Le début de toute chose. [Leana][Terminé]

Combien de temps était passé ? Deux jours ? Plus ? Taurë n'en avait aucune idée. Elle avait perdue la notion du temps depuis qu'elle s'était réveillée dans un théâtre de sang, de violence et de cadavres. Ses souvenirs demeuraient en lambeaux. Elle était allongée sur l'unique roche autour d'une mare de cadavres, sur lesquels elle trébucha de nombreuses fois, s'étalant de tout son long. Sa peau était recouverte de sang caillé et séché, et ce n'était pas le sien, faute de plaies sur son corps. Le chant des Arbres était mystérieux, il enquêtait sur ce qui était advenu, sur l'état de leur Première Protectrice. Elle avait marché comme elle le put jusqu'à un cours d'eau où durant une heure, elle s'était affairée à se laver, ainsi que sa robe et ses cheveux. Elle sentait toujours le sang, et respirait la mort. Où se rendait-elle ? Elle même peinait à se souvenir. Où était-elle ? Elle ne le savait plus.

Alors elle marcha, ce qu'elle faisait de coutume, et auprès des Arbres elle chercha à se localiser. Ils lui apprirent qu'elle se trouvait en Linaëh, dans le Protectorat majeur de Daranovar. Puis peu à peu, elle se souvint du pourquoi elle se trouvait là. Taurë avait promis une chose, et elle devrait l'honorer. Un voyage l'attendait, qui la mènerait aux seuils des demeures de tous les Protecteurs qui lui étaient possible de voir et de rallier dans un plan qui concernait toute l'Anaëh. Pour l'instant, seul l'investigateur de cette idée, le Protecteur de l’Épine Dorée - dont elle n'avait même pas demandé le nom - et elle-même prenaient part à cette entreprise : celle de tenir les armées sur un pied de guerre permanent, et peut-être de faire ce que jamais les Elfes n'avaient eu le courage de faire jusque là. Cependant, la Gardienne s'était promise qu'une fois cette action menée à terme, de tout faire pour un repli des Elfes sur l'Anaëh, et de conforter ce qu'ils savaient imprenable. Jamais Taurë prônerait une expansion du Peuple Sylvain. Cependant, elle admettait que la présence d'armées Sombres à Ellyrion et à Yutar était une menace dont les Elfes devaient à présent se débarrasser.

Ce fut en début d'après-midi, du moins, de ce que Taurë pouvait en déduire par la hauteur de l'astre princier dans le ciel, que la Gardienne posa les pieds dans la ville de Linaëh. Demandant à quelqu'un de la guider au manoir de la Protectrice, elle provoqua l'attention de tous les habitants de la cité, qui vinrent à la rencontre de la Gardienne. Certains s'inclinaient, d'autres cherchaient sa main pour la toucher. Éreintée, Taurë dispensa tout de même sourires et caresses de la main, murmurant quelques « Que la Mère vous bénisse. » avant de finalement se faire conduire à la porte du manoir. Par le tintement qu'ils provoquèrent, les gardes s'inclinèrent en sa présence, et un partit chercher la maîtresse des lieux, une certaine Leana, Protectrice mi-Elfe, mi-Humaine, ce qui avait quelque peu surpris Taurë. Toutefois, elle décida d'accorder du crédit à la jeune Protectrice : si l'on atteignait ce poste, ce n'était que par le mérite. Après tout, peut-être devait-elle bien en posséder au moins une once...

La vie avait repris son cours, toujours aussi calme, longue et paisible sur le territoire des elfes qui restaient imperturbables face aux frasques humaines. Mais après tout l'espérance de vie était différente. Elle s'y était habituée, certes, mais il y avait toujours cette nostalgie d'avoir toujours une personne de laquelle il fallait s'occuper, que ce soit à cause d'une infection ou d'une simple grippe qui pouvait tuer les plus faibles jusqu'aux rhumatismes du doyen du village qui avait toujours une histoire à raconter.

Enfin... Méditer était une chose courante pour les elfes, surtout ceux maitrisant la magie, et l'on disait que ça pouvait rallonger leur espérance de vie ou tout du moins leur épargner les tracas responsables de leur mort finale. Ces derniers temps elle avait beaucoup pratiqué ceci, s'isolant régulièrement face à l'absence d'activité autre que les querelles "arbre contre pierre" qui divisait encore et toujours le peuple et qui n'arrivait pas à se mettre d'accord. Elle ne verrait d'ailleurs certainement pas l'issue de ce conflit tellement que certains étaient obtus à ce niveau.

Enfin, ces pensées furent interrompues par L'intendant Elrás qui portait une nouvelle de la plus haute importance car il avait visiblement couru à travers tout le jardin pour la faire venir de toute urgence à l'entrée du manoir ou se tenait une personne de la plus haute importante : la gardienne de Kyria récemment investie par la déesse.

