De Velmone à Soltariel, derrière chaque homme se cache une femme.

Rosso Corsa et ébène. Un contraste éclatant qui mettait en valeur cette femme à la robe raffinée dont les pas légers la menaient vers la somptueuse salle de trône. Sortant de la tradition, l’émissaire Anoszia n’était pas de sexe masculin pour une fois. Mais qui de mieux placée qu’une femme pour parlementer avec une autre femme ? Sibylle avait été choisie dans ce sens pour rencontrer la duchesse du Soltaar. Dans l’espoir que la délicatesse de celle-ci ne brusque pas l’épouse dont le mari était prisonnier dans des geôles diantraises obscures et miteuses. Sibylle était là pour parler politique, pour parler guerre et paix. Un travail d’homme, mais lorsque tous les hommes étaient à la guerre, la parlotte revient aux femmes. La gracieuse dame ne s’en plaignait pas, et au contraire abhorrait un sourire conciliant lorsque les portes s’ouvrirent devant elle.

« Votre Altesse. Il m’est honneur d’être accueilli en Votre palais durant ces temps troubles. »

Dit-elle en faisant une révérence de convenance. Les échos de la guerre avait du retentir jusqu’ici. Nul doute que la duchesse était au courant des affrontements en Ydril, et surement des troupes mobilisées en Sybrondil.

« Votre Altesse. Alors que le mot guerre est sur toutes les lèvres, le mien n’est que paix. Mon frère, Arichis, m’envoie auprès de vous afin que le plus puissant et jusqu’à lors uni des duchés ne sombre pas dans la misère et la souffrance. »

On devait avoir entendu parler du rapprochement entre Maciste et Arichis ces derniers temps. Margot pourrait très bien, à l’image de la régente, emprisonnée Sibylle pour trahison, cannibalisme et autres méfaits et en faire une leçon pour tout vassal. Cet acte provoquerait un déferlement de violences et représailles en Soltariel, les forces de l’Anoszia s’ajouteraient à celle de l’Irùn. Sibylle ne craignait pas pour sa vie et était confiante en la sagesse de la duchesse, Soltariel n’avait pas besoin d’un nouvel ennemi et les Anoszia ne s’en déclarent pas comme tels.

Margot avait été prévenue de l'arrivée de l'émissaire d'Arichis quelques jours auparavant. Elle avait d'abord trouvé insultant qu'il ne vienne pas en personne et s'était demandé comment lui faire payer. Puis elle s'était rendus compte que ce n'était qu'impulsivité né de sa grossesse. Avoir un enfant était décidément plus éprouvant que tout ce qu'on lui en avait dis. Elle s'apaisa encore en apprenant que l'émissaire serait la sœur du seigneur d'Asnozia. Elle avait tendance à préférer la compagnie féminine ces temps-ci. A cause de son état ou parce que les préparatifs de guerre lui imposait un environnement de plus en plus masculinisé, elle n'en savait rien.
Elle attendait sur le trône ducal lorsque l'émissaire entra, annoncé par le héraut comme il se le devait. La duchesse haussa un sourcil lorsqu'elle vit avec quelle légèreté son interlocutrice traitait le protocole si cher à Soltariel, en oubliant la plupart des salutations qu'ils convenaient. Elle décida de laisser le doute permis quant à la raison de cet oubli et ne rappela pas aussitôt la jeune femme à l'ordre. Elle mit néanmoins toute son application lorsqu'elle la salua, abusant de tous les titres possibles, lui rappelant subtilement ses propre oublis. Elle la laissa exprimer la raison de sa venue, avant de lui répondre.

« J'ai bien peur qu'avec les agissements dont les récits me parviennent du sybrond et ce que l'on dit des allégeances de l'Aphelian, la paix et l'intégrité du duché ne soit déjà sérieusement compromise, à moins bien sûr que celui-ci ne revienne finalement à la raison. » Un fin sourire se glissa sur ses lèvres sans que l'on ne puisse savoir pourquoi. « Mais vous avez raison, il est inutile d'envenimer la situation. En ce sens, j'aimerais savoir pourquoi votre frère semble tant s'appliquer à plonger Ydril dans la guerre civile au lieu de s'en remettre à mon jugement ? Et qu'attend-il de moi en m'envoyant un émissaire alors même qu'il a déjà commencé les hostilités contre ce qui est, je me permets de le rappeler, un officier de la couronne ducal ? »

Sibylle ne tiqua pas aux premières paroles de la duchesse. Droite et gracieuse, sa haute stature donnait raison aux récits sur la beauté de la Dame de Velmone qui parcourait Ydril depuis quelques temps déjà. Attentive aux moindres gestes de Margot, la jeune femme nota son haussement de sourcil et son léger sourire par la suite. Ce sourire l’intrigua peut-être plus que de raison et la troubla quelque peu, comme si la duchesse était au courant de quelque chose connue d’elle seule. Elle reprit contenance et joignit ses mains pour répondre sans préciser si elle parlait pour Maciste ou pour les Anoszia.

