De Velmonè à Soltariel ou vers une nouvelle vie.

9ème jour de la 5ème ennéade, Karfias, 9e année du 11e cycle

Le voyage se passe bien. L'avancée est rapide et il fait beau, ce qui est plus marrant que s'il pleut, franchement. Mais peu importe la température, passer trop de temps à se faire transporter le rend nerveux. Il préfère marcher. Ou naviguer, mais il ne l'a pas fait depuis des lustres. Du moins pas assez pour le satisfaire. Ennuyé de passer la journée dans le carrosse d'Alice, bien que sa présence et sa conversation soient des plus agréable, Sick n'est pas fait pour l'immobilisme et encore moins depuis qu'il n'a plus à passer des mois en mer. Mais il reste persuadé qu'il s'ennuierait moins en mer que durant ce voyage. Alors depuis quelques jours, ils marche près du carrosse d’Alice, devant, derrière, plus loin, prend du retard. Tout pour s'occuper. En fait, Sickert fait ce pourquoi il est doué. Il fouine. Partout. Il doit s'occuper l'esprit de toute manière. Et il doit récupérer Marion. Chaque choses en son temps.

Chaque arrêt est un prétexte pour aller se dégourdir les jambes et disparaître le temps alloué. Sickert a toujours été un solitaire, même lorsqu'il était le capitaine. Étonnamment solidaire, pourtant. Il ne s'éloigne jamais vraiment. Juste pour rester en retrait. Un solitaire dans la foule. Toujours à portée de voix d’Alice, il prend son rôle de garde du corps au sérieux, mais Alice, tout comme lui, n'a pas besoin qu'il soit constamment dans son dos pour veiller sur elle. Mais tout de même, Sickert est grognon. Il n'est pas aussi  enthousiaste qu'à son habitude. Morose, il le cache derrière un apparent sérieux. Mais il suffit de bavarder avec lui un moment pour s'apercevoir que ce sérieux est feint.

Il prend de longues minutes en solitaire, sa flasque d'un alcool indéfinissable entre les mains. Il la tourne et la retourne, presque nerveusement, avant de la déboucher et d'en avaler un gorgée. Il à une brève grimace, parce que souvent, quand l'alcool est indéfinissable, le goût l’est tout autant. Mais tout de même, l'effet est presque immédiat. Il ferme les yeux quelques secondes et esquisse un presque sourire. S'il pouvait se permettre de boire assez pour oublier quelques instants ce qui l’accable, ce serait bien. Il a presque décidé qu'il a très envie de vider sa flasque, mais il est interrompu par l'arrivée d'une femme et d'un homme. En reconnaissant la femme, sans toutefois reconnaître l'homme, il se redresse précipitamment et s'incline. Sans doute pas aussi bas qu'il aurait dû, sans doute pas avec si peu de craintes, mais avec assez de respect et de déférence pour qu'on juge, au moins, qu'il est malhabile, mais qu'il essaie de faire bonne impression.

- Votre Altesse.

Jusqu’à présent, le voyage se déroulait à la perfection. L’escorte qui les accompagnait comptait un grand nombre de personnes, dont les nobles venus les appuyer en plus des soldats chargés de la protection de tout ce beau monde. L’ambiance était bonne. C’était l’occasion pour tout un chacun de se montrer dans leurs plus beaux atours dans l’espoir d’attirer l’attention du couple ducale et ainsi remémorer quand viendra le temps d’attribuer certaines responsabilités. Certains ne manquaient pas d’audace ce qui pouvait devenir lassant à la fin. Tibéria semblait être leur cible préférée. D’apparence plus commode que son redoutable époux, ils pensaient avoir la jeune femme à l'usure, comme si elle était trop polie et respectueuse pour froidement les repousser. Il n’avait pas complètement tort. Ne voulant pas jeter de froid dès le début de son règne, la duchesse se montrait très patiente en saluant tout le monde avec un sourire figé sur son visage et par l’emploi astucieux de réponses vagues, mais assez précises pour laisser croire qu’il y aura une suite à la discussion éventuellement. Au début, ce n’était pas aussi terrible qu’elle l’imaginait, mais au bout d’un certain temps, elle finit par avoir un sérieux mal de tête. Pendant une pause, Tibéria décida de s’éloigner un peu. Évidemment, elle ne pouvait pas partir seule. Son fidèle esclave lui emboita le pas non sans y aller de quelques remontrances.

— Duchesse, il ne faut pas s’éloigner! Si quelque chose devait vous arriver…

— Il n’arrivera rien. Coupa Tibéria dont la patience semblait s’être volatilisée. J’ai envie de prendre l’air, c’est tout. Je n’ai pas l’intention d’aller bien loin. Tiens, voilà de jolies fleurs sauvages. Allons là-bas.

Tibéria ne lui laissa pas le temps de parler qu’elle forçait le pas en direction des fleurs. L’esclave la talonna, refusant l’idée de se trouver à plus de 3 pas de distance de la jeune femme.

— Ce n’est pas une bonne idée!

— Il y a des soldats partout, des nobles armées… je ne vois pas ce qui pourrait nous arriver ou qui serait assez stupide pour s’en prendre à moi maintenant.

— Ne jamais sous-estimer les idiots, ils peuvent se montrer très surprenant. Dit-il avec sagesse. Ce que je veux dire, c’est que vous n’êtes plus seulement Tibéria de Soltariel. Vous êtes la duchesse Tibéria d’Anoszia de Soltariel. Soudainement, vous devenez une cible beaucoup plus intéressante…

Bien qu’il soit à son service depuis plusieurs années déjà, Tibéria ne savait presque rien de ce Cassio. Néanmoins, il avait toujours pris soin d’elle avec ferveur et elle ne doutait aucunement de son intelligence ni de sa loyauté. Il avait un regard très réaliste sur le monde et semblait s’accommoder de sa situation. Tibéria le traitait avec respect. Elle avait du respect envers tous ceux qui étaient à son service et Cassio jouissait d’une bien plus grande liberté de mouvement près de la jeune femme. En tant qu’esclave, les gens ne le voyaient généralement pas et ne se souciaient pas de lui. Il lui arrivait de voir et d’entendre des choses qui seraient passées inaperçues sinon. C’était très utile pour Tibéria.

— Tu n’as pas tort, mais là, j’ai désespérément besoin de me dégourdir les jambes et de m’éloigner de ce caquetage incessant.

En se retournant, elle vit un homme s’approcher d’elle. Il n’avait pas l’air d’un noble et pourtant, son visage lui était étrangement familier. Il la reconnut, car il s’inclina dès qu’il la vit. Sa référence était maladroite, mais l’intention était là. Tibéria n’était pas du genre à s’en faire avec ça. Elle le regarda avec insistance.

