Enquête à la Dross [PV]

Le sol mousseux de la forêt d'Anaëh était immaculé de blanc ce jour-là. Le soleil quand à lui était couvert par des nuages grisâtres, un légère brise faisant frémir les branches des arbres ancestraux. Deux êtres marchaient d'un pas décidé côte à côte. Un homme et une femme. Leurs pas ne laissaient aucunes traces sur les terres enneigées d'Ardamir, au vu de leur légèreté respective. Cadeau de la déesse des elfes. Ils étaient tous deux de jeunes Aigles, guerriers de l'armée d'élite elfique. En route pour une mission capitale qui les menait en direction de la forêt d'Aduram. L'homme se prénommait Myrddin Oraka, surnommé le "Phénix" par ses pairs pour sa capacité exceptionnelle de survie. Ayant par le passé survécu miraculeusement à maintes batailles, son corps avait toutefois été marqué par de nombreuses balafres. De grande taille, aussi pâle que leur environnement actuel, il arborait avec fierté une mèche de cheveux gris clair devant son oeil droit. Borgne, il s'était pourtant fait à cet handicap et ses capacités martiales n'avaient pas été diminuée pour autant. Portant sur ses épaules un long manteau mauve comportant deux ailes blanches au dos, celui-ci était rembourré dans la doublure par une cotte de maille légère. Ses deux épées courtes jumelles l'accompagnaient, surnommées Séléné et Hélios par leur maître. Celles-ci ne le quittaient jamais. La tête d'un aigle en argent trônait sur chacune des gardes, soulignant l'appartenance de leur propriétaire à l'élite guerrière elfique. Myrddin s'arrêta un instant sur le chemin, calme comme à son habitude. Levant son oeil doré gauche en direction du ciel, il tendit la main pour attraper un flocon de neige au passage. Se laissant aller à des souvenirs anciens, il esquissa un sourire en repensant à Nassana. Son épouse défunte, une talentueuse archère. Palpant de son autre main l'alliance qui trônait à son cou, il se rappela à cet instant qu'elle aimait le charme de l'hiver à l'époque.

Reprenant ses esprits en sentant le regard de sa coéquipière, l'elfe farouche soupira et lui intima de reprendre leur route d'un signe de tête neutre. Depuis la perte tragique de sa bien aimée, l'elfe était resté froid avec les siens. Ne souhaitant plus nouer de liens avec autrui, pensant à tord que ceux-ci se rompraient tôt ou tard. La jeune femme qui l'accompagnait ce jour-là se nommait Sinaëthin Al'Enëthan. Un peu plus jeune que son compagnon de route, elle avait toutefois une expérience tout aussi solide. Archère confirmée, il fallait avouer qu'elle était un jolie brin de femme. Des cheveux blonds clairs, des yeux d'un bleu vert saisissant, des lèvres fines et une allure gracieuse. Pourtant Myrddin était habitué à effecteur ses missions en solitaire et il ne voyait pas d'un très bon oeil cette coopération. Mais les ordres étaient les ordres. Il la connaissait très peu, l'ayant croisé uniquement au fort d'Ellyrion lors de leurs entraînements en commun. Mais cela n'empêchait pas à l'homme de lui vouer un certain respect. Après tout elle était une Aigle, et seul les soldats les plus méritants atteignaient ce statut. Taciturne par nature, Myrddin n'avait pas décoincé un mot pendant tout le voyage, se concentrant surtout sur leur mission actuelle.