Chose qu'il avait oublié de prévenir, alors que la Protectrice s'avançait vers leur hôte était que celle-ci était recouverte de sang ! Le pauvre intendant ne s'attendit pas à recevoir un regard noir dans le genre "vous auriez pu me prévenir de ça !"

"Par les cinq ! Vous êtes blessée ?!" Il n'en fallait pas plus pour déclencher la totale. "Vous auriez du le signaler plus tôt ! Ou êtes vous blessée ? La question paraissait plus comme une sorte de semi ordre. Après tout le médecin avait toujours quasiment tous les droits !
"Allez me chercher de quoi nettoyer et des bandages !" finit-elle par ordonner au premier garde venu.

La Gardienne ne sut comment réagir à l'action de la Protectrice. D'abord, elle se sentit quelque peu honteuse de n'avoir pas accordé plus de temps à sa toilette. Elle s'empourpra légèrement, en espérant que du sang soit toujours sur son visage, ainsi cela ne se remarquerait pas...trop. Au vu de - l'amusante - autorité dont la Protectrice fit preuve à son entourage, Taurë comprit qu'il était inutile de l'en dissuader, tant bien qu'elle n'en avait aucune envie. Avec de la chance, elle aurait peut-être même un bain chaud. C'était si gentiment proposé. Pourtant, la Gardienne laissa sa voix prendre le dessus, et sur un ton doux et courtois, s'adressa à la Protectrice :

« Je vous prie d'excuser mon accoutrement...ce sang n'est pas le mien, mais ne vous donnez pas de peine. »

Le sourire qui accompagnait ses paroles se souhaitait convaincant, mais la Gardienne doutait de son efficacité. Et puis, si tel était le souhait de la Protectrice, la Gardienne se laverait. Après tout, elle devait obtenir son soutien, et ce n'était pas dans les coutumes de Taurë de refuser un service proposé. L'intention pouvait être qualifiée de gentille, mais peut-être était-ce la surprise du premier contact qui prenait le pas sur la conscience de l'Elfe multi-centenaire. Quoiqu'il en fût, la Gardienne n'émit aucun jugement sur la Protectrice : elle demeurait une demie, et avait côtoyée des Humains. Elle se ferait une idée lors de la discussion qui l'amenait chez elle.

Pas blessée ? Le soulagement était palpable, au moins il n'y avait pas de mal pour elle, ce qui n'était pas forcément le cas pour ceux à qui appartenait le sang. Le garde qui allait partir stoppa net, regardant Leana avec un air interrogatif "J'y vais ou pas ?"

"Ce n'est plus la peine" lui répondit-elle en soupirant.

Elle se détendit quelque peu, après tout, même si elle aimait s'occuper des gens, il vallait mieux pour eux qu'ils soient indemnes. Après tout, espérer avoir ce genre de visite était un peu comme souhaiter malheur... Enfin, ce n'était au final qu'un peu de sang, ce n'était d'ailleurs pas l'accoutrement qui dérangeait la protectrice, elle avait déjà été recouverte du sang de blessés pendant plusieurs jours, après la bataille d'Ellyrion ou les blessés étaient revenus en grand nombre sur les lignes arrières.

"Le sang ne me dérange pas, mais si vous souhaitez vous en débarrasser je peux mettre à votre disposition ce qui vous conviendra le mieux." Elle posa sa main sur son bras. "Je vais vous guider, vous en profiterez pour m'expliquer la raison de votre venue."

Car oui, ce genre de choses n'étaient pas anodines. Juste une visite de courtoisie ? Il ne fallait pas la prendre pour un lapin de 3 semaines !

La Gardienne ne put s'empêcher d'avoir un léger sourire sincère à l'entente du soulagement de la protectrice. L'attention que cette dernière semblait avoir pour Taurë ne semblait pas être par pur protocole ou encore de la simple parade, mais bien une inquiétude réelle qui s'était emparée d'elle à la vue du sang encore visible sur le corps - et probablement les vêtements - de la Gardienne. Elle se congratula elle-même intérieurement de ne pas s'être laissée convaincre par ses préjugés, car une deuxième fois ceux-ci se révélaient être ébranlés en moins d'un mois, alors qu'en plusieurs siècles, rien ne venait à lui prouver que les Humains étaient digne de son intérêt. Au lieu de quoi, elle s'était liée d'amitié non seulement avec une Humaine, mais elle en venait à ressentir de la sympathie pour cette jeune Demie, qui, d'après ce qui s'écoutait, avait été élevée chez des Fils de Néera.