— Pardonnez-moi, mais est-ce que l’on se connait? J’ai l’impression de vous avoir vu quelque part…

Il comptait seulement la laisser passer, pour qu'elle puisse poursuivre son chemin, mais avec politesse, toutefois. Après tout, on doit respect à la duchesse, non ? Mais elle arrête son avancée et le dévisage avec ce quelque chose de presque inquisiteur. Lorsqu'il a quelque chose à se reprocher, Sickert sait rester de marbre. Mais là, il n'a rien fait de mal, non ? Qu'est-ce qu'il aurait pu faire pour mériter ce regard ? Il est à un endroit ou il ne devrait pas être ? Et si elle se met à hurler, aura-t-il le temps de s'enfuir ? Par instinct de survie, il éloigne ses mains de son sabre à la ceinture et il affiche son sourire le plus amical. Pas la peine d'alarmer qui que ce soit.

- Heum, hésite-t-il.

S'ils se connaissent ? Non, surement pas. Mais bon, lui il sait qu'elle est la duchesse, il était au mariage après tout. La moindre des choses, lorsqu'on est invité à un mariage est de savoir reconnaître la mariée. Par contre, la mariée n'est pas obligée de reconnaitre tous ses invités, même si en fait, lui n'était pas vraiment un invité. Oh, elle l'a vu quelque part ? Ouais, bien, c'est évident. Sickert est très grand. Grand et massif. Il a l'habitude, pour la discrétion, de marcher légèrement courbé. Et c'est cette attitude qu'il adopte à ce moment là. Ainsi, il parait moins imposant,d,autant plus que la duchesse n'est pas très grande, physiquement parlant. Mais elle n'en demeure pas moins d'une imposante prestance. Et lui, il recule d'un pas, pour éviter qu'elle soit obligée de lever la tête pour le regarder.

- Oui, il est bien possible que vous m'ayez vu quelque part. Lors de votre mariage, entre autre. Ou depuis que nous avons quitté Velmonè, je traine toujours un peu partout, avoue-t-il en usant de son parlé le plus sophistiqué. Je ne crois pas que nous puissions nous connaître autrement que de vue, mais je suis flatté et honoré d'avoir suscité ne serait-ce qu'un subtil souvenir en votre mémoire, s'enthousiaste-t-il.

Et le sourire ravi qu'il affiche soudainement est impossible à feindre. Non, mais quand même , avec la foule qu'il y avait, que la duchesse et mariée l'ait remarqué parmi tous ces gens, il faut qu'elle ait une bonne mémoire et également un sens de l'observation aiguisé. Ou alors c'est parce qu'elle le trouve beau garçon, mais il ne ferait pas de pari là-dessus. Quoique oui, bon, peut-être un petit pari, juste pour l'excitation du pari risqué. En même temps, puisque c'est elle-même qui a ordonné sa libération, peut-être que son Ange l'a désigné... mais il prend moins de risque à ne pas en parler pour le moment.

Le regard de Tibéria s’illumina lorsque l’homme lui dit qu’elle devait l’avoir vu lorsque de son mariage parmi tous les invités présents. Il avait raison, c’est bien durant cette occasion qu’elle l’avait vu. Pas seulement ça, elle l’avait aperçue en compagnie de sa cousine Angelina qu’elle avait surveillée discrètement durant toute la soirée affine d’identifier les hommes potentiellement intéressés par elle. En fait, Tibéria avait vu la jeune femme danser avec plusieurs hommes, dont Oscario d’Anoszia, mais c’était une autre histoire. Elle n’avait d’ailleurs pas eu le temps de lui reparler depuis et espérait pouvoir le faire bientôt.

— Vous avez raison! Vous étiez au mariage! Je vous ai vu en compagnie de ma cousine Angelina de Solaria. Êtes-vous l’une de ses connaissances?

En toute sincérité, Sickert n’avait pas la tête d’un noble typique, mais ce n’était pas une mauvaise chose. Il était grand, un peu comme Arichis. Sauf que si ce dernier assumait pleinement sa grande taille, Sickert marchait légèrement courbé comme s’il espérait ne pas trop attirer l’attention. Alors que Tibéria l’observait avec une aimable curiosité, Cassio était nettement plus méfiant. En tant « qu’esclave » il savait beaucoup de choses sur ce qui se passait en coulisse. Il était parfaitement au courant de l’identité de l’homme qui avait été enfermé puis libéré à Velmonè.

— Pardonnez-moi, Votre Altesse, mais je crois que cet homme est celui que vous avez libéré des prisons de Volmonè quelques jours plus tôt.

Tibéria sursauta.

— Vraiment?

Elle semblait soucieuse soudainement. C’est naturel de se méfier de quelqu’un qui fut enfermé, mais Angelina lui avait juré qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il ne représentait aucune menace. Comme elle avait confiance en sa cousine, elle décida de lui donner une chance.

— Angelina a bien plaidé votre cause, mais j’aimerais tout de même entendre votre version des faits. Ne vous inquiétez pas, en aucun cas je ne cherche à vous nuire, mais j’aimerais savoir ce qui vous a mené dans les cachots de mon époux si cela n’est pas trop vous demander.

De toute évidence, qu'elle l'ait lors d'une seule rencontre, bien qu'elle n'ait pu dire son nom. Comment aurait-elle pu le savoir puisqu'à aucun moment, il n'avait révélé son nom à ses geôliers. Ils lui avaient demandé pourtant, mais il n'a jamais répondu, concrètement. Mais elle l'avait remarqué. De toute évidence, les gens de Velmonè ont la mémoire des visages. Ce qui, pour lui, n'est pas nécessairement un bonne nouvelle. Mais ça n'arrivera plus. Il va se méfier maintenant.

- Oui, votre mariage, acquiesce-t-il, avant que son air s'assombrisse au nom de son Ange. C'est ça...

Il aurait préféré qu'elle ne se souvienne pas de cet épisode. Ça pourrait le mettre et surtout, mettre son Ange dans l'embarras. Mais c'est une pensée qui l'effleure jusqu'à ce que l'escorte de la duchesse ne l'informe que c'est lui qu'elle a libéré quelque jours plus tôt. Le soir du dit mariage d'ailleurs. Durant une seconde, il se dit que mieux vaut nier les faits. Il est parfaitement capable de les baratiner. Mais mieux vaut user d'un peu de vérité et un peu de mensonge.

- C'est une pitoyable méprise, déclare-t-il, se préparant à poursuivre, mais la jeune duchesse demande des explications.

