Babillages d'un bébé dans un lieu improbable... [Kathleen]

Le Temple était calme. Chacun observait un silence cérémonieux en signe de respect envers la Sainte à qui ils étaient venus rendre hommage. Seules quelques messes basses ça et là ne perturbaient que faiblement cette paisible atmosphère. A peine percevait-on l'agitation extérieure provenant des préparatifs pour les festivités.

Seren se trouvait là, remplissant quelques tâches nouvelles pour les moines. Jusque là cantonnée à la préparation des chambres, on lui avait demandé de bien vouloir aider à apporter un soin tout particulier à la grande salle de prière. Cirage des bancs, balai, poussière, nettoyage des chandeliers, changement des cierges... Voilà tout le travail qui lui incombait désormais.
La jeune femme peinait encore à accomplir sa besogne dans le temps qui lui était imparti. Elle travaillait depuis seulement quelques semaines et son corps la faisait souffrir de partout... Les moines lui proposaient parfois d'aller se reposer mais elle estimait qu'elle devait mériter son pain tout autant qu'un autre. Les quelques rares moments de répits qu'elle s'accordait, elle les passait avec son fils, et avec Ewen s'il n'était pas en ville.
D'ailleurs, ce jour-là Léandre n'était pas loin. Seren avait apporté un couffin afin de le garder auprès d'elle. C'était plus pratique et plus sécurisant pour elle que de le laisser seul dans sa chambre des heures durant. Ici au moins pouvait-elle veiller sur lui. Elle veillait simplement à ne pas le laisser dans un endroit où il puisse prendre froid ou où elle ne pouvait ni le voir ni l'entendre.

La jeune de Milahn s'arrêta un instant pour observer son travail sur l'un des chandeliers. Toute la cire, accumulée depuis des lunes, avait été retirée mais un coup de lustrant ne serait sans doute pas de trop... Oui, elle commençait à comprendre ce qu'elle avait à faire et comment. Elle avait toujours vu les servantes œuvrer sans vraiment se préoccuper de ce qu'elles faisaient. Ses simples souvenirs lui suffisaient pour faire le lien entre ce qu'elle avait observé d'un œil distrait et ce qu'on lui demandait aujourd'hui.
Alors qu'elle préparait le produit, elle entendit Léandre se réveiller, gazouillant, comme à son habitude, heureux de vivre. Seren se dit qu'une pause ne lui ferait pas de mal... Aussi entreprit-elle de se laver les mains dans un seau d'eau avant d'aller s'occuper de son fils.

Le séjour à La Roseraie s’était étonnamment bien passé. Kathleen avait pu profiter de ses neveux, passer du temps « chez elle » et renouer avec sa belle-sœur. Elle repartait avec des sentiments tout à fait différents que ceux de son arrivée. D’ailleurs il suffisait de voir son sourire pour s’en rendre compte. Les hommes de son escorte étaient d’ailleurs pour la plupart surpris de la voir joyeuse et enjouée. Rien à voir avec la Baronne solitaire et sombre qu’ils avaient eu l’occasion de côtoyer à Missède. Depuis son séjour à Afayel et ses retrouvailles avec Viktor, Kathleen avait le cœur plus léger et elle n’avait qu’une hâte : rentrer à Missède. Oui oui ! A Missède !
Elle voulait retrouver son époux, passer du temps avec lui et gouter à nouveau au plaisir simple de la vie.
Alors qu’elle quittait Ydril, on l’informa d’une fête donnée à Sybrondil pour le mariage du Baron et de la Baronne. Elle n’avait pas été officiellement invitée mais elle avait tout de même demandé à faire un détour par la ville portuaire pour offrir un cadeau au jeune couple. Elle était Baronne depuis plusieurs années déjà et pourtant elle avait toujours autant de mal avec les cérémonies officielles. Aussi fit-elle porter son présent tandis qu’elle se rendait au temple de la ville. Elle ne voulait pas paraître impolie mais après tout elle n’avait guère le temps de s’attarder à Sybrondil. La route pour Missède était encore longue et plus vite elle serait repartie, plus vite elle retrouverait Viktor.

Sur le parvis du temple, elle laissa son escorte. Malgré l’insistance de Merryl, le chef de son escorte, elle refusa que quiconque l’accompagne dans le temple. Après tout s’il y avait bien un seul lieu dans cette ville ou elle ne risquait rien c’était bien là !
Lorsqu’elle se retrouva seule entre les murs de l’immense bâtisse, Kathleen se sentit enfin respirer. Enfin seule, enfin tranquille quelques minutes.
Ces vêtements de voyage ne laissaient absolument pas deviner son titre mais sa prestance quasi naturelle transparaissait dans chacun de ses pas. Un moine inclina d’ailleurs la tête pour la saluer et elle lui répondit par un sourire alors qu’elle s’installait sur l’un des bancs près d’un grand chandelier. Une jeune femme s’affairait à le nettoyer, mais Kathleen n’y fit guère attention alors qu’elle baissait la tête pour prier.

De longues minutes s’écoulèrent avant qu’elle ne soit tirée de ses réflexions par le gazouillis d’un bébé. Comment expliquer ce qu’elle ressentit alors ? Un violent pincement au cœur alors qu’elle repensait à la prière qu’elle venait d’adresser pour son fils, une vague d’émotions troublantes qui menaça de la submerger mais après une grande bouffer d’air, elle parvint à refouler ses larmes. Avait-elle rêvé ce petit cri ? Etait-ce son esprit qui finissait de la lâcher ?

Un nouveau petit gémissement lui fit tourner la tête. Dans l’obscurité, sur un banc contre le mur à sa gauche se trouvait un couffin. Les draps s’agitaient doucement, laissant deviner qu’un bébé gesticulait à l’intérieur. Sans s’en rendre compte Kathleen s’était levée et elle avançait vers le petit panier en osier. Lorsqu’elle fut devant le banc, elle ne put retenir un grand sourire en voyant le nourrisson qui battait des bras.

« - Et bien alors qu’est-ce que tu fais tout seul ici ? » murmura-t-elle en tendant la main pour attraper ses petits doigts.

Refoulant son désir de le sortir de son couffin, Kathleen resta un instant penchée au dessus de lui à le regarder saisir son index. Ce qu’il pouvait lui rappeler Armand…
Lorsqu’elle se redressa elle vit une fine silhouette se détacher de l’obscurité derrière le chandelier. La jeune femme semblait hésiter… Comprenant alors qu’il s’agissait de la mère du bébé, Kathleen s’écarta un peu brusquement de peur que ses intentions soient mal interpréter.

