Mauvaises nouvelles et préparations

Barkios, 6ème année du 11ème cycle
Ville d'Etherna

Le Baron était dans son bureau, assis sur la chaise confortable et ne faisant rien, ou plutôt si, il réfléchissait ardemment à tout ce qu'il se passait dans la péninsule et aux possibilités qui étaient les siennes. Il était donc perdu dans ses pensées lorsque quelqu'un frappa à la porte. Une fois qu'il eut l'autorisation d'entrer, il expliqua au Baron qu'un corbeau était arrivé et il lui tendit le message qui portait le sceau du Comte d'Odélian.

Intrigué, Jérôme congédia son serviteur et il ouvrit le parchemin, au fur et à mesure qu'il le lisait, son regard s'assombrissait. Une fois parvenu à la fin, il avait la mine sombre, il était question dans le message de réunir son armée et de se tenir prêt. La suite expliquait que le Comte de la Rochepont avait mené son armée ainsi que celle de son épouse la baronne d'Olyssea sous les murs de Sainte Berthilde et qu'il assiégeait sa suzeraine légitime. Voila des nouvelles qui étaient bien tristes et qui n'arrangeaient pas du tout le Baron. En effet il n'y a pas si longtemps que ça il avait rencontré le Comte et sa femme, il avait au final passé un assez bon moment, même si c'était des plus tendus, surtout au début et il n'avait aucun grief contre eux.

Il réunit son conseil qui n'était la que par pure symbolique étant donné qu'ils n'avaient plus aucun pouvoir depuis la dernière incursion de Grégoire pour mater une révolte de plus. Une fois tout le monde présent autour de la table, il expliqua les faits par politesse et demanda qu'on sonne le rassemblement des troupes. Les conseillers qui sont censés êtres des sages commencèrent à argumenter qu'il ne fallait pas trop se précipiter et que dans les conflits, la meilleure chose à faire était de rester neutre afin de conserver la région dans la tranquillité. Ils continuèrent cela un certain temps, Jérôme les laissant parler sans intervenir afin de voir jusqu'où ils iraient.

Il fut dommage pour eux qu'ils ne connaissent pas le Baron car plus ils parlaient, enhardit par le silence de leur seigneur et plus le regard de ce dernier se faisait dur et glacial. La tempête couvait, ses proches l'aurait vu mais malheureusement il était bien seul et isolé pour le moment. Décidant que c'était assez et qu'il avait fait preuve de suffisamment de patience, il choisit de planter un clou dans l'édifice qu'il voulait bâtir avec Etherna. Il frappa violemment sur la table, la faisant résonner et il se leva si vivement qu'il surprit toutes les personnes présentent, celle-ci se turent mais loin du silence qui aurait dû s'imposer ce fut la voix tonnante de Jérôme qui se fit entendre

"Il suffit, n'avez vous donc rien apprit de l'histoire d'Etherna ! souvenez vous que c'est votre volonté de rester neutre et de ne prendre jamais parti qui a précipité la chute de la ville sous la coupe du Comte Gaucelm !"

Ces paroles n'étaient pas des questions cela était certain, il s'agissait de constatations pure et simple qui clouèrent les bouches visqueuses des conseillers si futiles. Ce silence après la coup de tonnerre paru étouffant, le Baron regarda les personnes présentes l'une après l'autre, son regard était de pierre, d'acier même et des éclairs auraient pu jaillir de ses yeux s'il en avait le pouvoir, il reprit la parole, la voix avait baissé, retrouvant quelque peu son calme mais le ton était toujours acéré

"Je vous rappel que je suis le vassal du Comte Grégoire d'Odélian et sa lettre n'était pas une requête, si je vous ai fais venir, c'est pour vous expliquer la situation et que mettiez à exécution mes ordres, pas pour polémiquer toute la vie"

Ne voulant plus reculer devant les décisions qu'il s'était fixé et devant un jour ou l'autre passer à l'action, il continua

"Dehors ! sortez tous ! vous êtes une guigne qui ne m'est d'aucune utilité, je ne veux plus vous voir"

Les chaises se reculèrent vivement, faisant un vacarme important alors que les conseillers se levaient et se précipitaient vers la sortie de la salle. La seule chose qu'ils n'avaient pas saisi, c'est que cette décision n'était pas temporaire et que bientôt ils seraient priés de quitter le château et de retourner sur leurs propres terres.