Au nom de son Ange, le regard de Sickert change. Il se demande bien ce qu'elle a pu plaider de si bien à son égard. Sa version des faits ? Nan, mieux vaut pas qu'elle sache sa version des faits. Un compromis entre les deux, c'est tout aussi bien.

- Je me demande bien ce que mon An... ce que Dame Angelina a bien pu dire de bien à mon sujet. Du moins pour que ma libération soit autorisée. Un déplorable erreur, je le crains, dit-il en ayant tout de même la décence de paraître penaud. Je n'aurais jamais du me faire prendre, finit-il par avouer.

Il y a un moment de flottement ou tout le monde garde le silence. La duchesse et son escorte parce qu'ils attendent sa aversion des faits, tandis que Sickert garde le silence en espérant qu'ils oublient qu'elle lui a demandé sa version des faits. Il évite de les regarder, mais après leur avoir jeté un regard, il capitule.

- Je m'assurais de l'efficacité de la sécurité ? Ça laisse à désirer, n'est-ce pas ? Et il se souvient soudainement qu'il s'est fait choper. Enfin, pas la troisième fois, mais ça prouve qu'ils s'améliorent. Il a un de ses sourires satisfait, avant de se rendre compte qu'il est sans doute le seul à trouver que c'est satisfaisant. Je... hum... si je disais que je m'entraîne... constamment, à entrer quelque part sans me faire prendre, est-ce que ce serait plus acceptable que le terme intrusion ? Peut-être pas. Il a un hochement de tête perplexe. Mais je vous assure que je n'ai blessée personne et que je n'ai rien volé, se défend-t-il avec peut-être un peu d'insolence. Il finit par hocher la tête. J'aime entrer quelque part sans avoir d'invitation. Mais j'en avais une le jour de votre mariage. Pas moi personnellement, mais... allait-il impliquer Dame Alice ? Je ne pouvais pas partir sans remercier la Dame de Solaria, dit-il, cette fois sans se tromper.

Il n'a pas menti. Il n'a pas tout dit, mais il n'a pas menti. Il ne dira quand même pas qu'il venait fouiner pour avoir qui sont Arichis et Tiberia. IL ne dira pas non plus qu'il était à Velmonè en attendant le retour de son Ange et qu'il aurait ensuite foncé directement vers Solaria pour attendre son retour. Tout ne s'était pas passé comme il l'avait imaginé, mais Sickert, tout somme Sepiida d'ailleurs, jouissait de cette faculté à estimer qu'un contre temps n'est que de prendre un chemin un peu plus long pour arriver au même endroit.

Soudainement, il avance de quelques pas et lui tend la main, paume vers le haut.

- Je suis Sickert, lui annonce-t-il.

Pas la peine de lui en révéler plus. De toute manière, que pourrait-il ajouter de plus. Jameson Sickert Mercenaire ? Nan... Sickert, c'était aussi bien. Pas de titre, c'était révélateur.

Tibéria trouvait ce personnage très étrange et elle n’était pas la seule. Derrière Cassio regardait le pirate avec la plus grande méfiance. Ils étaient un peu en retrait et si l’individu avait de mauvaises intentions envers sa maîtresse, il ne pourrait malheureusement pas la défendre. Il regrettait maintenant de ne pas être plus grand et plus fort, mais son destin d’esclave l’avait privé de ses chances d’être un homme complet, malheureusement.

Il affirmait avoir été capturé par erreur, ce dont doutait fortement Tibéria. En fait, c’était généralement l’excuse classique que sortaient les prisonniers condamnés. C’était toujours une erreur. Ils n’avaient rien fait. Ça ne pouvait logiquement pas être vrai pour tout le monde, car on n’aurait plus besoin de prisons.

— Elle n’a pas dit beaucoup de choses en réalité. Elle m’a simplement demandé de lui faire confiance et c’est ce que j’ai fait. La situation semblait lui déplaire, mais je peux me tromper.

Tibéria aurait préféré qu’Ange soit un peu plus loquace sur la question, mais la jeune femme comprenait que cet homme faisait partie de son passé. Rien ne l’obligeait à se dévoiler. Après tout, elles ne s’étaient pas vues depuis des années et beaucoup de choses sont probablement arrivées

L’homme tenta alors de justifier sa présence. Il disait vouloir tester la sécurité en s’introduisant comme ça au hasard de ses envies dans les grandes demeures des nobles. C’était incroyablement stupide de sa part, car il risquait de tomber sur des gens nettement moins cléments. Être emprisonné était une chose, mais perdre une main ou même se retrouver accroché à une potence en était une autre.

— Cet homme est un menteur. Déclara Cassio sans plus de détour. Ne l’écoutez pas! Qui serait assez stupide pour faire ce genre de choses? On n’entre pas ainsi chez les gens pour le simple plaisir de le faire. Enfin, oui… Il y a des gens qui aiment ça…

— Cassio, le fait est qu’il connait ma cousine et qu’il est venu la voir. Maintenant, je ne connais pas le contexte de leur rencontre, mais je suis certaine que ce monsieur ici présent pourra m’expliquer.

Non pas qu’elle voulait s’immiscer dans la vie privée d’Ange, mais comme cet homme s’était introduit dans le domaine de son époux, ça devenait également son affaire. Elle voulait surtout déterminer si cet homme représentait une menace autant pour elle que pour Ange. Après tout, il était toujours là. Peut-être cherchait-il à revoir Angelina, mais, malheureusement, elle n’était pas avec eux. Elle avait été envoyée en mission en Nanie. Tibéria ne s’attendait pas à la revoir avant un moment, malheureusement.

— Malheureusement, si vous pensiez retrouver Angelina pendant le trajet, c’est impossible. Elle est partie pour une mission en tant qu’ambassadrice. Elle ne reviendra pas avant un moment. Je suis enchanté de faire votre connaissance, monsieur Sickert.

Dommage, son Ange n'a pas dit grand chose. Il y aurait pourtant eu des tas de choses à raconter. Mais rien de tout ce que son Ange sait n'aurait pu convaincre la duchesse de le libérer, ça, il le sait bien. Il se doute aussi que la situation n'a pas du lui plaire. Il le prend comme un reproche et baisse les yeux. La duchesse a raison, ça ne lui a pas plut à son Ange.

- Vous avez une confiance aveugle en Dame Angelina. C'est quelque chose que son Ange inspirait. Lui inspirait. J'essaierai d'être digne de sa confiance, dit-il, tout sourire.

Mais c'était avant que l'esclave ne s'excite et ne l'accuse d'être un menteur. De toute évidence, cette véhémence de la part de l'esclave semble plaire au dit menteur. Tout sourire, il le détaille quelques instants avant de se mettre à rire. Il ne semble pas le moindrement être vexé, ni même offusqué de l'accusation du dénommé Cassio.