« - Excusez-moi… Mais il est tellement adorable que je n’ai pas pu résister ! Et il est incroyablement sage, je ne l’avais même pas remarqué depuis mon arrivée ! »

Alors que son regard s’habituait à la demie-pénombre elle se rendit compte que la jeune fille devant elle était celle qui nettoyé le chandelier un peu plus tôt. Elle lui adressa un sourire pour la rassurer un peu plus sur ses intentions.

Quelle ne fut pas la surprise de Seren en se relevant de voir une femme penchée sur au dessus de son fils. Elle ne la quitta pas des yeux tandis qu'elle saluait l'enfant, lui tendant sa main comme elle-même aimait à le faire pour jouer avec ses doigts si minuscules. Léandre semblait en confiance et sa mère, encore naïve sous l'emprise d'un pressentiment, la laissa faire et attendit simplement qu'elle prenne conscience de sa présence.
Puis, la Dame leva les yeux vers elle et la jeune déchue fut prise d'un trouble : Comment était-elle censé réagir ? Elle n'avait plus fréquenté de nobles depuis sont départ d'Ysari, si ce n'était une amie de la famille. Elle était désormais bien inférieure à cette femme qui, malgré ses vêtements, lui apparut comme étant de très haute extraction.

Finalement, Seren esquissa un bref sourire en guise de réponse. Une certaine timidité -à moins qu'il ne s'agisse d'hésitation- se lisait dans son attitude.

Oui... Il est assez exceptionnel.

La jeune femme s'approcha finalement, franchissant les quelques pas qui la séparait de son enfant. Elle se pencha, approchant lentement la main vers le couffin. Dans un geste doux et délicat, ses doigts caressèrent le sommet de son crâne, descendant sur sa joue. Seren lui sourit tandis qu'il essayait de se saisir de sa main qui s'éloignait lentement. Mais sa perception était telle qui la manqua... et de beaucoup. En compensation, il mit ses propres doigts à la bouche sous le regard attendrit de sa mère.

C'est un cadeau du ciel.

Avait-il compris le sens de ses mots ou était-ce simplement d'entendre la voix de sa mère, Seren n'aurait su le dire mais Léandre se mit à rire et à s'agiter un peu plus dans son panier. La jeune femme lui sourit, amusée par cette coïncidence. Elle releva ensuite le regard vers la Dame avant de les rebaisser aussitôt. Elle n'osait pas vraiment la regarder dans les yeux... Cela semblait la rendre mal à l'aise.
Même noble, Seren avait toujours eu un tempérament très doux. Mais aujourd'hui, la voilà dans une situation qu'elle ne connaissait absolument pas où une personne de haut rang s'adressait à elle qui n'était plus qu'une pauvresse dans une jolie robe quelque peu abîmée par le travail. Peut-être devait-elle tout simplement trouver un équivalent... Peut-être devait-elle se comporter comme elle le ferait face à la Reine ?... Non, ce n'était même pas encore assez fort à ses yeux...
Finalement, quelques mots finir par sortir de la bouche de la jeune femme.

Pardonnez-moi. Je vous importune...

Seren la salua, comme pour prendre congés. Elle devait s'occuper de Léandre... Et qu'est-ce que cette Dame pouvait avoir à faire de ses mésaventures. Peut-être même ferait-elle partie de ceux qui diraient qu'elle a mérité son sort, ce qui était en partie vrai.

La jeune femme semblait comblée de bonheur par cet enfant et c’était tout à fait naturel. Kathleen l’avait été elle aussi… cela n’avait hélas pas duré longtemps mais pendant les premières semaines d’Armand elle avait été au paradis. La fièvre qui l’avait emporté quelques semaines après sa naissance, avait alors tout emporté sur son passage. Son bonheur, sa joie de vivre, son envie de vivre.
Aujourd’hui encore le souvenir de son fils était douloureux mais elle n’y pensait plus avec cette envie constante de pleurer. C’était déjà un progrès. La jeune fille murmura alors qu’il était un cadeau du ciel et là encore Kathleen hocha la tête. Elle avait tellement raison. Tellement raison…
Le ciel lui refusait aujourd’hui ce genre de cadeau et bien qu’elle n’ait jamais mené une vie de pècheresse elle était punie pour quelque chose qu’elle n’avait jamais su comprendre. Que lui reprochaient les Cinq pour l’empêcher d’accéder ainsi au bonheur ? Son regard avait à nouveau glissé vers le poupon avant qu’elle ne relève les yeux vers la jeune mère. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Et que faisait-elle dans ce temple à récurer les chandeliers ? Ça ne semblait être ni sa place et encore moins celle du bébé.
Un peu précipitamment, comme si leur proximité la mettait mal à l’aise, la jeune fille s’excusa et commença à prendre congés en prétextant qu’elle devait sûrement la déranger… Surprise, Kathleen ne put retenir un petit rire qui lui attira les regards curieux des quelques prieurs éparpillés.

« - M’importuner ? A moi ? En voilà une idée ! Si vous saviez à quel point je préfèrerai mille fois me faire importuner de la sorte par moment ! »

Cette réponse particulière sembla faire hésiter la jeune fille et elle resta plantée devant elle quelques instants de plus. Moments pendant lesquels elle put profiter une dernière fois du visage rieur du bébé. Elle aurait tant aimé être mère… C’était un bonheur si simple, si doux, si parfait… et cela lui aurait évité de nombreuses réflexions blessantes.

« - Vous avez raison, c’est un don du ciel ce petit ange. Et j’espère qu’il ne passe pas son temps dans l’obscurité de ce temple…et vous ne semblez pas familière de ce genre de lieu. Avez-vous toujours travaillée ici ? »

Un moine apparut au bout du couloir. Visiblement il venait vérifier le travail de sa petite employée. Un sourire et un salut discret de la tête lui firent tourner les talons. Il devait être au courant de sa présence dans le temple. Après tout Kathleen se doutait un peu que Merryl avait fait prévenir les instances religieuses de la visite discrète de la Baronne de Missède.

« - Venez faisons quelques pas ensemble avant qu’il ne revienne nous embêter celui-là ! Je suppose qu’il y a un petit patio ou un jardin attenant à ce temple, nous pourrions nous y rendre quelques minutes pour prendre l’air. Qu’en dites-vous ? »

Seren écarquilla les yeux et les leva brusquement vers la Dame en entendant son rire. Mais celle-ci ne semblait pas se moquer. Au contraire, la jeune déchue semblait l'intéresser... la toucher peut-être. Sans doute n'avait-elle pas encore été identifiée... Ce qui était probablement normal, surtout si elle venait du Nord. Les rumeurs n'avaient peut-être pas encore atteint les cours les plus éloignées.
Léandre attirait régulièrement le regard de la noble qui continuait de le complimenter. La de Milahn ne comprenait pas vraiment ce que l'on attendait d'elle et l'intérêt qu'on lui (leur) portait... Mais les sangs bleus avaient parfois leur lubie et elle finit par se dire qu'elle ne devait pas s'étonner de la sorte.