Le peuple éternel vivait des heures bien sombres. Le célèbre fort d'Ellyrion était tombé, acculé par les assauts des drows. L'Aigle n'avait pu participer à la défense du fort, chargé d'une mission secrète pour le compte de l'armée. En effet quelques mois plus tôt, trois éclaireurs sylvains furent porté disparu près de la région d'Ithri'Vaan. Épiant un avant-poste drow pour surveiller ses activités. Mais leur présence avait été détecté et les trois elfes avaient été fait prisonnier. Le capitaine des Aigles avait alors chargé Myrddin de les secourir. Celui-ci ayant insisté pour s'en charger seul mais son orgueil l'avait alors trahi. En effet, le sauveteur fut vite fait capturé à son tour par l'ennemi. Emmené à Sol'dorn, il retrouva bien vite les éclaireurs, tous mort sous la torture. Notre homme sut alors quel tourment il allait subir. Pendant plusieurs mois il fut attaché sur une chaise, battu et interrogé par ces tortionnaires dans cet ordre. Les drows n'y allant pas de main morte, l'Aigle n'avait pourtant rien révéler sur les siens. Voyant sa santé et son espoir de s'en sortir décliner, il continuait pourtant de résister tant bien que mal aux coups de matraque des gardes. Les mois passèrent et l'elfe n'avait toujours rien dit. Les sombres eux par contre parlaient beaucoup. De la chute d'Ellyrion et de leur inquiétude au sujet du voile qui durait plus longtemps que prévu. Il y a deux semaines, les renforts arrivèrent enfin et cette fois ils ne s'étaient pas fait pincer dès le départ. Deux Aigles que Myrddin connaissait de longue date s'étaient infiltré dans les cachots pour lui venir en aide. Le plus vieux des deux se nommait Uriong, un mage doué d'une grande sagesse, surnommé le "Hiboux gris" par la compagnie. Il avait le don d'irriter notre elfe car il s'agissait d'un monsieur-je-sais-tout. Haldur était le second soldat, un ancien roublard recruté par l'armée pour ses talents de crochetage. Son nom de code était le "Pivert", car aucune porte ou serrure ne lui résistait. Il exaspérait souvent ses camarades par son humour déconcertant. Pourtant Myrddin fut heureux de les voir arriver même s'il n'avait rien laissé transparaître. Ne les remerciant aucunement d'ailleurs car après tout c'était leur mission. Celle-ci avait été pour une fois un succès, ils avaient rencontré peu de résistance et leur passage n'avait pas été signalé par les elfes noirs. Le prisonnier étant considéré comme presque mort, ces geôliers lui avaient laissé un moment de répit. Lui promettant de revenir plus tard pour l'achever mais il était trop tard pour eux. Le Phénix s'était envolé.

Gravement touché par ces mois de souffrance, Myrddin était retourné dans la maison de sa défunte mère en Ardamir. Histoire de se refaire une santé. De nouveau sur pied au bout de quelques jours, il avait reçu une visite de son capitaine et de la jeune Sinaëthin. Enthousiaste à l'idée de reprendre du service, il déchanta pourtant en comprenant le contenu de sa nouvelle mission. Avec sa nouvelle coéquipière, ils devaient retrouver la trace de Mithrarion Almedyne, lieutenant des Aigles et véritable héros parmi les siens. Accusé de désertion par l'armée lors de la bataille d'Ellyrion. Le rapport d'un éclaireur signalait même qu'il avait abattu l'un de ses hommes de sang froid sur le point d'achever un capitaine ennemi. Le renégat fut aperçu quittant le bastion sous les bannières des drows. Il avait par la suite fait faux bond à ceux-ci pour faire route vers la Dross, la ville des bandits. Autrement dit le premier endroit pour commencer les recherches. Myrddin n'en croyait pas un mot, cet homme avait été son instructeur, un véritable spécialiste du combat rapproché et de la double-lame. Ils avaient effectué une mission ensemble sur le territoire des nains. Mithrarion était comme lui, il parlait peu et c'était une chose agréable. Mais les faits étaient là, le lieutenant avait préféré la fuite à une mort honorable sur le champ de bataille. Leur objectif était de l'appréhender et de le ramener à la capitale, le tuer s'il résistait car il en savait trop et les informations qu'il détenait pouvait atterrir en de très mauvaises mains. Myrddin accepta de prime abord la mission pour connaître le fin mot de l'histoire. C'était impensable de la part du lieutenant.

Ainsi débuta l'aventure de nos deux protagonistes. Une fois les ordres en leur possession, il s'équipèrent et ne traînèrent pas pour rejoindre la fameuse ville de fripouilles. La Dross, l'Aigle la connaissait bien. Un lieu extrêmement dangereux où la vie ne tenait qu'à un fil. L'endroit idéal pour un renégat en fuite. Leur route fut paisible et sans encombre, esquivant les créatures sauvages qui étaient devenues agressives depuis le voile. La forêt d'Anaëh avait d'ailleurs reprit ses droits, les racines s'infiltrant partout où elles pouvaient, les feuilles des arbres obstruant le ciel avec vivacité. Myrddin ne comprenait pas ce qu'il se passait, restant vigilant à une éventuelle présence ennemie. Empruntant une route sécurisée, ils arrivèrent bien vite aux fameuses mines. Dès leur arrivée, ils furent appréhendé par les gardes de la ville. Leur conseillant vivement à tout deux de leur remettre leurs armes. Les scrutant tout d'abord un air méprisant, Myrddin se résigna et leur laissa ses deux lames. S'ils voulaient entrer, le seul moyen était de se plier aux règles de la ville. Mithrarion était un être intelligent, même s'ils ne savaient toujours pas ses plans, il devait être également désarmé à l'intérieur.