- Moi. Moi, je suis assez stupide pour faire de genre de choses et c'est exactement ce que j'ai fait. Mais je vous l'ai dit, que je me sois fait prendre n'est qu'une déplorable erreur de ma part. Et ça, il l'a déjà avoué. Il n'aurait jamais dû se faire prendre. Il est plus habile que ça habituellement. Il a raison. Et oui, il m'arrive de mentir, très souvent même. Son sourire s'efface quelque peu et il semble vouloir se recomposer une attitude plus sobre. Mais je ne vais pas nuire à la confiance que vous portez à Dame Angelina.

Expliquer leur rencontre ? Est-ce que ça s'explique ? Non, pas vraiment. Mais la duchesse attends une réponse. Alors mieux vaut lui en fournir une. Qu'elle soit plus ou moins près de la vérité ou un parfait mensonge. Il opte pour une réponse alliant la vérité de l'obscur. Un voile de fumée. La brume du crépuscule.

- Votre cousine a beaucoup voyagé. J'ai également beaucoup voyagé. Et bien que ce monde soit vaste, il semblerait qu'il ne le soit pas assez.

Ne se croisent-ils pas sans arrêt, presque par hasard ? Puis la duchesse l'informe que son Ange st partie en mission d’ambassadrice très loin. Elle ne reviendra pas avant un moment ? Dommage.

- Je savais que Dame Angelina ne serait pas du voyage, mais je ne savais pas vraiment pour quelle raison. Maintenant, je le suis. Il semble plutôt déçu par ces informations. Il semble que ça ne soient pas celles qu'il espérait. Mais pourtant, il force un sourire et a un léger hochement de tête. Je le suis également, Votre Altesse. Appelez mois simplement Sickert, je ne crois pas mériter du Monsieur. Après tout, j'ai séjourné dans une cellule tout récemment, n'est-ce pas ?

Et accessoirement, il n'avait absolument rien de noble. Ni de bourgeois. Il n'a concrètement rien du tout. Presque rien.

Tibéria avait effectivement une confiance aveugle envers sa cousine. Elle avait de si beaux souvenirs d’elle dans sa tendre enfance. Angelina et elle avaient partagé ensemble un lien très particulier. Si les circonstances les avaient séparés l’une de l’autre pendant plusieurs années, elles venaient de se retrouver. Elle espérait qu’Ange reste dans sa vie cette fois. Tibéria allait s’assurer que ça se passe ainsi.

— Bien entendu. Angelina a été là pour moi quand j’étais petite. Elle est un peu comme une grande sœur pour moi. Je lui fais confiance, c’est normal…

Cet homme était vraiment bizarre. Il ne semblait pas bien méchant, mais son comportement était étrange. Toutefois, à mesure qu’il parlait et qu’il dévoilait certains détails, les pièces du casse-tête se mettaient en place dans la tête de Tibéria. Ange et lui s’étaient rencontrés durant un voyage. Quelque chose devait s’être passé entre eux, car on ne se souvient pas forcément d’une rencontre faite au hasard. Tibéria ne savait rien de la vie d’Ange pendant ses années d’errance. Elle ne lui avait rien dit et la jeune femme n’avait pas osé la questionner sur le sujet. Après tout, c’est normal qu’elle ait son jardin secret.

— Être ambassadrice est un très grand honneur qu’il lui a été accordé. Je suis certaine qu’elle s’acquittera bien de sa mission.

Cassio ne savait plus sur quel pied danser. Il aurait aimé que cet homme s’éloigne de la duchesse. Il n’était certainement pas digne de s’adresser à elle. Il n’était qu’un voleur. S’il ne l’était pas, on pouvait au moins douter de sa moralité. Un homme qui s’introduit comme ça chez des inconnus ne peut pas être quelqu’un de bien.

— Oh… pardon. Oui, c’est vrai, Mons… Sickert. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Vous faites route vers Soltariel? Allez-vous attendre ma cousine là-bas? Je ne suis pas certaine du moment où elle va rentrer, mais je doute que ce soit avant le début du mois prochain.

Il n'a qu'un petit frère. Enfin, une petite soeur. C’est lui le grand frère. Et il est évident que Finnegan et Sickert n'ont aucune confiance l’un envers l'autre. Ce serait dangereux d'avoir trop confiance. Mais il comprend que son Ange puisse inspirer autant de confiance. Il comprend que son Ange puisse inspirer des tas de choses.

- Je ferai mon possible pour ne pas trahir la confiance que vous lui portez, assure-t-il avec soudainement beaucoup plus de sincérité.

Être nommée ambassadrice est un très grand honneur certes, mais ce n’est qu’un titre à responsabilité. Surtout lorsqu’on sait qu’elle est l’héritière légitime du trône de Soltariel. Mais il sait tèrs bien que son Ange a toujours eu de bonnes raisons de rester près, mais hors du trône. Il y a eu Ambre, puis les voyages, puis lui, semble-t-il.

- Vous n’avez pas à en avoir la certitude. Il n’y a aucun doute à avoir. Elle s'acquittera parfaitement de sa mission, que le résultat soit celui escompté ou non.

De toute évidence, il connaissait très bien la Dame de Solaria. Trop, même, peut-être. À la question, le sourire du mercenaire se fige quelque peu. Et il s’efface presque totalement lorsque la duchesse prétend que son Ange ne reviendra pas avant le début du mois prochain. De toute évidence, cette information ne lui plaît pas et il réfléchit durant quelques secondes, avant de répondre.

- Je… je suis patient, pour ce qui a de l’importance. J’attendrai. Sa réflexion se poursuit, laissant flotter un silence. Un silence qui s’étire, jusqu’à ce qu’il tourne les yeux vers l’esclave et quelque chose s’anime dans les yeux bleus du mercenaire. Votre Altesse, je crois que votre escorte me craint. Et pour une escorte censé veiller sur vous, si j’arrive à deviner qu’il me craint, je ne suis pas le seul. Il lève le menton et se redresse, pour la première fois en présence de Tiberia. Je suis un mercenaire, Votre altesse, et je vous assure que si on m’avait promis une bourse pleine pour vous faire du tort, ici et maintenant, je n’hésiterais pas une secondes, dit-il, en avançant d’un pas, encore, puis il sourit. Mais je n’ai aucune mauvaise intention à votre égard. Et il quitte sa position imposante et redevient le type nonchalant des minutes précédentes. Tout est dans l’attitude, Cassio, c’est ça ? Relève le menton. Fixe droit devant toi, sans croiser le regard de personne. Et marche près d’elle parce que tu l’accompagne, pas parce que tu la suis. Ce n’est pas très prudent de vous retrouver totalement désarmée. Surtout maintenant, Votre Altesse. Ou alliez-vous dans cette direction ? Permettez-moi de vous accompagner, si vous le voulez bien, dit-il en lui tendant la main.