Pour cette raison, la Gardienne ne fit aucun geste distant lorsqu'elle sentit la jeune protectrice prendre son bras. En fait, elle plaça même sa main sur ce dernier, gratifiant ce qui se trouvait sur sa gauche - probablement la protectrice - d'un sourire franc. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu de contact amicaux avec quelqu'un. Elle fut surprise par la douceur de la peau, et même si elle n'en montra rien excepté ce sourire précédemment évoqué, Taurë appréciait le contact. Elle se laissa guider par la protectrice sous cette forme, et Taurë parla alors d'une voix douce :

« Mon accoutrement n'est pas des plus présentables, je présume, ni ma tenue qui doit encore recéler des résidus de l'affron...de sang. Puisque vous proposez aimablement, j'apprécierais en effet de quoi ôter cette sensation désagréable. Quand aux raisons de ma venue, n'ayez crainte, elles seront abordées, mais ne pressons rien à la chose, j'en parlerais le moment venu. »

Elle gratifia la protectrice d'un nouveau sourire, avant que son corps ne se laisse entièrement mener par la jeune Demie.

La gardienne accepta le geste et le contact, après tout ca semblait presque trop logique à Leana pour que l'idée qu'elle le refuse lui traverse l'esprit ne serait-ce qu'une seconde. Elle n'était pas là pour la tuer, ou la conduire droit dans un mur ou autre chose. Simplement pour la guider, que ce soit par utilité, par politesse ou simplement parce qu'elle était ainsi, qui était la véritable raison. Qu'importe l'idée que se feraient les gens sur le pourquoi du comment l'on pouvait très bien être soi-même et respecter le protocole, après tout même chez les elfes, ca jasait toujours un peu. L'intendant Elras suivait les deux elfes, restant suffisamment à l'écart pour ne pas gêner, mais être présent en cas de besoin.

"Elras ? Faites préparer un bain, une chambre et des vêtements de rechange pour notre invité."
"Bien, je ferai envoyer quelqu'un pour vous prévenir une fois que ce sera fait."

Le "aussi vite que possible" n'avait pas été prononcé, et bien que la voix restait douce et calme comme à son habitude, il était clairement présent dans celle-ci, et de toute manière, à l'agitation qu'il y avait autour, il était clair que la venue surprise avait agité les personnes en place, et sans besoin de demander quoi que ce soit les choses avaient commencé à se préparer.

"Le sang ne me dérange pas, j'ai eut l'habitude de m'occuper de malades et de blessés."

La courte marche fut interrompue un moment, au bruit de métal que Taure pu entendre, il s'agissait visiblement d'un homme en armure qui vint chuchoter des éléments à l'oreille de la protectrice, qui répondit simplement à l'elfe d'un hochement de la tête. Ce qu'il était venu demander ? L'autorisation de suivre la piste laissée par la Gardienne, afin de trouver les responsables et s'occuper d'eux selon les consignes habituelles, que ce soit en offrant une sépulture décente, ou s'occuper des blessés ou survivants pour lesquels il était hors de question de donner la mort inutilement.

"Les patrouilles vont s'occuper de retrouver ceux avec qui vous avez eut des soucis. Je vais vous conduire à vos appartements, vous pourrez ainsi vous reposer le temps que tout soit prêt."

La Gardienne fut agréablement surprise des mesures prises par la Protectrice à son encontre. Elle souriait légèrement, un peu gênée toutefois, tant par sa tenue que par le dérangement qu'elle provoquait. Certes, elle désirait se laver à nouveau, mais elle ne voulait tout de même pas déranger. Taurë ne savait pas quoi dire, elle se contentait de garder la main de la protectrice dans la sienne, et de se laisser guider. Elle entendit un pas plus ou moins claudiquant et métallique, puis elle sentit que sa guide s'était arrêtée. Il y eut des murmures, du moins, elle en déduisit cela, vu qu'aucune voix n'avait été entendue, et que malgré cela, la Protectrice s'adressa de nouveau à Taurë. Cette dernière répondit d'une voix plate mais douce.

« Ne dérangez pas vos soldats à trouver ce qui n'est pas digne d'intérêt...Il y a un temple, plus au sud d'ici, qui ne demande qu'à être lavé et purgé de la souillure qui l'a sali. Cela importe plus que quelques cadavres, ou de ce qu'il en reste...»

La Gardienne s'arma alors d'un sourire qui ne pouvait pas laisser d'autre choix que d’acquiescer. Cependant, Taurë conservait un air plus ou moins gêné, signe d'un léger mal-être. Le Vaisseau semblait hésiter, portant parfois ses ongles à ses lèvres, l'air sceptique. On put même entendre une légère interjection prouvant le doute et l'indécision. Finalement, elle tâtonna comme elle le pouvait l'épaule de la protectrice afin de se guider elle-même vers son visage et trouver ainsi son oreille, et le plus bas qu'elle put, elle lui murmura ces quelques mots qui, sans qu'elle ne le montrât le moins du monde, lui arrachèrent une once de fierté propre.

