Quand résonnent les tambours de guerre

La salle du conseil de guerre de Soltariel était en effervescence. Depuis les événements de Diantra, elle n'avait que rarement été vide et les derniers jours étaient pires que tout. Une activité qui n'était pas habituelle et avait pour le moins dérangé la couche de poussière devenue significative de l'état du duché depuis les affrontements en Ydril. Mais désormais l'on parlait d'affronter ni plus ni moins que la couronne et tout ce que comptait Soltariel d'officiers et de généraux se réunissait en cette petite pièce de la forteresse pour offrir ses conseils à la défense du territoire. Et comme souvent à Soltariel, cela tenait plus d'une réunion d'orgueil où chacun tentait de vanter ses mérites, réels ou fictifs, et d'imposer sa vision à d'autres tout aussi ignorants que lui. Et au milieu de tout ceci les quelques véritables officiers peinaient à se faire entendre.

« Fermez-là ! »

Un poing ganté s'abattit avec fracas sur l'antique table, faisant craquer le bois et voler les parchemins et cartes ramenés par tout un chacun. C'était le sénéchal Bartholome Minor qui venait de parler. L'homme, d'un âge mûr bien qu'encore vigoureux, affichait sur son visage la fureur contenue et une veine battait dangereusement sa tempe. Il fixa d'un œil mauvais l'assemblée de crétins qui avait bien compris que la survie passerait par le silence.

« Que tous ceux n'étant pas des officiers dûment nommés par Ses Altesses ou moi-même sortent de cette pièce sur le champ ! »

Il y eu un instant d'hésitation et il fallut que le sénéchal menace de sortir l'épée pour qu'aussitôt la plupart des personnes se ruent vers la sortie. Lorsque enfin le calme fut revenue, le sénéchal se rassit et invita la plupart à en faire de même autour des cartes et des informations rassemblées durant les dernières ennéades en vue de cet instant. Des listes d'effectifs, des estimations des quantités de vivres, des cartes, des estimations des effectifs possiblement ennemis -bien trop au goût de Bartholome-  et d'autres informations qui pouvaient les aider. Même si parmi les plus pessimistes, on murmurait que seule la faveur divine saurait les aider si vraiment l'acier devait décider du destin du duché.

« La levée de la milice a commencée ? » demanda Bartholome.
« Oui messire, mais cela demandera un certain temps pour rassembler tous les hommes. » lui répondit une jeune officier. « Et certains régiments sont pour le moins... dispersés. »

Les hommes de main des propriétaires terriens. Guère plus que des mercenaires, juste un peu plus sédentaires et légèrement moins violeurs que leur confrère, ils n'étaient pas de mauvais combattant mais demandaient des efforts insensés pour être maintenus en ordre de bataille. A côté d'eux, même le semblant de cavalerie soltarii paraissait organisé. Une véritable misère.

« Les mercenaires ?
-Nous avons fait passé le mot autant que possible, personne n'ignorera bientôt qu'il y a beaucoup d'argent à gagner à servir Soltariel. Mais il est difficile de prévoir quand ils arriveront.
-Et pour les compagnies royales ?
-Des envoyés ont contactés toutes celles que nous avons pus trouver en leur promettant richesse et potentiels titres. Nous n'avons pas encore eus de réponses significatives.
-La défection du sénéchal du Roi nous sert, leur soutien pourrait s'avérer décisif. Leur allégeance ne doit plus tenir à grand chose, la couronne accumule les problèmes plus sûrement encore que nous. »

Ils passèrent encore un certain temps à discuter organisations, levé des troupes et stratégie. Tandis que, au même moment, au palais ducal, une toute autre réunion se tenait, à comité plus réduit, mais non moins importante ou agitée.
La Salle Bleu. Une espèce d'hommage à la Tour Bleu qui se dresse dans la ville, d'où autrefois les mages dirigeaient le soltaar. Un vestige d'un temps passé, que chaque cabale chérissait. Elle aurait sans doute même pus le reprendre, si elles s'étaient unis, mais chaque duc ou duchesse avait soigneusement veillé à l'éviter. Même son mari, pourtant mage parmi les mages, s'y était employé de son mieux, songea Margot. Et quand elle voyait les échantillons qui étaient installés face à elle, autour de la table, tout en songeant qu'il s'agissait de l'élite de ces cercles, elle pouvait rapidement deviner ce qui serait advenus de Soltariel avec de tels dirigeants. Ils étaient incapable de s'entendre, il suffisait que l'un prenne une décision pour qu'un autre le contredise et qu'une bataille rhétorique s'engage. Fatiguée, elle fit signe à l'un des gardes ducaux, qui frappa à plusieurs reprises la lourde hampe de sa lance contre le sol carrelé -et bleu- jusqu'à ce que le silence revienne sur l'assemblée et que chacun des participants ne soit tourné vers la duchesse. Celle-ci passa en revue chacun des visages, pour la plupart défiants. Elle savait qu'ils ne l'estimait pas. Pour eux, c'était à Asdrubal de présider ce genre de réunion, et qu'il fut retenus à Diantra n'y changeait rien. C'était à peu près le seul point sur lequel il avait réussit à maintenir sa totale emprise. Mais si elle ne pouvait obtenir leur coopération, elle allait les mettre au pas.

« Messieurs, vous discutez depuis trois heures et n'avez toujours réussit à me fournir aucune réponse quand à votre participation aux efforts de guerre.
-Votre Altesse, ce ne sont pas des sujets que l'on peut prendre à la légère et...
-Silence ! Vous êtes des incapables pompeux. Tous autant que vous êtes. Et je vais simplifier votre choix. Je décrète ici et maintenant que toute cabale qui ne mettra pas ses pleines ressources au service du trône ducal sera dissoute, ses biens saisis et ses membres exilés ou exécutés. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Le silence fut de plomb. Chacun essayait de jauger si la duchesse était sérieuse. Chacun jaugeait ses appuis politiques pour éviter un tel sort si jamais elle l'était. Elle ne s'attendait pas à les voir prendre ses menaces pour argent comptant. Mais elles avaient de quoi les faire réfléchir, et peut-être mettraient-ils un peu de bonne volonté. Elle n'avait aucunement besoin de tous les mages, mais si la guerre devait venir jusqu'à chez eux, de tels auxiliaires serait une force pour ainsi dire unique dans la péninsule. L'Arcanum était mort et le Collège de Langehack trop peu impliqué. Les mages représentaient un potentiel certain, qu'il ne fallait certainement pas laisser de côté. Finalement elle se leva, les salua et se retira, les laissant pleinement réfléchir entre eux. Ils mirent longtemps à se décider, mais les prochains jours furent remplis de déclaration d'assistance et de mages mis au service du trône.