« Un homme est prêt à tout pour sa famille. De toutes les valeurs, celle de la famille est la plus chère et la plus pure. Je suis certaine Votre Altesse, que vous-même êtes prête à déchainer les éléments pour l’enfant que vous portez. »

Rester debout ainsi pour discuter commençait à la gêner et la Dame de Velmone se demandait si elles allaient quitter la faste austérité de la salle du trône pour un endroit plus chaleureux et agréable. Cette fois-ci pas de sourire sur son visage, en ce moment on pouvait lire dans ses yeux la même lueur que celle de son frère lorsqu’il s’apprêter à annoncer quelque chose de déterminant. Au final, la politique n’était pas un jeu nouveau pour elle.

« L’archonte, comme Votre époux, sont retenus contre leurs grés à Diantra. L’archonte est un homme absent, un homme sans valeur et dont le seul honneur réside à être le plus saoul des hommes. Ses jugements sont faussés par la beuverie et la quête de quelconques chimères en nanie, les intérêts de ses sujets viennent en second. Par ailleurs, il usurpe le trône de ses petits-cousins et ne reconnait pas l’ainé comme légitime Comte d’Ydril. Alastein de Systolie est le légitime comte d’Ydril, par le droit et par le sang et au nom de la Famille Arichis a sorti son épée. »Sibylle était fière de cette dernière phrase qui était sortit naturellement de sa bouche et se promit de la répéter comme telle à son frère une fois rentrée. « Votre jugement Votre Altesse a été trop attendu, vous craigniez un Systolie mais vous marriez la mauvaise branche à votre sœur. »La rumeur était parvenu jusqu’en Ydril à ce sujet. « Les Anoszia, Votre Altesse, ne se battent que pour l’honneur de la famille, le respect de la famille et de ses droits légitimes. »Sibylle doutait cette fois-ci que la rumeur du mariage entre Aléandre et son petit-neveu soit parvenu jusqu’ici, mais la vitesse de ces choses là étaient plus grande que celle des pigeons. « Avec sincérité Votre Altesse, mon frère ne souhaite pas la guerre avec le Soltaar, aussi lointain que cela a-t-il pu l’être, nos familles ont été unis par le passé, le sang des Valancourt coule dans nos deux veines et dans celle de votre enfant. Aussi, je vous prie d’accepter la paix que mon frère vous apporte et d’accepter Alastein dès lors comme Comte d’Ydril. »

Le regard de Margot se fit plus dur lorsque le sujet dériva sur l'enfant qu'elle portait. Elle n'appréciait guère de voir sa future descendance mêlée à cela et ce n'eut pour effet que de la mettre davantage sur la défensive, ce qui n'était guère en faveur de l'envoyée d'Asnozia. Elle sentait bien que celle-ci n'était pas à l'aise mais là n'était pas le but. Une entrevue ducale se méritait, et le confort n'était certainement pas ce à quoi avait pensé les rédacteurs du protocole qu'on appliquait encore en ces jours. Ce qui n'était pas pour déplaire à l'ego surdimensionné des différents ducs et duchesses à travers les âges. L'un dans l'autre, tout cela semblait logique.

« L'archonte est certes un homme aux qualités discutables, et j'aurais été tout à fait ouverte à la discussion visant à le remplacer. Le problème c'est qu'il n'y a pas eu de discussions. Vous, et Maciste avec qui vous semblez avoir des liens fort, n'avez pas une seule seconde cherché à régler tout ceci de manière civilisé. Au lieu de quoi, votre frère déclenche des guerres civiles et mon vassal abuse de la confiance qui lui fut donné lorsque nous lui avons confié les héritiers Systolis. Héritiers dont la légitimité n'a jamais été remise en cause, simplement la capacité à régner dès maintenant. » Elle laissa planer un silence. « Au nom de quoi puis-je vous accorder la moindre confiance ? Vous vous prétendez animé de bons sentiments, mais usez de méthodes de ruffians pour arriver à vos fins. Vous vous attaquez directement à mon autorité et venez ensuite me demander d'oublier cela et de vous confier le pouvoir en Ydril. Puisque c'est ce que vous voulez n'est-ce pas ? Que le trône de Soltariel reconnaisse votre frère comme gouverneur ou régent d'Ydril je suppose ? Mon mari fut compréhensif et généreux envers l'Aphélian et voyez le résultat, il croupit en geôle pour avoir défendus notre droit face à une Couronne incompétente tandis que le baron de Sybrondil s'est agenouillé sans remords aux pieds d'un conseil fantoche, reniant les serments de fidélité qui l'unissaient à nous. Vous voulez que je vous soutienne ? Alors montrez-moi que vous êtes près à honorer vos serments. Stoppez incessamment les hostilités en Ydril et convainquez le baron de Sybrondil d'abandonner ses projets de guerre et d'accepter de venir à la table des négociations. Si vous y parvenez, l'archonte Altiom sera officiellement démis de ses fonctions et la régence au nom du jeune Alastein confiée aux bons soins de votre frère avec ma bénédiction et celle de mon époux. Cela vous convient-il ? »