« Si je n'ai pu me laver seule correctement une fois, je n'y arriverais pas deux...est-ce que...vous pourriez m'assister, dans cette tâche ? Sauf si cela vous met mal à l'aise, bien sûr, je comprendrais...»

La gardienne se permit une réflexion quant aux priorités... C'est à dire plus d'importance dans les bâtiments, pour ce cas particulier les temples, que d'hypothétiques survivants ou tout simplement les corps. ce qui n'était pas la politique de la maison ! Elle n'était pas tombée sur la bonne personne pour ça. De plus envoyer des soldats surtout pour s'occuper de ce genre de chose pouvait soulever certains soucis tels que des contestations de la part des elfes "des bois" plus extrémistes que d'autres.

"Si vous me le permettez, mais j'accorde plus d'importance à la vie qu'aux bâtiments, que ce soient des temples ou non. Ce n'est absolument pas le rôle des soldats du protectorat de nettoyer les lieux de cultes, ils peuvent le faire s'ils le désirent mais de manière personnelle. Les fidèles de celui-ci s'en occuperont d'une manière plus adaptée."

La douceur, le calme alliés à la fermeté nécessaire pour diriger. Signifiant clairement que cet état de fait ne serait absolument pas négociable. Et ce n'était pas parce qu'elle accueillait la gardienne que ça allait changer, et ce malgré le sourire avec lequel celle-ci s'était armée pour faire passer son opinion.

Enfin bref, ce n'était qu'un détail et le resterait tant qu'elle ne s'attarderait pas sur la discussion, qui laissa d'ailleurs place à un sujet plus... Personnel pour l'aveugle. L'assister pendant qu'elle se lavait. C'était certes honteux aux yeux de la plupart des personnes ayant besoin de cette aide mais Leana avait déjà eut le faire à plusieurs reprises étant plus jeunes. C'était le "travail" ou plutôt une partie du travail d'une Guérisseuse que de s'assurer de l'état de son patient et bien que cela ne la gêne au début, aujourd'hui ce n'était plus qu'une simple formalité.

"Je vous aiderai."

Elle en profiterai également pour voir s'il n'y avait aucune blessure apparente ou autres coups à soulager.

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Leana conduisit la gardienne dans les appartements qui l’accueilleraient et ou le personnel était en train de remplir une "baignoire" d'eau chaude. L'un d'eux apporta un service à Thé, de manière à faire patienter la Gardienne dans les meilleures conditions. Il suffirait d'attendre quelques minutes le temps que la fin de l'eau soit chauffée.

La Gardienne ne répondit pas à la décision de la protectrice, pour plusieurs raisons. Premièrement, car elle perdait du temps : les gardes envoyés ne trouveraient probablement qu'un champ d'organes et de sang, ainsi qu'un temple profané. Taurë, dans sa rage, n'avait laissée aucun survivant, sinon quelques fuyards qui auraient dû rester et mourir, plutôt que s'enfoncer dans une Anaëh hostile et fourmillante de recoins périlleux. Deuxièmement, car le Vaisseau ne voulait nullement s'opposer à la protectrice maintenant. Son projet nécessitait le soutien de Seigneurs. Celui du Protecteur de l’Épine Dorée avait donné le sien, seul celui des Seigneurs de Daranovar et de Linaëh manquaient pour que la Gardienne soit garante d'un certain soutien non négligeable lorsqu'elle exposerait son idée...

Conduite dans une salle où régnait une agréable chaleur, Taurë déduisit par des bruits sourds de vaisselle posée qu'on lui avait présentée des boissons. Elle tâtonna une tasse, puis voyant son embarras, un servant se précipita pour la servir. Remerciant l'individu avec un sourire, la Gardienne porta la tasse à ses lèvres, savourant le goût de ce qui s'avéra être du thé. Elle le but tranquillement, attendant ce qui semblait être la préparation d'un bain. Les bassines d'eau chaude vidées dans une grande baignoire s'enchainaient, puis à un instant le tout s'arrêta. Il y eut des bruits de pas, et guidée par le chant des Arbres, Taurë devina qu'elle se trouvait désormais seule en compagnie de la protectrice. La Gardienne ne put s'empêcher de rougir, gardant ses jambes croisées et ses mains sur sa tasse vide.

