor de reculer mais de se tenir prêts à intervenir. Puis il se tourna en direction de Dun. Rivant ses yeux à ceux de son ami, il souffla.
- Depuis que nous avons pénétré dans ses tunnels, rien ne se passe comme nous l’avions prévu. Trogan est tombé le premier. Gorlart l’a suivi. Je refuse que Brienna les rejoigne. Mais avant de risquer nos vies et celles de la colonie toute entière, je dois te poser une question. Agrarald jeta un regard par-dessus son épaule afin de juger de l’avancée des porteurs. Le temps allait bientôt lui manquer mais il n’avait pas le choix. S’assurant que Derntor et son frère n’étaient pas à portée d’oreilles, il reprit : Depuis que nous nous sommes lancés dans cette aventure, je t’ai vu tracer des runes de Mogar mais pas une seule fois celles de Lirgan. Avant cela, dans ma tente, j’ai lu le doute au fond de tes yeux. C’est une image que je ne connais que trop car elle m’a longtemps accompagné après la Colère du Père. Mais à présent il faut que je sache : puis-je compter sur le Haut-Prêtre de Lirgan dans la bataille à venir ou dois-je te renvoyer prendre soin de la colonie ?
Agrarald n’avait que trop conscience de la dureté de ses propos et du doute qu’il pouvait faire naître chez son ami, néanmoins l’heure était trop grave pour s’embarrasser de tels scrupules. Seule compterait la puissance qu’ils pourraient déchaîner dans les minutes à venir. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Ven 29 Mar 2013 - 22:23 | |
|       Le hurlement d’effroi de Gorlart précipité au travers du gosier sans fond, n’avait pas encore fini de tinter aux oreilles de Dun Eyr, que déjà les tambours des Gobelins reprenaient le dessus et battaient un rythme cruel sous les parois des cavernes. Embusqué derrière les rochers, le Haut-Prêtre ne parvenait pas à détourner le regard de la Bête de Mogar, dont le poing ruisselait encore du sang dégouttant d’une langue arrachée. Les Gobelins étaient des créatures débiles et faibles, mais cette sombre engeance les avait tournés en une machine infernale et capable de broyer la Montagne de l’intérieur ; son sceptre tordu battait la mesure tandis qu’une nouvelle victime était amenée vers la gueule béante, et Dun Eyr reconnut alors Brienna.       A ses oreilles bourdonnantes, la voix rude d’Agrarald fit l’effet d’un coup de masse, et le Lirganique fut ramené brusquement à leur situation compromise : ils n’étaient plus que quatre Nains, réfugiés dans l’ombre d’un rocher, tandis qu’une petite horde de Vertegueules allait abattre une autre de leurs sœurs. Une terrible dureté était répandue dans le regard d’Agrarald, et le Lirganique — s’il méritait encore ce titre ? — écouta sans mot dire la requête de son ami ; tandis que les tambours tonnaient à un jet de pierre de là, Dun Eyr devait se pencher sur le Dolbarg’Ma pour distinguer ses paroles acérées.
      « Tu as raison, Agrarald, répondit son compagnon, courbé en deux vers l’oreille du Mogariste pour se faire entendre, j’ai évité d’en appeler au Moqueur car ses oracles sont troublés ; voilà que je dois lire dans le sang pour démêler ses prophéties. Il y a quelque chose de changé dans le culte de Lirgan... »
      Le regard du Haut-Prêtre s’égara jusqu’à rencontrer les mines abattues de Derntor et Baltor ; même les jumeaux, pourtant les plus fiers bagarreurs de tout l’Almion, pâlissaient à sentir le choc des tambours cogner à leurs tympans éprouvés. Jamais les quatre Nains qu’ils étaient, ne viendraient à bout de cette meute goguenarde qui alentour piaillait ; pas même si Lirgan les armait de pied en cap, et les bénissait de tous ses tours et sortilèges.
      « Nous n’aurons pas ces râkhas sans aide, Agrarald gronda Dun Eyr, pas cette fois. »
      Au-dessus de leur cachette derrière les rochers, le ciel de pierre était lui aussi rongé par le Sang-Vert ; la peste courait sur toutes les parois et environnait les Nains, filon malade et interminable qui s’étalait jusqu’au gosier du Holwerm et aux Gobelins alentour. L’air était infesté, comme saturé par cette engeance qui menaçait de faire rompre la Montagne ; Dun Eyr sentait la poussière diffuse des pierres s’engouffrer dans sa gorge et venir lui verdir les poumons. Si la pourriture continuait à se propager à cette vitesse, bientôt les Nains devraient abandonner tout espoir de reprendre pied dans les profondeurs d’Almia : elles seraient acquises aux plus sombres des bêtes, celles qui croissaient et prospéraient dans les miasmes et les effluves poisseuses...       A contempler la pierre intoxiquée, soudain une idée jaillit dans l’esprit de Dun Eyr. En un bond il fut à la paroi la plus proche, là où s’étalait largement l’empreinte du Sang-Vert jusqu’aux tréfonds du grès ; le Nain retroussa ses manches, et entre ses doigt jaillit le stylet des Runistes.
      « Les querelles de foi attendront bien, Agrarald, s’exclama le Lirganique. Ce n’est pas un jour pour avoir des vapeurs et des doutes. »
      D’un geste moins précis qu’à l’habitude, peut-être tremblant, Dun Eyr esquissa le vaste blason du Moqueur en travers de la paroi, et sa pointe faisait suppurer de la roche des gouttelettes vertes comme d’une plaie putréfiée. En un revers le Nain avait écaché la Rune, et il plongea profondément les deux poings dans la pierre maladive et gonflée comme une éponge. C’était se précipiter nu dans un brasier effroyable : des morsures acides lui rongèrent aussitôt les jointures, et corrompirent ses chairs livrées à l’engeance. Mais le Lirganique n’y prêta pas attention, car derrière lui les tambours ne s’étaient pas tus, et la procession de Brienna progressait toujours jusqu’au gosier avide. Les doigts enfouis à pleines poignées dans la paroi verdie, Dun Eyr avait saisi un filon de Sang-Vert et s’échinait à le remonter : guidé par les Runes de Lirgan — plus tressautantes que jamais — l’instinct du Nain sondait et fouillait les cavités environnantes, courait le long des cavernes, maraudait d’une profondeur à l’autre. La toxine attirait la toxine, et dans les recoins les plus empuantis d’Almia, là où la pierre était corrompue et déjà morte, se repaissaient d’obscures créatures ; le Haut-Prêtre allait leur indiquer un nouveau festin.
      « Apprêtez vos haches et vos magies, maugréa un Dun Eyr tiraillé par la douleur. »
      Il arracha ses mains à la roche pestiférée, et un fiel verdâtre s’attardait entre ses doigts et jusque sur ses bras ; le Sang-Vert avait rongé autant la peau que la chair du Nain, recouvrant ses mains de deux gantelets noircis et parcourus de reflets malsains. Une souffrance lancinante lui dévorait à présent les jointures et les poignets, pourtant le Lirganique passa outre ; dans l’Almia assiégée, sauver une sœur Naine valait bien de verser tous les tributs. Dun Eyr tira sa courté épée dans une grimace de douleur, et s’apprêta à bondir depuis leur remblai derrière les rochers ; pourtant il demeura là encore un instant, et ses yeux balayaient la scène toujours inchangée, tandis que la Créature à nouveau levait son sceptre et étendait la main vers Brienna.
      « Brûlez, râkhas, cracha Dun Eyr dans sa barbe sale et emmêlée. »
      Du plafond de pierre au-dessus des Gobelins, un large craquement ébranla la roche comme des pans entiers de pierre putréfiée s’effondraient sur le rituel de la Créature. De vastes tentacules couleur de souffre s’abattirent depuis le ciel sur les Gobelins soudain effarés, et fauchèrent largement leurs rangs. Les tambours avaient cessé, et partout ce n’était que cris et affolement stérile ; les membres gluants happaient des Vertegueules dans l’air et les engloutissaient goulument. Brienna tomba assommée sur une pierre, tandis que ses porteurs imbéciles préféraient rejoindre la gueule du Holwerm plutôt que d’affronter les monstres insaisissables.       Comme la horde s’était dispersée, les tentacules se laissèrent tomber sur plafond pour chasser plus efficacement, et la demi-lumière baignant les cavernes éclaira leur silhouette visqueuse et malsaine. Derrière le dos de Dun Eyr, Baltor lança dans un souffle :
      « Des toxeuroves ! »
      C’était bien cette race dégénérée, recluse dans les recoins les plus empoisonnés, que Dun Eyr avait réveillée dans les profondeurs avoisinantes. Les bêtes n’étaient que deux et, quoiqu’à peine hautes de trois mètres, elles dominaient terriblement les minuscules Gobelins effrayés et qui cherchaient refuge dans les tunnels proches. Les toxeuroves avaient largement moissonné les bestioles, et il ne restait à présent presque plus de Vertegueules ; seul se dressait encore la Bête de Mogar, tandis qu’une masse de tentacules s’approchait inexorablement de ses plaies purulentes. Le deuxième toxeurove poussa un grognement sinistre, et disparut vers les profondeurs des cavernes, sur la piste encore vive des Gobelins anéantis par la terreur. Le Holwerm, affamé, hurlait sa fureur tandis que la Bête se mesurait au sac de tentacules ; mais le ver géant avait été rendu impotent par son sevrage, et il ne pouvait que tempêter sans même menacer les combattants.
