[Domaine de Grisambre] ........

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Toujours cette voix qui murmurait dans sa tête.

« Alice…Alice…qui du haut de sa raison…glisse…glisse…gliiiiisse. »

La jeune femme hurla, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses doigts fermement cramponnés à la garde du couteau de cuisine, elle observa avec une horreur peu commune l’ichor se déverser sur ses mains puis perler à grosses gouttes sur sa robe. Un flot ininterrompu de sang vint mourir à ses pieds nus tandis qu’elle restait là médusée par la tragédie de la scène qui se déroulait devant ses yeux et dont elle était, sinon victime, l’infâme complice.

La lame s’était enfoncée tel un couteau dans du beurre, sectionnant dans sa course plusieurs artères et entamant mortellement quelques organes. Un simple coup porté au-dessus de l’estomac, au niveau du plexus solaire. Il ne suffisait finalement que de peu pour transformer un être humain en outre percée.
Le sang finit par lui gicler au visage, maculant sa face horrifiée et mêlant à son cri étranglé et à ses larmes le goût amer et écœurant du précieux fluide vital qui tintait à présent ses lèvres rongées jusqu’au sang. Souillée jusqu’à l’os, elle ne put desserrer les doigts du pommeau qu’elle avait empoigné. Elle restait là, paralysée de terreur, priant pour que tout ceci ne soit qu’un cauchemar.

« Alice…Alice…qui du haut de sa raison…glisse…glisse…gliiiiisse. »

Toujours cette chanson…une voix grinçante, moqueuse, satisfaite du spectacle macabre qui se déroulait dans ce cabinet de curiosités. Une chanson qui résonnait au plus profond de sa tête, lacérant chaque parcelle de son âme telle une prisonnière détruisant ses ongles noircis sur la pierre de taille de sa cellule.

Haletante, sa poitrine se soulevait frénétiquement. Ses membres tremblaient. Elle suait, abondamment. La chaleur du sang répandu sur ses vêtements et sur le sol lui donnait envie de vomir son repas et elle l’aurait certainement fait, si elle avait pu sortir la boule qui lui barrait la gorge.

A l’autre bout du couteau, la silhouette terrassée s’affaissa sur le parquet noir, les yeux remplis d’incompréhension et de terreur. De sa bouche sortait un filet de sang mêlé à la bave qui venait choir dans sa barbe grise. Son épée tomba sur le sol dans un tintement sinistre. Il tomba à genoux, hébété, puis s’affala de tout son long dans la mare de sang.

« Alice…Alice…qui peu à peu, noie son âme dans le vice… »

Les larmes lui montèrent aux yeux et dessinèrent de profonds sillons rosés sur son visage. Ses pensées s’entremêlaient à mesure qu’elle fixait avec le désespoir le plus grand les conséquences de ses actions. Ses doigts sur la garde commencèrent à lâcher prise et le couteau tomba dans un tintement sinistre. Elle bougea les lèvres, mais aucun son ne put sortir.

L’air se refroidit tandis que se massaient les ombres autour d’elle, la lueur blafarde de sa lampe menaçant de s’éteindre. Des murmures vinrent s’ajouter à la voix dans sa tête. Elle crut reconnaitre dans les ombres des visages familiers, murmurant des paroles pleines de ressentiments. Elle ne put que reconnaître avec horreur ces visages accusateurs.

« Mère… » Sa voix était éraillée, encore sous le choc.

-Alice…pourquoi ?

-Il…Père…il était sur le point…de….

-Alice…Pourquoi ?

-Pourquoi Alice ? »

La voix de son petit frère venait soudain de se matérialiser. Il se tenait là au milieu des ombres, l’air inquiet, ses grands yeux gris fixant la robe ensanglantée de sa sœur. Ses cheveux étaient mouillés, ceux de Mère aussi…Pleuvait-il dehors ?

« Alice…Pourquoi avoir fait ça ?

-Pourquoi Alice ? »

Sa vision se brouilla. La voix dans sa tête continuait de chantonner de sa voix goguenarde, si bien qu’elle crut sa tête exploser.

« Alice…pourquoi ?

-C’est Père…il…il disait que…que tout était un mensonge…C'était...c'était un accident...Je...Je ne voulais pas !!!

-Alice…pourquoi tu nous fais du mal ?

-Du…du mal ?

-Alice…tu…tu nous fais du mal…

-Alice…pourquoi nous fais-tu tant de mal ?

-J’ai…j’ai essayé de l’empécher…il disait que…que toute ma vie…était un mensonge…que tout était un mensonge…Vous…que vous…

-Alice…pourquoi ne nous laisses-tu pas partir ?

-Alice…j’ai froid…tu me fais mal…

-Qu’est-ce que ? …

Le froid envahissait désormais toute la pièce. Les silhouettes de sa mère et de son frère se tenaient toujours devant elle. Complètement perdue, elle s’approcha de son frère qui grelotait. Il était humide, trempé. Ses yeux gris semblaient voilés…était-il tombé dans un lac ? Alice entreprit de le prendre dans ses bras pour le réchauffer et elle sentit le contact glacé de sa peau d’ange…mais pas les battements de son cœur.

« Alice…j’ai froid…

-Alice…pourquoi nous fais-tu du mal ?

-Mère ? Damien ?

-Alice…pourquoi ne l’as-tu pas rattrapé ?

-Alice…pourquoi tu ne m’as pas remonté ?

-Alice…pourquoi n’as-tu pas sauvé ton frère ?

-Alice…pourquoi m’as-tu abandonné ? Ai-je fait quelque chose qui t'a contrarié ?

-Alice…pourquoi l’as-tu poussé ?

-Alice…j’ai froid… »

A ces mots, Alice releva la tête pour plonger son regard dans celui de Damien. Ce qu’elle vit la paralysa de terreur. A la place de ses yeux, deux orbites vides rongés par les vers. Le teint livide, les chairs humides et tuméfiées, il se tenait là, devant elle, bredouillant toujours les mêmes accusations. Alice recula, terrifiée, le regard toujours porté sur la chose cadavérique. Son regard se tourna vers sa mère…la nausée lui prit et elle faillit s’évanouir.

« Non…non…c’est un cauchemar…UN CAUCHEMAR ! »

Les deux cadavres s’avancèrent vers elle, lentement, sans émettre le moindre bruit de pas.

« Alice…pourquoi as-tu poussé Damien hors de la barque ? Nous étions si heureux…

-Alice…pourquoi ? J’ai si froid…si froid…

-Si heureux…

-Si froid…

Reculant, elle buta sur le cadavre de tantôt et sentit le couteau de cuisine sous ses doigts. Elle pointa dans un geste désespéré son arme vers ce qui fut autrefois sa famille. Elle n’eut cependant pas l’occasion de s’en servir car déjà, un nouveau protagoniste entrait en scène…