Les voilà au coeur de la discussion. Contrairement aux hommes de sa famille, Sibylle n’appréciait pas les guerres cause de bien des tourments et de désastres, dont les familiaux. C’est au cours d’une bataille qu’elle perdit son père, et au cours d’une autre son promis. Si elle arrivait à obtenir la paix cela serait une victoire pour sa famille mais encore plus pour elle et sa douce nièce Cornélia. Elle écouta attentivement la duchesse en hauteur mains jointes sur son ventre, son cou commençait à peiner mais pas question de montrer le moindre signe de faiblesse. A la mention des ambitions de son frère, un léger sourire transperça. Sur un ton conciliant, elle nuança.

« Nous n’agissons qu’au nom de la famille et pour la famille. La mascarade de l’enterrement a malheureusement tout précipité et même les plus civilisés des hommes peuvent flancher dans de telles situations. Votre Altesse, les Anoszia savent où se trouvent leurs places et nous ne mangeons pas dans l’assiette de nos voisins. Il m’est joie de vous entendre accepter la paix, et mon frère le sera également. Mais la régence d’Ydril revient au tuteur du jeune comte, Messire d’Irùn, nos hommes sont si sensibles sur les titres… Arichis revêtira le manteau de gouverneur en son absence. Vous me demandiez au nom de quoi pourriez-vous nous faire confiance, j’aimerais vous répondre au nom du sang, au nom de la famille si chère aux Anoszia, comme par le passé unissons nos maisons et acceptez le mariage de l’une de vos sœurs, si charmantes et si délicates au plus preux et valeureux des jeunes Anoszia, il n’est serment plus inviolable que ceux du sang Votre Altesse. »A son tour de laisser planer un court silence.Je suis convaincue que l’archonte démis de ses fonctions, et que la nouvelle régence reconnue Messire d’Irùn acceptera de joindre la table des négociations. La paix et l’intégralité du duché pourront alors être célébrer autour d’un mariage qui marquera également la fin des hostilités en Ydril.

Si on avait accepté de lier une Soltarii-Berontii à un Lorenzio sans terre, peut-être que la duchesse acceptera d’en lier une à un Anoszia. Par contre Sibylle se demandait si Margot comprenait l'ampleur de ce que cela signifiait si elle acceptait, si elle comprenait la signification d'un tel acte chez les Anoszia.

Margot fut satisfaite de voir que les Asnozia étaient plus conciliants que d'autres. Il y aurait peut-être une issue très positive à tout cela. Elle préférait ne pas avoir recours aux armes pour imposer l'autorité de Soltariel. Et que leurs armées ne soient qu'un tas d'incapables bouffis de suffisance n'étaient pas la moindre des raisons derrière ceci.

« Ravis de voir que nous pouvons parvenir à nous entendre. Néanmoins... » Elle hésita un instant « Je ne pense pas que l'Aphélian soit l'homme le plus approprié pour régenter Ydril. Il n'est pas originaire de la région et s'il est un proche parent du comte légitime, il n'en demeure pas moins qu'il possède déjà une baronnie à gérer. Une charge nouvelle pour lui et je crains qu'il ne surestime un peu ses capacités à gérer les terres. »

Et puis, confier la moitié de son duché à un homme qui n'avait pas hésité à préparer la guerre sans même tenter de parlementer, il fallait être fou pour envisager cela. Et folle, la duchesse ne l'était certainement pas.

