Quelques mots sur le pas d'une porte[Delnwë][Intronisation]

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La foule quittait la grande salle en un flot tranquille. La présence de Randil manquait cruellement à la Protectrice d'Ardamir mais après avoir reconnu plusieurs visages et compte tenu de son humeur resplendissante, son esprit avait fini par s’apaiser un peu.
Entre l'expression chavirée d'une femme replète qui regardait en tout sens, comme si elle manquait d'yeux pour voir toutes les splendeurs qui s'offraient à elle et le sourire de façade d'une créature de rêve, le regard de la Protectrice d'Ardamir s'immobilisa sur quelqu'un qu'elle ne s'attendait certes pas à voir. Que Kelendil trouve le moyen de s'échapper du Front pour parler une bonne fois avec toutes les personnes présentes pouvait encore se comprendre malgré la folie du geste et les ennéades de voyage. Halya ne pensait pas vraiment que sa présence serait décisive... Et  - même si elle ne l'aurait jamais avouer - elle allait même à penser que l'absence du Commandant sur le Front serait plus préjudiciable qu'autre chose. Mais si en plus les Capitaines se mettaient de la partie...

Au milieu des têtes aux cheveux longs et soigneusement coiffés, Halya venait d'apercevoir le tout nouveau et très jeune Capitaine des Archers : Delnwë Iridwen. Son avis très favorable aux Noss tout comme son entêtement à ne pas voir les problèmes de coordination et de cohabitation qui se profilaient entre les deux modes de vie l'avait fait remarqué en bien à la réunion d'état major d'Eraison qui avait été tellement bousculée. Par la suite, il était même venu jusqu'à Ardamir. Le dialogue entre les Protecteurs et l'Armée qu'elle prônait elle aussi, semblait lui tenir à cœur.

Féline, elle se glissa sans effort à travers la foule, suivant le mouvement sans le suivre tout à fait. Ils avaient à peine passé les portes lorsqu'elle se trouva au côté du militaire. Rattrapant le dernier pas de retard qu'elle avait sur lui, elle commença en badinant.

« Ravie de vous voir, Capitaine. Je ne m'attendais pas à vous voir ici. »

Tout le monde avançait d'un pas lent et mesuré. Les festivités n'avaient pas commencées que les gestes étaient déjà mesurés et convenables. Halya n'y faisaient pas exception. Son maintient était droit... bien que sa façon de bouger ne parvienne pas à masquer les années d’entraînement et de combats qui avaient parsemées sa vie.

« Le Front et nos efforts pour Eraison doivent être en très bonne voie pour que même les officiers du Trône Blanc puissent participer à ce genre de mondanités. »

Le ton n'était pas accusateur, à peine incisif. Entres la perte de Limiers et les commentaires de Killen et du Commandant militaire, les derniers rapports qu'elle avait reçus avant son départ n'étaient pas vraiment engageant. Quelque soit le point de vu, aucun survivant n'avait été repéré dans ou aux alentours d'Eraison. Cette fois, il ne restait personne de plus à sauver semblait-il. Mais toutes ces nouvelles étaient tellement inscrites dans son quotidien, que cela n'entamait plus, si ce n'était son moral, au moins son dynamisme.

Consciente que l'homme au côté duquel elle était aurait sûrement droit à ce genre de question tout au long du reste de la journée, elle ajouta tout de même avec un sourire qui cachait son sérieux :

« Alors, accepteriez-vous de me donner quelques nouvelles ou préférez-vous oublier la Guerre durant quelques heures ? »

L'ironie grinçante de l'accueil froid du jeune capitaine surpris un peu Halya... Mais bonne joueuse, elle ne songea pas à s'en offusquer. Le Front était un sujet délicat, surtout pour ceux qui y passaient du temps, et chacun avait sa propre façon de dédramatiser la situation. Il n'aurait servit à rien de faire remarqué que vendre l'importance de la mobilisation sur le Front était un travail de politicien, non de guerrier, et que c'était pour toucher les plus ineptes que les plus impliqués devaient participer à ce genre d’événements. Les mots ne suffisaient pas lorsqu'on en venait à envisager le sacrifice de centaines de personne pour permettre une tranquillité de façade comme celle de cette journée.

Au moins, elle avait en quelques mots l'avis de cet homme. Un avis franc et tranché, brute auraient sans doute décréter la plupart des gens présents. Halya ne pouvait lui donner tort, chaque jour à attendre était un jour de plus gagné par les drows pour souiller Anaëh. Mais l'avancé était au moins stoppée et avec les efforts d'Anornedellon pour réunir les protecteurs et mobiliser l'Académie, la stabilisation du Baar'Ane et l'Appel qui courait de Noss en Noss, ils avaient de bonne chance de pouvoir agir rapidement.

-Le premier mouvement sera décisif. Il nous faut non seulement faire le premier pas rapidement, mais également nous défendre sur tous les fronts. Nous ne devons plus être pris à revers. Enfin... vous n'êtes sûrement pas là pour m'entendre radoter au sujet de notre stratégie.

Et il avait raison, hélas, elle aussi était venu pour bien d'autres choses. Les premières mises au point concernant le Haut Conseil auraient sûrement lieu ce soir même, et elle ne pouvait pas se permettre d'être absente.

Le sourire un peu plus franc du Capitaine fit redoubler le sien et elle se rengorgea légèrement au compliment.

-Votre compliment me va droit au cœur, Capitaine. Vous ne pouviez me faire un plus grand honneur. Mais les protecteurs comme moi ne sont utiles qu'en cas de guerre et j'espère que nous en auront bien d'autres lorsque le temps sera venu d’aller de l'avant.
Cela étant dit, je n'en sais que peu à propos du Seigneur Yeldoreï mais cela me suffit à espérer le meilleur. On le dit dévoué à notre peuple, droit et intelligent. Et si cela peut vous rassurer, dans sa jeunesse, il est monté jusqu'à la distinction de Lieutenant des Aigles mais il a quitté l'armée il y a longtemps.

Dans le cadre de guerre actuel, il était plutôt amusant de noter le nombre de Protecteur qui avait fait un passage, même court au sein de l'armée... Ce qui n'empêchait pas les dissensions internes malheureusement.
Quelque part, savoir qu'elle était loin d'être la seule, ce jour-là, à avoir en tête les enjeux du Sud était plus que réconfortant. Et même si le Capitaine Iridwen était doué d'une franchise qui pourrait  lui jouer des tours en ces lieux et d'un mépris assez visible pour les intermédiaires, elle l'estimait. Sur le ton de la conversation, elle reprit :

-Je me réjouis que vous ayez fait le trajet jusqu'ici pour connaître les Protecteurs sans passer par un intermédiaire, mais vous ne devriez peut-être pas vous focaliser sur eux. Vous présenter à eux est une excellente idée, mais prenez en compte leurs conseillers et leurs proches, ceux avec qui ils mènent leur politique. Vos rencontres et vos demandes ultérieurs en seront bien souvent facilités. N'oubliez pas que la plupart ne feront pas le déplacement jusqu'au champ de bataille et se reposent sur l'avis collégial lors d'une prise de décision importante.

Ce en quoi ils avaient parfaitement raison. Mais là n'était pas la question.