Nous ne resterons sans doute plus très longtemps... Le Temple avait simplement besoin de quelques mains supplémentaires le temps que les festivités s'achèvent. Ensuite nous devrons partir...

Seren fut interrompue. Elle avait remarqué le signe de tête que son interlocutrice adressait à quelqu'un se trouvant dans son dos et elle suivit son regard pour apercevoir le moine qui faisait demi-tour. Elle se retourna vers la Dame pour entendre sa proposition... L'ex-héritière eut une hésitation. Elle n'avait pas beaucoup avancé son ouvrage mais n'envisageait-elle pas de faire une pause ?
Finalement, elle prit Léandre dans les bras et l'invita poliment à la suivre. L'amatrice de promenade qu'elle était avait depuis longtemps repéré les jardins du Temple mais jamais elle n'avait eu le temps de s'y rendre. Pas même avec son fils. Cela lui rappellerait sans doute les longues discussions nocturnes à Ysari avec Ewen.

Acceptant sa proposition, la jeune fille prit son fils dans les bras et l’entraîna lentement vers une porte sur le côté de la salle de prière. Kathleen la suivit silencieuse mais lorsqu’elle passa la porte menant aux jardins. Elle attrapa doucement le bras de la jeune fille et lui fit signe de ne plus bouger. Elle avait entendu la voix de Merryl qui discutait visiblement avec un moine. Camouflée par l’obscurité du petit couloir, il ne la vit pas alors qu’il passait devant l’ouverture au fond. Poussant un soupir, elle s’approcha doucement de la porte, glissa un coup d’œil à l’extérieur puis fit signe à la jeune fille de la suivre dans la direction opposée du chef de son escorte.
Lorsqu’elles furent enfin dans les jardins, Kathleen poussa un soupir et se mit à sourire soulagée.

« - Qu’il peut être collant celui là… Je comprends son inquiétude mais là ça frise la paranoïa ! Depuis que nous avons repris la route, il ne m’a quasiment pas concédé une minute de tranquillité ! »

Elle fit un signe de main comme si elle balayait cette pensée pour passer à autre chose. Viktor avait tenu à ce que toute cette escorte l’accompagne et elle n’avait pas osé lui dire non. Il s’inquiétait pour elle… Comment pouvait-elle le lui reprocher !
Le soleil se déversait sur les bandes de fleurs bien entretenues et elles avançaient lentement dans les allées bien tracées. L’endroit était charmant, agréable et propice au repos de l’âme. Un endroit qui lui rappelait la petite roseraie qu’avait fait recréer Viktor à Missède. Par les Cinq qu’elle avait hâte de rentrer pour le retrouver.
Cette pensée lui rappela les paroles de la jeune fille. Visiblement sa vie semblait évoluer au gré du travail qu’elle trouvait à droite et à gauche. Ce n’était pas les conditions idéales pour élever un enfant, mais tant de femmes étaient dans son cas.

« - J’ose espérer que vous ne prendre pas la route seule avec votre fils. Ce n’est pas les dangers qui manquent dehors… Regardez moi, mon époux est tellement inquiet pour moi qu’il me fait escorté d’une quinzaine de soldat ! Quinze ! Comme si j’étais en porcelaine… »

Un petit rire lui échappa à nouveau tandis qu’elles avançaient toujours lentement. Brusquement, lançait comme un boulet de canon Merryl surgit devant elles, pâle comme un linge. Il sembla respirer lorsqu’il croisa son regard.

« - Ma Dame… évitez de disparaître de la sorte… Prévenez moi quand… »
« - Quand quoi ? Allons Merryl je ne compte pas m’échapper. Je me promène dans le temple, et je vous avais demandé de m’attendre dehors il me semble ! »
« - Ma Dame… Votre époux m’a demandé de veiller sur vous, je ne fais que mon travail. »
« - Je sais parfaitement tout ça, mais mon époux ne vous a pas demandé de m’étouffer non ? Alors laissez moi profiter d’un instant de tranquillité, nous reprendrons la route dans une heure tout au plus….Promis, allez retournez dehors ! »

Face à l’insistance de sa Baronne l’officier s’inclina et tourna les talons non sans pester. Amusée, Kathleen se tourna vers la jeune fille qui berçait doucement son enfant contre elle.

« - Quand je vous disais qu’il était collant ! … Vous ne chercheriez pas du travail vers Missède par hasard ? Une présence féminine pendant ce voyage me serait d’un grand secours ! … Enfin, je ne veux pas vous offenser en vous proposant cela… J’ai cru comprendre que vous viviez au gré des petits travaux… Missède est un endroit charmant vous savez ! Et je pourrais vous aider là bas ! Enfin je ne veux rien vous imposer ! »

Kathleen se rendait parfaitement compte que sa proposition pouvait surprenant mais elle avait toujours était comme ça. Depuis son enfance à Ydril, depuis son couronnement à Missède, elle s’était toujours montrée ouverte et ce n’était pas près de changer. Et puis ce petit bout de femme semblait perdu avec son bébé. Elle avait du mal à l’imaginer si jeune sur les routes. Il pouvait lui arrivé tant de chose… Et pas des plus joyeuses.

Alors que la Dame lui prenait le bras, Seren s'arrêta et se tourna à moitié vers elle. Elle l'observa sans comprendre qu'elle tendait l'oreille, percevant une voix que la jeune femme n'entendait pas, perdue parmi les autres chuchotis qui raisonnaient dans la salle de prière. Et puis, suivant les indication de la noble, elle l'accompagna jusqu'aux jardins par un chemin dissimulé.
Visiblement, elle semblait éviter quelqu'un. Aux vus des propos tenus par la Dame, Seren pensa qu'il devait s'agir de son escorte... Cela confirmait donc son très haut rang...

Les deux femmes firent quelques pas dans les jardins dans une marche silencieuse. Après un petit moment, la Dame s'enquit de la situation de la jeune mère, espérant qu'elle ne soit pas seule.

Oh... Mon frère m'accompagne. Bien que, comme moi, il n'ai pas l'habitude de cette vie...

Soudain, un homme surgit de nulle part, les arrêtant net dans leur promenade. Seren ne put cacher sa surprise car elle ne l'avait vraiment pas vu venir. Léandre sentit qu'il se passait quelque chose d'inhabituel et lâcha quelques sanglots, comme s'il avait été surpris lui aussi.
Comprenant ensuite qu'il s'agissait de la fameuse escorte, la jeune mère fit un pas en arrière, baissant les tête en signe de soumission. Elle ne tenait pas vraiment à ce qu'il la soupçonne de vouloir faire du mal à sa maîtresse. Elle les laissa s'expliquer, berçant tendrement son fils pour le rassurer. Lorsque l'homme partit, la Dame se retourna vers elle et commença à lui parler de Missède. Seren sembla alors se figer... Elle pensait bien avoir affaire à quelqu'un d'important mais était-ce vraiment... ?