Tibéria ne doutait pas du professionnalisme d’Angelina. On lui avait fait un grand honneur en la nommant ambassadrice pour Soltariel et elle allait certainement s’acquitter de sa tâche avec dévouement. À son retour, la jeune femme se promit de la remercier avec un cadeau. Elle ne savait pas encore ce qu’elle allait lui donner, mais elle avait le temps d’y penser. Elle devait trouver un petit quelque chose qui ferait un clin d’œil à ses moments passés ensemble lorsqu’elles étaient plus jeunes. Tibéria n’avait que huit ans à l’époque. Qu’est-ce qui pourrait rappeler cette période depuis longtemps révolue?

Sickert fit une réflexion à propos de Cassio qui gonfla les joues, indigné.

— Certainement, je ne vous aime pas! Votre présence ici est très douteuse. En plus vous vous êtes introduit sans permission à Velmonè…

Tibéria lui fit signe de se calmer. Cassio avait tendance à s’insurger pour peu de choses. Si la jeune femme était d’un naturel patient, ce n’était pas le cas pour tout le monde. Cassio finirait certainement par s’attirer des ennuis s’il continuait ainsi.

— En fait, Cassio n’est pas mon escorte. Il est un serviteur et n’a pas été formé pour me défendre.

— Mais je peux le faire! S’indigna le jeune homme en bombant le torse sans grand résultat. Je suis prêt à donner ma vie pour vous. Dit-il gravement.

Hormis se placer devant un assaillant pour prendre le coup à la place de la duchesse, il ne pouvait pas faire grand-chose, mais Tibéria était touchée par son dévouement. Elle n’en attendait pas tant de sa part. Elle était déjà contente de l’avoir à ses côtés, prêts à lui rendre service à toute heure du jour et de la nuit. Il était une aide précieuse pour la jeune femme. Sickert avoua ensuite que si on lui avait promis une bourse pleine pour lui faire du tord, il n’aurait pas hésité un seul instant. Tibéria s’était éloignée du groupe, se rendant ainsi vulnérable à une attaque. Elle devait comprendre maintenant qu’elle n’était plus simplement « Tibéria ». Elle était désormais beaucoup plus importante, donc plus exposée.

— Mais comment osez-vous menacer la duchesse ainsi. On devrait vous faire arrêter pour cela!

Cassio avait l’air un petit coq déplumé et très hargneux. Il faisait beaucoup de bruits, mais il n’était pas très menaçant.

— Ça suffit! Tibéria commençait à être agacée. Le serviteur souffla bruyamment par les narines et tenta de mettre en application les conseils du mercenaire en levant bien haut le menton.

— Je ne faisais que me dégourdir les jambes avant de reprendre la route. Je n’avais pas l’intention de m’éloigner vraiment. Vous pouvez m’accompagner si cela vous inquiète tant.

Tibéria était forcée d’admettre qu’elle regrettait la liberté de mouvement qu’elle avait avant. Visiblement, son ascension ne venait pas sans faire de sacrifices.

Voir le gamin s'enflammer était plutôt divertissant. D'ailleurs Sickert le marque très bien d'un sourire, amusé. Enfin, il manifestait quelque chose d'offensif. Bon, c'était inutile et totalement inefficace, mais il démontrait une certaine volonté d'agir ce qui, pour Sickert, était un bon début. Il la mettait en garde et c'était un bon début. Heureusement, il ne voulait en aucun cas attenter à la vie de la duchesse. Mais vu son serviteur, ce serait une tache aisée. Enfin, d'autant plus aisé que la duchesse était isolée et sans défenses.

- Il a raison, précise-t-il, toutefois. C'est d'une évidence, Votre Altesse, dit-il au sujet de Cassio qui n'est pas l'escorte de Tiberia, mais son serviteur. Et pourtant, ça ne devrait pas être aussi évident. Cassio proteste en prétendant qu,il peut la défendre et qu'il donnerait sa vie pour elle. C'est gentil, ça démontre certes la loyauté, mais c'est aussi évident qu'il donnera sa vie pour la duchesse, ça, pas de doute. Oh, ça, pas de doute, Cassio. Tu donnerais certes ta vie à la duchesse, mais ça ne ferait que lui permettre de te voir mourir pour elle avant de se faire assassiner à son tour. Mourir à la place de quelqu'un n'est pas le défendre, Cassio. Et pourquoi est-ce que tu ne me fais pas arrêter, Cassio ?

L'ordre de cesser de la duchesse a l'autorité pour faire taire non seulement le serviteur, mais aussi le mercenaire qui a la décence de baisser les yeux et de paraître gêné. Mais pourtant, il a un hochement de tête approbateur en reposant les yeux sur le serviteur, qui malgré ses protestation, semble vouloir suivre ses conseils. Enfin, ses provocations, pour être franc. La duchesse avoue qu'elle avait envie de se dégourdir les jambes et elle l'invite à la suivre s'il est inquiet.

- Je ne m'inquiète pas. Pas encore. Mais je veux bien vous accompagner, Votre altesse, c'est ce que je faisais également, me dégourdir les jambes.

Et il lui tend le bras avec une galanterie étudiée.

Il est vrai que pour quiconque se retrouvant face à Cassio pour la première fois, le jeune homme semble plutôt divertissant. Du moins, il ne représente pas une menace très sérieuse malgré tout le cœur qu’il met à la tâche. Il veut tellement le bonheur de Tibéria. Il a décidé de lui dédier toute sa vie. La jeune femme l’avait libéré. Il pouvait aller où il voulait et reconstruire sa vie, mais il avait préféré rester à ses côtés avec tous les risques que ça pouvait impliquer. Il commençait à prendre conscience de ce qui pouvait arriver en restant près d’elle. Malgré cela, il n’avait pas peur. Cassio était même plus déterminé que jamais à remplir son devoir.