      « Agrarald ! tonna Dun Eyr pour couvrir le chaos, détruis le toxeurove ! Il nous faut la Bête vivante. »
      Le Lirganique avisa alors que les mâchoires du Holwerm béaient toujours au-dessus de Brienna, et Dun Eyr bondit depuis son rocher, son épée nue brillant dans sa main noircie par la maladie. Le Haut-Prêtre piétina un Gobelin dans sa course, roula dans les éclaboussures de sang qui avaient mouillé le sol des cavernes, et alors il fut sur la Naine assommée ; celle-ci était en piètre état, le front barré d’une large blessure rouge. Dun Eyr abattit sa lame comme un tentacule égaré tentait de s’emparer de Brienna, tranchant largement dans la chair molle et hideuse de la bête des profondeurs. A force de s’arc-bouter, le Lirganique parvint à éloigner la Naine du cœur des combats ; les mâchoires concentriques du Holwerm claquaient maintenant dans le vide, à cinq pas de là, tandis que tout à côté le toxeurove passait à l’attaque contre la Bête.
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Lun 1 Avr 2013 - 10:52 | |
| Dun Eyr avait à peine commencé à esquisser les premières runes de son sortilège, qu’Agrarald s’était déjà détourné, rassuré par la détermination qu’il avait lue sur le visage du Lirganiste. A présent, après le temps que les Nains avaient passé en vaines paroles, les tambours battaient de plus en plus fort aux oreilles d’Agrarald. Pourtant, le vieux Nain n’y prêta pas attention. Au fil des ans, il s’était tenu sur maints champs de bataille et avait entendu bien pire que le bourdonnement des percussions. Les cris des mourants et des agonisants faisaient une musique autrement plus funeste que celle des VerteGueules. Se tournant vers Derntor et Baltor, Agrarald les observa quelques secondes avant de prendre la parole :
- J’ignore quelle surprise Dun nous réserve, mais je sais qu’au moment d’agir vous serez prêts. Bannissez la peur de votre cœur. Pensez à Trogan ! Pensez à Gorlart ! D’un rapide geste de la main, le Haut-Prêtre de Mogar désigna les porteurs qui amenaient Brienna avant de reprendre : Pensez à Brienna ! Bannissez la peur ! Au besoin remplacez-la par la colère et la haine. Fortifiez vos âmes et devenez de simples outils entre les mains du Père. Lui saura vous guider au plus fort de la bataille. Ayez foi en Lui et faites de votre mieux. Se disant, Agrarald posa ses mains sur les épaules des deux Nains et les pressa fortement. Gâthal na Hagwor !*
Ayant ainsi parlé, le Mogariste se tourna en direction de Dun. Voyant son ami, les mains plongées dans la roche purulente, il fit une grimace et serra les dents. Lui-même ressentait avec une acuité toujours plus grande les brûlures que le SangVert infligeait à ses pieds. Les bandages l’avaient protégé durant la majeure partie de la journée, mais désormais ils étaient presque entièrement désagrégés et, bientôt, il se trouverait en contact direct avec l’infection qui rongeait les couloirs d’Almia. Conscient qu’il n’y pouvait rien et que de plus graves questions le retenaient, Agrarald haussa les épaules et se prépara au combat qui s’annonçait imminent. Quoique manigançât Dun Eyr, le Mogariste savait qu’il aurait besoin de toute sa concentration pour sauver Brienna et prendre la créature vivante. Vérifiant les sangles de son armure, il adressa un dernier regard d’encouragement à Derntor, puis, mu par une grande habitude, il saisit son sceptre et à même la roche suppurante de la caverne traça en quelques mouvement rapides les runes d’une boule de feu. Alors, tandis qu’un grand sourire apparaissait sur son visage et qu’il se laissait envahir par la rage de Mogar, il l’écacha. Quelques secondes durant, les runes se mirent à luire d’une lumière qui leur était propre avant qu’une boule de feu n’éclatât près d’un groupe de gobelins. Et, tandis que Dun Eyr hurlait son approbation et que les flammes venaient lécher les murs malades, les petits corps des VerteGueules se consumèrent.
Les tambours se turent et les Gobelins prirent la fuite comme ils le pouvaient. Aussi Agrarald entendit-il par-dessus les couinements de terreur la voix gutturale de Baltor les mettre en garde. Du coin de l’œil, le vieux Nain vit la raison de la crainte qui transparaissait dans l’appel du guerrier. Pourtant, sans même prendre la peine de se retourner, le vieux Nain sauta à bas du renfoncement d’où lui et Dun Eyr avaient observé la scène. Son sceptre dans la main gauche et son poing droit fermement serré sur le manche de son marteau de guerre, il hurla :
- Oui, Baltor, des Toxeuroves. Et réjouis-toi car le Liganique nous joue un tour à sa façon ! Agrarald ponctua sa phrase d’un puissant coup de marteau qui vint enfoncer le crâne d‘un Gobelin qui avait espéré échapper à la créature surgie des profondeurs. Sans reprendre son souffle, le Mogariste hurla de plus belle : Reste loin de leurs tentacules, mon ami. Elles sont mortelles. Concentre toi sur les Râkhas qui passent à ta portée et laisse les toxeuroves remplir leur office. Il y a suffisamment à manger pour qu’elles ne veuillent pas d’un Nain pour le dessert.
Tandis qu’il luttait pour sa survie et celle des siens, Agrarald sentait une énergie nouvelle parcourir ses veines. Alors qu’il aurait dû être épuisé, affaibli et apeuré ; il se sentait au contraire rajeuni. Mogar était à ses côtés, présence presque tangible. C’était pour que Son Peuple se souvienne de moments pareils que le Père avait engendré toutes ces souffrances et déclenché les cataclysmes qui avaient amené le Petit Peuple au bord de l’extinction. Aujourd’hui, au plus sombre de leur histoire, les Nains redevenaient ce qu’ils auraient toujours dû être : un peuple de guerriers prêts à mourir pour une juste cause. Alors qu’il s’enfonçait dans la mêlée, abattant les Gobelins qui se risquaient trop près de son marteau de guerre, Agrarald entendit la voix de Dun Eyr. Du coin de l’œil, il vit son ami approcher du corps de Brienna et tendre la main pour lui montrer la scène qui se jouait sur sa gauche. A quelques mètres de là où Agrarald combattait, adossée au mur de la caverne, la créature agitait vainement son sceptre en direction d’une toxeurove qui s’approchait lentement. Depuis que les Gobelins avaient pris la fuite, la misérable engeance qui les avait dirigés semblait avoir perdu de sa superbe. Agrarald avant le sentiment qu’une grande partie de sa puissance venait de ce que les Râkhas l’adoraient. Malheureusement, l’heure était mal choisie pour résoudre ce mystère. Car si le Haut-Prêtre de Mogar n’intervenait pas rapidement, la créature disparaitrait à jamais dans l’estomac de la toxeurove qui la menaçait. Et avec elle, mourraient les réponses aux questions que les Nains se posaient.
Essuyant d’un geste de la main le sang qui maculait son visage, Agrarald murmura dans sa barbe :
- A nous deux, ma belle ! Il est temps de te renvoyer d’où Lirgan t’a tirée. Il ajouta ensuite d’une voix forte à l’attention de ses compagnons : Compte sur moi, Dun. Baltor ! Cours à l’extrémité de cette galerie et tiens-nous au courant du retour des Gobelins. Derntor, protège Dun et Brienna !
Du côté de l’Abomination et de la toxeurove, les choses s’annonçaient mal. Un des tentacules de la créature s’était déjà accroché à la jambe du chef des Gobelins. Un regard en direction du visage bouffi du monstre apprit à Agrarald tout ce qu’il devait savoir. Les toxines de la toxeurove étaient visiblement déjà à l’œuvre : s’il n’intervenait pas rapidement, le mortel poison allait s’accumuler dans les chairs de la créature et les Nains pourraient dire adieu aux réponses qu’ils espéraient. Sans réfléchir une seconde de plus, Agrarald se munit de son sceptre et traça avec application les runes d’un puissant sortilège. Fermant les yeux, il adressa une courte prière à son Dieu avant de l’écacher. Les runes prirent vie et de hautes flammes séparèrent immédiatement la toxeurove de sa victime désignée. Sous l’effet de la colère, la créature invoquée par le Lirganique se retourna et reporta toute sa hargne en direction du Haut-Prêtre de Mogar. Ce dernier, lui fit face bravement. Son sceptre dans une main et son marteau de guerre dans l’autre, il l’observait tandis qu’elle se rapprochait inexorablement. Son long corps laissait une étrange trace dans la pierre malade d’Almia tandis qu’elle rampait sur ses tentacules. Son abdomen était tout entier recouvert d’une épaisse carapace qu’il semblait presque impossible de percer. Choisissant de concentrer son attaque sur les tentacules plus vulnérables, Agrarald lança une boule de feu aux pieds de son ennemie. Cette dernière esquissa un mouvement de recul que le Mogariste mit à profit pour lui porter un rapide coup de marteau. Il sentit alors, non sans plaisir, le fer de son arme s’enfoncer dans les chairs molles de la créature. Sans perdre une seconde, il instilla une langue de flamme dans l’ouverture ainsi crée et brûla le tentacule. Déséquilibrée, la monstruosité s’effondra. Avant qu’elle ne puisse se relever, Agrarald poussa son avantage, l’inondant sous les flammes sacrées de son dieu. Lorsqu’elle fut réduite à un amas de chairs carbonisées que n’animaient plus que des spasmes épars, le vieux Nain s’accorda un instant de répit.