Les bandits ne leur avaient posé aucune question, le plus difficile étant passé. Les deux Aigles descendirent ainsi une grande pente en direction de la mine principale. Des torches éclairaient le passage étroit comme en plein jour. Une odeur nauséabonde prit néanmoins les naseaux de l'elfe, habitué aux grands espaces et à l'air frais. Il était mal à l'aise dans cet endroit, les mines étaient surtout faites pour les nains crasseux et les barbares. En quelques minutes ils avaient atteint la place principale de la Dross. Celle-ci n'avait pas changé, c'était toujours aussi vivant. Les marchands ventant la qualité de leurs marchandises, les gardes maltraitant les nouveaux arrivants un peu trop fougueux et ivres. Toutes les races étaient représenté ici, Myrddin surveillant du coin de l'oeil quelques drows qui le toisaient dans l'ombre. La misère se ressentait également dans cet endroit, avec son lot de mendiants et de filles faciles. Cherchant partout du regard le renégat, l'Aigle stoppa sa marche pendant quelques instants. Pour faire le point avec sa coéquipière. Lui parlant d'un ton grave, sans aucune émotion.

" Nous y sommes. Les ordres sont clairs. Nous devons retrouver Mithrarion et le ramener au plus vite à la capitale. S'il résiste, nous allons devoir attendre d'être sorti d'ici pour récupérer nos armes. Suis-moi, je crois que j'ai vu quelque chose. "

Esquivant d'un pas fulgurant quelques passants pour attiser sa curiosité. L'elfe se colla par la suite contre un étalage rempli de spiritueux et d'autres alcools affaiblissant l'esprit. D'un geste du bras, il intima à la jeune femme de faire halte puis de suivre son regard. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour le retrouver. Il était là, se dressant avec fierté sur la place centrale du village. Entouré par une garde personnelle constituée d'humains et de demi-drows. La situation ne trompait pas, il se constituait une armée de mercenaires, mais dans quel but ? Mithrarion était un être incroyablement charismatique. Noble elfique de naissance, il arborait une taille impressionnante. De longs cheveux d'ébène lui tombant jusqu'en bas du dos, des yeux d'un bleu acier perçant. Celui-ci s'entretenait avec un jeune demi-elfe, lui remettant en main propre une bourse bien remplie. Appréhender le lieutenant maintenant aurait été une erreur, surtout au vu de ses nouveaux alliés. Le temps que Myrddin échafaude un plan, la troupe se retira dans les bas quartiers, pendant que le demi-elfe se rendait dans la taverne toute proche pour utiliser sa nouvelle paye. L'Aigle proposa alors.

" Suivons cet homme et découvrons ce que le lieutenant lui voulait. "

Ne lâchant pas de l'oeil leur nouvelle cible, le Phénix se lança à sa poursuite sans attendre. Marchant d'un pas rapide à travers la foule, utilisant celle-ci au passage pour se dissimuler. Comptant aviser de la situation une fois le demi-elfe récupéré. Myrddin se heurta à un nouveau problème. En effet, alors qu'il poussait légèrement du bras les passants qui lui gênaient la vue. Il bouscula avec violence une elfe aux yeux d'émeraude sur son passage. Le dos bien droit, tirant une grimace en voyant sa proie disparue. Il ne fixa nullement la jeune femme qu'il venait de faire choir. Lui conseillant toutefois d'un ton glacial.

" Ôte-toi de ma route civil. "

Enrageant intérieurement en voyant qu'il venait de laisser passer sa chance. Ne relevant en aucun cas l'elfe qu'il venait de bousculer. Il ne s'excusa pas non plus, car c'était une preuve de faiblesse pour lui. La porte de la taverne la plus proche se referma, le nouveau sbire du renégat était sûrement là. Il ne fallait plus perdre de temps.

[ Voici le nouvel ordre de postage. Sinaë commencera, puis ça sera au tour de Shyska et enfin de moi-même. Enjoy.]

Je n'en revenais toujours pas. La chute du fort, la désertion de notre instructeur, et cette mission insensée pour laquelle j'avais été dépêchée avec pour seul coéquipier le si pompeusement surnommé "phénix"...

