Rassemblement [Delnwë]

L'heure était venue. Les enfants d'Anaëh avaient entrepris leur marche vers le sud. Toute la forêt semblait s'éveiller et s'engorger de colère. Les crimes de leurs ennemis ne resteraient pas impunis. Il était temps. Temps de mettre un terme à cette ombre, cette morsure, ce venin s'écoulant dans la plaie depuis trop longtemps. La plaie qu'était Ellyrion avait été douloureuse et très longue à guérir. Et elle n'était pas totalement guérie. La présence des sombres dans cette région continuait à blesser chaque arbre et chaque résident de la prime forêt. Il fallait y mettre un terme.

Cela faisait de nombreux jours que Delnwë avait quitté sa résidence. Il voyageait vers le sud, en direction de l'Ardamir, au lieu convenu avec sa capitaine. Il profitait de son voyage pour récupérer tous ceux des siens qui avaient été prévenus par les différents messages qu'il avait envoyé au préalable. Ainsi, lorsqu'il parvint enfin en vu du campement, ce fut avec pas moins de deux cent cinquante archers du trône blanc. Le lieutenant connaissait la grande majorité d'entre eux, et certains étaient de proches amis. Il savait qu'il en serait parmi eux qui ne reviendraient pas, qui ne reverraient jamais l'Anaëh. C'était hélas le prix à payer. Ainsi allait la guerre.

Lorsque la troupe parvint au camp, ils purent voir que de nombreux soldats étaient déjà présents, les tentes installées et chacun s'affairant au préparatifs nécessaires des futures batailles. Il y avait de très nombreux archers de l'armée royale, mais également un grand nombre de soldats de Tethien. Ainsi la dame Luthien avait-elle envoyé ses troupes avec la capitaine. Descendant de sa monture, Delnwë incita ses soldats à s'installer eux aussi avec les leurs. La plupart savaient que le lieutenant d'archerie accordait une grande importance à la vie de chacun, et qu'il faisait en sorte que la camaraderie et l'amitié se noue entre chacun, afin que l'esprit ne se voile pas à l'idée de la guerre et de la mort. Il tenait à conserver un bon moral. Pas seulement pour l'efficacité de ses combattants, mais surtout de part l'importance qu'il accordait à la vie de chaque être... Exception faite des sombres.

Il se dirigea vers la grande tente au centre du campement, servant de lieu de rassemblement des différents officiers présents. Vêtu de son armure, son arc dans le dos, son épée au côté et sa cape verte et argent s'élevant au gré de la légère brise, il marcha d'un pas déterminé, sans pour autant se presser. Il salua les deux soldats chargé de veiller sur l'entrée, puis souleva le pan de tissu. A l'intérieur, les deux sous lieutenants attendaient déjà patiemment. Delnwë connaissait déjà l'un d'entre eux. A peine plus jeune que lui, il était plutôt dynamique et enclin à s'emporter un peu. Il avait dû plusieurs fois le retenir dans son emportement. Malgré tout, c'était un bon officier, et il savait prendre soin de ses soldats. L'autre avait été nommé plus récemment, et Delnwë le salua avec respect, attendant le bon moment pour l'évaluer.

La table au centre était couverte de cartes diverses, représentant les futures lieux de bataille. Les éclaireurs et espions semblaient avoir fait merveille car les positions sombres y étaient déjà partiellement annotées. Le temps de parvenir au front, il serait possible de savoir avec une certaine exactitude où, quand et comment les sombres agiraient.

La capitaine Aylah Elabriryn fit son entrée dans la tente. Ses traits fins, une taille et un corps élancé faisait d'elle une digne héritière du peuple elfique. De longs cheveux bruns courent dans son dos, et ses yeux d'un bleu océan forment un regard aiguisé sans être agressif. Vêtu de son armure et de sa tenue de guerre, elle avait elle aussi été nommé récemment à son poste, occupant auparavant celui que Delnwë détenait désormais. Se dirigeant vers son lieutenant, la femme elfe s'adressa directement à lui.

« Je suis ravie de vous voir Lieutenant. Avez-vous fait bonne route ? »

Saluant avec respect sa capitaine, il lui adressa un sourire plein de sincérité.

«Le voyage fut sans encombres, capitaine Aylah, je vous en remercie. J'espère qu'il ne fut cependant pas trop long, car je vois que le campement est déjà bien installé. J'ai ramené avec moi tous ceux que j'ai pu croiser sur ma route.»

Bientôt, tous les soldats seraient réunis. En attendant, il était temps de discuter de stratégie. Et de préparer cette guerre que chacun craignait mais savait nécessaire...