Laissant choir son casque, il rejeta ses cheveux en arrière et épongea son front où sang et suie s’étaient accumulés. Faisant du regard le tour de la caverne, il vit Baltor qui lui faisait signe que les Gobelins étaient en déroute, poursuivis par la toxeurove survivante. Près de la bouche béante du Holwerm, Dun et Derntor s’affairaient autour du corps immobile de Brienna. Agrarald ne pouvait qu’espérer qu’elle n’était que sonnée. Restait l’engeance qui avait dicté leur conduite aux Gobelins. Sans hâte, avançant péniblement sur ses pieds rongés par le SangVert, Agrarald s’approcha de la divinité. Un regard suffit au vieux prêtre pour comprendre que la créature n’en avait plus pour très longtemps. Le poison instillé par la toxeurove remplissait son office. La jambe que la créature avait mordue n’était plus qu’une masse de chairs gonflées par les toxines. S’il n’intervenait pas rapidement, les Nains ne pourraient pas lui poser la moindre question. Or ils devaient obtenir des réponses s’ils souhaitaient sauver la colonie. Avec des gestes sûrs, fruits d’une trop longue expérience, le vieux Nain planta la lame de son couteau dans la cuisse de la créature. Insensible aux hurlements de rage et de douleur que la Bête poussait, il lui trancha méthodiquement la jambe. Laissant un pus verdâtre s’écouler, il attendit qu’un sang vermeil coulât de la blessure avant de la cautériser à l’aide d’une rune de feu. Visiblement satisfait, assuré que cette intervention brutale allait lui faire gagner de précieuses minutes, il observa le visage de la créature contrefaite. Avant qu’il ne puisse lui poser la moindre question, cette dernière prit la parole d’une voix sourde, profonde comme la roche mais étrangement haut-perchée, sorte de parodie du parlé nain. Bien qu’affaiblie par la douleur et la perte de sang, elle s’exprimait clairement en langue naine. Haine et colère sourdaient à travers la moindre de ses paroles.
- Comment oses-tu, misérable mortel, toucher l’incarnation vivante de ton Dieu. Tombe à genoux et implore mon pardon ! - Tu n’es pas mon Dieu, bête immonde, répondit Agrarald d’une voix lasse. A peine une imitation. Un triste écho de sa Colère. Je le vois clairement, maintenant que je suis plus proche de toi et du pouvoir qui anime tes chairs, ajouta le Haut-Prêtre de Mogar. - Je suis Mogar. Je suis le Père venu châtier ses Enfants. Je commande aux démons de la Montagne et sape jusqu’aux fondements même de la Roche. Je suis le Père ! - Non, tu n’es qu’une imitation nourrie par la folie des Râkhas. Il est d’ailleurs temps pour toi de disparaître dans les flammes, mais avant j’ai quelques questions à te poser. Désignant de la pointe de son couteau la gueule béante du Holwerm, Agrarald demanda : Comment cette chose est-elle tombée en ton pouvoir ? Comment les VerteGueules l’ont-ils réduits à leur merci ? - Non ! Ils n’ont rien fait ! Je suis le Père ! Je commande et ils obéissent. Je suis ici pour les mener à la victoire et créer une nouvelle race. Je suis Mogar !
Rivant son regard aux yeux de la créature, Agrarald n’y lut rien d’autre qu’une profonde folie. Elle avait vraisemblablement prit forme durant la Colère de Mogar. Nourrie par la foi des Gobelins, elle avait crû en taille et en puissance jusqu’à devenir l’abomination qu’Agrarald avait sous les yeux. Résigné, le vieux prêtre s’accroupit près de la bête. Une sorte de tendresse dans la voix, il murmura :
- Tu dois répondre à mes questions, Bête. Il n’y a pas d’autre voie pour toi. Pointant de son marteau les veines gonflées et verdâtres qui remontaient le long du moignon de la bête, Agrarald ajouta : Tu te meurs déjà. Bientôt la souffrance sera telle que tu m’imploreras d’y mettre un terme. Je peux t’aider. Mais avant il me faut savoir. - Mais je suis le Père ! croassa la créature avant qu’une première vague de douleur ne déforme ses traits. - Crois-tu que Mogar ressente la douleur ? demanda Agrarald. Alors, Presque avec compassion, il dit à nouveau : Je peux te venir en aide. Réponds-moi simplement et je t’offrirai le repos du Père. Alors tu sauras. - Je… Je… bafouilla la créature. - Réponds ! grinça Agrarald en appuyant de son maillet sur les chairs purulentes de l’abomination. Pourquoi souffrir inutilement ? - Je voulais faire disparaitre cette cité. Le sang du Holwerm ronge la roche et d’ici quelques mois, toute la montagne se serait effondrée sous son propre poids. Rivant son regard dans celui du Mogariste, la créature ajouta : Ta race doit disparaître, elle est faible et faillible ! Je suis le Père et ne crains ni la mort ni la souffrance.
Comprenant qu’il ne tirerait rien de plus de a créature, Agrarald ferma les yeux avant de tracer sur le thorax de la bête les runes de Mogar à l’aide de son propre sang. Alors, sans une parole, il les écacha et mit fin au supplice et à la folie du dernier avatar de la Colère de Mogar. Laissant les flammes consumer les chairs impies, il s’approcha du groupe formé de Dun Eyr, Derntor et Brienna. Les mettant rapidement au courant de ce qu’il avait découvert, il finit par s’agenouiller près de la Naine et demanda simplement :
- Alors ?
* "Gâthal na Hagwor !" = Courage et Honneur |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Mer 3 Avr 2013 - 22:16 | |
|      « Brienna ! s’écria Dun Eyr en secouant le corps inanimé. »
      Derrière eux, le feu de Mogar avait fait son ouvrage et le toxeurove n’était plus qu’un amas de cendres et de toxines consumées ; une fumée âcre, et noire, empuantissait l’air alentour et allait se former en nuages lourds sur le ciel de pierre. A quelque dix pas de là, le Holwerm hurlait toujours la faim dévorante qui rongeait son estomac sans fond, et ses cris déchirants perçaient les oreilles des Nains. Pourtant, Derntor et Dun Eyr n’y prêtaient pas garde : voilà que les paupières de Brienna frémissaient.
      « Gamut ai-menu* Brienna, souffla le Lirganique alors que la Naine revenait à elle. La Bête est morte. »
      Cela était vrai, Agrarald venait d’offrir le cadeau du trépas à cette aberration extirpée des mauvais songes du Père. Brienna regarda avec soulagement les chairs corrompues retomber mollement, enfin sans vie, sur le sol de la caverne ; déjà des vermisseaux allaient reprendre sur cette bête le tribut de la montagne. Un fumet nauséabond s’élevait de la carcasse décomposée avant même d’être froide.
      « Alors ? demanda un Agrarald aux mains rougies par le sang pestiféré.       — Les Râkhas ne sont pas tendres avec nos frères et sœurs, Dolbarg’Ma, commença Dun Eyr, mais il n’y a aucune plaie à laquelle le temps ne saurait remédier... du moins, je l’espère. »
      Alors que Derntor murmurait des paroles apaisantes à Brienna, Dun Eyr fit courir sa dague sur les bottines de la Naine, et trancha ses braies noircies par la bataille ; de mauvaises estafilades entaillaient là profondément les chairs jusqu’au sang, et une mare rouge ne tarda pas à se former autour des mollets lacérés par les griffes des Gobelins. Apparemment, les Vertegueules apprêtaient leurs mets pour que le Holwerm les trouve plus juteux.
      « Ce sont là de vilaines blessures, Agrarald, estima le Liganique, les cautères ne suffiront pas cette fois ; il faudra ramener Brienna vers la première profondeur, là où nos frères sauront bien la soigner. »
      Les mains du Haut-Prêtre étaient dévorées par le Sang-Vert, aussi il craignait d’infecter les plaies de la Naine en les examinant plus avant. S’excusant de quelques mots, Dun Eyr s’éloigna de Brienna, Agrarald et Derntor ; depuis les jointures jusqu’aux coudes du Lirganique, une douleur fulgurante le transperçait avec férocité. Le Nain serra les dents à s’en rompre les mâchoires ; quel qu’heureux qu’ait été le dénouement, jamais il n’aurait dû commettre la folie de plonger à pleine poignes dans la roche corrompue. Les pieds d’Agrarald semblaient eux aussi verdir de bout et bout, les haillons qui lui servaient de bandage avaient à présent totalement cédé. Avec quel empressement cette engeance les dévorerait-elle ?
      Dun Eyr fut brutalement tiré de sa méditation par un cri, lointain, venu du fond de la caverne : Baltor était en danger ! Des tréfonds de la cavité jaillit un unique Gobelin, les yeux injectés de sang et comme fou, trépignant et glapissant ; l’instant d’après, la créature débile était rattrapée par une masse difforme d’ombres gluantes, le corps cisaillé dans le claquement d’un hideux tentacule. Le second toxeurove avait terminé sa collation de Gobelins, et voilà qu’il ambitionnait d’inscrire les Nains à son festin du jour. A l'extrémité d'une de ses longues pattes désarticulées, une forme étrange et enflée s’agitait dans les airs : déjà noirci jusqu’à la barbe par le mauvais poison, Baltor appelait à l’aide.
      « Khazad ai-menu** ! rugit Dun Eyr en invoquant la puissance des runes. »
      Mais l’effort était vain ; le toxeurove n’avait pas atteint le centre de la caverne, que la faim du Holwerm moissonnait sa pitance. Depuis la gueule hélicoïdale du monstre, une langue rouge et hargneuse foudroya la masse des tentacules et ramena le tout vers ses mâchoires, toxeurove et Nain entremêlés dans un filet de bave brûlante. Alors que le Holwerm attirait à son gosier l’imprudente bête et sa pauvre proie, la voix rageuse d’un Baltor à la limite de la suffocation glapit encore ces injures :
      « Caragu sigm*** ! »
      Dun Eyr ne laissa pas l'écho féroce du Nain se perdre dans les entrailles de la bête ; le Lirganique avait déjà abattu un ver autrement plus colossal dans les profondeurs les plus terribles de Kirgan, au jour de la Colère du Père, et ce n’était pas cette impotente aberration, engluée dans l’Almia et rongée par les Gobelins, qui viendrait retirer aux Nains à nouveau un frère. Les Runes furent vite tracées puis écachées, et l’empoigne de Tari referma un étau de glace sur la langue avide du Holwerm : soudain refroidi, le sang de la bête battit moins vite dans sa gorge de feu, et les braises pâlirent alentour. D’un bond le Lirganique fut sur Baltor, et sa courte épée trancha sans distinction dans les tentacules à demi-déchirées qui pendaient comme des membres brisés autour du toxeurove ; la lame s'enfonçait mollement jusqu'au cœur des chairs empoisonnées. Quelques coups encore, et le Nain avait libéré son frère ; l’instant d’après la glace cédait, et le Holwerm broyait et digérait la bête malsaine.