Je n'avais toujours pas digéré la perte d'un avant-poste aussi stratégiquement crucial que celui d'Ellyrion et du même fait la mort de bien des connaissances, aussi fugaces furent-elles. Non seulement l'armée elfique était amputée d'un trop grand nombre de ses membres, mais elle avait, par-dessus tout, perdu la porte d'Anaëh. Les bois n'étaient désormais plus sûrs. Nous n'avions plus aucun contrôle sur l'entrée des drows en territoires neutres, ce qui signifiait qu'ils pourraient se rassembler aux portes du royaume sans que nous n'y puissions grand chose, si toutefois étions-nous toujours en mesure de surveiller nos frontières... Il y avait trop à faire. Trop peu d'effectif. Depuis quelques temps j'enchainais les missions, loin du temps où je séjournais régulièrement en Eraïson chez père. Je ne lui avais plus rendu visite depuis un mois... Dans les faits, je regrettais peu ces visites, je me sentais simplement un peu perdue, emportée par un tourbillon d'évènements qui me dépassaient dans une certaine mesure, et noyée parmi tant d'autres. Je n'étais personne. Qu'une aigle. Mon nom ne s’accrochait plus aux lèvres de badauds enchantés, de taverniers familiers, de terribles ennemis ou même de simples amis... Être une aigle, c'était beaucoup, et à la fois si peu pour qui n'avait plus rien à se prouver. Le mercenariat me manquait... Car on peut y reconnaître pour tout avantage qu'il dépend du mercenaire d'accepter ou non ses missions. L'armée, c'était autre chose...

Me ressaisissant brièvement, je jetai un œil à mon coéquipier, visiblement dans les mêmes affres que moi. Celui-ci avait un physique ne me rappelant que trop un ami que j'avais perdu, des années auparavant. C'était beaucoup dire, dans la mesure où il avait la physionomie typique des elfes, des cheveux argentés comme beaucoup et que des yeux dorés ça n'était toujours pas une exception. Mais au-delà ces points communs il y avait la même nonchalance, que je trouvai quelque peu dédaigneuse, et le même abîme qui semblait engouffrer toute lumière lorsque je croisais son regard. Ce n'était ni folie, ni peur, ni chagrin, ni fureur, mais un peu de tout cela dans un enchevêtrement complexe qui avait quelque chose d'inquiétant de par son imprévisibilité. Je ne le connaissais que peu, pour ne pas dire du tout. Je l'avais souvent croisé, sans plus y prêter d'attention qu'à tout autre, et j'en avais déjà entendu parler. Du reste ça ne m'avait pas passionné. Un bon guerrier, excellent même, dans l'art de la double-lame, qui était manifestement un coriace. Surnommé "le phénix"... Je n'avais rien contre les surnoms mais n'y voyait pas vraiment l'utilité. Ils n'étaient ni plus courts, ni secrets, et n'allaient certainement pas rester gravés dans l'histoire de nos terres... Toutefois je n'avais pas à m'en plaindre. Son silence me convenait.

L'entrée dans la Dross se fit sans encombre. Abandonner mon arc aux gardes ne fut pas facile, mais par expérience je savais qu'ils me le rendraient en l'état, leur but n'étant pas de s'attirer les ennuis de quelque lointaine contrée... Quelques pas plus loin, je rebattis la capuche de ma cape sur ma tête, dans le souci de me faire discrète. Ici peu étaient ceux qui allaient sans se masquer ne serait-ce que partiellement. Terrier de tous les mauvais coups, la Dross grouillait d'individus qui se cherchaient ou se fuyaient, pour des raisons allant de la dette à la soif de sang pure et simple, en passant par l'infidélité. La Dross... Sa puanteur n'avait d'égal que la fourberie qui y siégeait. Avec ou sans armes, un faux pas et nous étions faits... Les gens du coin appréciaient peu les militaires actifs, sauf si ceux-ci avaient des objets ou informations à vendre ou toute autre affaire financière à régler. Contrairement à moi, ledit Phénix, dont le véritable nom était quelque chose comme Myrddin Oraka, arborait fièrement divers ornements représentant des aigles en référence à son poste. Il y avait plus discret...

Myrrdin jugea approprié de ma rappeler notre mission, comme si c'était nécessaire... Je dû toutefois lui reconnaître une chance incroyable, car à peine fit-il quelques pas que nous pûmes aviser le lieutenant Mithrarion, autrefois notre instructeur et à présent supposé déserteur. Celui-ci traitait avec un demi-elfe que nous nous empressâmes de suivre pour en apprendre d'avantage. Je ne pris à aucun moment la peine de répondre à mon semblable, me doutant qu'il n'attendait d'ailleurs aucune autre réponse de ma part qu'un acquiescement silencieux. Lorsqu'il renversa une jeune elfe, je ne pus pourtant réprimer ma consternation.