Une fois seul, Jérôme appela l'un des garde de la porte de la salle et il lui dit de se rendre à la caserne afin de mander le Capitaine de l'armée et qu'il vienne séance tenante voir le Baron. Attendant l'arrivée de l'officier, il se rassit et se calma comme il le pouvait, il était rare qu'il s'énerve de cette façon et il détestait cela.

Le responsable de son armée qui était encore en construction arriva, il salua dans les usages et ne parla pas, il devait surement avoir été prévenu de l'humeur du Baron. Bien que l'humeur de ce dernier ne soit pas au beau fixe en raison des nouvelles et de l'altercation qui avait eut lieu, le ton qu'il employa était neutre et nullement agressif

"Capitaine, je vous ordonne de rassembler l'armée et de faire les préparations en vue d'une campagne, il se peut que nous partions à la guerre sous peu. Vous me rendrez compte dès que ce sera fait"

L'officier prit congés et il partit d'un pas vif, son visage était blême et le Baron le comprenait, l'armée n'était pas au complet, les armes et armures pas toutes prête et les soldats manquaient cruellement d'entrainements et encore plus d'expériences.

Le temps passait très vite, Jérôme se trouvait sur son cheval en train d'arpenter le campement qui s'était monté aux portes d'Etherna. En effet la caserne qui se trouvait entre le capitale et Seram n'était pas encore terminée, aussi lorsque le Capitaine de l'armée avait sonné le rassemblement, des tentes avaient commencé à se dresser sur les alentours.

Les soldats arrivaient en nombre, fantassins et cavaliers et le campement commençait déjà à se découper en parties distincts, les piétons ne se mélangeants pas à la cavalerie. De plus tout le lot de civils qui voulaient profiter de ce remue ménage fit son apparition, de la femme de petite vertu aux forgerons et autres coupes jarrets qui pensaient se partager le gâteau. Ceux-ci furent remisés un peu à l'écart du campement militaire qui fut délimité avec interdiction d'y pénétrer, des gardes veillant à la sécurité.

Les chevaliers et autres nobles de la région étaient également arrivés mais l'explication houleuse avec les conseillers qui avait amené à leur renvoi avait fait couler de l'encre, aussi il y eut pas mal de courriers qui arrivèrent de certains nobles qui prétextaient une maladie ou une mauvaise chute de cheval lorsque ce n'était pas un accident de chasse qui les empêchait de faire leur devoir envers leur Baron et de se joindre à l'armée. Ainsi la garde qui devait se monter à une cinquantaine de cavaliers lourds se trouva au nombre d'une trentaine. Jérôme fulminait intérieurement mais il n'était pas temps de régler cela, il pourrait le faire plus tard, au moins il avait enfin trouvé un moyen de savoir qui le suivait ou pas. Par contre certains de ceux qui s'étaient joints à la levée n'étaient la que par pure intéressement et cela, il ne le supportait pas beaucoup non plus mais il ferait avec, du moins pour l'instant.

Dès qu'il eut donné l'ordre de rassembler l'armée, il fut soulagé qu'il était question du ban et non de l'arrière ban. En effet les paysans avaient bien des occupations en ce moment aux champs et il aurait été très embêtant, voir catastrophique de les empêcher de préparer la récolte. Il avait aussi donné immédiatement des instructions afin qu'on ne le dérange pas sauf extrême urgence. Bien qu'ayant congédié ses conseillers, il y avait toujours son intendant et son trésorier et il les avait chargé de la gestion à sa place.

En effet il voulait absolument assister à l'organisation de son armée, non pas qu'il pensait le Capitaine incompétent mais tout simplement qu'il avait (pour le moment) gardé les officiers qui étaient déjà la à son arrivée. Il regardait donc très attentivement les Sergents d'arme et la façon dont ils parlaient et s'occupaient de leurs hommes. Il remarqua ceux qui étaient obéis, tenta de remarquer si c'était en raison de la peur de leur supérieur ou par respect envers celui-ci et ceux qui faisaient n'importe quoi. Il avait sur lui un parchemin et une plume et il demandait de temps en temps à son entourage les noms des hommes qui l'intéressaient et ceux qu'il dégraderait, voir renverrait. Tout cela était des plus instructif sur la mentalité d'un homme et sa façon de se conduire.