— Il y a bien des gens qui sont dédiés à ma protection personnelle. Avança Tibéria. À Soltariel, il y a même une garde consacrée entièrement à la protection du couple ducale. Je n’ai jamais pensé que Cassio pourrait être un garde du corps. Il est là… pour me servir…

En fait, Tibéria n’avait jamais pensé au rôle concret de Cassio. Alors qu’elle n’était encore qu’une simple noble sans titre pompeux, il était son serviteur. Il s’occupait de lui apporter ses repas et de répondre à ses autres demandes. Elle avait plein d’autres personnes à son service, mais Cassio était juste plus proche d’elle. La jeune femme lui faisait confiance. Elle ne pouvait pas en dire autant des autres. La question sembla prendre de cour Cassio qui ouvrit la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Il regarda Tibéria comme s’il craignait d’avoir fait quelque chose de mal et jeta des coups d’œil affolés autour de lui.

— Eh bien…

Tibéria lui fit un petit signe pour qu’il arrête de s’inquiéter. Il n’avait rien fait de mal.

— Allons marcher dans ce cas.

Elle ne prit pas le bras de Sickert, car elle préférait tout de même garder une certaine distance entre eux. Ce n’était pas par dédains, simplement elle était duchesse et elle devait se comporter comme tel. Évidemment, Tibéria était encore au stade de l’apprentissage. Au fond, elle n’était pas totalement certaine de ce qu’elle pouvait faire ou non. Elle espérait ne pas vexer l’homme en refusant son bras…

— Que comptez-vous faire lorsque nous serons à Soltariel? C’est un endroit que vous connaissez bien?

Oui, effectivement, Cassio semblait être aux côtés de la duchesse que pour la servir. Et c’était du gaspillage de ne lui offrir qu’une seule fonction. Cassio semble être un gamin loyal et déterminé à servir et à préserver Tiberia. Alors pourquoi ne pas lui offrir toutes les chances de pouvoir le faire ?

- Oh, je n’en doute pas. Mais personne n’est mieux placé pour vous protéger que ceux qui sont les plus proches de vous. Et vice versa. Enfin, tout dépend si vous voulez être protégée, vous ou la duchesse que vous êtes devenue. Et si, bien sûr, vous savez vous défendre par vous-même.

Parce que pour Sickert, la protection de Tiberia ou de la duchesse, ce n’est pas la même chose. La garde dont elle parle, celle qui doit protéger le couple ducal, d’accord. Mais Cassio serait de loin le mieux placé pour la protéger, elle, Tiberia. Toujours prêt à la servir et prêt à se mettre devant le danger, mieux vaut que ce soit utile que suicidaire et, bref, inutile.

La duchesse ne prend pas son bras, mais il ne s’en offusque pas. Elle ne le connait que depuis quelques minutes, c’est normal. Mais pas encore tout à fait familier avec toutes les nuances de la bienséance noble, il fait des tentatives. On lui fera des reproches si jamais ce n’est pas la bonne manière. Habituellement, il apprend rapidement.

Ce qu’il fera une fois à soltariel ? Si seulement il le savait. Il garde le silence, quelques minutes, comme s’l réfléchissait à la question.

- J’ai… j’ai séjourné quelques ennéades sur ces terres à quelques reprises, mais jamais très longtemps. Je ne reste pas au même endroit très longtemps. Donc je ne peux pas dire que je connais bien Soltariel. Disons simplement que ce n’est pas mon premier passage.

Il n’a pas répondu à la première question. Il n’en sait rien. Il doit ramener Alice chez elle, ensuite, il n’en sait rien, sauf peut-être qu’il va traîner dans le coin. Aucun doute là-dessus. Jusqu’à ce que son Ange rentre.

- Pour ce qui est de ce que je ferai. Tout dépendra si la ville est payante pour les services que je peux offrir.

Il avait dit, quelques minutes plus tôt, que si on lui avait donné une bourse bien pleine, il aurait facilement pu la tuer. C’était assez explicite sur le genre de services que pouvait rendre Sickert. Mais ses services étaient beaucoup plus varié que le meurtre. Habituellement, il ne tuait pas nécessairement.

Cassio voulait protéger Tibéria, mais il ne pouvait pas. Il n’avait jamais manipulé une arme de sa vie et si on lui en donnait une maintenant, il serait capable de se poignarder lui-même. Il connaissait parfaitement ses limites et c’est pourquoi il ne voulait pas être impliqué dans tout cela. Il était nettement préférable pour tout le monde de laisser la place à des professionnels, des hommes habitués aux combats et capables de déceler les menaces sous toutes ses formes. De son côté, Cassio continuera à servir la jeune femme en la suivant comme son ombre et en étant ses yeux et ses oreilles. Il avait été entraîné pour se faufiler discrètement et faire oublier sa présence. Ce genre de talent pouvait s’avérer très utile.

— Eh bien, je ne sais pas me défendre par moi-même. Je n’ai jamais eu à le faire… C’est pour cela qu’il y a des professionnels qui sont payés juste pour ça. Je suis très touché par vos inquiétudes sur sa sécurité, mais tout a déjà été pensé pour moi…

Tibéria réalisait peu à peu que beaucoup de décisions avaient été prises pour elle sans qu’elle ait son mot à dire. Pour l’instant, elle n’avait pas beaucoup de contrôle et ça l’agaçait un peu. Néanmoins, elle faisait confiance à Arichis. Il était celui avec l’expérience et les hommes. Pour l’instant, elle n’avait qu’un contrôle très relatif sur eux, mais ça viendra. Elle devait faire ses preuves…

— Vous êtes un grand voyageur? Personnellement, je n’ai pas tant voyagé dans ma vie si on exclut le séjour que j’ai fait à Thaar avec mes sœurs. Cette ville n’a rien à voir avec la Péninsule, c’est certain. Néanmoins, elle n’était pas totalement dénuée de charmes. Vous y êtes déjà allé? À d’autres endroits?

La jeune femme était d’une nature très curieuse et elle aimait en apprendre plus sur les gens, surtout ceux qui ont une histoire intéressante à raconter. Sickert semblait avoir beaucoup voyagé. Il devait avoir de nombreux récits de ses aventures à raconter avec toutes les choses qu’il a vues durant ses pérégrinations. Les nobles ont des conversations beaucoup plus empruntées normalement. Ils parlent invariablement de tout ce qui touche à leurs richesses, des troubles politiques et du dernier scandale en date. Ce dernier point était surtout l’apanage des femmes, mais les hommes n’étaient pas en reste quand venait le temps de discréditer quelqu’un.

— Les services que vous pouvez offrir? Vous êtes un mercenaire? Ah! Voilà pourquoi vous êtes tant intéressé à ma sécurité… Vous vous cherchez un contrat?

Les réponses de Tiberia ne semblent pas le convaincre. Au contraire, il esquisse une moue contrariée. Peut-être est-il trop fermé à certaines manières de vivre, mais il est d'avis qu'on doit apprendre à se défendre. Après, si on en jamais besoin, eh bien c'est merveilleux. Et en plus, elle affirme que tout à été pensé pour elle. Sickert jette un oeil autour et termine en dévisageant Cassio quelques secondes.