Vous êtes... Kathleen de Missède... n'est-ce pas ?

La jeune enfant avait bien conscience de qui se tenait en face d'elle à présent. Il était étrange de constater que ne pas savoir son nom était plus confortable que de connaître l'identité de la personne avec qui l'on s'entretenait. Comme quoi l'anonymat était confortable... L'attitude n'était plus du tout la même.
Seren exécuta aussitôt une révérence aussi parfaite que le permettait le port d'un bébé dans les bras.

Ma Dame...
Votre aide serait fort appréciable mais... Enfin, je...
Oui, nous voyageons de capitale en capitale à la recherche d'un travail. Pour notre sécurité et celle de mon fils, nous cherchons à obtenir une situation plus stable que celle de vagabonds. Nous souhaitons mettre en avant notre maîtrise des lettres mais nous devons attendre la fin des festivités pour faire le tour des nobles et bourgeois de la cité car aujourd'hui nous n'en avons pas le temps, hélas.
En revanche, je crains de ne pouvoir vous accompagner dans l'immédiat... Je me suis engagée envers le Temple jusqu'à la fin des festivités... Je...

Seren ne savait plus vraiment où se mettre. La demande de la Baronne était bien soudaine et son appui, inespéré. Un cadeau du ciel, une fois encore. Peut-être les Dieux ne souhaitaient-ils pas qu'elle demeure telle une âme errante dans les limbes. Mais voilà qu'elle était perdu et ne savait plus comment envisager les choses entre son engagement d'une part et la proposition de Kathleen d'autre part.

Lorsque la jeune fille lui demanda si elle était bien la Baronne de Missède, Kathleen eut un moment d’hésitation. Cette dernière information semblait troubler la jeune mère et presque aussitôt, avant même qu’elle n’ait confirmé d’ailleurs, elle exécuta aussi une révérence qui finit de troubler la Baronne. Elle n’était absolument pas à la recherche de ce genre de comportement, bien au contraire. Elle avait tant besoin de simplicité comme à Afayel les derniers temps. C’était presque un combat de faire oublier à certaines personnes de son entourage sa position et ce poids lui était parfois pénible. Non pas qu’elle rechigne à l’art subtil des convenances, mais elle n’avait ce titre que grâce à son mariage avec Viktor. Certes, c’était parfois flatteur, agréable même de recevoir quelques attentions, mais ces derniers temps elle espérait le contraire…

« - Je… euh oui… Je suis bien Kathleen de Missède, mais inutile de faire tout ça… Ca me met… mal à l’aise. Il n’y a que nous alors ce n’est pas nécessaire ! »

Oui voilà elle se sentait mal à l’aise tout d’un coup. Comme si cette révérence l’avait tout d’un coup mise à un niveau totalement différent de la jeune fille.
Mais il était hors de question qu’elle devienne inaccessible, aussi lui fit-elle signe de s’asseoir sur le banc non loin d’elles. La jeune mère répondit alors à sa proposition. Elle semblait vouloir sauter sur l’occasion mais quelque chose la retenait. Hochant la tête, Kathleen posa doucement la main sur son bras pendant quelques secondes avant de tendre les doigts vers le petit poing serré du bébé.

« - Je n’ai pas l’habitude de faire ce genre de chose vous savez, mais je suis très sérieuse lorsque je vous propose de m’accompagner. Je ne connais rien de votre histoire, ni même votre prénom, mais au moins je suis en mesure de vous apporter la protection que vous souhaitez pour vous et votre enfant, et même pour votre frère. Mais je comprends votre problématique… »

Cette jeune fille lui était sympathique. C’était inhabituel de la voir prendre ce genre de décision sur un coup de tête et sans même en discuter avec Viktor mais après tout… Qu’elle revienne avec trois personnes dans ses valises ce n’était pas non plus gravissime ! Et elle se chargerait elle-même de leur trouver une occupation ! Une idée lui traversa l’esprit et elle fixa son regard sur la jeune fille. Elle avait une certaine grâce, sûrement les restes d’une bonne éducation. Elle se tenait droite, était polie, douce et calme. Elle aurait été parfaite en demoiselle de compagnie. Personne n’avait pris la place de Catherine depuis son départ de Missède, et les quelques Dames de la Cour qu’on lui mettait dans les pieds étaient toutes superficielles et insupportables. Bon il fallait avouer que sa déprime récente ne les aidait pas non plus à se faire apprécier. Mais aujourd’hui Kathleen voulait un peu de fraîcheur auprès d’elle, quelqu’un avec qui elle pourrait retrouver l’envie de s’amuser, de rire, en bref de redevenir la Kathleen qu’elle avait laissé des années plus tôt à la Roseraie.

« - Comme vous avez du l’entendre… je reprends la route très bientôt. Je suis attendue à Missède et je ne peux pas m’attarder un jour de plus ici. Je peux vous laisser une heure ou deux pour réfléchir… Mais dites vous bien qu’une fête comme celle qui se préparent attire énormément de monde et que si vous quittez ce travail un autre viendra sur l’heure vous remplacer. Donc ne vous inquiétez pas pour le temple ! Je peux moi-même aller parler au moine qui se charge de vous. »

Après tout elle savait se montrer très persuasive, surtout depuis qu’elle avait retrouvé son sourire ! Mais elle ne voulait pas paraître trop insistante. Elle avait fait sa proposition, maintenant elle ne pouvait rien faire de plus pour elle et encore moins prendre la décision à sa place.

« - En tout cas sachez qu’à Missède les chandeliers ont déjà tous les soins nécessaires ! Mais allons, je cesse de vous forcer la main, ce n’est pas une décision légère. Et si vous avez la moindre interrogation n’hésitez surtout pas. »

Poussant un léger soupir, Kathleen balaya le jardin du regard avant de lever le visage pour contempler le ciel bleu. Décidément le sud était vraiment un endroit agréable. Elle avait vécu un très beau début d’automne à La Roseraie, mais tout son être avait envie de rentrer à Missède.