Finalement, elle se leva, tendant la main vers la protectrice pour se guider. Celle ci prit ses doigts tièdes et la dirigea vers la baignoire. Doucement, le Vaisseau fit glisser les bretelles de sa robe légère. D'un lent geste d'épaule, Taurë dévoila un sein, puis l'autre, avant de sentir la robe tomber sur ses pieds nus. Entièrement dévêtue, nullement gênée par les courants d'air mais plutôt par le fait de se savoir contemplée dans son intimité, le Vaisseau mit un pied, puis l'autre dans l'eau brûlante, aidée dans sa tâche par la Protectrice. Laissant cette dernière à l'ouvrage de la laver, Taurë entama une discussion pour meubler le silence qui s'était autoproclamé maître des lieux.

« Vous ne m'avez pas donné votre nom...il m'est coutumier d'appeler les autres par leurs prénoms, mais le vôtre, je ne le connais pas. »

Laisser faire la "patiente" c'était là tout l'art et la manière de s'occuper de personnes dans cette situation. Selon les moeurs et les coutumes, il était plus difficile selon les personnes de se laisser faire pour ce genre de choses.

Chez les humains les femmes étaient bien plus pudiques que les hommes généralement, quoique, celà dépendait vraiment de ce qu'ils attendaient et de la manière dont ils s'assumaient. Tandis que chez les elfes c'était bien différent... L'éducation rentrait encore plus en ligne de compte et surtout leur rapport avec la nature. Un elfe "citadin" sera certainement plus pudique qu'un elfe "des bois" plus proche de la nature et donc moins gêné par l'apparence que lui aura donné la créatrice.

Quoi qu'il en soit, cela sembla assez difficile et gênant pour la protectrice, quant à Leana ? Elle préparait juste ses affaires et se concentrait pour prodiguer discrètement des soins magiques en cas de besoin de manière à ce que son hôte ne s'en aperçoive pas, ou alors très peu. Il n'était pas rare de retrouver des traces de coups encore douloureux pour ceux qui ressortaient d'un combat, préférant les cacher pour on ne savait quelle obscure raison.

Elle aida l'aveugle à s'installer, afin qu'elle ne glisse pas et entreprit d'ausculter celle-ci discrètement, alors qu'elle retirait ce qu'il restait de sang.

"Vous pouvez m'appeler Leana, comme tout le monde." Elle soupira. "Enfin, ceux qui osent le faire... Mon prédécesseur devait aimer le cérémonieux pour qu'ils aient autant de mal à changer leurs habitudes."

Le ton était plutôt dépité, visiblement elle luttait depuis un long moment avec ça, sans grand succès... Il changea cependant du tout au tout quand elle commença réellement son travail, avec une petite consigne, toute professionnelle.

"N'hésitez pas à me dire si je vous fait mal, ou si vous ressentez une gêne quelconque."

Les mains de la guérisseuse passaient maintenant lentement mais vigoureusement sur le corps de la gardienne, n'hésitant parfois pas à faire bouger les bras ou encore le cou de la patiente, comme pour vérifier l'absence de coup ou de difficultés de mouvements sous le prétexte du nettoyage. Elles longèrent la colonne vertébrale, appuyant à intervalle régulier sur les muscles la soutenant, puis elle enchaina pas les côtes, n'ayant strictement aucun remord de partir du bas des fesses jusqu'au dessus de la poitrine en passant par celle-ci afin de contrôler les côtes. Il était arrivé à certaines de ses patientes de se poser des questions quant au bien fondé de ces mouvements qui pouvaient aller jusqu'à vérifier les muscles et articulations proches des parties "privées".

"Vous avez entendu parler de la rupture de l'alliance avec les hommes souhaitée par le seigneur protecteur de l'Anaeh ? Certains craignent que les hommes ne déclenchent une guerre par la suite une fois qu'ils auront finit de s'entretuer."

Il fallait faire la discussion pour occuper l'esprit de la patiente et qu'elle se laisse faire pendant les mouvements et tout ce qui allait avec. Faire partir dans une discussion de société ou encore dans les ragots locaux pouvait être un moyen d'occuper l'esprit des femmes, pour les hommes leur faire parler de leur activité était largement suffisant, certains pouvant s’étaler longuement sur comment faire pousser des patates.

L'eau du bain était chaude, proche de l'être trop sans que cela ne soit désagréable. Taurë avait oubliée quel effet cela prenait de prendre un bain, et même si elle ne le montra qu'en fermant ses yeux, cela lui procura un grand plaisir. En si peu de temps, elle oublia le pourquoi de sa venue, et même comment elle se retrouvait dans un bain. Ce furent les mains de la protectrice, douces, froides comparées à la température de l'eau, qui la ramenèrent à la réalité. La Gardienne ne montra néanmoins aucun signe de gêne, lorsque Leana, puisque tel était son nom, prit le parti d'examiner le corps de la Gardienne dans son intégralité. Les gestes de la guérisseuse témoignaient d'une expérience dans le domaine de l'auscultation, et Taurë en vint même à se dire que si elle venait à prodiguer des massages, ces derniers devaient être très agréable. Elle se mordit très légèrement la langue lorsque les mains douces passèrent sur sa poitrine, sans que cela pourtant ne lui déplaise. Elle s'apprêta pourtant à les repousser doucement lorsque celles ci vinrent à proximité de son intimité, mais étonnamment, et elle rougit pour cela tout en espérant que la chaleur ambiante voilerait cela, elle ne pouvait nier que le contact lui plaisait.