« Je pense bien plus pertinent de confier cette tâche à un homme qui soit du cru, qui ai prouvé par le passé ses capacités à commander. La modestie de votre frère à ne pas vouloir cette charge est toute à son honneur, mais je fais appel à son devoir envers l'Ydril, il est clairement le plus à même pour assurer cette charge. » Ce qui, en ces temps troubles, pouvaient vouloir dire un peu n'importe quoi. « Quant à votre proposition, soyez assuré que j'en toucherais un mot à mes sœurs, mais je ne puis certainement pas décider à leur place. Nous aurons tout le temps qu'il faut pour ces choses là une fois les affaires les plus pressantes terminées. Si vous êtes d'accord, je propose que nous mettions ceci par écrit, suite à quoi j'enverrais une lettre au baron de Sybrondil pour l'inviter à la table des négociations plutôt que de poursuivre cette folie. A partir de là, je compterais sur vous et votre famille pour convaincre Maciste du bien-fondé de cette proposition. »

« Il y a des titres et les titres Votre Altesse. » Sourire amusée d’une sœur qui connait son frère. « Nous sommes dans une période où des barons sont plus puissant que des marquis, où des rois ne gouvernent rien et où des régents ne régentent rien. Cela m’étonnerait que l’Irûn s’immisce profondément dans les affaires ydrilotes. Pensez-vous qu’Ydril se laissera mener par un étranger ? Nenni. Il peut avoir l’illusion de contrôler une seconde terre mais le pouvoir se cache bien souvent dans l’ombre, voyez mon frère. Un mot de lui suffit à lever la moitié du comté contre l’archonte, un deuxième mot lui suffirait pour lever tout le comté contre un tyran venu d’ailleurs. Mais tant que paix et justice sont respectées, les Anoszias restent dans l’ombre. Nous n’en sommes pas encore là heureusement. Je ne peux prendre une telle décision au nom d’Arichis qui se joindra à vous pour les négociations qui risquent de s’annoncer rude avec le Sybrond au grand égo, et pour cela le soutien d’une tierce personne n’est pas à négliger. »

En ce moment, elle n’avait qu’une envie mettre fin à cette entrevue pour le bien de ses mollets. Sibylle ne connaissait pas personnellement l’Aphelian, et n’avait eu que des échos sur sa relation avec son frère. Mais du peu qu’elle savait Maciste était un homme intelligent et selon les points de vue, de paroles également. Quant au mariage, la jeune femme répondit avec malice rappelant dans quelle situation se trouvait le pouvoir ducal.

« Je suis sûre qu’il faudra moins de temps à vos sœurs pour se décider qu’à mon frère lors du procès de votre époux. » Petit silence pour marquer la phrase. « La famille, c’est le pouvoir Votre Altesse. Et pour le sang des Valancourt que nous partageons, Arichis ne marchera jamais contre des Soltarii-Berontii. » Peut être qu’en sachant cela, elle dormirait mieux le soir.

Margot jaugea la femme qui se tenait devant elle. Ses paroles n'étaient pas dénuées de sens, mais d'un sens qui ne convenait guère à la duchesse mégalomane. Il faudrait songer à ferrer les Asnozia aussitôt qu'il lui en serait donné la possibilité. Trouver des maillons faibles chez eux et les corrompre. Leur si précieuse famille avait forcément ses canards boiteux. Les valeurs traditionnelles pesaient souvent bien moins lourd que l'argent des mines soltariis. L'idéalisme n'était pas le plus commun des comportements dans le Sud, c'était chose connue. Comme l'on disait parfois, la seule chose pour la quelle vous pouvez avoir confiance en un suderon, c'est la trahison. Un peu exagéré mais Margot convenait qu'il y avait une part de vérité dans l'adage. Elle se leva finalement, sans se brusquer car son dos commençait à être délicat de supporter sa grossesse.

« Bien, cette affaire est donc réglée, j'enverrais sur le champ un messager à Maciste pour l'inviter à négocier. J'ose espérer qu'Arichis saura agir comme il le faut, et lorsque tout cela sera réglé nous nous occuperons officiellement de la situation de l'Archonte et mettrons Alastein sur le trône en grandes pompes. » Et sans Maciste ajouta-t-elle mentalement. « Cette audience est terminée, si vous désirez rester quelques jours de plus pour vous reposer de votre voyage, vous êtes la bienvenue et Vettias s'occupera de répondre à toutes vos attentes. » Elle eut un léger signe de tête en direction de l'intendant qui patientait contre un des murs de la pièce, sans un bruit. « Je dois vous laisser, d'autres obligations m'attendent. Si vous décidez de rester, nous nous reverrons au souper. »

Sur ce elle salua Sybille et quitta la pièce, rapidement suivit de deux gardes ducaux et de quelques serviteurs ainsi que d'un scribe que l'on venait d'appeler. Vettias s'approcha de la dame ydrilote pour s'enquérir de ses désirs.

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