Les yeux de Seren interrogèrent la Dame alors qu'elle lui demandait de faire fit de son statut dans le but de se monter plus naturelle. C'était surprenant, mais à la fois compréhensible. Elle n'avait certes pas abordé une pauvresse pour sa bonne éducation. Sans doute avait-elle besoin "d'air frais".
A sa demande, elle vint s'asseoir près de Kathleen et écouta sa proposition. Protection. Voilà bien un mot qui raisonna en elle. Elle avait si peur depuis qu'elle était partie... Comme si elle errait dans un monde remplis d'inconnus et de hasard. Alors qu'il avait toujours été clair pour elle qui mènerait sa vie dans une quelconque Cour ou dans un quelconque château, elle ne saurait dire à présent de quoi demain serait fait. Et cela était effrayant à ses yeux.
La Baronne n'attendit pas sa réponse pour poursuivre son propos et Seren se sentit pressée par le temps, comme si c'était maintenant ou jamais... La Dame savait y faire et, bien qu'elle est reçu une éducation équivalente la jeune maman s'était toujours refusée à jouer de manipulation sous quelque forme que ce soit. La culpabilisation, l'ultimatum, la séduction, la flatterie sans fondements... Voilà bien des choses dont elle était incapable.

Enfin, Kathleen lui laissa un moment pour réfléchir. Seren essaya de profiter de ce temps mort pour réfléchir... Non pas pour prendre sa décision mais pour définir comment elle allait utiliser le temps qui lui était imparti.
Avant toute chose, elle devrait consulter son frère. Elle ne se voyait pas partir sans lui mais il prendrait sans doute la proposition d'un mauvais œil... Après tout, il ne connaissait cette femme que de nom. Il s'agissait d'une inconnue à leurs yeux et rien ne leur prouvait qu'elle les aiderait effectivement. Peut-être ne cherchait-elle qu'un peu de compagnie pour la durée de son voyage.
Oh et puis après tout... Qu'est-ce qui lui disait qu'elle n'était pas celle qui les tirerait de ce mauvais pas ? Quant au Temple, cela la chagrinait de partir aussi subitement mais après tout pouvait-elle refuser une telle opportunités ?

Vous comprendrez sans doute que je ne puis partir sans mon frère, aussi me faut-il le consulter. Sans vouloir vous offenser, je préfère vous prévenir qu'il se montrera sans doute méfiant à votre égard. Et on ne peut pas vraiment le lui reprocher... J'ai déjà commis l'erreur d'accorder ma confiance à la mauvaise personne.

Seren tourna alors son regard vers son fils. Ravi de pouvoir vriller ses pupilles dans celles de sa mère, Léandre rit et tendit les mains vers son visage. Elle lui rendit son sourire avant de reprendre.

Ma Dame, puis-je vous poser une question ?
Pourquoi vouloir m'aider ? Pourquoi moi ?...

Oui... La réponse à cette question l'aiderait sans doute à comprendre les motivations de la Baronne. Après tout, elle n'était pas la seule à vivre des moments difficiles. Il n'y avait qu'à faire quelques pas dans les rues pour trouver quelqu'un plus miséreux qu'elle. Elle ne refusait pas la chance qui s'offrait à elle mais comment y croire ? Après le père de Léandre, il lui était difficile d'accepter la possibilité que les miracles existaient. Les contes de fées n'existaient pas.

La petite voix de la jeune fille s’éleva près d’elle et Kathleen lui accorda aussitôt toute son attention. Elle lui parla alors de son frère qu’elle devait consulter et du manque de confiance qu’il risquait d’éprouver à son égard. La petite réflexion qui suivit au sujet d’une erreur passée ne lui échappa pas, ni même le regard qu’elle porta à son fils. Maintenant qu’elle savait cela, Kathleen voyait l’inconnue d’un oeil diffèrent. Elle avait un maintien et une grâce que seule une bonne éducation avait pu lui offrir, est-ce que la naissance de son fils lui avait valu cet exil forcé ?
.
La jeune fille lui demanda alors si elle pouvait lui poser une question. Après un hochement rapide de la tête, elle continua, l’interrogeant sur la raison de l’aide qu’elle voulait lui apporter. Que répondre à cela ? Elle n’en avait aucune idée ! Lorsqu’elle était venue ce recueillir dans le temple elle ne s’était absolument pas attendue à faire ce genre de proposition à une inconnue.

« - Je ne sais pas… »

Ca avait le mérite d’être franc. Kathleen se leva lentement, fit quelques pas dans l’allée, puis revint vers la jeune mère le visage sérieux. Elle avait peut-être fait une erreur en lui proposant de lui venir en aide, du moins elle n’aurait peut-être pas dû se mêler des malheurs de la jeune fille…

« - Je me rends compte qu’il s’agit là d’une proposition surprenante… voire même déplacée. Je ne sais rien de vous, pas même votre prénom… Mais comment vous expliquer…En fait, plus que la perspective de m’ennuyer pendant mon voyage, c’est mon retour à Missède qui m’effraie. J’ai peur de la Cour de bécasses qui m’attend là-bas… C’est sûrement égoïste de ma part de rechercher quelqu’un pour venir endurer leur compagnie avec moi mais j’ai vraiment le sentiment que je ne pourrais pas supporter ça toute seule. »

Levant la tête, Kathleen croisa le regard de la jeune inconnue et se sentit presque aussitôt rougir. Non mais qu’est-ce qu’il lui prenait de se confier ainsi à une inconnue ? Peut-être que le cadre y était pour beaucoup, à moins que ce soit le calme et la sérénité qu’elle dégageait. C’était exactement d’une personne comme elle qu’elle avait besoin, avec cette aura si particulière. Elle avait besoin de quelqu’un à qui elle pouvait se confier si facilement…Ce n’était pas le cas avec Anna et encore moins avec l’autre grande asperge qui l’attendait à Missède…

« - Je ne veux pas vous ennuyer avec mes problèmes, ils sont loin d’égaler les vôtres, mais surtout n’imaginez pas que j’ai de mauvaises intentions. Bien au contraire. Vous cherchez du travail, vous cherchez un toit pour vous abriter vous et votre enfant pendant l’hiver, vous cherchez un endroit pour construire quelque chose, pour tourner la page sûrement… Moi je peux vous donner tout ça. Je pourrais le proposer à n’importe qui c’est vrai, mais c’est vous que j’ai croisé dans ce temple… et c’est tellement simple de vous parler ! Je ne le comprends pas moi-même pourquoi ! »

Faisant une pause, Kathleen tourna la tête vers la porte qu’elles avaient empruntée. Merryl se tenait dans l’embrasure, droit comme un poteau. Il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir un œil sur elle constamment… C’était lassant mais elle n’avait pas le choix. Poussant un soupir elle se tourna à nouveau vers Seren.

« - Je vais demander à Merryl d’aller réserver une chambre à l’auberge la plus propre. J’y passerai la nuit, mais demain je devrais partir. Est-ce que cela sera suffisant pour prendre votre décision ? »

Au moins la Baronne avait-elle le mérite d'être franche. Et les propos qu'elle tint lui parurent sincères. Oui, Seren attirait souvent près d'elle les personnes les plus sérieuses ou réclamant une attention particulière. La jeune fille n'avait jamais compris ce qu'ils pouvaient bien voir en elle pour se diriger presque instinctivement vers elle. Kathleen l'exprimait elle-même.