Dans la noblesse qui l'accompagnait, un fils de chevalier de petite noblesse se démarqua, il se nommait Clément d'Huguelain et il plut rapidement à Jérôme. Les deux hommes discutaient de plus en plus régulièrement et il n'était pas rare lors des chevauchés qu'il se trouve à la droite du Baron. Intérieurement, ce dernier avait déjà décidé de le tester et s'il répondait à ses attentes, de le nommer Capitaine, c'est pour cela qu'il lui posa de nombreuses questions plus variées les unes que les autres auxquelles il répondit sans tergiverser. Cela était un bon point pour lui car Jérôme aimait la franchise et il détestait par dessus tout les mielleux et autres conspirateurs.

Fréquemment, le Baron se rendait à l'intérieur même du campement et il parcourait les allées, saluant à droite et à gauche. Il appréciait de se montrer à ses hommes afin qu'ils sachent pour qui ils se battaient. Il arrivait que certains soldats ne connaissent même pas le visage de leur seigneur ou juste de très loin, ce n'était pas la ce que Jérôme voulait. Pour lui, les soldats devaient connaitre celui qui les menait à la bataille et pour qui ils pouvaient perdre la vie. Il leur donnait des sourires et des signes de la main, tapant une épaule par ci ou par la. Cela n'était pas du gout des autres nobles qui, dans ces moments la, préféraient rester à l'écart ou au château. Clément pour sa part, le suivit partout et semblait apprécier l'attention que Jérôme donnait à ses soldats.

Aujourd'hui, les troupes étaient assez conséquentes pour envisager un départ, il y avait des cavaliers (lourds et légers), des hallebardiers, des lanciers et des arbalétriers. Et pourtant elles n'étaient pas aussi nombreuse qu'elles l'auraient pu. En effet, cela faisait peu de temps que le Comte avait permit à Jérôme de remonter une armée, ce dernier avait eu du flair en parlant de se préparer car les évènements s'étaient précipités beaucoup plus rapidement qu'il l'avait pensé. Du coup, il n'avait qu'une partie, certes importante, du nombre qu'il avait pensé former mais cela devrait faire l'affaire. De plus, toutes les troupes n'étaient pas équipées du mieux qu'elles le pouvaient, malgré l'effort fournit par le trésor du Baron, le temps avait manqué cruellement.

Jérôme, en ce moment, était donc sur son cheval et il regardait le campement des hommes qui allaient se battre pour lui, il était heureux de les contempler et il espérait qu'ils feraient sa fierté. Il regarda Clément

"Il est temps d'envoyer un courrier au Comte afin de l'avertir que nous sommes prêt à partir lorsqu'il le désirera"

Le noble se redressa sur son cheval

"Bien entendu votre honneur, il en sera fait selon votre bon vouloir."

Il piqua des étriers dans les flancs de sa monture et se dirigea au galop vers la ville afin d'envoyer le message au Comte. Le regard du Baron s'assombrit et il se rappela sa dernière discussion avec le Comte de la Rochepont

(Combien d'entre eux vont périr ? et pour quelle cause ?)

Jérôme ne crachait pas sur une bonne bataille, il avait été élevé par un chevalier et il en avait gardé les principes moraux. Mais au fond de lui, malgré l'excitation qui montait comme la sève dans les arbres, il savait que la réalité était tout autre et qu'il y aurait des veuves, des mutilés qui ne pourraient plus subvenir à leurs besoins et bien d'autres choses encore.

Les jours se succédaient, Jérôme avait entamé la levée de son armée avant la requête du Comte et c'était une bonne chose. Aujourd'hui le campement comptait plus de mille quatre cent hommes d'armes, cavaliers et fantassins. Le fait de lever cette masse de soldats alors qu'il venait d'être nommé lui permettrait peut être d'avoir la confiance et la faveur de ses hommes, chose appréciable pour quelqu'un de son statut. Toutefois, il était aussi de fait qu'ils venaient des quatre coins de la baronnie et qu'ils étaient souvent déjà au service d'un châtelain ou autres chevaliers et il faudrait s'allier d'abord leurs supérieurs.

Les visites successives du campement avaient soulevé des questions à Jérôme sur la valeur de ses effectifs en raison de leur expérience au combat. Ils n'étaient pas aguerris et avaient plutôt gouté à la défaite pour ceux qui pouvaient passer pour des vétérans, le Baron espérait changer cela. Aujourd'hui, il se trouvait dans un salon et il tournait en rond, il réfléchissait à tout ce qu'il s'était passé une fois de plus, ainsi qu'à ses discussions avec le Comte et toutes les personnes qu'il avait rencontré depuis sa nomination. Il espérait être à la hauteur de son titre et de ses ambitions et celles-ci se modifiaient au fur et à mesure que sa réflexion avançait.