« Un "veuillez m'excuser" vous aurait-il donc arraché le cœur ?» le réprimai-je dans un murmure cinglant. « Ç'aurait par ailleurs été plus intelligent que de lancer un "civil" ! Ne doutez pas qu'il y a bien des personnes ici que seraient ravis de tomber sur deux aigles pour un faire leur dîner...» repris-je avant de me retourner vers la jeune elfe que j'aidai prestement à se relever tout en souhaitant que le brouhaha ambiant lui ai épargné ma vindicte. Ici les murs avaient des oreilles...

Sans l’attendre mon coéquipier je poursuivis vers la taverne et y pénétrai, à l'affut de notre fuyard aux oreilles pointues.

Shyska se sentait chez elle dans cet environnement barbare et peu accueillant. La Dross n'avait vraiment aucun point commun avec les domaines elfiques. Enfin du moins si l'on mettait de côté ses rares semblables _renégats, assassins, voleurs ou encore ceux qui comme elle avait choisit de s'exiler pour mener une vie au jour le jour sans but particulier_ qui habitaient les lieux. L'elfe était de bonne humeur malgré la fatigue du voyage depuis hautval car elle avait une fois de plus réussit à entrer dans la ville sans avoir à se délester de ses armes. Ce n'était pas la première fois qu'elle passait dans ce lieu mal famé et, revenant souvent de long voyage exténuée, elle représentait une proie facile pour les voleurs qui pullulaient. C'était pour cela qu'elle préférait escalader les murailles de nuit, emmitouflée dans sa cape de camouflage, plutôt qu'à devoir se séparer de ses dagues. Elle n'était d'ailleurs pas la seule à vivre en fraude ici et nombreux étaient ses connaissances à être dans le même cas.

Un geste amical en sa direction attira son attention, un ami la saluait chaleureusement tandis que l'un de ses compagnons arbora un air surprit qui tira un sourire à l'elfe. Ils lui avaient souvent fait remarqué qu'elle semblait être partout à la fois. Celui-ci l'avait aperçue à Hautval et la revoyait à présent quelques jours plus tard ici. Cette vitesse de voyage s'expliquait facilement car la rôdeuse ne s'attardait que très rarement dans les territoires qu'elle traversait. Elle répondit au salut en penchant la tête de côté et à la mimique surprise par un clin d'oeil complice puis passa son chemin.

Au détour d'une ruelle, Shyska déboucha sur une place encombrée de marchands qui ventaient bruyemment leurs produits respectifs avec plus de ferveur les uns que les autres. Ils ne semblaient cependant pas avoir de succès et beaucoup d'eux repartaient le soir avec la totalité de leur étalage.
Revivant les jours passés dans la baronnie, l'elfe ne vit pas l'un de ses semblables de haute stature arriver, et finit étalée sur les pavés. Il était accompagné par une demoiselle encapuchonnée qui lui murmura des reproches à l'oreille _que la rôdeuse entendit, car habituée à écouter nombreuses messes basses échangées entre bandits_ Celui-ci n'en fit pas cas et ne s'excusa pas autrement qu'avec un "ôtes-toi de ma route, civil !" peu sympathique avant de se diriger vers une taverne. Sa compagne toutefois aida la rôdeuse à se relever avant de filer à sa suite.

Elle pourchassa dans le dédale de rue un bandit qui s'était moqué d'elle, le coinça dans une impasse et l'égorga proprement. Elle abandonna ensuite son cadavre au rat et se rendit dans la taverne où devait encore se trouver le responsable de sa chute. Quelques instants plus tard, elle poussa la porte de l'établissement, chercha l'elfe du regard parmis tous les clients, le trouva dans un coin en train de discuter avec un demi-elfe contrit et traversa la salle pour s'attabler avec eux l'air de rien. Ils ne se rendirent pas tout de suite compte de sa présence ou alors ne s'y attendaient tellement pas qu'ils mirent du temps à réagir laissant le temps à l'elfe de remarquer que celui qui l'avait bousculée appartenait aux Aigles, l'armée d'élite elfique. Elle constata aussi qu'il s'agissait aussi d'un interrogatoire sur un certain Mithrarion qu'elle connaissait pour s'être battue avec lui un peu plus tôt. Apparemment cet elfe le recherchait et tentait d''extorquer des renseignements au demi-elfe.