      Baltor et Dun Eyr roulèrent sur le sol de pierre, ruisselants de bave, et noircis par le poison. Sur la figure tuméfiée du Nain, le Haut-Prêtre voyait progresser l’infection qui devait ronger ses propres mains ; non loin l’horreur de Mogar achevait de pourrir, offrant aux deux malheureux comme un avant-goût de la souffrance qui allait les enserrer. Déjà, dans la gorge démesurément enflée de Baltor, une langue bleuâtre s’étranglait à rompre tous les vaisseaux ; et sur les bras pestiférés de Dun Eyr, les croûtes noirâtres se violaçaient par endroit comme l’engeance se propageait dans son sang. Le toxeurove les avait largement enserrés dans ses rets fatals.
      « Baltor ! rugit Dun Eyr. »
      Mais nul n’entendit ce cri du Lirganique ; au-dessus de ces deux barbes infestées, le Holwerm lui-même se convulsait de douleur. Entre ses mâchoires coniques s’agrippaient des reliquats de tentacules, et tout le mauvais poison avait coulé dans la gorge du ver cyclopéen ; cette bête terrible avait pour elle sa stupéfiante constitution, mais les Vertegueules l’avaient affaiblie, et le toxeurove distillait un venin ravageur dans la trachée du monstre. De la gueule rougeoyante du Holwerm, une salive abondante commençait à perler et écumer comme la bête tentait d’endurer son festin piégé ; la marée blanchâtre déborda du gosier titanesque, et vint tomber en une cascade gluante sur Dun Eyr et Baltor affalés au-dessous. Bientôt, les deux Nains se trouvèrent baignés dans une flaque de salive clapotante.
      Le Haut-Prêtre croisa au loin le regard de Derntor, toujours accroupi au chevet de Brienna : mais dans les yeux du Nain témoin de l’asphyxie de son jumeau, le Lirganique eut la surprise de ne trouver aucune peine. Presque, le bagarreur aurait éclaté de rire ! Dun Eyr ramena son attention sur le malheureux Baltor, pour découvrir que le visage de celui-ci n’était plus couperosé ; sa langue avait retrouvé un volume acceptable, et sous sa barbe dégoulinante de bave de Holwerm, un sourire bagarreur se faisait à nouveau deviner.       Le Haut-Prêtre leva les yeux, et il découvrit toute l’explication de grand prodige :
      « La salive, souffla Dun Eyr. »
      Le ver géant bavait par flots entiers sur les deux Nains libérés du toxeurove, et avec cette marée laiteuse s’envolaient les affres du poison. Les Holwerms étaient des créatures fantastiques, issues des plus épaisses profondeurs de la montagne ; et comme leur sang savait corrompre la roche, leur salive pouvait survivre à des festins létaux. Il fallait bien que Briessa ne fût pas complètement démente, lorsqu’elle avait invoqué pareilles horreurs pour dominer les entrailles du monde. Plus stupéfiant encore, le Sang-Vert lui-même semblait reculer — déjà, les coudes de Dun Eyr reprenaient leur teinte de cuir tanné, et le noir et le vert refluaient vers ses doigts.
      Aux côtés du Haut-Prêtre, Baltor ne se souciait pas de ce petit miracle ; il avait retrouvé son allure batailleuse, et un vaste rire secouait son corps encore saisi par la bave, tandis qu’il bondissait de nouveau sur ses pieds :
      « Par la Sainte-Barbe ! tonna le Nain, c’était une sacrée bagarre, Agrarald ; et toi aussi, Dun Eyr ! Mais Mogar triomphe des Râkhas. »
      Derntor et Baltor, ces deux jumeaux nulle part aussi heureux qu’à la guerre, se retrouvaient et s’empoignaient joyeusement. Dun Eyr peinait quant à lui encore à bouger, les yeux abîmés dans la contemplation du Holwerm et de la précieuse bave qui coulait à flots depuis sa gorge déchirée de hoquets ; tandis que le toxeurove était peu à peu avalé et digéré par le ver géant, sous ses mâchoires tressautantes s’élargissait une mare de salive aux éclats bleutés. Alors qu’alentour la roche n’était que miasmes verdâtres et mous, elle semblait retrouver une apparence de dureté partout où s’étendait la bave.
      « Agrarald ! s’exclama le Lirganique, n’abats pas le Holwerm ; pas encore. »
      Tous les regards des Nains se tournaient à présent vers le monstre ruisselant, et qui déjà réclamait ses nouvelles victuailles. Dun Eyr contempla un instant le cadavre suppurant de la Bête de Mogar, puis il revint au Holwerm hurlant qui persifflait au milieu de la caverne, enlacé autour d'Almia sur plus de cinq profondeurs peut-être.
      « J’aimerais en finir comme toi, Agrarald, admit le Lirganique, et purifier notre cité de cette abomination. Pourtant, quoiqu’attiré ici par le cauchemar de Mogar, ce ver peut encore nous être utile : que nous le nourrissions de poison, ou que nous lui arrachions ses glandes salivaires, et autant qu'il l'a infestée jusqu'à ce jour, peut-être le Holwerm nous offrira-t-il le remède pour curer Almia. »
- Traductions :
* « Gamut ai-menu » : tout va bien. ** « Khazad ai-menu » : que les Nains s’abattent sur vous ! *** « Caragu sigm » : fumier de troll !
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Sam 6 Avr 2013 - 17:15 | |
| Agrarald avait assisté, impuissant, au combat qui avait opposé Dun Eyr et Baltor à la toxeurove puis au Holwerm. Tout était allé si vite que le vieux prêtre n’avait pas eu le temps de réagir. L’aurait-il pu qu’il n’aurait su que faire : ses pieds le mettaient au supplice et il avait la certitude qu’il ne pourrait pas se remettre debout dans l’immédiat, pas même si sa vie en dépendait. En outre, il ne pouvait rejoindre ses compagnons car Brienna s’accrochait de toutes ses maigres forces au pan de sa tunique et refusait de le laisser aller. Elle murmurait des propos incohérents au milieu desquels Agrarald n’avait rien pu saisir, sinon le prénom de Gorlart répété sans fin. Lorsque malgré tout, le Mogariste avait tenté de lui faire lâcher prise, la jeune Naine avait laissé échapper une plainte qui avait manqué fendre le cœur du Haut-Prêtre. Aussi Agrarald s’était-il finalement résolu à observer le combat de l’endroit où il avait chu. Priant pour le salut de ses amis.
Alors que le combat touchait à son terme, Derntor se leva et, après avoir tendu une outre d’eau fraîche au vieux Nain, il sollicita la permission d’aller retrouver son frère. Agrarald, trop heureux de l’offre qui lui était faite, laissa le Nain s’en aller. Portant l’outre à ses lèvres parcheminées, le vieux Nain y but longuement. Seuls ceux qui ont jamais connu le manque d’eau peuvent se figurer le plaisir qu’il peut y avoir à laisser l’onde pure assouvir une soif véritable. S’il fermait les yeux, Agrarald avait l’impression de pouvoir suivre le parcours de l’eau dans tout son être. Jamais un peu d’eau ne lui avait procuré autant de plaisir. Après que sa soif fut étanchée, Agrarald humecta délicatement les lèvres de Brienna. La prêtresse de Briessa avala les premières goutes avec difficulté, mais, comme l’eau apaisait ses chairs gonflées, elle but avec une plus grande facilité. Mogar seul savait depuis combien de jours ses geôliers la tenaient privée de tout. Lorsqu’elle fut rassasiée, elle laissa retomber sa tête dans le giron d’Agrarald. Ce dernier, craignant que ces récents efforts n’aient épuisé ses forces, tâta ses veines à la recherche d’un pouls. Mais avant même qu’il ne le trouve, la jeune Naine avait relevé la tête. D’une voix faible et roque, elle dit :
- J’avais senti la pierre souffrir, Dolbarg’Ma. Elle m’appelait… J’ai dit à Gorlart qu’il n’avait pas à s’inquiéter, qu’il pouvait rester auprès des autres. Mais il a insisté… Je m’en veux, ajouta d’elle en pleurant doucement entre ses mains.
Agrarald écarta les mains de la jeune Naine et sécha ses larmes du bout de son pouce. Prenant une longue inspiration, il observa la pierre malade qui les entourait et le cercle de roche apparemment saine où se tenait Dun Eyr. A voix basse et apaisante, il dit :
- Brienna, mon enfant, tu ne peux t’en vouloir pour ce qui est arrivé à Gorlart. Les Râkhas seuls sont responsables. Au bout d’une minute, Agrarald ajouta : Il est mort en héros, si cela peut t’aider. Il a lutté jusqu’au bout, sans jamais laisser transparaitre sa peur. A présent, garde tes forces et concentre tes pensées sur le Père. Il faut que tu m’aides.
Agrarald garda pour lui les dernières images qu’il avait de Gorlart : celles d’un Nain défait, abattu par les Vertegueules, à la langue arrachée et utilisée pour dessiner à même ses chairs des symboles impies. Il était mort dans la gueule du Holwerm, le corps couvert de malédictions gobelines. Brienna n’aurait pas le même destin. Là où les runes avaient voué les chairs de Golart à l’infamie, ces mêmes runes rendraient sa vie et son honneur à la jeune prêtresse de Briessa. Lentement, ses gestes emplis d’une douceur infinie, le Haut-Prêtre de Mogar traça des runes de sang sur le corps de la jeune Naine. Lorsqu’il fut satisfait, il les écacha d’un geste rapide. Elles se mirent alors à luire d’une douce lumière avant de disparaitre comme avalées par les chairs ravagées de la jeune Naine. L’espace de quelques secondes, cette dernière sembla auréolée de la gloire du Père. De son corps nu posé sur le sol émanait une lueur orangée tandis qu’une douce chaleur, pareille à celle des braises à demi endormies, irradiait ceux qui l’approchaient. Agrarald eut la joie de voir les plaies de Brienna se refermer et des couleurs revenir à ses joues. Bientôt, la respiration de la jeune naine se calma et elle s’assoupit sous le regard toujours vigilant du Père des Batailles. Satisfait, Agrarald reporta son attention sur Dun Eyr qui s’approchait. Patiemment, il écouta ce que son ami était venu lui dire. Tout le temps que le Lirganique parla, Agrarald ne dit mot, se contentant d’observer tour à tour le Holwerm, les murs de la caverne où tous se trouvaient et le sourire hilare de Baltor. Ensuite, sans se presser et en prenant bien garde que ses pieds ne touchassent pas le sol, Agrarald s’agenouilla.