Si la noble déchue n'avait pas vraiment eu la réponse à sa question, une de ses craintes fut dissoute. En effet, la Baronne ne cherchait pas juste un peu de compagnie pour son voyage, elle avait besoin de bien plus que cela. Elle voulait une confidente, quelqu'un avec qui elle pourrait parler sans crainte pour se libérer de ses fardeaux. Elle voulait une Dame de compagnie, ni plus ni moins.
La demande n'était pas sans surprendre davantage encore Seren qui n'en revenait pas. Un abri pour son fils, pour l'hiver, mais bien plus encore. Une protection pour lui permettre de grandir à l'abri loin de la paysannerie, ou même de la bourgeoisie. Un retour légitime dans le monde de la noblesse, sans en avoir le titre bien sûr, mais si la Baronne appréciait ses services cette nouvelle situation se révèlerait presque aussi sécurisante.

Vos problèmes ne m'ennuient pas ma Dame, ils sont... différents.
A chaque situation son degré de gravité et je connais suffisamment la vie de la Cour pour comprendre de quoi vous parlez.

La jeune mère ne semblait pas essayer de séduire Kathleen -ce qui de toute manière était manifestement déjà fait-. Non, ses paroles étaient sincères. Comment pouvait-on comparer la vie d'un miséreux à celle d'un grand de ce monde ? Pendant que l'un cherche à obtenir son pain quotidien, l'autre s'attèle à diverses affaires politiques plus délicates les unes que les autres. Les difficultés des uns se règlent d'un claquement de doigt pour les autres alors que le mendiant ne se soucie que peu de qui reine sur la terre sur laquelle il marche et comment car cela ne change rien pour lui.
La Baronne proposa finalement de repousser son départ pour lui laisser le temps de réfléchir. Voilà bien un signe de plus de sa sincérité. La jeune femme accepta d'un signe de tête. D'ici-là, elle aurait le temps de voir son frère. Y avait-il des chances pour qu'il refuse une telle aubaine ?... Non. Elle était à peu près sûre à ce moment-là qu'elle partirait le lendemain pour Missède.
Alors que le silence était retombé, un détail revint subitement en mémoire de la noble déchue et sa voie raisonna à nouveau dans la cour.

Seren.

Son regard chercha celui de la Baronne avant de poursuivre.

Je m'appelle Seren de Milahn.

Une De Milahn ! Un étonnement sincère se peignit sur le visage de la Baronne. Elle s’était attendue à beaucoup de chose mais pas à avoir sous ses yeux la jeune Seren de Milahn… Lors de ses nombreux voyages à Sinlieh, Kathleen avait appris à connaître la noblesse locale. Son oncle et Aurore après lui, avait toujours entretenu de bonnes relations de « voisinage », Kathleen connaissait donc beaucoup de monde là-bas. Seren avait quelques années de moins qu’elle. Kathleen se souvenait de cette fillette qu’elle avait sûrement vue lors des Chasses de Sinlieh… Un soupir échappa à Kathleen. La noblesse pouvait se montrer bien cruelle… Cette jeune femme, à la rue avec son bébé… Comment pouvait-on traiter ainsi son enfant ? Rien ne pouvait justifier qu’elle se retrouve ainsi à la rue. [i]

« - Je me rappelle de vous… Et bien si vous avez toujours besoin d’une justification, dites-vous que je veux aider la fillette rieuse que j’ai rencontré un automne à Sinlieh. Je dois vous laisser maintenant. J’enverrai quelqu’un vous dire ou je me suis installée pour la nuit. Demain en fin de matinée je partirai et j’espère que ce sera en votre compagnie. »

[i]Aussi surprenant que cela puisse paraître à un œil extérieur, Kathleen salua Seren d’un signe de tête. Une Baronne saluant une domestique… voilà bien une chose que l’on ne voyait pas tous les jours.

Regagnant la porte du jardin, Kathleen croisa un Merryll sur la défensive, près à expliquer durant des heures la raison de sa présence. La Baronne le coupa net dans son élan et lui demanda en souriant de lui trouver une chambre dans l’auberge la plus proche. Elle se sentait trop fatiguée pour prendre la route tout de suite.

[…]

« - Baronne, les hommes sont prêts, les affaires sont chargés et les chevaux sont sellés. Nous pouvons partir dès que vous le souhaiterez. »

Merryll venait de la tirer de sa rêverie. Depuis plusieurs minutes Kathleen observait la ruelle à travers la petite fenêtre de sa chambre. L’aubergiste et son épouse avaient été des gens charmants, au petit soin avec elle. Le repas de la veille avait été excellent et tous les hommes de son escorte avaient passé une nuit dans un bon matelas. Il fallait reconnaître que son statut de Baronne avait pas mal d’avantage. En revanche ce matin, elle se sentait chagrine. Aucune nouvelle de Seren… Pas un mot, pas un signe… Allait-elle venir ? Devait-elle l’attendre encore un peu ? Poussant un soupir, Kathleen se tourna vers le chef de son escorte.

« - Allons-y Merryll… Faites seller Fureur, je ne compte pas rester enfermer dans le carrosse une fois sortie de la ville. »

Elle avait fait quelques concessions durant le voyage et le carrosse en faisait partie. Les trajets à cheval au cœur des grandes villes devaient être réduits au minimum….
Rejoignant le petit monde qui s’activait devant l’auberge, Kathleen se surprit à regarder autour d’elle si elle ne voyait pas le visage de Seren…. Y avait-il un espoir que…

Seren resta un moment perplexe... D'abord parce que la Baronne lui apprit qu'elles s'étaient déjà rencontrées, ensuite parce que la grande Dame qu'elle était l'avait saluée, elle qui n'était plus rien.

***

La matinée suivante avait été trop courte...
La jeune mère avait parlé à Ewen le soir-même de sa rencontre avec Kathleen et de la chance inouïe qu'elle leur offrait. Bien évidemment, Ewen n'avait pas été facile à convaincre, ou en tout cas à rassurer. Il posait énormément de questions sur la façon dont les deux femmes s'étaient rencontrées, ce qu'elles s'étaient dit, comment la baronne en était venu à lui proposer de la suivre. Finalement, il s'était couché après lui avoir fait comprendre qu'il était d'accord. Mais il y avait quelque chose que Seren ne comprit pas... Quelque chose dans son expression qui lui laissait penser qu'il ne lui disait pas tout. Elle n'insista pas davantage, elle était déjà heureuse de pouvoir partir.