Lorsqu'ils tournèrent la tête vers elle, Shyska eut un sourire d'excuse et leur expliqua qu'il n'y avait plus de place ailleurs ce qui expliquait sa présence. Bon bien sûr ça n'était pas vrai et elle ajouta :

- Je le connais votre Mithrarion si vous voulez. En même temps ce n'est pas très dur de le remarquer... Qu'a-t-il fait pour qu'un aigle le traque ?

le demi-elfe profita de la diversion de la rôdeuse pour tenter de s'enfuir, il attrapa la cruche de vin sur la table et l'abatti, visant le crâne de l'aigle.

Il fallait avouer que Myrddin n'était pas un pro de la discrétion. Ce talent étant destiné surtout aux éclaireurs et aux éperviers de l'armée elfique. Toutefois notre elfe avait également la fâcheuse tendance de prendre des risques inconsidérés en mission. Ne craignant plus personne et ayant une trop haute confiance en ses capacités martiales, l'armée le considérait même comme quelqu'un de suicidaire. En effet, il n'avait pas été surnommé le "Phénix" pour rien. Toujours en première ligne sur les champs de batailles, il s'en sortait à chaque fois avec son lot de nouvelles cicatrices. Capable de fondre seul sur plusieurs ennemis, l'Aigle s'en tirait à tous les coups car il était tout simplement chanceux de nature. Une chance presque irréelle. Mais ce côté insensible et surtout imprévisible inquiétait au plus haut point ses supérieurs. Son nouveau capitaine connaissait le passé de son subordonné, un passé sombre et surtout triste. Myrddin prenait ainsi des risques pour abréger cette solitude et ce vide en lui qui le dévorait de l'intérieur chaque jour. Aujourd'hui l'elfe n'était rien de plus qu'une bête sauvage, hostile et mutilée de l'intérieur. C'était ce trait de sa personnalité qui lui permettait de bien s'entendre avec la faune sauvage d'Anaëh, en particulier avec les loups.

Restant de marbre après avoir violemment bousculé cette mystérieuse elfe sur son passage. Son visage continua à ne montrer aucune expression lorsque sa coéquipière le reprit sur son attitude négative. Peu habitué à ce qu'on lui parle de cette façon, il n'avait pourtant rien répondu à cette réplique cinglante. Hormis une grimace incroyablement présomptueuse. Alors que Sinaëthin relevait la jeune femme. Myrddin ne porta aucun regard sur celles-ci. Son sale caractère était légendaire chez les Aigles et c'était pour cette raison qu'il aimait opérer seul en mission. Les autres avaient tendance à le gêner mais surtout à ne pas le cerner comme il fallait, créant donc certaines divergences de point de vue. La suite de leur aventure promettait d'être explosive car l'elfe n'était pas du genre à se faire marcher dessus. Et la jeune femme qui l'accompagnait semblait tout aussi froide et virulente que lui. Autre fait intéressant à souligner. Le guerrier avait pour habitude d'être familier avec autrui, tutoyant ceux qu'il mettait sur le même piédestal. Alors que Sinaëthin continuait à le vouvoyer depuis leur voyage jusqu'à la Dross. Cela venait probablement d'une bonne éducation. Qui sait.

Sans s'y attendre, le soldat Oraka vit l'archère partir en direction de la taverne. Sans un mot. Après tout elle venait de faire suffisamment de reproches, et ceux-ci ne semblaient pas affecter l'Aigle ténébreux. Passant sous le nez de Shyska qui était entrain d'épousseter ses vêtements. Ne lui adressant toujours aucun regard, il rejoignit vite la fameuse auberge, qui promettait d'être aussi active que la ville elle-même. À peine eut-il poussé la porte à la suite de Sinaë, qu'un brouhaha sans nom l'oppressa. À l'intérieur, les ivrognes se bousculaient au comptoir pour commander un verre. Les malfrats s'endettaient au fond de la salle principale dans des parties de cartes endiablées. Les gardes rigolaient bruyamment en énumérant le nombre de victimes qu'ils avaient dépouillé dans tous les sens du terme. Débarquant aux côtés de son alliée qui scrutait la salle, il fit de même. Tentant de retrouver ce demi-elfe qui semblait savoir pas mal de choses sur Mithrarion. La recherche était fastidieuse dans cette salle bondée et malodorante, mais c'était sans compter sur la chance du sylvain. Le demi-elfe était dans un coin de la taverne, assit seul à une table. Comptant son or avec une lueur d'avidité dans le regard tout en savourant une cruche de vin de grand cru. Myrddin glissa alors à l'oreille de sa camarade.