Comme soudainement tirée du plaisir qu'elle prenait à être ainsi prise en compte, elle releva soudainement la tête. Avait-elle bien entendue ? Elle tourna son visage vers celui de son « aide » en fronçant légèrement les sourcils. La Communauté de la Lumière ? Dissoute ? Taurë manqua d'exploser de joie. Elle avait été l'une des rares à s'opposer de manière virulente à une alliance avec les Humains, jugeant le comportement de leurs seigneurs indigne de confiance. Depuis la chute des Nains et la mort du roi des fils de Néera, ce pacte était tombé dans l'oubli, demeurant une convention non respectée, voire bafouée. Mais elle se souvint des origines de la demi-Elfe, et tant qu'elle se trouverait dans la même pièce qu'elle, la Gardienne allait devoir mesurer ses paroles à l'encontre des Humains, et se comporter de manière extrêmement prudente, sinon mentir. Elle délia ses cheveux, laissant le lisse flot sombre chuter jusqu'aux épaules.

« Et bien Leana...je n'étais pas au courant. Mais vous m'apportez une nouvelle des plus déstabilisantes. Force est de reconnaître que cette alliance n'était plus qu'un symbole. Quand à la volonté des Hommes de se tourner vers l'Anaëh, munis de pensées guerrières...ils n'avaient pas besoin de la rupture de cette alliance pour venir attaquer nos troncs et tuer nos familles. L'éventualité de rixes n'est pas à écarter, en effet. Mais ce n'est pas pour autant qu'il nous faudra refuser tout contact avec eux. »

La Gardienne ponctua son mensonge par un sourire. Rien, dans son ton, ou dans ses manières ne trahissait l'énormité qu'elle venait d'énumérer. Quiconque connaissait Taurë s'esclafferait en entendant cela, car des hautes sphères poltiiques, il n'était pas inconnu que la Gardienne ne dormirait pas tranquille avant que tous les Humains ne soient pas morts. Mais à l'heure actuelle, ils n'étaient pas un grand danger.

« Mais à mes yeux, le véritable danger vient du Sud. Jamais les familles d'Ardamir ne seront en sécurité, tant que ses alentours seront détenues par les Drows. Yutar et Ellyrion représentent des avants-postes Drows. C'est un danger permanent, auquel j'aimerais remédier. »

Mentir était une chose facile, le dissimuler l'était moins. Les meilleurs acteurs pouvaient mentir sans rien laisser transparaitre dans leurs tons, leur voix ou encore leurs attitudes. Mais le corps au final ne mentait jamais, il y avait toujours ce petit détail quand l'on mentait et que l'on espérait ne pas se faire découvrir qui était simplement une accélération du rythme cardiaque. Et avec des mains à même sur la peau nue il était facile de trouver une artère et de le sentir. Et puis... Il ne fallait pas être non plus trop ignorante ! Leana avait passé des années sur le protectorat, que ce soit auprès du tuteur ou de sa mère, et avait été avertie des opposant envers les humains et donc envers son ascendance, pour mieux négocier avec et surtout ne pas se faire avoir lorsque le moment se présenterait. Les plus "doux" pouvaient être les plus dangereux. C'était la politique.

Leana ne cilla pas, comme si elle ne savait rien ou n'avait rien vu. Après tout, avait-elle compris ? Et puis, chacun avait ses opinions, et il ne valait mieux pas les contredire pour éviter un débat qui pouvait s'envenimer, surtout que niveau autorité sur les terres, la Gardienne n'avait au final pas de pouvoir direct bien qu'elle puisse mener une insurrection en prônant la foi.

"Le danger peut venir de partout, et nous ne sommes pas en capacité de se défendre correctement. Alors avant d'attaquer, autant balayer devant notre porte avec les conflits qui rongent le peuple."

Elle en avait terminé avec l'auscultation et venait de retirer ses mains au moment de prononcer ces mots. Elle attrapa une serviette pour se les essuyer doucement.

"Ce sont les conflits intérieurs qui sont les plus dangereux." Elle posa la serviette sur le rebord d'une chaise. "J'ai terminé, vous pouvez vous rhabiller."