- Je n’aime pas l’idée de garder cette chose dans les niveaux inférieurs d’Almia. Les Holwerms ne sont pas des biquettes que l’on peur garder à son service. Agrarald pointa du bout de son marteau de guerre, le massif corps de la créature qui disparaissait dans une crevasse. Et puis, le garder en vie c’est oublier bien vite l’étrange symbiose que nous avons constatée dans les niveaux inférieurs. Il ne me plait guère que les VerteGueules profitent plus longtemps de la carcasse de cette créature. J’ajouterais que le Holwerm est une créature brutale et mortelle, et je te mentirai si je te disais que ce ne me fait rien de le voir réduit à l’état de vache à lait. Cependant, tu es le plus à même de décider ce qui est le mieux pour la roche d’Almia. Lirgan est ton Dieu, lui seul connait le cœur de la pierre.
Ayant ainsi parlé, Agrarald demeura silencieux quelques secondes. Tentant de croiser ses jambes pour soulager les tensions qui naissaient dans ses talons, il ne put retenir une grimace lorsque ses pieds rongés par le Sang Vert entrèrent en contact avec la roche. Attendant que le douleur passe, il reprit :
- Par contre, si tu pouvais m’apporter un peu de ce remède miracle, je ne dirai pas non. Mais, avant que tu n’y ailles, regarde Brienna. Vois comme les runes de Mogar l’ont sauvée. Laissant le silence planer sur la scène comme pour y ajouter une part de divin, Agrarald reprit dans un souffle que seules les oreilles de Dun Eyr perçurent : Les Nains, pour peu qu’ils gardent foi en leurs dieux, peuvent guérir bien des maux par leur magie. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 7 Avr 2013 - 8:24 | |
|       L’ombre d’un instant, Dun Eyr pesta contre l’intransigeance du Mogariste. Les paroles d’Agrarald étaient justes et claires, sa voix était celle de la raison ; pourtant, le Lirganique regardait avec dépit ce Holwerm qu’il lui faudrait à présent mettre à mort. Si les Gobelins avaient réussi à l’asservir et le tourner pour exécuter leurs caprices, pourquoi les Nains ne le dompteraient-ils pas à renforcer la pierre d’Almia ? Dun Eyr avait voyagé loin et appris les coutumes des autres peuples. Pour qui avait, comme lui, connu les veuleries qui rongeaient la cour de Soltariel, l’arsenal des arts et des manières pour atteindre ses intérêts se révélait très étendu.
      « Que t’importe d’enchainer cette créature de malheur, Agrarald ? tonna le Nain contre son ami, d’une voix si vive que les jumeaux cessèrent brutalement leurs effusions. La dignité de ce monstre plutôt que la pierre purgée de sa peste, est-ce là le prix que tu acceptes de payer ? Trop de nos frères sont morts déjà. Je ne laisserai pas le Sang-Vert livrer d’autres Nains aux filets des Râkhas, comme ils ont failli nous arracher Brienna. »
      Lançant ces mots chargés de colère, Dun Eyr tourna son regard vers le jeune Naine, et sa résolution fléchit aussitôt. Pour la prêtresse faible, et sale, et nue, la mort de Gorlart était un tribut qu’il fallait supporter : elle endurait qu’il retourne au Père, car elle savait qu’il n’avait pas failli. Et quand bien même l’agonie du Nain n’avait pas été glorieuse, au moins avait-il supporté avec bravoure ses tourments. Dans les yeux de la prêtresse de Briessa, et sa lèvre qui tremblait de moins en moins, le Lirganique comprit son erreur, et comment l’avidité des Humains avait tourneboulé son esprit.       Dans l’Almia nouvelle qui peu à peu s’excavait, il n’importait pas de reprendre par tous les moyens de nouvelles profondeurs. La reconquête était mouvement : une pénitence imposée par le Père, pour purifier les Nains de leurs bassesses. L’Almia rebâtie surgirait le jour où les fils de Mogar en seraient dignes, et non parce qu’ils auraient ligué d’obscures bêtes pour refouler les Vertegueules.
      Un silence tendu s’était abattu sur la cavité, comme tous retenaient leur souffle alors que les Hauts-Prêtres se faisaient face. Le regard hésitant de Dun Eyr quitta Brienna, passa sur les visages interdits des deux jumeaux, puis vint affronter la mine inflexible d’Agrarald ; les yeux du Lirganique se firent soudain honteux, et il les détourna prestement.
      « Pardonne-moi, Agrarald, vieil ami, murmura le Lirganique en pliant un genou à terre. Le Père doit rougir à voir comment je prétends le servir. »
      Les traits durcis, Dun Eyr se releva et fit volte-face. A vingt pas devant lui s’ouvrait la gueule écumante du Holwerm, et ses insatiables estomacs qui criaient après leur pitance ; ses tentacules avortés, rendus inutiles par le dévouement des Râkhas à le goinfrer, pendaient tristement de part et d’autre des mâchoires gloutonnes et bêtes. Ni Mogar, ni Lirgan ne toléreraient un instant de plus qu’une telle aberration hante la Montagne.
      « Autant en finir, gronda Dun Eyr, et libérer ces cavernes de leur puanteur. »
      Derrière le Haut-Prêtre, la dépouille flétrie de la Bête de Mogar commençait à pourrir et se rompre. Des lambeaux de chair viciée dégouttaient hors de la masse du cadavre grotesque et ils allaient souiller la roche alentour ; une puanteur abjecte flottait sur la créature difforme. Les narines révulsées, Dun Eyr marcha jusqu’au corps violacé et, à même la peau distendue, là où la rune du Père s’était tenue, le Haut-Prêtre forma à l’épée le sceau de Lirgan. D’un revers de sa lame il l’écacha, et sous le cadavre disloqué de la Bête, un plateau de pierre se détacha et éleva la dépouille dans les airs — car les chairs étaient trop dévastées pour tenir d’elles-mêmes, mais enchâssée dans cet écrin du Moqueur, l’abomination pouvait être déplacée.       Oh, Dun Eyr ne porterait pas bien loin cette horreur en pleine déliquescence. La gueule du Holwerm criait famine à l’autre extrémité de la cavité, et c’était entre ces dents monstrueuses, asservies on ne savait comment par les Râkhas, que la Bête achèverait son voyage.
      « Tu endures le poison des toxeuroves, menaça le Haut-Prêtre, alors goûte donc à cette engeance-ci. »
      Comme si le Moqueur avait soudain soufflé dans la caverne, le plateau de pierre bondit vers l’avant et alla transpercer les mâchoires coniques du ver. Plusieurs rangées de dents cédèrent et se brisèrent, comme le cercueil volant se fichait dans le gosier du Holwerm et y faisait couler son infâme cargaison. Les restes de la Bête, corrompus de mauvaise magie, et rongés par l’infection, se déversèrent au plus profond de la gorge du monstre. Là où le venin du toxeurove avait déjà ouvert la voie, cette nouvelle ignominie courut au plus profond du ver géant, ravageant tout, corrompant la bête.       Dun Eyr assista sans sourciller au spectacle de la terrible agonie. Les flots de bave redoublèrent, comme le poison maudit traçait se route jusqu’au tréfonds du Holwerm et l’irriguait de bout en bout. De doucement bleutée, la salive devint noirâtre, puis enfin d’un rouge vicié ; comme le ver mugissait de douleur, ses derniers tentacules de lave brillèrent un instant, puis s’éteignirent, noyés dans l’ignoble liquide. La bête était morte, et sa gueule anéantie, noircie par le venin, vint tristement s’effondrer sur le sol de la caverne.       Le Holwerm n’était plus.
      « A présent, présagea le Nain, même l’infecte pouponnière des Râkhas doit être anéantie, comme le poison a couru dans les flancs déchirés du monstre. Ceux-là mourront avec lui, et la montagne ensevelira jusqu’au souvenir de la bête. »
      Pourtant, ce n’était pas tout à fait fini, car il restait à Dun Eyr une dernière tâche à accomplir. Tirant son épée au clair, il bondit jusqu’au crâne affalé du Holwerm, et gravit jusqu’à dépasser les yeux. Là, la peau était flasque, et bombée par deux gros bulbes qui devaient enfler dans la gorge du monstre. Au jugé, le Nain ficha sa lame dans le gosier du ver, à la base de la tête, et de lourdes gerbes de sang noir vinrent couvrir les parois. Deux grosses masses bleutées, irisées de reflets verdâtres, battaient encore faiblement comme la vie achevait de quitter la dépouille du monstre. C’étaient les glandes salivaires du Holwerm, et le venin du toxeurove les avait fait doubler de volume comme elles luttaient pour enrayer l’infection. Plongeant les mains jusqu’aux coudes dans les tréfonds de la bête, Dun Eyr en arracha les deux bulbes couleur de saphir, porteurs de tant de promesses pour la roche pestiférée.
      « Baltor ! Derntor ! appela le Lirganique en extirpant les organes, portez-les et défendez-les comme vos vies. Peut-être Brienna, une fois rétablie, saura-t-elle arracher de ces glandes les puissantes défenses que Briessa a conférées aux Holwerms. »
      Après avoir tendu les deux masses bleuâtres aux jumeaux, Dun Eyr récupéra son épée et se laissa glisser le long du cou de la bête. Ses bras étaient noyés du sang épais de la bête, mais comme il embrassait le spectacle devant lui, il se sentit davantage un fils du Père.