La capitaine Aylah se contenta d’acquiescer. Le temps n'était pas en effet aux salutations. L'heure avançait, et avec elle les troupes de l'armée royale. Mais il ne fallait point avancer sans s'organiser au préalable. C'était bien le but de ce rassemblement. Alors que la capitaine prenait place autour de la table ronde servant pour les officiers, Delnwë s'assit à sa droite. Les trois larges cartes étalées sur la grande table représentaient diverses zones qui allaient bientôt être le théâtre des affrontements avec les sombres. La seconde attira tout particulièrement l’œil du lieutenant. Il s'agissait de la zone d'Ellyrion, le jadis fier bastion désormais ruine à jamais perdue. Les sombres avaient détruit le fort voilà bien des années, et l'avaient laissé en l'état, sans en exploiter l'emplacement. Mais la zone tout autour avait servi à établir des avant-postes qui observaient et espionnaient l'Anaëh et les elfes. Cela devait cesser, et le plus tôt serait le mieux. L'Anaëh devait rester inviolée de leur souillure.

La capitaine Aylah s'enquit alors de l'arrivée des troupes. Un des responsables chargés de suivre les renseignements de ce type lui apprit que les soldats les plus au Nord n'étaient pas encore arrivés, mais que cela ne tarderait guère. Une excellente chose. La réussite de cette guerre à venir dépendait aussi du premier coup frappé, qui pourrait à lui seul suffire à faire pencher la balance. Or pour qu'un tel coup soit efficace, il fallait que l’ensemble des troupes qui n'étaient pas affairées sur le front est soient présentes. Puis il dénombra, sur demande de la capitaine, le nombre de soldat. Neuf cent, auxquels s'ajoutaient les quatre cent cinquante de Tethien. La dame Luthien avait reçu sa missive, et avait manifestement accepté de détacher un bon contingent pour cette guerre. C'était une bonne chose. Plus nombreux seraient les combattants, plus important serait impact... et qui sait, cela pourrait éviter des pertes.

La capitaine prit alors les premières disposition, souhaitant répartir les troupes au sud en cohésion avec les autres corps. Certes, l'archerie ne pourrait œuvrer seule. Toutefois, Delnwë n'avait eut aucune nouvelle des autres unités. Il y avait fort à parier que l'infanterie serait présente, leur capitaine étant prêtre de Calimenthar et fervent défenseur de l'Anaëh. Mais aucun signe de la cavalerie ou de leur capitaine, pas plus que des aigles.

« Je propose qu’on sécurise d’avantage le fort d’Ellyrion. Vu les ruines qui s’y trouvent, ils peuvent les percer pour entrer plus facilement en Anaeh. »

A ces mots, Delnwë se pencha en arrière, une main sous le menton, réfléchissant. Ellyrion... c'était une ruine fumante, un amas de roches, de plantes et de débris. L'endroit idéal pour une embuscade. A ceci prêt que les sombres étant présents depuis plus longtemps, il y avait fort à parier qu'il y avait déjà des guetteurs, voir des troupes en embuscade. Le chasseur pouvait devenir chassé. Observant la carte et écoutant les autres remarques, le lieutenant poursuivi encore un moment sa réflexion avant de se tourner vers sa capitaine.

«Capitaine Aylah, je suis en accord avec vous concernant la faiblesse de la zone d'Ellyrion. Toutefois, elle constitue un point dangereux et difficile d'accès. Les sombres pourraient nous y attendre et nous y bloquer avec seulement une poignée de combattants. Je pense qu'il serait bon d'avoir le maximum d'informations sur cette zone avant toute chose. Néanmoins on ne peut laisser la zone sans protection. Et qui sait, nous pourrions l'utiliser à notre avantage, le terrain étant davantage à notre habitude qu'à celle de ces... sombres. Devrions nous envoyer un messager envers les corps d'infanterie et des aigles pour connaitre leurs intentions? Peut être qu'alors nous pourrons répartir les nôtres en fonction des leurs et inversement, pour éviter les éventuelles brèches...»

La question n'en était bien sûr pas une. Le messager avait sans doute déjà été envoyé, ou allait l'être. Mais ainsi, Delnwë appuyait sur un point important: il allait falloir agir de concert, du mieux possible avec l'ensemble de l'armée du trône blanc. La cohésion était primordiale. Pour que le marteau vienne frapper l'enclume avec force. Pour que la flèche perce la cible en son centre.

«Oh et j'oubliais de préciser, je me suis assuré de faire venir un chargement de flèches supplémentaires. Nous en aurons sans aucun doute besoin, mais je doute que cela suffise, aussi serait-il bon d'envoyer un autre messager vers la capitale pour nous assurer de notre ravitaillement constant.»

La encore, c'était une évidence. Mais il ne fallait pas oublier ce genre de détail. Car l'issue d'une bataille pouvait en dépendre...