Elle espérait que la gardienne n'était pas venue pour prêcher la guerre. C'était vraiment la dernière chose dont le peuple avait besoin, surtout en territoire frontalier qui serait le premier et surtout le plus durement touché.

La Gardienne murmura un « merci » peu audible avant de sortir de la baignoire à tâtons, ses mains se guidant d'elles-mêmes dans les ténèbres de sa cécité. Elle prit librement une serviette, et voila son corps nu, le protégeant ainsi des courants d'airs lui arrachant quelques frissons. Taurë était désormais propre, et elle devait bien reconnaître qu'elle se sentait mieux et reposée. Se repérant tant bien que mal, elle se vêtit de sa robe après l'avoir récupérée, puis prenant le bras de la Protectrice, décida de se laisser guider entre ses murs qui n'étaient pas les siens. A présent sa réelle tâche s'apprêtait à débuter, il lui faudrait user habilement de persuasion douce et docile sans manquer de montrer une certaine force, bien que celle ci n'était pas à démontrer si on prenait en compte le sang dont la Gardienne était arrivée tâchée.

« Les Elfes n'ont pas de conflits intérieurs, Leana. Comme deux jumeaux ayant entendu la même chose de leur Mère, ils déforment les propos, et chacun croit détenir la vérité, en ne sachant pas que leur sœur aînée détient la vérité. Si les Elfes ont des soucis, c'est pour la simple raison qu'étant en manque de tout ce qu'un peuple souhaite recevoir de sa Créatrice, de l'affection, il agit de manière à faire le plus de bruit possible afin que Ses Yeux se posent sur eux. Je ne suis que Sa Voix et Sa Volonté, et les Elfes ne sont en aucun cas prêts à recevoir par mes lèvres la parole de notre Mère.

A défaut de pouvoir régler ce que beaucoup voient comme un...« soucis », je m'efforce de pointer du doigt ce qui en est réellement un. Combien de morts en Ardamir, depuis l'an 999 de l'ère précédente, cette année marquant la chute des remparts d'Ellyrion ? Combien d'assauts, combien de morts et d'enlèvements, autant de sang coulé qu'il aurait pu être conservé à juste prix...par faute d'inactivité, nos soldats ne combattent point par les quelques volapuks énumérés par nos dirigeants. Combien de temps encore nos guérisseurs devront soigner les plaies de nos confrères ? Encore hier, j'ai du lutter contre des Sombres ayant profané un temple de la Mère avec les cœurs des prêtres qui l'habitaient...

Où sont les soldats ? Où sont les armées qui doivent nous défendre ? Où sont les...Non, Leana. Les problèmes internes que vous semblez percevoir et qui n'en sont pas...ne tuent pas. Ils ne profanent pas. Ils ne nous annoncent pas la nouvelle d'un énième veuvage ou d'un enfant désormais sans père, ou sans mère, voir les deux. Que faites-vous de cela, Leana, dans votre palais ? Je ne vois en l'inactivité que la faiblesse, et la Mère n'a pas créée des faibles. Vous êtes protectrice de Linaëh, et l'une des Elfes les plus puissantes...Il est de votre devoir de vous rendre à Alëandir, et de vous joindre à moi au prochain Conseil qui se tiendra. Ardamir se perd dans les marées des Sombres, et la tâche de l'empêcher vous incombe également, Leana. L'auriez vous oubliée ? »

Elle commençait à peine à guider la Gardienne vers le salon extérieur que celle-ci commençait à essayer de... De quoi en fait ? De la convaincre de la suivre dans une folle aventure ? Non...

Tout d'abord elle réfuta le conflit qui commençait à déchirer le peuple au sujet des croyances et des modes de vie. C'était fermer les yeux sur le présent pour laisser évoluer la situation et réagir "après" si ça ne c'était pas calmé. Mais le après serait trop tard. Il suffisait de regarder derrière soi pour le comprendre avec les Drows, même si peu de monde ne s'en souvient ou que tout simplement leur "évolution" n'était qu'une légende. Ou simplement regarder aux frontières, elle avait vu les hommes se faire la guerre pour des différences d'opinions moins importantes que celles-ci. Les hommes des créatures violentes ? Certainement, mais du fait d'une vie plus courte, leurs actions étaient beaucoup plus brutales et rapides que celles des elfes... Et tout ça, il fallait l'expliquer à quelqu'un qui ne voudrait certainement pas l'entendre...

Elle la laissa continuer vers les autres soucis, dont Ellyrion et les Drows. Elle voulait remettre au gout du jour ce conflit, les combats et les morts qui les accompagneraient forcément et qui avait de fortes chances de s’enliser voire même pire.