Il décida de mettre ses projets en branle, ainsi il avait passé les quelques jours passés à passer des consignes qui pourraient paraitre obscures aux néophytes. Il fit, entre autres, mander des fauconniers sans raison apparente et il envoya des espions mais vers des destinations étonnantes. Le fait d'être le seigneur lui permettait de n'avoir aucune justification à donner, il ordonnait et les choses se faisaient. Il était toujours méditatif lorsqu'il entendit frapper à la porte, il s'arrêta net et se tourna en direction de celle-ci

"Entrez !"

La porte s'entrouvrit et une tête de garde passa par la porte avant de s'ouvrir en grand. Le gardien s'inclina avant de parler

"Votre honneur, on me signal que votre frère, sire Guillaume est arrivé au château, il demande audience, si cela vous plait ?"

Sans prévenir, Jérôme partit vers la porte d'un bon pas, un sourire apparut sur les lèvres du Baron

"En voila une bonne nouvelle, il tombe rudement bien le bougre"

Jetant le protocole aux orties, il rejoignit son frère la où il se trouvait, il riait désormais de bon cœur et il prit son cadet dans ses bras

"Guillaume, comme je suis content de te voir, qu'est ce qui t'amène par ici ?"

Chez les De Clairssac, la famille était l'une des choses, voir la chose, la plus importante qui soit. Guillaume et Jérôme s'entendaient fort bien ainsi qu'avec leur sœur benjamine. L'arrivée de son frère était aussi une bénédiction pour plusieurs autres raisons, la première étant qu'il avait enfin quelqu'un en qui il pouvait avoir confiance à cent pour cent. Ensuite parce que Jérôme, bien que fils d'Etherna, avait été éduqué auprès d'Odélian, ainsi, même si sa nomination n'avait pas levé de violents heurts, il ne faisait pas non plus l'unanimité, du moins pour le moment. Pour sa part, Guillaume n'étant pas l'ainé, il n'avait pas reçu la même éducation que Jérôme, il était donc devenu un chevalier et il avait été écuyer d'un seigneur du pays, il passait donc mieux auprès de la noblesse locale.

Le Baron prit son frère à part, préférant l'intimité ainsi qu'être à l'écart des oreilles indiscrètes, il commença par demander quelques nouvelles

"Comment vont Mathilde et mère ?"

"Fort bien, elles t'envoient leurs encouragements et espèrent de tes nouvelles plus souvent que tu ne le fais"

Il était toujours agréable d'avoir des nouvelles de sa famille, il faudrait qu'il pense à les faire venir auprès de lui mais il ne savait pas si sa mère pourrait venir et laisser derrière elle leur chez soit. Il avait préféré ne pas leur poser la question pour le moment, sa nomination était encore récente et il n'était pas certain de la sécurité. Enfin, tout cela était bien beau mais il fallait aussi passer aux choses sérieuses.

"Guillaume, j'ai quelque chose à te demander, c'est très important."

Les deux hommes étaient face à face et ils se regardaient, leurs visages avaient retrouvé une gravité de circonstance

"Lorsque le Comte ordonnera le départ, je prendrais avec moi mille cents hommes, j'aimerais que tu continue de lever des troupes et que tu essaie de rallier les autres seigneurs qui n'ont pas répondu à mon appel, je sais que tu en es capable et je te fais confiance."

Guillaume avait ses yeux dans ceux de son ainé, il savait que s'il lui faisait une demande ainsi c'est que c'était très important

"Je ferais tout mon possible frérot"

"Fort bien et lorsque tu recevras un courrier de ma part, j'apprécierais que tu fasse ce qui est demandé sans te poser de questions, as tu bien compris ?"

Bien qu'étant seul dans la pièce, il était de coutume de dire que les murs avaient des oreilles, aussi il préféra rester très évasif. Son frère était assez intelligent et compétent pour savoir ce qu'il devait faire et la confiance qu'ils avaient l'un envers l’autre suffisamment grande pour que les questions ne fusent pas.

"Comme tu le voudras"

"C'est parfait, et maintenant passons à autre chose...."

C'est ainsi que les deux hommes passèrent un long moment à discuter de tout et de rien. Guillaume avait rejoint son frère et Jérôme était heureux de l'avoir de nouveau à ses côtés.