" Il est assis là-bas. Reste aussi discrète que tu veux mais sache que ce n'est pas ma façon de faire. "

Le ton avait été cynique et dénué d'émotion, comme à son habitude. On ne pouvait pourtant pas lui ôter la qualité d'avoir un certain franc parler avec les gens. Il avait instauré les bases de leur relation mais le bougre se doutait bien que la belle n'était pas du genre à se laisser faire. Lui coupant la voie pour rejoindre sans attendre le jeune mercenaire qui continuait de comptabiliser sa fortune. La patience et Myrddin étaient en désaccord. Et le sbire allait faire les frais de sa mauvaise humeur. Arrivant en face de lui dans une allure obscure et déterminée. Il plaqua sa main droite avec vigueur sur la table. Demandant à sa cible d'un air grave.

" On peut discuter tous les deux ? "

Voyant la main de cet inconnu près de son or. Le demi-elfe aux cheveux de blés eut un regard fou à cet instant. Ressentant également cet elfe comme une présence hostile, et il avait bien raison. Malgré sa jeunesse et sa fougue apparente, il ne se démonta pas devant l'Aigle.

" J'ai rien à te dire mon gars. Alors si tu veux pas d'emmerdes, je te conseil vivement de te casser. Je suis un dur à cuire moi et je... "

Perdant de nouveau patience, Myrddin ne lui avait pas laissé le temps de finir sa phrase. Le saisissant violemment d'une main à la gorge, il le fit basculer de sa chaise pour le plaquer au mur. Lui claquant la tête au passage et resserrant son étreinte. Il lui souffla alors à l'oreille.

" Tu vas me dire tout ce que tu sais sur Mithrarion. Ses projets. Où il vit dans la Dross. Ce qu'il attend de toi... "

" Tu peux crever salopard. De toute façon je connais pas ton Mitrarion. "

Pendant ce règlement de compte qui manquait cruellement de discrétion, le tavernier qui était à la table d'à côté intervint. De loin.

" Hé ! J'veux pas de bagarre dans mon bar les elfes ! "

Tournant son oeil doré vers l'humain au ventre arrondi et à la moustache bien fournie. Myrddin rétorqua dans un ton mielleux qui sonnait parfaitement faux.

" Ce n'est rien de plus qu'une réunion de famille. Tu peux continuer à servir tes clients. "

Il fallait avouer que l'Aigle ne manquait pas de toupet. Offusqué devant cette réponse, l'humain n'en fit pourtant rien. Malgré la présence des gardes de la ville, les règlements de comptes étaient monnaie courante dans ce genre d'endroit. Et tant qu'ils ne cassaient rien et ne s'entretuaient pas, c'était la routine pour tout le monde. Reportant son attention sur le demi-elfe, celui-ci se vit soulever avec force contre le mur. Ses pieds ne touchant bientôt plus le sol.

" Sache que j'ai horreur de me répéter. Alors, que sais-tu sur Mithrarion ? "

" Okay Okay okay. Je vais tout te dire. C'est un elfe qui vient d'arriver en ville. Un militaire je crois. Il recrute des hommes pour une mission au Nord. Il vit dans un entrepôt dans les bas quartiers. Le boulot est bien payé et je devais le rejoindre dans quelques heures. Je te jure que c'est tout ce que je sais. Je t'en supplie, me fait pas de mal ou ma mère va me tuer. "

En ayant assez entendu, il reposa sa proie sur le sol. Époussetant sa chemise brune qui était désormais toute froissée. Ce n'était rien d'autre qu'un gamin sans cervelle, désireux de gloire et de fortune. Myrddin ne reconnaissait plus son supérieur. Celui-ci engageait des bandits sans expérience et à la pelle pour une quête encore obscure, apparemment dans le territoire des nains. L'Aigle avait déjà effectué une mission avec le lieutenant dans les Hautes terres. Une chose lui venait à l'instant à l'esprit. La dernière fois Mithrarion semblait chercher quelque chose, une chose qui n'avait aucun rapport avec leur venue en ces terres. Furetant partout dans les livres et dans les montagnes. Le phénix comptait bien en avoir le coeur net de toute façon. Une voix féminine le tira alors de sa torpeur.

- Je le connais votre Mithrarion si vous voulez. En même temps ce n'est pas très dur de le remarquer... Qu'a-t-il fait pour qu'un aigle le traque ?