"Vous semblez prendre à la légère les conflits intérieurs qui peuvent déchirer le peuple alors même que vous avez la clé de la résolution de ce problème." Elle fit une légère pause "Souvenez-vous du passé, d’où viennent ceux avec qui vous voulez rouvrir les hostilités. Regardez également ailleurs que le bout de nos frontières, ce qu'il se passe chez les autres peuples. Toutes les guerres civiles sont initiées par des conflits intérieurs qui gangrènent."

Elle s'arrêta, pour se tourner vers elle. Même si elle n'y voyait rien.

"Cette politique attentiste doit cesser, c'est certain. Attendre car on sait que les choses prendront des siècles à se déclarer réellement c'est simplement attendre que la catastrophe se produise alors qu'on l'a vue venir de loin. Quand on sait qu'une plaie va gangréner on la soigne, on n'attends pas qu'elle se déclare pour devoir couper le membre à moins que l'on se complaise à regarder les choses pourrir. Mais si on ne le sait pas, on ne peut rien faire."

Oui, ce problème n'était qu'ignoré par Aleandir, la grande cité de pierre était certainement trop renfermée sur elle même ou tout simplement sa politique n'arrivait pas jusqu'aux régions frontalières les plus éloignées et qui au final n'avaient que très peu de villes de pierre, n'en comptant qu'une, parfois deux ou au mieux quelques petits bourgs.

"Si le protecteur d'Ardamir ne demande pas de l'aide, ce n'est pas à la garde de Linaeh de garder leurs frontières à leur place. Elle a déjà bien assez à faire pour éviter de déclencher une guerre ouverte avec les hommes. Je vous accompagnerai à Aleandir, cependant ne vous attendez pas à ce que je vous suive aveuglément."

Les sourcils de la Gardienne se haussèrent pour se rabaisser l'instant d'après. Elle se retint de lâcher un soupir, qui aurait clairement témoigné de la lassitude de Taurë face à tant de naïveté et d'ignorance. Au lieu de cela, elle plissa les lèvres en pressant l'une contre l'autre, puis mua le tout en un sourire. Elle ne pouvait voir son visage, mais si elle l'avait pu, Taurë se serait retournée vers la Protectrice avec un sourire radieux, tout en pensant intérieurement que la situation s'était bien dégradée depuis une décennie...mais cela, elle n'avait pas besoin de sa vue pour le penser, tout juste si l'envie de prononcer clairement ces paroles ne lui brûlait pas les lèvres...

« Je prends à la légère ce que la Mère ne considère pas comme digne d'intérêt. De chaque...« camp »,et son ton était méprisant en prononçant ce mot, persuadé d'avoir interprété de la meilleure manière les paroles de la Mère, lequel des deux a reçu l'aval de notre Déesse ? Lequel des deux a reçu le soutien divin de notre Créatrice, que ce soit par moi, ou par intervention directe ? Aucun. Et si la Mère ne m'a pas encore intimée de prendre un parti, c'est parce qu'elle estime qu'il n'y en a pas à prendre, que les Elfes ne doivent faire qu'un. »

Elle marqua une pause, remettant en place l'une de ses mèches rebelles. Elle lâcha le bras de la protectrice. Taurë était lassée de sans cesse entendre le même discours pour les mêmes appellations. Les Elfes n'étaient pas de Pierre, ou de Bois. Ils étaient Elfes, créations de Kÿria, et la première forme de vie sur Miradelphia.

« Mais je peux comprendre qu'admettre cela n'est pas à la portée intellectuelle de tous.
Moi je pointe du doigt ce qui mérite l'attention de tout un peuple, et qui suscite celle de notre Mère. Vous dites que JE désire rouvrir les hostilités ? Ouvrez les yeux, Leana. Quand se sont-elles arrêtées ? Depuis que les Sombres détiennent les murailles d'Ellyrion, combien d'attaques ? Combien de morts, sans qu'aucune riposte soit menée ? Et vous osez affirmer, que c'est moi qui veut rouvrir les hostilités ? Êtes vous sûre que c'est moi, l'aveugle, Leana ? »

Les paroles n'étaient pas dures, seulement méritées.

« Les murailles de votre palais doivent bien hautes, vos yeux voilés et vos oreilles bouchées pour que vous n'entendiez pas les plaintes de la Forêt meurtrie d'Ardamir. Mais je comprends la naïveté, elle est certainement due au fait que vous êtes une jeune et récente protectrice.
Je vous attendrais à Alëandir lorsque le moment sera venu de prendre une décision. Avec un peu de chance, vous aurez ouvert un œil d'ici là. »

Et ce fut tout. Sur ces paroles, la Gardienne intima à qui l'entendit qu'on la raccompagna à l'entrée. Ses pas s'animèrent pour la guider au Nord. Le Chant lui murmurait quelques intéressantes notes sur lesquelles elle jugea nécessaire de se pencher...