Un jeune noble se prépare au tournoi... sans être chevalier [Valerian]

Trois jours après leur arrivée en ville à lui, Seren et Léandre, Ewen de Milahn avait à nouveau, une fois son travail au temple achevé, filé dans les rues de la cité. Pour la seconde fois. La veille, le jeune homme avait fait le tour des armureries et des forgerons pour comparer les prix. Aujourd'hui, il s'était décidé à aller acheter la première pièce de son futur équipement. Un écu, en l'occurrence. Déjà fait, un peu abîmé, ... L'armurier l'avait probablement récupéré après qu'un chevalier s'en soit débarrassé, ennuyé par l'état de son bouclier. La pièce avait été réparée mais on sentait clairement qu'elle ne survivrait malgré tout pas à plusieurs batailles successives. D'après le garçon, elle pourrait par contre sans soucis résister à l'ensemble d'un tournoi. En théorie... Mais ce que le rouquin avait surtout remarqué, c'était le prix : bien moins élevé qu'un équivalent neuf ou peu utilisé. S'il passait un peu de temps à la repeindre, elle paraîtrait comme neuve. A peu près...

Le jeune homme entra donc l'armurerie, vêtu des plus beaux atours qu'il avait emmené avec lui pour son exil en compagnie de sa sœur et, après de dures négociations avec le vendeur, il ressortit avec l'écu enveloppé dans un tissu, le tout recouvert du matériel qui lui serait indispensable pour réaliser le blason qu'il s'était inventé, à base de sable et d'argent. Ne lui restait désormais plus qu'à retourner au temple sans se faire trop remarquer. Le plus dur serait de cacher ce qu'il préparait à sa sœur : s'il se classait suffisait bien durant le tournoi, ils pourraient vivre correctement durant plusieurs mois. Mais s'il venait à échouer, toutes les bonnes choses qu'il souhaitait apporter à sa jumelle et à son enfant resteraient lettre morte. Et il aurait de plus à affronter l'ire de Seren...

~~ Sybrondil, quelques jours avant le tournoi. ~~
 
En ce jour ensoleillé de mi automne, de Sybrondil est en fête. La nouvelle de la victoire de Maciste d'Aphel sur la baronne sortante a fait le tour de la péninsule, tout comme l'annonce du tournoi organisé en l'honneur du nouveau baron. De toutes contrées viennent des nobles, chevaliers et marchands, tous venus se rassembler à Sybrondil. Certains sont là pour le tournoi, d'autres afin de participer au mariage qui aura lieu ensuite, et quelques-uns ne font acte de présence que dans un but politique.
 
Parmi tous ces hommes et femmes affluant à Sybrondil se trouve un convoi venu de loin. Marqué du blason de sinople aux trois roses grenats, le ser d'Adhémar n'a pas voulu rater les festivités. Venu de la pieuse Sainte-Berthilde en légat de la marquise du-même lieu, il est arrivé deux jours plus tôt, soit trois jours avant que ne débute le tournoi. Installé dans une auberge des quartiers huppés de la cité de Sybrondil, le berthildois profite de son avance pour visiter une seconde fois les lieux et pour tenter de prendre contact avec les autres nobles déjà présents.
 
Et c'est en se promenant du côté des forges qu'un jeune-homme l'intrigue. Vêtu de défroques de qualité quoiqu'usées, le curieux personnage négocie l'acquisition d'un écu récemment  restauré. La transaction n'aurait pas marqué le chevalier berthildois s'il n'avait pas reconnu ce même personnage. En effet il avait remarqué, la veille, ce même rouquin aller de forge en armurerie sans ressortir avec aucune arme ou armure que ce soit. Et voilà qu'aujourd'hui le jeune homme fait l'acquisition d'un écu en si piètre état qu'il se briserait à la moindre bataille, sans doute le seul qu'il est en moyen de se payer.
 
Intrigué, le noble étranger attend que l'acheteur sorte du bâtiment avant de s'entretenir rapidement avec l'armurier. Ce dernier lui apprend que le jeune homme était passé la veille afin de se renseigner sur le prix de certains équipements, qu'il souhaitait obtenir en déboursant le moins possible. Repassant rapidement la liste des objets recherché par le jeune homme, Valerian remarque qu'il s'agit à peu de choses près de l'équipement règlementaire pour participer au tournoi. Curieux, pense-t-il. Y a-t-il seigneur si pauvre que ses chevaliers n'ont pas les moyens de se procurer un équipement de qualité ? Parce que vu l'état de l'écu, et si le reste de son attirail n'est pas en meilleur état, le garçon n'aurait aucune chance de s'en sortir.
 
Sortant prestement de l'armurerie, le chevalier cherche du regard le garçon acquéreur de l'écu. Le percevant encore marcher au bout de la rue, il ordonne à l'un de ses homme de suivre discrètement le garçon jusqu'à découvrir où il loge. C'est ainsi qu'il découvre, quelques heures plus tard, que le rouquin s'est rendu dans un temple d'où il n'est pas ressorti. S'y rendant à son tour, sous couvert d'une visite de courtoisie, le berthildois prend quelques renseignements auprès des habitués.
 