      « La Perle du Nord a été purgée d’un grand mal, Agrarald, affirma le Haut-Prêtre sans oser encore croiser le regard du Mogariste. Il est temps pour nous de trouver un chemin vers la première profondeur. »
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 14 Avr 2013 - 15:04 | |
| Agrarald saisit l’avant-bras de son compagnon et le maintint fermement. Ses yeux fixés à ceux de Dun Eyr, le vieux Nain dit simplement :
- Il n’y a rien à pardonner, mon ami. Je suis fier de combattre aux côtés d’un Nain tel que toi. Ajoutant alors sur un ton plus léger, Agarald conclut : Quant au Père, il aime que ses enfants combattent, fussent leurs propres démons.
Sur un dernier regard, Dun Eyr dégaina sa lame et entreprit d’un mettre un terme à la vie du Holwerm. Agrarald observa la scène un moment avant de reporter son attention sur l’objet même de leur venue en ces lieux de malheur. Brienna avait recouvré ses esprits. Elle était assise à même le sol et finissait d’épancher sa soif à la gourde qu’Agrarald lui avait confiée. Tandis qu’il la surveillait du coin de l’œil, le vieux prêtre eut la satisfaction de constater que le sortilège qu’il avait employé avait fait merveille. Les blessures de la jeune prêtresse étaient presque toutes refermées et seules de légères cicatrices indiquaient encore le martyre qu’elle avait connu. S’approchant d’elle, Agrarald mit un genou à terre et après avoir fouillé dans la besace qu’il avait au côté, il lui tendit une chaude cape en peau d’ours. Pendant que la jeune femme se détournait pour jeter les vieilles hardes qui la couvraient à peine et s’enrouler dans la pelisse, Agrarald prit la parole. Sa voix était douce et apaisante, elle rappelait à Brienna celle d’un grand-père bienveillant.
- Brienna, ma chère enfant, je sais que tu es passée par de nombreuses épreuves et je comprendrais qu’il te faille un peu de repos. Malheureusement, nous ne pouvons guère t’en accorder pour le moment. Les VerteGueules semblent avoir déserté ces couloirs, mais nous ignorons où ils se trouvent. Demeurer ici trop longtemps pourrait nous faire courir de grands risques. Bien des dangers nous guettent si loin des profondeurs que nous contrôlons. Il nous faut nous hâter de regagner les premiers niveaux de la cité.
Tandis qu’il parlait, Agrarald sentit la main de Brienna se poser sur son épaule et la presser doucement. Lorsqu’il se retourna, le vieux eut la double surprise de voir Brienna couverte par la cape et lui sourire largement. D’une voix douce quoique rendue quelque peu rocailleuse par les privations qu’elle avait subies, elle répondit :
- Ne vous en faites pas pour moi, Dolbarg’Ma, vos soins ont fait merveilles et Briessa sait à quel point il me tarde aussi de mettre autant de distance que possible entre moi et ce lieu maudit. - Parfait, je vais en avertir Dun Eyr et nous reprendrons la route. - Avant que nous ne partions, j’aimerais simplement rendre un dernier hommage à Gorlart. S’il ne s’était sacrifié, je serais sûrement morte à l’heure qu’il est.
D’un geste de la tête, Agrarald acquiesça et s’en alla trouver Dun et les jumeaux. Passant près des deux bagarreurs, il les vit empaqueter, aussi bien que les conditions le permettaient, les deux glandes salivaires du Holwerm. D’un simple regard, le Mogariste les enjoignit de prendre bien garde à ses objets. Lirgan seul savait à quel point ils pourraient s’avérer précieux pour la reconquête de la cité. Sans attendre, le Mogariste alla trouver le Haut-Prêtre de Lirgan. Tandis que leurs regards se croisaient, Agrarald vit briller dans les yeux de son ami une fierté qu’il n’y avait pas lue depuis longtemps. Sans qu’il puisse expliquer pourquoi, il en conçut une grande joie. Peut-être que les sacrifices de Gorlart et de Trogan avaient permis de sauver plus d’un Nain en cette journée. Saisissant l’avant bras de Dun Eyr, Agrarald répondit aux paroles de son ami.
- En effet, mon ami, et tu as pris la bonne décision J’en jurerais. Brienna se porte bien et elle sera prête à reprendre la route sous peu. Mais malgré notre victoire en ce jour, il nous faut encore trouver le moyen de ramener les nôtres en sécurité.[i] Faisant un tour sur lui-même comme s’il cherchait à se repérer, Agrarald finit pas pousser un soupir et s’ouvrit à Dun. Si je ne me suis pas trompé, nous devrions être quelque part dans le cinquième niveau. Malheureusement, je ne sais pas où exactement. D’un geste du bras, Agrarald invita Dun à passer devant lui. Non sans humour, il conclut : Haut-Prêtre, à vous l’honneur de nous ramener chez nous. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Mer 17 Avr 2013 - 2:00 | |
|       Les douces paroles d’Agrarald avaient su apaiser Dun Eyr, et le visage du Lirganique s’était fait plus calme sous sa barbe d’argent. Pourtant, la honte n’avait pas totalement cessé de ronger son esprit : la carcasse du Holwerm achevait de se vider de sang noir par cascades, et l’idée qu’il avait pu vouloir conserver cette bête au profit d’Almia, semblait à présent une folie à Dun Eyr. Les yeux bas, il se détourna rapidement d’Agrarald et bougonna :
      « Trouvons une voie pour remonter. »
      Le Dolbarg’Ma avait vu juste, c’était dans la cinquième profondeur qu’ils avaient abouti. Au-dessus d’eux béait la roche éclatée, par où les deux toxeuroves avaient jailli depuis le quatrième niveau de l’ancienne cité ; mais ils avaient laissé la pierre noire et souillée, nul Nain ne pourrait suivre le chemin que ces bêtes mortelles avaient ouvert. Le regard de Dun Eyr quitta cette ouverture pour examiner plus avant la galerie, là où Baltor avait été assailli à la suite des Gobelins en fuite. Si Agrarald semblait égaré, ce n’était pas le cas du Lirganique : dans ces boyaux, encore jeune Nain, il avait suivi Bynkarnd son père. Quoique salie par les Vertegueules, et ébranlée par la Malenuit, la pierre gardait pour Dun Eyr un parfum familier.
      « Là-bas se trouvaient des filons de cuivre, releva le Lirganique ; ils couraient sur plusieurs niveaux, et venaient alimenter les armureries d’Almia. Peut-être toutes les galeries n’ont-elles pas été éboulées par les Râkhas. »
      Dun Eyr prit la tête du petit groupe et il les guida plus avant dans la galerie, laissant derrière eux la gueule abattue du Holwerm. La puanteur de la bête se fit moins insoutenable comme ils s’éloignaient, mais une nouvelle odeur infecte les saisit à la gorge : ici le second toxeurove avait traqué les Gobelins en fuite, et partout des corps gonflés de poison commençaient à pourrir. Pour terrible qu’elle était, la vision du désastre n’arracha pas un hoquet au Lirganique : les Almiens s’étaient endurci à contempler de tels charniers, et le craquement des os sous ses bottes était sans écho aux oreilles de Dun Eyr. Voilà une scène qui ne pouvait plus le surprendre.       Au bout de la caverne, quelques marches grossières figuraient les anciens boyaux des gisements de cuivre : ils les avaient retrouvés. Les Gobelins ne savaient pas extraire le minerai, aussi ces galeries de minage semblaient-elles avoir été laissées à l’abandon, et leurs étançons avaient cédé depuis longtemps. Mais les Nains ne s’aventureraient pas dans les profondeurs à suivre le filon, il leur suffirait de gravir l’escalier de travail que les mineurs avaient aménagé au fil des années.
      « Nous allons rejoindre la troisième profondeur, annonça Dun Eyr, tandis qu’ils remontaient tous les larges marches ébauchées par des générations de Nains, mais nous ne pourrons pas monter plus haut. Les filons de cuivre cessent à la troisième profondeur, c’est là qu’avait été établie l’armurerie d’Almia. »
      Alertes face aux Vertegueules qui auraient pu jaillir de l’obscurité, les Nains délaissèrent la cinquième profondeur, puis la quatrième, et poursuivirent leur ascension. Lorsque les marches disparurent, et qu’ils ne purent plus aller plus haut, ils se retrouvèrent plongés dans l’obscurité de ce qui semblait être une longue caverne, aménagée de main de Nain. Dans un regard encore contrit à Agrarald, Dun Eyr murmura l’incantation d’une rune de Mogar, et depuis la main du Lirganique jaillit la chaude lumière du Père.
      « Rukhas shirumundu !... s’étrangla le Haut-Prêtre. »
      Devant eux s’élevaient les anciennes armureries et les forges d’Almia, là où étaient assemblées les robustes balistes des Nains ; mais nul ne prêtait attention à ces ruines, tous les regards s’accrochaient aux portes de l’armurerie. La vision saisit les Almiens à la gorge : là s’entassaient les ossements brisés de douzaines de Nains, submergés par les Vertegueules aux premiers jours de la colère de Mogar. Les squelettes avaient été brisés par la violence de l’assaut, et quelques crânes s’attardaient encore sur les murs de pierre, à jamais fixés dans la roche comme une pointe de Gobelin les avaient transpercés. Quelques dépouilles portaient encore des restes d’armure, et l’acier des plastrons achevait de rouiller dans l’oubli ; mais la plupart des ossements avaient blanchi depuis longtemps, et nul n’aurait pu douter de leur destin funeste. Après avoir été anéantis, ou peut-être même avant, ces Nains-là avaient été dévorés par les dents des Râkhas.       Dun Eyr fit quelques pas vers l’effroyable champ d’ossements, ses yeux comme fous tandis que partout ils butaient sur cette marée de Nains abattus. Trouvant une rondache fendue sur le sol, le Lirganique la retourna du bout du pied : un large blason couvrait encore le bouclier.