C'était cette femme qu'il avait fait choir dans la rue un peu plus tôt. Ils tenaient une nouvelle piste mais Myrddin garda toujours quelques réserves. La toisant de son oeil de glace, il afficha même un rictus haineux à son encontre. Elle était peut-être une voleuse à l'affût de son or ou une sbire envoyée par Mithrarion lui-même. Le mal ayant bien souvent les allures d'un ange. Il ne l'avait pas du tout entendu venir, ses pas étant couvert par le bruit de la taverne. Elle était assise, devant eux, un léger sourire pendue à ses lèvres. Alors que l'Aigle fixait la rôdeuse sans un mot, le blondinet en profita pour agir. Saisissant avec une certaine rapidité sa cruche sur la table, il visa la nuque de l'elfe qui l'avait martyrisé. Baissant rarement sa garde même avec ses camarades de l'armée, il esquiva la tête pour éviter l'objet contondant qui l'aurait probablement assommé. Immobilisant le sbire d'une clé de bras lui faisant lâcher prise. La cruche se brisant sur le sol. Il lui claqua alors violemment le visage sur le rebord de la table. Lui accordant une sieste bien méritée. Le barman secoua alors la tête, insultant les elfes dans sa moustache et retournant à ses occupations. Myrddin resta calme et mutique. Ne lâchant pas de son oeil Shyska qui continuait de l'intriguer. Elle semblait en savoir beaucoup sur le lieutenant. Se rapprochant alors de sa coéquipière, il lui glissa à l'oreille. Cette fois sans aucune animosité.

" Tu penses qu'on peut lui faire confiance ? "

Toujours conscient, le demi-elfe rampa discrètement aux pieds des aigles, le visage ensanglanté. Lançant un regard apeuré en direction de l'archère, pensant à tord se tirer de cette situation épineuse.

« A qui ? A la brune ou au nervi ? Dans un cas comme dans l'autre on peut douter de tout mais il va bien falloir se lancer sur une piste, aussi fausse soit-elle, pour que l'on avance dans cette affaire... » lui soufflai-je avec un désintérêt feint.

« Si je m'écoutais je ne te ferais pas même confiance à toi. » ajoutai-je tout en levant brièvement les yeux au ciel.

Je n'aimais décidément pas ses méthodes. D'ordinaire c'était moi qui me chargeais de dérider les individus peu bavards, en me contentant de les menacer froidement de ce dont j'étais capable, et que j'avais d'ailleurs déjà réalisé par le passé. Telle la castration. Son petit numéro accompagné d'un genre de démonstration de force me laissait de marbre, et même affligée.

L'aigle la gratifia d'un regard froid et haineux mais Shyska ne s'en formalisa pas. Puis le demi elfe passa à l'action à une vitesse telle qu'elle n'eut pas le temps de réagir. Heureusement (ou malheureusement pensait-elle) le soldat elfique l'esquiva et le maitrisa avec une facilité déconcertante. Il le délaissa gisant au sol pour glisser quelques mots à sa compagne. La rôdeuse observa l'échange avec amusement, sachant pertinemment qu'il la concernait.

Puis changeant radicalement d'expression, elle lança dans un soupir agacé :

- Mithrarion se trouve dans les bas quartiers et recrute des hommes pour une mission dans le nord

Elle lança un regard méprisant au demi-elfe qui rampait au sol

- Vu la lacheté de ce lascar, je suppose que vous êtes déjà au courant. En revanche, je crois savoir qu'il est bien entouré et je ne pense pas qu'a vous deux vous pourrez l'attraper sans problème. Enfin si cela vous chante, je peux toujours vous emmener dans la gueule du loup

Puis sans plus se soucier d'eux, elle se leva et quitta la taverne à grand pas. Elle s'éloigna, tourna dans une ruelle et la descendit sans ralentir l'allure. Elle bifurqua brusquement s'engageant dans un coupe gorge sombre et humide entre deux maisons. Celui-ci était tellement étroit qu'on pouvait passer devant sans le voir. Elle marcha un long moment avant d'arriver en vue du fameux entrepôt. Elle s'enroula dans sa cape de camouflage et longea silencieusement un mur avec lenteur, se dissimulant dans les ombres et semblant disparaitre à certains moments. La porte était encadrée par deux guetteurs vigilant. Le bâtiment n'était vraiment pas accueillant, délabré et avait l'air de risquer de s'effondrer à chaque souffle de vent, pourtant malgré sa fragilité apparente, il semblait être une forteresse imprenable. Il n'y avait nul autre moyen d'entrer que de passer entre les deux gardes.

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