Valerian apprend alors que le rouquin y loge bel et bien depuis quelques jours, mais qu'il n'est pas seul. Il serait là accompagné d'une femme, sa sœur, et d'un enfant en bas âge. Le noble écoute subtilement les histoires et commentaires les concernant, et il ne lui en faut pas plus pour comprendre le petit manège du jeune rouquin. Il espère sans doute participer au tournoi afin de renflouer sa bourse. Mais a-t-il de quoi payer son inscription, et sait-il au moins se battre ?
 
Sans doute par compassion, le chevalier décide alors de lui apporter son aide. Il griffonne alors quelques mots sur un bout de parchemin qu'il fait transmettre au rouquin par l'un des prêtres du temple.
 
Au rouquin de l'armurerie.
 
J'ai ouïe dire que vous projetiez de participer au tournoi des chevaliers qui aura lieu sous peu. Au vu de l'écu que vous vous êtes procuré, je doute fort que vous ayez la moindre chance d'y parvenir.
Si vous souhaitez une réelle chance de vous placer, retrouvez-moi à l'auberge du Pinçon bleu.
 

Ewen avait sans difficulté rejoint le temple. Il était allé déposer son précieux colis dans sa chambre, l'air de rien, puis était retourné aider comme il le pouvait en accomplissant diverses tâches. Le soir venu, après le dîner et après avoir passé un peu de temps avec sa sœur et son neveu, le jeune homme était revenu auprès de son écu et l'avait déballé avec précaution, comme s'il avait été une chose particulièrement précieuse. Il l'avait observé un instant puis avait commencé à le poncer pour faire disparaître ses anciennes couleurs et, après une heure de travail, le rouquin avait enfin pu commencer à le peindre aux couleurs qu'il s'était inventées pour lui même : d'argent à trois tours de sable posées deux et un. Une tour pour le chez-soit qu'il voulait réussir à offrir à Seren. Une autre pour le petit Léandre. Et une autre pour lui-même parce que bon... hein... quand même... faut pas déconner quoi. Le jeune noble déchu s'endormit tard.

Quelle ne fut pas sa surprise, le lendemain matin, de recevoir un message secret très mystérieux et non signé. Un peu paniqué, Ewen jeta un regard angoissé autour de lui. Rien. Rien d'étrange, en tout cas.
Le jeune homme tergiversa toute la matinée et durant le déjeuner, puis finit par se décider : ses intentions avaient été percées à jour, autant donc aller voir de quoi il retournait. Après avoir prétexté un nouveau besoin pour le temple, il s'éclipsa donc une nouvelle fois en ville et fila en direction de l'auberge qui lui avait été désignée. Il eut à demander deux ou trois fois le chemin à emprunter, mais il finit par y arriver. Il fit mine de rien, se commanda une bière et alla se poser dans un coin pas trop sombre, mais pas trop éclairé non plus. Et il attendit, dévisageant discrètement les clients présents tout en sirotant sa boisson, se demandant si l'auteur mystérieux du message se trouvait déjà là ou s'il n'était pas encore arrivé.

L'auberge du Pinçon bleu, charmant petit établissement de Sybrondil situés dans une ruelle perpendiculaire à la rue principale de la ville. Rénovée pour l'occasion, l'établissement est décoré des couleurs de la ville, et les chambres sont toutes occupées. Comme pour toutes les auberges de la ville d'ailleurs, l'évènement prochain ayant attiré nombre d'étrangers. La salle des repas, elle aussi, est pleine. Les clients sont nombreux, et les tables ne restent pas libres bien longtemps. C'est une chance d'ailleurs que le jeune rouquin ait trouvé sans attendre une place qui lui convienne.

Le jeune rouquin, dont l'entrée a été discrètement observée par un homme assit au comptoir. Ce dernier, bien mystérieux, est vêtu d'une longue et chaude cape de voyage verte dont la capuche recouvre sa tête et cache son visage. Devant lui est posé une choppe de vin chaud, le plus goûteux que propose l'établissement. Lorsque le rouquin prend place, l'encapuchonné termine sa choppe. Il attend que le jeune homme soit servi, se lève, et d'une noble démarche rejoint la table du rouquin.
" Alors vous avez reçu mon message, je commençais à en douter. " Déclare-t-il d'un ton affable, tout en prenant place à la table du jeune homme.
" Ne perdons point de temps en mondanité, et venons-en à ce qui vous amène ici. Si ce que l'on m'a rapporté est vrai vous chercher à participer au tournoi qui aura lieu dans quelques jours, et comme le laisse entendre mon message je pourrai bien vous aider. Cependant, et avant que je n'accepte de vous fournir le matériel et le nom qui vous aidera, répondez à mes deux questions. Pourquoi tenez-vous à participer à ce tournoi ? Et saurez-vous seulement y participer, ou vous ferez-vous tuer dès les premiers combats ? "