- Oh, dans ce cas, si tout est pensé pour vous, pas la peine de s'inquiéter, dit-il, le ton pas très franc.

C'est si beau la confiance aveugle. Il juge. Oui. Tout le monde juge. Sickert n’a jamais rien fait. Il n'a jamais été noble. Il à toujours activement participé à tout ce qu'il à vécu. Il ne sait pas vraiment ce que c’est que d’avoir une confiance aveugle. De son point de vue, ce doit être terrifiant de ne pas pouvoir savoir se défendre, que tout soit déjà pensé pour soi. D’un autre côté, elle risque sans doute moins sa vie que lui. Elle est noble, et maintenant, duchesse, pas mercenaire, ni même simple villageoise ou citadine. Des mondes différents, des réalités différentes.

Elle lui pose des questions beaucoup de questions. Curieuse. Il a un sourire amusé. Ça ne doit pas plaire à Cassio qu'elle s'intéresse à lui.

- Oh… oui, je ne reste pas en place bien longtemps. Quelques ennéades, peut-être un ou deux mois. J'ai effectivement séjourné à Thaar presque toute l’année dernière. C'était divertissant, ajoute-t-il avec le sourire.

Il y était en même temps qu'elle, d'ailleurs. Mais il avait surtout attendu le moment pour revenir. Et maintenant, il est revenu et il compte bien rester… si tout va bien… il fera l'impossible s'il le faut. Il le doit, il est parti trop longtemps.

Je crois bien avoir fait le tour du monde humain. Je ne suis jamais resté quelque part bien longtemps. Sauf sur Meca. Mais c'est le passé. Il aimerait bien aller explorer les autres civilisations. Les nains, les elfes. J’irais bien explorer plus loin encore, confie-t-il, dubitatif, sans vraiment s'adresser à elle.

Il tourne un regard un peu surpris lorsqu'elle saisit qu'il est mercenaire et qu'il cherche un contrat. Évidemment qu'il cherche des contrats... il faut bien vivre.

- Je… je me demande surtout combien de temps ça leur prendra avant de constater votre absence. Je constate surtout les lacunes de ceux censés vous protéger. Peut-être nous observent-ils en douce. Peut-être Heureusement, il n’est pas un assassin. Enfin, si, parfois. Je trouverais fort dommage qu'il vous arrive quoique ce soit de malheureux. Et bien sûr, je suis toujours à la recherche de contrats divers. Plus ils rapportent, mieux c'est, bien sûr. Il semble que le sud de la péninsule soit ce qu'il y a de plus payant ces derniers temps.

En même temps, la Péninsule était la plus riche pour ce même moment. Mais les ambitions de Sickert sont nettement moins cupides. Ce n'était pas que pour les contrats.

- Vous savez qui aurait besoin de mes services ? demande-t-il, l’air franchement intéressé.

Quelques tâches à effectuer en attendant le retour de son Ange, ça pourrait l’occuper.

Sickert menait une véritable vie d’aventurier et Tibéria trouvait cela excitant. Elle avait peu voyagé dans sa vie et aurait aimé avoir l’opportunité de le faire plus souvent sans avoir les contraintes des responsabilités. En tant que Duchesse, les voyages seront toujours protocolaires avec un tas de règles à suivre et de gens pressés de se courber devant son passage. Ce n’est pas que la perspective de tout ça l’ennuyait, mais elle aimait aussi en faire qu’à sa tête parfois pour le plus grand malheur de Cassio qui ne pouvait que subir les envies de sa maîtresse. Heureusement, elle n’était jamais tombée dans les extrêmes et elle n’était pas vraiment non plus impossible à vivre.

— Vous dites ne jamais rester plus que quelques ennéades au même endroit, mais vous avez passé presque une année entière à Thaar… Quelque chose vous y a retenu? C’est vrai que c’est une ville divertissante, mais… ce n’était pas chez moi.

Tibéria voulait voyager, mais elle était également très attachée à sa terre natale. Elle espérait ne plus jamais devoir s’en éloigner très longtemps.

— J’espère que vous en aurez l’occasion… Vous devez avoir tellement de choses à raconter.

La jeune femme regarda autour d’elle. Les gens ne semblaient pas bien inquiets même si les gardes gardaient un œil sur eux. Personne n’avait envie de voir la duchesse mourir maintenant.

— Je n’ai pas l’intention d’aller me cacher dans les bois. Je voulais juste… m’éloigner un peu. Ce n’est quand même pas un drame. Regardez, les soldats sont à… 10 mètres de nous. Mon époux est là-bas.

Tibéria comprenait très bien que l’on s’inquiétait pour sa sécurité, mais il n’y avait rien à craindre dans l’immédiat et elle connaissait ses limites. Elle commençait à se demander si les gens auraient toujours l’intention de la materner de cette façon lorsqu’elle sera à Soltariel. Elle était peut-être jeune encore, mais elle n’était plus une enfant.

— Je ne sais pas… Soltariel a certainement besoin de gens compétents, c’est certain.

Elle fronça les sourcils, saisie par un doute soudain. Tibéria était parfaitement consciente de n’avoir aucun contrôle sur les hommes qui les accompagnaient. Ils étaient tous au service d’Arichis et même si elle était son épouse, ils la voyaient tous comme une gamine sans le dire directement. Tibéria aimerait bien avoir à son service un homme compétent et capable d’exécuter ses ordres. Elle ne cherchait pas un espion bien que l’idée ne soit pas mauvaise. Elle voulait quelqu’un qui soit ses yeux et ses oreilles pour prendre le pouls de la population. En plus, il pourrait lui apprendre à se défendre. Cette idée semblait déjà lui tenir à cœur alors qu’il n’était même pas à son service. En plus, s’il était un ami d’Angelina…

— J’aurais peut-être besoin de quelqu’un…

Évidemment, à peine avait-elle prononcé sa phrase que Cassio manqua s’étrangler avec sa propre salive.

— Vous n’y pensez tout de même pas! Il est un mercenaire! Quelqu’un pourrait très bien lui donner une importante somme d’argent en cachette pour vous tuer au cœur même du palais! C’est tout à fait déraisonnable comme idée!

— Cassio, du calme! Laissons à monsieur Sickert l’opportunité de dire ce qu’il en pense. Après, nous verrons. J’ai besoin de quelqu’un à mon service qui peut aller là où je ne peux pas aller. Tu es toi-même limité dans ce que tu peux faire et tu ne peux pas te défendre. Ensuite, bien que je n’approuve pas réellement, cet homme a démontré un certain talent pour aller là où on ne l’attend pas nécessairement. Je veux dire… Ça pourrait être utile, non?

