Soltariel festoie

Comme le reste de la ville, le palais ducal bourdonnait d'activité en cette période de célébrations diverses. Là où les gueux se plaisaient en divertissement paillards et alcoolisés, en attendant la grande fête des épousailles qui viendrait couronner le tout, les nobles de la ville passaient leur temps en réceptions huppés, que ce soit dans les hôtels particuliers, à bord de barques plus décorés qu'à leur plus beaux jours ou dans les villas de campagne assez proche de la ville. Puisque l'on célébrait également les épousailles du couple ducal, encore toutes fraîches, nombres de châtelains dans la péninsule Ydriloise profitaient de l'occasion pour venir présenter leurs hommages. L'on voyait également des émissaires ou d'autres représentants d'un certain nombre de territoire du reste de la Péninsule, principalement le Sud.
Les couloirs du palais étaient donc encombrés de serviteurs qui allaient en tout sens pour subvenir au moindre besoin de tous ces sang bleus. Le vin délicat et les mets raffinés circulaient par dizaines dans les cuisines entièrement réquisitionnées à cette tâche, il convenait de ne pas trahir au faste soltarii et le temps n'était point à l'économie. Jour et nuit, sans interruption, tous travaillaient. La garde ducale veillait au grain à ce que rien ne vienne perturber les célébrations et ses soldats étaient plus reluisants que jamais. Tout avait été pensé pour impressionner au maximum les visiteurs.

Malgré les ries jaunes et les fausses plaisanterie qui animait pour beaucoup le palais, l'humeur du duc n'était certainement pas à la plaisanterie en cette riante mâtinée. On venait de lui faire part de l'arrivée d'un courrier, rédigé de la main même de Pietro de Foçia. Si le nom de cet homme lui était inconnu, les nouvelles qu'il s'attelait à lui faire parvenir n'était pas pour le réjouir. L'on parlait de malveillance, à la limite de la trahison, de la part du régent d'Aphel, et de grand troubles en pays sybrondin. Si le duc ne se sentait pas toujours pleinement concerné par le sort des vassaux, ses conseillers avaient sus le convaincre de l'importance de la chose.
Mais les Epousailles ne pouvaient être retardées, et il fut décidé que le plus proche homme du duc irait porter sa parole et que celui-ci le rejoindrait dès que les Epousailles auraient été célébrées comme elles le devaient. Thero de Briten partit donc alors que le soleil était au zénith, accompagné d'une petite escorte de chevaliers soltarii. Il était de surcroît convenus que le diplomate emmène un pigeon pour prévenir le duc de tout besoin supplémentaires, notamment celui de troupes. L'on disait que le sieur d'Irun n'avait pas hésité à capturer la baronne en place et il n'était pas question de lui laisser l'occasion de tenter de nouveau son affront. Le sénéchal de Soltariel s'attela donc à la préparation d'un contingent de quelques centaines de soldats qui escorteraient le Duc si besoin en était, principalement choisis parmi les gardes ducaux et les chevaliers.

Une fois ces affaires réglés, Asdrubal reparut en public, aux côtés de sa charmante épouse qui avait sus occuper les hordes de nobles pour éviter que l'on ne remarque son absence. La mâtinée, déjà bien avancée, avait été dédié à la présentation des hommages ou simplement des visiteurs de toutes origines avant que la foule ne soit dirigé vers les banquets que l'on dressait déjà. Mais il restait encore quelques personnes à présenter et Asdrubal composa son plus beau sourire de façade en se préparant à endurer encore d'insipides salutations.

Asdrubal étouffa un bâillement avant de se faire servir une nouvelle coupe du vin pétillant directement venus de la forteresse de la ville, lorsque le héraut annonça l'arrivée d'une délégation un tantinet plus importante que l'ordinaire. Un tantinet seulement parce que, s'il s'agissait de la délégation d'un baron, il ne s'agissait précisément que de sa délégation. Qui plus est d'un territoire situé à l'autre bout de la Péninsule, d'une certaine manière. Il fallut quelques paroles de sa jeune épouse pour le convaincre de la suivre à leur accueil, lui expliquant que certaines affaires potentiellement profitable avaient été laissé en suspens en ces terres. De mauvaise grâce, le duc se laissa faire et composa son plus bel air affable et accueillant.