      « Les Nains de Pierrenoire, déclara Dun Eyr, ainsi ils sont venus au secours d’Almia... Ils ont dû tenir les portes de l’armurerie, tandis que d’autres cherchaient à armer les lourdes balistes entreposées derrière ces murs. »
      Ces guerriers avaient failli. Alentour le sol se hérissait ça et là de brisures de bois, et de débris d’armes complexes : les balistes semblaient avoir été saccagées par les Gobelins depuis de longues années. Pourtant, quelques-unes paraissaient encore étrangement intactes, et Dun Eyr s’approcha d’une de ces grandes constructions de bois et d’acier : les roues avaient été brisées, mais l’arme se tenait toujours droite.       Un étrange détail attira cependant l’attention du Haut-Prêtre : la corde de détente avait été sectionnée, mais remplacée par un autre matériau aux reflets répugnants. Les Nains bandaient leurs balistes avec des cordes de chanvre, pourtant ce filin-là n’était certainement pas fait de chanvre. Lorsque Dun Eyr y promena un doigt, la corde vibra parfaitement, comme entretenue récemment.
      « Agrarald, gronda le Lirganique, des boyaux. Ce sont des cordes de boyaux. »
- Note :
Rukhas shirumundu ! : Gobelins imberbes ! (exclamation)
- Précision HRP:
Ce post se fonde sur l’intervention de Daïn Pierrenoire lors de la destruction d’Almia au moment de la Malenuit ( comme relatée dans ce post) mais ajoute des éléments à cet event jamais achevé.
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| | | Agrarald Dolbarg'Ma
Nain
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| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 21 Avr 2013 - 18:19 | |
| Les cinq Nains avaient progressé lentement sous la direction de Dun Eyr. L’escalier des mineurs était sombre et les marches en étaient traitresses. Agrarald imaginait sans peine qu’il devait en être tout autrement avant le Voile, quand de belles torchères éclairaient encore ces lieux. Mais aujourd’hui, plongé dans la pénombre comme il l’était et pour cinq Nains déjà terriblement éprouvés par les épreuves subies, l’ascension s’était révélée étonnamment éprouvante. Brienna surtout avait eu du mal à en venir à bout. Aussi Agrarald était-il resté à ses côtés tout du long, l’encourageant à voix basse, l’exhortant à avancer un peu plus encore malgré la fatigue et ses muscles endoloris. Lorsqu’enfin les marches avaient laissé place à une vaste esplanade, les cinq Nains s’étaient bien gardés de crier victoire. En effet, le spectacle qui s’était offert à leurs yeux était loin de ce qu’ils avaient espéré. Sitôt que le Lirganiste eût éclairé la caverne où ils avaient échoué, tous purent contempler la morbide vision qui leur faisait face. Devant les portes défoncées de l’armurerie gisaient les cadavres de nombreux Nains. Il y avait quelque chose de profondément indécent dans cet enchevêtrement de fragiles squelettes laissés là à pourrir depuis Mogar seul savait combien de temps. Les corps naguère pleins de vie s’étaient lentement décomposés en des tas d’ossements informes. Ca et là se voyaient encore des armures rouillées, vestiges déplacés d’une époque révolue, qui emprisonnaient, tels des cercueils d’acier, les cages thoraciques défoncées. Agrarald ne perdit guère de temps à examiner ce morbide trophée. Les marques de dents entraperçues sur les os en disaient suffisamment : des Gobelins s’étaient repus de la chair de ces guerriers. Quand Dun Eyr leur annonça qu’il s’agissait probablement des hommes du clan de PierreNoire venus porter secours à Almia, Agrarald le crut sur parole. A l’époque du Voile, lui-même était dans son temple de Kirgan et n’avait rien su de la chute d’Almia, pas plus que d’un éventuel secours venu des clans du Nord.
A pas lents, le Haut-Prêtre de Mogar contourna le monticule de cadavres et pénétra dans l’armurerie. A pas prudents, il passa entre les lourdes portes de chêne bardées d’acier qui ne tenaient plus que par la seule volonté des Dieux. L’intérieur était sombre, à peine percevait-on encore l’un ou l’autre rai de lumière s’insinuant par quelques interstices des portes. L’air était saturé d’une poussière qui semblait venue d’une autre époque. La pièce toute entière sentait un mélange de vieux cuir, d’huile et d’acier. Quelques runes tracées dans la poussière suffirent à l’éclairer : les feux qui naguère ne devaient jamais s’éteindre, reprirent vie sous le sortilège du vieux prêtre. Là aussi des cadavres mutilés gisaient à même le sol. Toute sépulture leur ayant été interdite, ils étaient demeurés là, oubliés de tous, à pourrir tandis que lentement la rouille s’en été prise à leurs armes et armures. Les Nains avaient longtemps tenu la porte, les corps entassés en témoignaient. Les nombreux cadavres des Gobelins attestaient si besoin était de la farouche résistance que les Nains de Pierrenoire leur avait opposée. Parcourant la pièce du regard, Agrarald constata que les Nains survivants avaient tenté de tenir une poterne sise dans le mur sud de l’armurerie. Sûrement une voie d’accès en direction des forges. Pour autant que le vieux Nain pût en juger, tous étaient tombés les armes à la main. Ainsi qu’il convenait à des fidèles de Mogar. Son sceptre résonnant étrangement sous la voute basse de l’armurerie, Agrarald parcourut la pièce sans se presser. Etant jeune, il n’était pas souvent venu en ce lieu. Comme bien d’autres Nains, il n’avait dû y venir qu’à l’époque de ses classes afin d’y recevoir son équipement militaire. Peut-être y était-il revenu ensuite en une ou deux occasions. Probablement avec son père, quand ce dernier venait honorer une commande. Quoi qu’il en fût, dans ses souvenirs l’armurerie était plus grande, plus lumineuse et elle jouissait d’une aura quasi magique : des armes rutilantes y étaient stockées par centaines, attendant d’être utilisées et toutes luisaient d’un éclat iréel. Aujourd’hui la majorité des armes n’étaient plus. Les Gobelins avaient emporté tous les couteaux et les quelques épées courtes qui étaient sorties des forges d’Almia. Les arbalètes avaient toutes disparues de même que les petites haches de jet que les Nains appréciaient tant. Seules étaient demeurées les lourdes haches de guerre ainsi que les maillets, marteaux et fléaux de guerre. Toutes armes trop lourdes pour les chétifs corps des Gobelins. Ecartant d’un revers de la main une lourde peau de cuir huilée, Agrarald révéla des présentoirs encore bien garnis. Protégées par le cuir, les armes lancèrent de joyeux éclats à la lumière des flammes. L’espace d’une seconde, Agrarald eut le sentiment que les armes fêtaient le retour des Nains dans le troisième sous-sol d’Almia. Laissant son doigt courir sur l’une d’elle, appréciant le soin avec lequel elle avait été forgée et la finesse avec laquelle elle avait été forgée, le vieux Nain poussa un sifflement admiratif. Ses armes étaient d’une grande beauté. Sans attendre, il passa la tête par la porte de l’armurerie et avisa les jumeaux qui s’étaient assis et discutaient avec Brienna. Agrarald les siffla tous trois et leur fit signe de le rejoindre. D’un geste, il leur désigna les armes qu’il avait mises à jour.
- Derntor, Baltor, n’hésitez pas à vous servir. Les armes qui reposent en ces murs sont de la meilleure qualité qui soit. Se tournant en direction de Brienna, il ajouta : Cela vaut pour toi aussi, mon enfant. Equipe toi du mieux que tu le peux, nous ne sommes pas encore rendus chez nous.
Tout en parlant, Agrarald s’était approché d’une étagère où reposaient des marteaux de guerre. Laissant courir ses mains sur les manches en bois entourés de cuir, il arrêta son choix sur l’un d’eux : il était fait d’un bois sombre aux reflets presque rouges dans la lumière des flammes. Sa tête luisait d’un éclat magnifique, promesse d’une trempe longue et patiente, et s’ornait du symbole de Mogar qu’accompagnaient quelques runes de protection. Quant à sa garde, elle était renforcée d’acier et prolongée d’un long pic, idéal pour achever un ennemi d’un revers précis. Délogeant son ancien marteau de la ceinture où il pendait, Agrarald le contempla durant de longues secondes. Il s’agissait-là d’un vieux compagnon. Tous deux avaient mené bien des guerres mais le vieux Prêtre devait reconnaitre que l’usure du temps avait fait son œuvre. Le manche de l’arme portait de nombreuses entailles. Quant à la tête du marteau, elle était si ébréchée que les runes qui l’ornaient jadis menaçaient de s’effacer. Non sans respect, Agrarald posa son vieux marteau sur l’étagère en lieu et place de celui qu’il prenait. Puis, ayant pris le nouveau en main, il esquissa quelques mouvements face à un ennemi imaginaire. Satisfait par l’équilibre de l’arme et sa bonne tenue en main, il la passa à sa ceinture.
- Prenez tout ce qu’il vous faut. Ceux qui ont forgé ses armes seraient heureux qu’elles vous profitent. En tapotant la tête de son marteau, il ajouta non sans qu’un sourire carnassier vienne orner son visage : Il est plus que temps que les Râkhas goûtent à nouveau à l’acier sorti des flancs d’Almia.
Avant qu’il ne puisse en dire davantage, la voix de Dun Eyr se fit entendre. Sans attendre, Agrarald sortit rejoindre son ami et s’enquérir de ce qu’il lui voulait. S’agenouillant, le Haut-Prêtre de Mogar considéra longuement la baliste et son étonnant boyau. Dubitatif, il passa une main sale dans sa barbe, ainsi qu’il le faisait souvent lorsqu’il était soucieux. Au bout d’une minute au moins d’un patient examen, il se releva et fit face à Dun Eyr.
