Perché sur un éperon rocheux, le druide regardait d’un œil morne ce qui autrefois devait être l’une des entrées de la puissante cité naine de Kirgan. Si les récits de la grande catastrophe survenue en ces lieux avaient même atteint l’Anaëh, la destruction qui s’offrait à lui dépassait l’entendement. Tout un pan de la montagne avait littéralement volé en éclat lorsque le volcan était entré en éruption, et les coulées de lave à peine solidifiées se voyaient aisément. Ca et là, des ruines émergeaient encore, derniers vestiges pitoyables de la splendeur passée de Kirgan.
Hamanduil n’aimait pas les villes, et portait depuis toujours un regard méprisant sur la race des nains, ces courtauds qui se trainaient au fond de leurs mines dans l’espoir d’arracher encore plus de richesse à la terre. Il ne put cependant s’empêcher de ressentir un bref élan de compassion pour les milliers de morts qui gisaient sous les décombres. La colère de la Mère pouvait par moments être d’une rare cruauté, même lui devait le reconnaître.
Se détournant des ruines, le druide prit un petit chemin à flanc de falaise, remarquant au passage la trace d’une patte de félidée. S’accroupissant, il eut tôt fait de constater qu’un tigre blanc au moins vivait dans la région. Satisfait, il continua, sachant que désormais il se trouvait sur les terres de ses frères et ses sœurs. Tout ce long chemin parcourut allait enfin trouver son aboutissement dans ces montagnes aux neiges éternelles.
Le druide se sentait fatigué, usé. Le poids des ans pesait lourdement sur ses frêles épaules, et le monde se trouvait trop bouleversé pour qu’il puisse encore espérer pouvoir s’y adapter. Le choc ressenti lors de Fort Ellyrion avait été balayé comme un fétu de paille par celui encore bien plus violent causé par le Voile. Le monde changeait trop brutalement, trop vite. Les années de sa jeunesse lui paraissait si éloignées qu’il lui semblait presque n’avoir plus affaire qu’à un rêve dont les dernières brides s’atténuaient dans sa mémoire.
S’accroupissant, le druide laissa une dernière fois les flux de sa magie couler dans ses veines. Il savait qu’il atteignait là un point de non-retour, qu’il accomplissait le rituel avec une force telle que la fusion mentale de l’elfe et de la bête l’empêcherait à tout jamais de revenir en arrière. Mais il n’hésita pas une seconde, il avait eu de longues semaines de réflexion et il savait que sa place n’était plus dans l’Anaëh auprès des elfes. La forêt trouverait d’autres protecteurs, les druides restaient suffisamment nombreux pour la défendre contre les incursions des osts drows. Tout du moins l’espérait-il, encore que ces considérations ne lui tenaient plus guère à cœur.
L’espace d’un instant, les deux silhouettes se superposèrent, puis il n’en resta qu’une. Le grand tigre blanc fit jouer les muscles puissants qui roulaient sous son pelage et huma profondément l’air. Les sentiments de l’elfe s’affaiblissaient déjà sous la conscience de l’animal, mais pourtant une sorte d’exaltation envahissait son cœur, sans qu’il puisse vraiment en comprendre la signification. Il ne s’agissait pas de l’exaltation de la chasse, lorsque la chair de la proie se retrouve déchirée et que le sang clair coule dans la gorge. Non, il s’agissait d’un sentiment qu’Hamanduil ne comprendrait plus désormais, mais qui lui donna envie de rugir son défi à la face du monde.
Il était heureux.
Il était chez lui.
[Fin du personnage, Hamanduil devient définitivement l’un des tigres blancs vivant dans la région, sa conscience elfique disparaissant.]
Sujet: Et c’est ainsi que tout s’achève… 
Jeu 9 Juin 2011 - 12:00