La nouvelle délégation comptait une dizaine de membres même si la majorité d'entre eux étaient visiblement des serviteurs chargés de porter les présents. Délicate attention qui raviva l'intérêt quelque peu endormis du duc que seul les ongles de sa femme planté dans le bras empêchaient de totalement se désintéresser de la scène. Il eut d'abord du mal à identifier le principal émissaire puisque les deux nobles évidents portaient l'armure. Ce n'est que lorsque l'un d'eux prit la parole qu'il fut clair qu'il était l'envoyé en question et que l'autre n'était là que pour servir de garde du corps. Précaution un brin inutile au vu de l'attirail que cet hôte de dernière minute portait. A moins qu'il ne fut là pour le jeune garçon. Peu importait.
Après les hommages vinrent les présents, et le premier d'entre eux parvint instantanément à récupérer l'attention vacillante d'un Asdrubal dédaigneux. Pour dire vrai, le duc manqua de peu ordonner que l'on transporte aussitôt le grimoire dans son bureau et aller s'y enferme pour l'étudier au calme. Mais cela aurait cruellement manqué de diplomatie et il n'en fit rien. Pour être rigoureusement honnête, une fois le premier enthousiasme passé, il se rappela combien les faux étaient aisé à trouver et combien de grimoires payés une fortune avaient alimentés son feu.
Vint le troisième présent, puisque le deuxième ne laissait le duc que peu concerné -bien qu'il s'imagina volontiers son épouse vêtue du seul bijou-. Les boules de poils qui s'agitaient dans leur petites cages ne parvinrent à émerveiller Asdrubal, qui n'était pas très au fait de leur relation particulière à la magie. Néanmoins les paroles du noble l'intriguèrent assez pour qu'il projette des filaments de magie sur l'un des petites êtres. Lequel gonfla aussitôt et prit une teinte rosée parfaitement ridicule, avant de se mettre à gesticuler en tout sens. Le duc nota d'envoyer les créatures, ou du moins une partie d'entre elle, au Souffle de Saphir, il n'avait pas le temps de s'y attarder.
Enfin, le dernier coffre s'ouvrit. Asdrubal était, il fallait le dire, quelqu'un de peu impressionnable. Avoir la prétention de manipuler la magie et de chercher ses origines ainsi que probablement celles du monde entier avait tendance à favoriser les comportements mégalomanes, il fallait le reconnaître. Mais la déclaration de ce noble, plus que l'aspect de l’œuf en lui-même -bien que très joli-, eut suffisamment d'impact pour laisser un léger air ébahis sur son visage. Les chimères étaient de animaux mythiques que l'on tenait pour de véritables légendes quand bien même les marins partis en nanie ramenaient souvent des récits comportant ces animaux extraordinaires.

Tandis que des serviteurs eunuques s'affairaient à transporter les cadeaux à des endroits plus appropriés, Asdrubal s'approcha du jeune noble et le salua avec une politesse et une attention qui ne lui étaient pas communes.

-J'accepte les présents et suis honoré des félicitations de votre suzerain et lui adresse mes plus vifs remerciements ainsi que mon amitié la plus sincère. Mais vous ne vous êtes pas présentés vous-même, et grande est ma curiosité de connaître l'identité de celui qui a ainsi la confiance du baron de Missède.

Une fois le chevalier présenté et que Margot eut elle aussi salué les attentions de Missède, Asdrubal enjoignit l'émissaire à le suivre à travers la réception qui battait son plein. Un eunuque passa avec un plateau chargé de coupes d'alcools plus raffinés les uns que les autres et les présenta au chevalier.