- Tout ça ne plait guère, Dun. Il est évident que les VerteGueules ont modifié nos armes de siège. A ma connaissance, nos ingénieurs ont toujours privilégié des cordes de chanvre torsadées. Je ne sais pas d’où ce cordage peut provenir, mais il n’est pas arrivé là tout seul. Agrarald se tut et considéra les balistes qui manquaient sur le site. Je n’aime assurément pas ce mystère mais j’aime encore moins le fait qu’il manque des balistes sur le site. Elles ne se sont pas déplacées seules. Et si elles avaient été détruites, nous en aurions retrouvé les restes. Comme il en va de celles-ci, ajouta le Haut-Prêtre de Mogar en désignant des tas de bois informes laissés à pourrir un peu plus loin. Non, vraiment je n’aime pas ça.
Agrarald demeura silencieux durant de longues secondes. Les deux mains appuyées sur son sceptre, il essayait de considérer la situation aussi objectivement que possible. Ses yeux passaient de la corde en boyau aux quelques balistes qui demeuraient encore en état. Après avoir maugréé et prononcé quelques malédictions dans sa barbe, il se tourna vers Dun Eyr et dit d’une voix où perçait des accents de crainte :
- Je crains que les Gobelins ne préparent une action d’envergure contre l’escalier que nous avons fortifié. Ils vont tenter de nous reprendre le premier niveau. Je ne vois que cette raison qui puisse expliquer pourquoi ils ré-encordent les balistes et les déplacent. Si je ne me trompe pas nous devons regagner le premier niveau au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard.
Une fois encore, Agrarald considéra le spectacle qui s’offrait à ses yeux : les balistes qui représentaient désormais autant de dangers pour son peuple, les monceaux de squelettes demeurés sans sépulture, les bâtiments effondrés qui se devinaient dans le lointain, au-delà de la clarté des flammes allumées par Dun Eyr. Lentement, avec autant de calme qu’il pouvait en mobiliser compte tenu des évènements, il dit :
- Il nous faut remonter par l’Ascenseur. Il est trop dangereux pour notre groupe de tenter de traverser les lignes ennemis. Or je ne vois que trois façons de remonter : soit par le Grand Escalier, mais nous savons qu’il est bien gardé ; soit par les Cheminées de Bartok, mais j’ignore où les trouver à ce niveau. Enfin, il nous reste l’Ascenseur que nous utilisions pour monter les armes de siège au premier niveau de puis la Forge. Il est hors de question de le remettre en fonction, mais nous pourrions utiliser ses chaînes pour remonter. Ensuite, bien que nous en ayons muré l’entrée, ce ne devrait pas être un problème pour toi ? Qu’en penses-tu ? Agrarald crut bon de conclure par une évidence : Il est vital que nous avertissions les colons. Notre avenir se joue maintenant. |
| | | Dun Eyr
Ancien
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 149 Taille : Niveau Magique : Arcaniste.
| Sujet: Re: La Reconquête d'Almia – I. Egarés, esseulés. [PV Agrarald] Dim 28 Avr 2013 - 3:31 | |
|       Un lourd silence était tombé sur le champ des cadavres, on pénétrait dans l’armurerie comme dans un mausolée. Les haches que les jumeaux retiraient de leurs râteliers cliquetaient dans l’air empoussiéré, et leur entrechoquement résonnait au-dessus des Nains anéantis. A la porte de l’armurerie, Dun Eyr avisa un soldat cloué vif sur les battants d’airain, une lance d’os fichée au cœur ; son bouclier rond avait chu à ses pieds, et le temps l’avait à demi recouvert, mais l’écusson des Pierrenoires chatoyait encore sous la crasse des galeries.
      « Ceux-là étaient venus du Nord pour secourir Almia, déclara Dun Eyr d’une voix douce, et il se pencha pour saisir l’écu. Il est juste que leurs armes soient à nouveau portées. »
      Les lanières de cuir du bouclier s'étaient à peine distendues, et le Haut-Prêtre monta l’écu sur son bras gauche. Tant que lui combattrait dans la Perle du Nord, le sacrifice du clan Pierrenoire ne serait pas oublié.
      Voilà qu’Agrarald examinait à son tour les balistes étrangement restaurées, aussi Dun Eyr alla rejoindre son vieil ami. Leurs deux regards étaient pareillement sombres comme ils contemplaient les aménagements pratiqués par les Gobelins sur les armes des Nains. Le Mogariste disait vrai : même en ajoutant au compte les balistes détruites, il manquait encore de très nombreux ouvrages dans l’armurerie d’Almia. Si les Vertegueules avaient mis à sac les prodiges de l’ingénierie Naine, cela n’augurait rien de bon pour les colons à la première profondeur. Ceux-là devaient être avertis de toute urgence.
      « Baltor, Derntor ! s’exclama Dun Eyr à l’adresse des jumeaux. Prenez toutes les armes que vous pourrez emporter, et n’oubliez pas le remède du Holwerm. Nous allons à l’Ascenseur. »
      Un regard échangé avec Agrarald avait suffi à décider du chemin qu’ils emprunteraient : le Grand Escalier aurait été défendu d’arrache-pied par les Gobelins et leurs balistes, c’aurait été un voyage pour les limbes de Tari ; quant aux cheminées de Bartok, elles devaient s’élever quelque part au Nord de ces galeries, hors d’atteinte des Nains isolés.
      « L’Ascenseur était derrière l’armurerie, Agrarald, près des filons de cuivre. »
      Les cinq Nains traversèrent l’armurerie et laissèrent derrière eux le charnier des Pierrenoires ; ils passèrent les doubles portes de la forge, et atteignirent rapidement l’Ascenseur. Alors même que le reste de l’armurerie était saccagé, et le sol encombré de débris et de poutrelles fracassées, l’accès à l’Ascenseur était demeuré étrangement dégagé, comme si on y avait accédé hier encore. C’était une large plateforme de bois et d’acier, rectangulaire, et un vaste conduit avait été aménagé au-dessus, montant haut. L’Ascenseur permettait le passage de la troisième vers la première profondeur, mais l’ouvrage courait jusqu’à la cinquième profondeur ou même davantage, tant les contrepoids étaient importants : avant la Malenuuit, l’Ascenseur pouvait emporter jusqu’à quatre balistes et leurs servants, et le fracas de ses chaînes était terrifiant, disait-on.       De nombreuses années avaient passé, et les Gobelins avaient dû ajouter aux malheurs de l’ouvrage des Nains : les chaînes d’acier avaient pour moitié été brisées, et la plateforme aurait été bien en peine de s'élever aujourd'hui. Condamné à demeurer au sol, le socle de bois avait pourri comme l’humidité des cavernes le rongeait. Dun Eyr grogna de surprise à retrouver ce trésor du génie Nain que des générations de forgerons avaient servi, et à voir dans quel piteux état ces dernières années l’avait laissé.
      « Au moins, les Râkhas ne sont pas parvenus à effondrer le conduit, reconnut Dun Eyr, et il ajouta d’une voix claire : cet Ascenseur devrait nous permettre de retrouver le premier niveau. »
      Derrière le Haut-Prêtre et les jumeaux, la voix de Brienna s’éleva soudain :
      « Est-ce que ce sont les Nains qui ont fait cela ? »
      La Prêtresse s’était approchée d’une des parois de l’Ascenseur, et elle avait renversé la tête comme ses yeux se perdaient vers le sommet du conduit. Alors seulement Dun Eyr remarqua que, parmi les quelques chaînes encore intactes et qui s’étiraient sur toute la longueur de l’Ascenseur, d’autres filins avaient été tressés : c’étaient les mêmes cordages que ceux qui avaient été passés sur les balistes, le même entrelacs sinistre fait de boyaux de bêtes. Ces cordes rougeâtres pendaient mollement contre les parois de pierre, certaines à-demi absorbées dans les entrailles du Sang-Vert ; car si la base de l’ouvrage était encore constitué de pierre dure et saine, plus on s’élevait, et plus les reflets verts dominaient. Cette engeance meurtrissant la roche, c'était la marque des Gobelins.
      « Ils n’ont pas su restaurer l’Ascenseur, mais ces maudits Rûkhs veulent faire céder l’accès que nous avons muré dans la première profondeur, cracha Dun Eyr avec colère. Ils ne vont pas se contenter de retourner contre nous nos propres balistes dans le Grand Escalier, Agrarald ; ces abjections doivent s’activer dans tous les conduits qu’ils ont pu retrouver. La colonie va être submergée par tous les côtés. »
      L’heure déjà n’était plus aux paroles : les Nains devaient quitter cet endroit funeste. Depuis la grande armurerie, des Vertegueules ne tarderaient pas à surgir, dès qu’ils auraient senti que quelques vivants s’agitaient encore dans le charnier du Petit Peuple. Dans l’Ascenseur, loin au-dessus de leurs têtes, des sifflements et des grondements commençaient à se faire entendre : les voix des Nains n’avaient pas dû passer inaperçues.
      « Aux chaînes ! s’écria Dun Eyr. Les jumeaux, voici déjà l’heure d’étrenner vos haches exhumées à l’armurerie. »
      Les quelques chaînes d’acier qui n’avaient pas été brisées s’élevaient toujours, droites et tendues, comme de lourds contrepoids devaient les arrimer aux poulies. Les Nains s’en saisirent aussitôt, alors que Dun Eyr en appelait aux tours du Moqueur : il allait falloir faire céder les anneaux qui retenaient les chaînes à l’Ascenseur. L’éclat de Lirgan baigna la cavité, faisant enfler et éclater le métal des Nains, et libéra les lourds contrepoids suspendus à la première profondeur.
      « Prenez garde une fois là-haut ! s’écria le Haut-Prêtre. Le Sang-Vert a pénétré loin dans la roche, l’air même doit être empoisonné. »
      Son dernier mot se perdit dans un grand hoquet de surprise : la main passée autour des chaînes, les cinq Nains bondirent à une vitesse effarante vers le premier niveau.
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