La fratrie s'était couchée tard et Léandre resta silencieux à son réveil, attendant sagement que sa mère vielle s'occuper de lui. Épuisés, les nobles déchus restèrent au lit, l'esprit profondément enfouit dans le monde des rêves. Les moines, n'ayant pas encore vu les deux jeunes une heure après le levé de soleil, vinrent frapper à leur porte.
Le temps de se lever, de s'apprêter, de manger, de s'occuper du bébé, d'avertir les moines de leur départ et de faire leurs affaires, la matinée passa à une vitesse folle. Dernier problème à régler : trouver l'auberge où logeait la Dame. On leur avait bien évidemment donné le nom de l'établissement mais les jumeaux ne connaissaient pas bien la ville (pas du tout dans le cas de Seren). Ils virent défiler beaucoup de rues et de passants, s'arrêtant parfois pour demander leur chemin, avant qu'ils ne trouvent enfin les lieux. Et, lorsque cela fut le cas, Kathleen était sur le point de monter dans son carrosse.

Seren approcha, avant de se faire refouler par la garde rapprochée de la Dame.

Au milieu de la foule, alors qu’elle était en train de se faire à l’idée qu’elle voyagerait une nouvelle fois seule, Kathleen aperçut le visage de Seren. Un sourire ravi se posta sur ses lèvres, bien qu’il fût vite effacer lorsqu’elle vit l’un de ses gardes faire barrage. Un soupir d’exaspération lui échappa et sans qu’elle ait besoin de dire quoi que ce soit Merryll se chargea lui-même de conduire les deux jeunes gens vers sa maîtresse. Une fois les salutations d’usage échangés, Kathleen fit un signe rapide au chef de sa garde et celui-ci retourna dans l’auberge avant d’en ressortir quelques instants plus tard.

« - La salle du fond est disponible. Le tavernier vous apporte à boire. Je ne veux pas vous presser Ma Dame, mais nous ne pouvons pas attendre trop longtemps sans quoi nous ne pourrons pas atteindre le village suivant avant la tombée de la nuit. »
« - Je sais bien Merryll, je ne serais pas longue. »

Kathleen pénétra dans l’auberge suivit par Seren et son frère, et se laissa guider par le tavernier jusqu’à la fameuse « pièce du fond ». Une table et des chaises, de quoi boire sur la table. En somme un endroit tranquille pour parler. Une fois la porte refermée, Kathleen quitta son air de Baronne et retrouva un sourire ravi.

« - Comme je suis contente de vous voir Seren, et vous aussi… Ewen si j’ai bonne mémoire ! Un instant j’ai cru que je partirais sans vous. Je suppose néanmoins que vous avez peut-être d’autres questions que vous voudriez me poser avant d’accepter définitivement mon offre et je suis toute disposée à vous répondre. En revanche, je suis navrée de vous dire ça mais nous ne pouvons pas rester enfermés dans cette pièce très longtemps… Question de convenances… Par les dieux qu’est-ce que je peux détester ce mot… »

Et bien oui, une Baronne enfermée dans une pièce avec une femme, son bébé et son frère sans le sou ce n’était pas très convenable. Même si Merryll n’avait rien dit un peu plus tôt il le lui avait fait comprendre d’un regard. Inutile que l’on jase sur les activités de la Baronne de Missède à Sybrondil.

« - Y’a-t-il des doutes que vous souhaiteriez me voir éclaircir ? Des choses que vous souhaiteriez savoir sur votre avenir prochain à Missède ? »

Le barrage fut vite levé au commandement de l'homme qu'elle avait vu la veille venir réclamer sa maîtresse. Les jumeaux avancèrent et, adoptant la même attitude que la Baronne, la jeune mère la suivit jusqu'à l'arrière de la taverne, le regard neutre. Une fois la porte fermée, Seren afficha un très large sourire. Elle était si heureuse d'être là, de partir avec elle, de retrouver la sécurité d'une Cour, d'un château... d'une autorité. Sous sa protection, elle ne craindrait plus jamais rien, ni elle, ni son fils. Et Ewen pourrait retrouver son titre et sa vie.
Savoir que la Dame avait eu peur de partir sans elle lui réchauffa un peu plus le cœur. Elle doutait de moins en moins de sa sincérité. Quelle dommage que sa dernière expérience l'ai rendu si méfiante... Et puis qui aurait cru que quelqu'un chercherait à sortir de la misère une femme dans sa situation, en état de disgrâce pour avoir commis une faute si grave.

Je suis contente de vous voir aussi Madame.

Pour ma part, je suis prête à partir.

Seren se tourna alors vers son frère. Peut-être avait-il de nouvelles interrogations depuis la veille qu'il souhaitait soumettre à la Baronne.

A l'annonce que lui avait faite sa sœur, Ewen avait ressenti plusieurs choses bien différentes. Tout d'abord de la méfiance : pourquoi la baronne souhait-elle les aider? De ce qu'il avait pu observer à la cour, le rouquin savait que les nobles ne faisaient généralement pas les choses par bonté d'âmes. Ils avaient toujours une idée derrière la tête.
Lorsque Seren lui avait expliqué les choses plus concrètement, il avait ensuite ressenti de la joie : la baronne, d'après sa jumelle, semblait sincère. Si tel était réellement le cas, les deux nobles déchus et Léandre pourraient espérer vivre plus correctement que depuis leur départ.
Et finalement, il avait ressenti de la déception : il avait donc acheté cet écu pour rien et ne participerait pas au tournoi... Cependant, bien conscient que la proposition de la baronne leur offrait bien plus d'opportunités qu'une hypothétique victoire en tournoi, Ewen avait fait de son mieux pour cacher cette déception. Le lendemain, c'est donc tout naturellement que le jeune homme était aux côtés de Seren et de son neveu pour rejoindre Kathleen de Missède. Son sac paraissait plus lourd qu'à leur arrivée mais le rouquin faisait de son mieux pour n'en rien laisser paraître.

Après avoir passé un certain temps à rechercher cette fameuse auberge, les de Milahn finirent par arriver à destination. Un moment plus tard ils étaient à l'intérieur de l'établissement, face à la baronne.

Le rouquin s'inclina selon les convenances lorsque Kathleen se tourna brièvement vers lui. Il avait peut-être été déshérité mais il n'avait en rien perdu ses bonnes manières, malgré les vêtements qu'il avait sur le dos, moins... élégants et neufs qu'à l'accoutumée.
La de Missède leur demanda s'ils avaient des questions. Ewen regarda brièvement Seren, qui semblait ravie et répondit sans hésiter à la baronne. Le jeune homme se racla discrètement la gorge avant de se lancer.

Tout d'abord et même si ma sœur l'a déjà fait, ma Dame, je tenais à vous exprimer nos remerciements les plus sincères, d'il-t-il en inclinant respectueusement la tête.