Wais, qu'est-ce qui l'a retenu à Thaar ces quelques mois ? Une dette. Mais pas la sienne. Pour une fois. Enfin, est ce vraiment une dette ? Finn avait failli tuer Barbaque à Haurse-Porc… c'était leur lieutenant. Ils lui avaient sauvé la vie en le kidnapper et en l'amenant à Castielle. Enfin, sauvé la vie… il allait beaucoup mieux qu'il le laissait supposer, mais Castille avait très certainement évité que ça devienne un handicap.

- Oh, des contrats. Mais qui dit contrat dit que ceux qui ont fait les frais de ces contrats ne sont pas de très bonne humeur. Mieux vaut s'éloigner un moment, dit-il, tout sourire, Comme si c'était tout à fait normal. Oh, mais pour un mercenaire, c'est presque tout à fait normal. Ce n'est ni tout à fait vrai, ni tout à fait faux. Elle n'a pas besoin de savoir. Hum, non, je n'ai pas tant de choses à raconter. Rien d'intéressant. Mieux vaut qu'il ne raconte rien. Rien du tout.

Oui, ils sont à dix mètres et ? Avec 10 mètres de distances, c'est assez pour la tuer et fuir. Un contrat rapidement bouclé. Presque trop facile. Même encore il pourrait le faire. Il devrait être plus rapide, mais c’était loin d'être impossible. Mais pour le plus d'efficacité, s'il l'avait fait d'emblée, elle serait morte et lui, eh bien il irait récupérer sa prime. Dix mètres n'auraient rien changé. D'autant plus qu'à son avis ça ressemble plus à 20 mètres, ils s'éloignent.

- Ce n'est jamais un drame avant qu'il se passe quelque chose. C'est ce qui fait que c'est dramatique. Mais en dix mètres je peux faire des tas de choses. Suffit d'être rapide et de ne rien laisser paraître jusqu'au dernier moment. Cassio, lui serait à considérer si je n'avais pas deviné qu'il ne savait que mourir avant vous. Sans vouloir t'offenser, Cassio, mais… c'est vrai.

Un contrat à long terme à Soltariel ce serait bien. Ça lui permettrait de rester à Soltariel un moment. Il a des projets qui impliquent de rester. Mieux vaut avoir de quoi se payer Soltariel, non ? Des gens compétents ? Il l‘est. Le meilleur, sans aucun doute. Bon, d’accord, ses manières, tout le monde ne les apprécie pas. Mais il n’est pas là pour faire joli. Enfin, parfois il est là pour faire joli, mais il préfère quelque chose de nettement plus divertissant. Intéressé par sa réflexion, il l’est encore davantage lorsqu’elle soumet la possibilité qu’elle même ait besoin de quelqu’un. Quelque chose de surpris éclaire son visage, puis Cassio s’excite tout d’un coup. Il a parfaitement raison, mais des tas de nouveaux chemins viennent de d’apparaître sur la carte de vie de l’ancien pirate. Au service de la Duchesse de Soltariel ? L’idée n’est pas mauvaise.

- Ce que je pense ? Je pense que Cassio a raison. Quelqu’un pourrait me donner une grosse somme d’argent pour vous assassiner. Mais même sans être un mercenaire, n’importe quel garde le ferait sans doute aussi. Tout dépend du montant et tout dépend de ce qu’il y a à perdre à côté. Mais je vous assure Cassio, que généralement, les mercenaires n’aiment habituellement pas briser des contrats, à moins d’en avoir eu un avant qui puisse justifier tout ça. Un peu comme si j’avais déjà le contrat de me rapprocher de vous pour vous éliminer. Mais ce n’est pas le cas, c’est vous qui avez eu l’idée, n’est-ce pas ? Briser un contrat coûte cher. Très cher. Qui engagerait un mercenaire qui brise ses contrats ? Il aime bien le style de la duchesse. Elle n'approuve pas, mais elle en userait volontiers. Ce qui, concrètement ,est un bon point pour lui. Il détaille Tiberia un instant et sourit. Et j’aurais quelques scrupules à assassiner une telle beauté. Son sourire s’accentue en voyant la mine outrée de Cassio. Et de quoi auriez-vous besoin, Votre altesse ? Il sait faire un tas de choses. Je suis très utile et, en plus, je suis très divertissant.

— Bon, dans ce cas…

Tibéra en avait assez qu’on lui fasse des reproches. Elle tourna donc les talons pour reprendre la direction des hommes. Son moment de détente et de solitude aura été aussi bref que relatif. En même temps, elle ne pouvait pas dire qu’ils avaient tords. Elle devait faire attention à sa sécurité. Ce n’était plus comme avant où elle jouissait d’une plus grande liberté de mouvement. Elle devait s’y faire. Son titre venait avec des responsabilités et des sacrifices nécessaires.

— D’un autre côté, vous avez raison en disant que si un mercenaire se retrouve avec la réputation de briser ses contrats, il risque d’avoir du mal à se trouver du travail. Il a nettement plus à gagner en restant loyale.

Son commentaire sur son apparence physique fit rire la jeune femme.

— Donc, si j’avais été moche, ça aurait pu être différent. J’en prends note dans ce cas.

Elle sourit, démontrant ainsi qu’elle n’était pas du tout fâché par ses propos.

— En fait… Je ne sais pas trop. J’aime l’idée d’avoir à ma disposition quelqu’un qui peut se faufiler n’importe où. Cassio peut le faire, mais il est tout de même limité. Je ne pourrais pas, par exemple, l’envoyer porter des messages en mon nom quand je ne peux pas le faire. Il y a sans doute d’autres personnes qui pourraient le faire, mais vous avez des liens avec ma cousine Angelina et ça m’incite à vous faire confiance. Évidemment, il vous faudra faire vos preuves. Si cela vous intéresses, les détails seront réglés à notre arrivée à Soltariel. Vous travaillerez pour moi seul et pas pour Arichis. Il a toute une armée à son service alors que moi…

Elle ne termina pas sa phrase, mais son silence était éloquent. Tibéria semblait peut-être négligentes sur certains aspects, elle avait toutefois une conscience très aigüe de la portée réelle de son pouvoir présentement. Les choses allaient surement évoluer avec le temps, mais dans l’immédiat, Tibéria préférait assurer ses arrières.

— Bon, je crois que nous allons reprendre la route bientôt. Je vous laisse retourner à vos responsabilités. Nous discuterons à nouveau à Soltariel. Je suis ravie d’avoir fait votre connaissance.