-Je vais être honnête, je suis très favorablement impressionné par les cadeaux de votre suzerain. Je ne savais point que mes goûts en matière d'études magiques avaient ainsi traversés la péninsule et ne m'attendait point à recevoir tant, surtout que de telles choses sont extrêmement difficiles à trouver.

Le chevalier missédois se présenta. A la mention de Gwydir, les sourcils d'Asdrubal se plissèrent légèrement puisqu'il lui semblait connaître ce nom là. Cela étant il ne parvenait pas à se souvenir en quoi et ne s'y attarda pas plus. Cet invité savait comment se comporter. Si ses compliments n'étaient pas aussi sirupeux que ceux des courtisans de Soltariel -lesquels rivalisaient avec les plus grasses de huiles d'Ydril- il savait brosser le duc dans le sens du poil.
Il lui expliqua notamment ce qu'on lui avait dit sur les chimères, ce à quoi Asdrubal pouvait ajouter les différentes fables mythologiques qu'il avait pus entendre jusqu'à maintenant. Si l'on ne tenait pas trop compte des probables exagérations de marin, l'on pouvait tout de même se demander comme une telle créature pouvait faire office d'animal de compagnie. On les disait quand même capable de soulever un homme dans les airs, de cracher un feu diabolique et de briser une cotte de maille d'un coup de bec. Jamais il n'avait entendus parler de créature ainsi domestiquée. C'était donc une raison tout à fait valable pour essayer.

Finalement ils passèrent à table. Les invités furent conduits sur différentes barques, à raison d'une vingtaine par embarcation. Ceux de plus haut rang avaient l'honneur de partager celui du couple ducal, et puisque le chevalier de Gwydir représentait tout Missède et que de surcroît il discutait avec le duc lorsque vint le moment, il eu le droit à la place d'honneur, juste à la droite d'Asdrubak tandis que Margot s'attablait à sa gauche. Les autres invités se répartirent sans ordre pré-établi et Lyrin eut droit à un gros propriétaire terrien de Soltariel comme second voisin.
Il venait juste de commencer une coupe de vin, la première entrée n'avait même pas encore été amené, que le chevalier se faisait quémandeur. Cela dit la requête, pour le moins particulière et inattendue, parvint à piquer l'intérêt du Duc.

-La magie n'est pas qu'un Art, c’est une Science, des questions mais des réponses également, et plus que tout c'est un Pouvoir. Oserai-je dire, le seul vrai pouvoir en ce monde. Pour en revenir à votre demande, je pense effectivement pouvoir y répondre.
Néanmoins, je me dois de vous prévenir que je ne pourrais me charger en personne de la majorité de cette éducation, qui ne souffre guère de pauses. Ne vous inquiétez pas pour autant, je possède plusieurs mages à mes ordres -si son ton n'en laissait rien paraître, il n'était pas certain de cette dernière affirmation- qui sauront se charger de son éducation.

Et il n'était pas certain que le chevalier de Missède réussisse à récupérer son fils un jour. Les cabales soltarii pouvaient être traités de beaucoup de choses, y compris d'arnaqueurs pour certaines, mais rien ne leur allait mieux que possessifs, voir jaloux. Et les nouvelles recrues étaient, avant tout véritable enseignement, fortement intégré dans les cercles secrets. D'ailleurs peu de mages en sortaient. Même Asdrubal n'en était complètement sortis lorsqu'il devint Duc. Et encore avait-il eu des attaches très fortes et proches. Alors un jeune garçon dont la famille se situait à plusieurs terres d'ici... c'était à peine envisageable.

-Cela étant, j'ose espérer que vous saurez vous souvenir de cette petite faveur lorsque le moment sera venus. Il me semble par exemple que mon duché à quelques affaires laissés sans suite à Missède. Si d'aventure nous venions à y retoucher, j'augure que vous saurez glisser à l'oreille de votre suzerain les paroles qu'il faut.