Je n'abuserai pas du temps du chef de votre garde et n'aurait donc qu'une question, poursuivit-t-il. Je sais que Seren vous l'a déjà demandé mais je souhaiterais obtenir confirmation : pourquoi nous aider et que ferez-vous de nous à Missède?

Léger silence. Froncement de sourcils ennuyé du jeune homme.

Hmm... Ca fait deux questions en fait...

Le sourire ravi de Seren faisait plaisir à voir, visiblement elle était aussi heureuse que la Baronne en cet instant. La perspective de faire le trajet de retour vers Missède en compagnie de la jeune demoiselle la détendait d’avance. Les hommes du convoi n’étaient pas très bavard et bien trop cérémonieux à son goût. Impossible d’avoir l’once d’une conversation, sans parler du fait qu’on voulait toujours la renvoyer dans son carrosse. Le jeune Ewen s’inclina devant elle et la remercia une nouvelle fois pour l’attention qu’elle leur portait. Un sourire se dessina sur les lèvres de Kathleen, pour l’heure il était encore difficile de dire que les deux jeunes femmes s’entendraient à merveille, mais il était déjà évident qu’elles sauraient s’accommoder l’une de l’autre. Le jeune homme poursuivit, posant à son tour la même question que sa sœur la veille et une autre dans laquelle perçait une demande plus personnelle. Si la place de Seren était parfaitement assurée à Missède il était normal qu’Ewen se demande ce que lui allait devenir une fois là-bas.

Un petit rire amusé échappa à la Baronne lorsqu’elle vit avec quel air sérieux il s’inquiétait d’avoir posé deux questions et non une.

« - Votre interrogation est parfaitement légitime. Au départ, lorsque j’ai croisé votre sœur au temple j’ai trouvé sa présence réconfortante et sa situation particulièrement triste. Voyez-vous lorsque j’ai quitté Missède, mon époux m’a suggéré de ramener avec moi un peu de mon Sud natal. Mais je n’ai plus personne, ni en Ydril, ni en Ysari. Alors quand j’ai vu Seren, et son petit garçon dans ce temple, je me suis dit qu’après tout je pouvais l’aider elle à condition qu’elle accepte de m’aider moi. »

Faisant une pause, Kathleen se tourna vers Seren à qui elle adressa un sourire. Oui définitivement cette jeune femme avait une aura toute particulière. Elle respirait le calme et la sérénité.

« - Ma vie à Missède est loin d’être un conte de fée, même si j’ai parfaitement conscience qu’il y a pire situation dans la vie…Ma précédente demoiselle d’honneur s’est mariée et j’ai dû me résoudre à la voir me quitter… Depuis je suis assaillie par toutes les harpies de la Cour Missédienne…. Et puis votre sœur m’a révélé son véritable nom et à partir de là je n’ai plus hésité un instant. Vous êtes une Dame de Cour, vous connaissez les usages, les convenances… Vous serez parfaite dans ce rôle. »

Faisant quelques pas vers Seren, Kathleen vint caresser doucement la petite joue arrondie du bébé qu’elle tenait dans ses bras. Cet enfant était aussi l’une des raisons de son choix… Armand était mort depuis longtemps mais l’annonce de sa stérilité était encore récente…

« - Vous ne vous souvenez peut-être pas de moi car vous étiez jeunes tous les deux, mais moi je me rappelle de vous. Nous avons joué ensemble à Sinlieh lors des Chasses d’automne organisées par mon oncle. Je connais votre famille de nom et si aujourd’hui vous semblez être … en disgrâce auprès d’eux, cela n’a pas d’importance pour moi. Votre fils sera à l’abri, vous Seren, vous aurez une place importante à la Cour et vous Ewen je pourrais intercéder en votre faveur. Et puis qui sait, peut-être que vos parents reviendront sur leur cruelle sanction. Votre place n’est pas dans la rue, surtout pas pour le simple motif d’avoir donné la vie. »

On frappa à la porte et le crâne chauve de Merryll apparut quelques secondes pour voir si tout allait bien. Ce fou de sécurité était particulièrement casse pied mais il fallait reconnaitre qu’il faisait bien son boulot.

« - Ai-je répondu à toutes vos questions ? Voulez-vous savoir autre chose ? »

Le jeune homme hocha doucement la tête, intégrant les informations données par la baronne. Ainsi s'étaient-ils déjà croisés durant leur enfance? Ewen ne s'en souvenait pas. Cela dit, s'ils étaient encore tout jeunes... Pas étonnant, par contre, que la mémoire de Kathleen fonctionne mieux à ce sujet : les jumeaux roux n'étaient pas particulièrement répandus...

Très bien, concéda finalement le garçon. Au fond, qu'importait que lui n'obtienne pas ce qu'il désirait? L'important, c'était Seren. Il ne l'avait pas suivie pour se mettre à ronchonner sur sa condition quelques jours ou semaines plus tard.
Il tourna la tête et posa son regard sur sa jumelle, toujours souriante.

J'imagine que je n'ai pas vraiment le choix, de toute manière, ajouta-t-il en souriant doucement à son tour.

Le chef de la garde de la baronne les interrompit brièvement, indiquant sans le dire qu'il allait être temps de partir. Lorsque la porte se fut refermée, Kathleen leur demanda si tout était réglé. Ewen fit oui de la tête avant de répondre.

Tout est bon pour moi, dit-il en regardant à nouveau sa sœur ainsi que Léandre. Il n'ajouta pas de "nous pouvons y aller", la décision revenant à la Dame. Mais l'idée était là.

Seren bouscula légèrement son frère d'un coup de coude, le regard légèrement sévère. Il n'avait pas le choix ?... D'où sortait-il une telle chose ? Elle pensa qu'il cherchait à la taquiner comme à son habitude.
A l'évocation de la situation future de son frère, la jeune femme pensa qu'il faudrait peut-être qu'elle trouve un moment pour lui dire qu'il pouvait rentrer chez eux quant il le voulait. D'autant qu'une fois de retour au sein d'une Cour, ils nageraient de nouveau au milieu des rumeurs de la noblesse et il valait certainement mieux qu'il l'apprenne par elle.
Et Kathleen. Si elle ne le savait pas encore, elle devrait l'en informer.

Alors que la Baronne lui expliquait à nouveau quel serait son nouveau statut, elle ne put s'empêcher de lui sourire de plus belle. Quant à ses parents, ils avaient déjà agi à contre cœur et le départ de leurs deux enfants les avait mis plus bas que terre. Ils ne pouvaient revenir en arrière, quand bien même elle avait retrouvé une place au sein de la noblesse. Son sang, lui, avait perdu toute valeur.

Enfin, Ewen se dit prêt à partir et se tourna vers sa sœur. Son regard était assez explicite : elle trépignait d'impatience de quitter ses lieux qui resteraient dans son esprit le symbole des semaines les plus incertaines de toute son existence.

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