Ainsi volent les feuilles au vent quand vient l'Hiver... [Ring]

Le vent froid cingla son visage comme il sortait de la tente de commandement. Les choses allaient mal sur le Front. Bien sûr, elles auraient pu être pires. Ils tenaient toujours plus ou moins la Portes de l'Anaëh. Mais à long terme, il savait que les choses dégénéreraient. Leur mode d'action était trop réactif. Ils contraient efficacement les assauts, mais ils ne faisaient que contrer. La dernière initiative devait remonter à cette attaque sur les avants-postes drows. Fort heureusement, la Haute-Prêtresse des Nuisances n'avait pas eu l'occasion de faire trop de dégât sur le lac à l'automne.

Ce qu'il déplorait le plus, c'était de devoir partir maintenant. La dernière attaque imprévisible de cette bande de fanatique avait porté un coup à leur moral et à la forêt. Par la même, la collaboration avec les Noss en avait souffert, malgré le coté inexorable de la chose. Même les meilleurs stratèges ne peuvent prédire les mouvements d'une bande d'exaltés avare de destruction. Et maintenant, voilà qu'il devait bouger au Nord, emportant plus de la moitié de ses troupes avec lui. Si il le regrettait, il sentait bien qu'il avait grand besoin de s'éloigner.

La Symphonie était devenue mauvaise ici. Il ressentait de plus en plus de rage en lui et le deuil ne laissait plus place qu'à la vengeance. Ce n'était pas bon... Et il faudrait qu'il en avertisse les hautes sphères en temps voulu. Mais pour le moment, cette rage galvanisait les troupes, donc il préférait ne rien dire. Et puis, c'était l'hiver, et l'avènement de cette saison le laissait toujours un peu meurtris. Sa magie fluctuait avec les saisons et celle-là était bien la pire. Sa jambe le lançait à nouveau, les douleurs habituelles amplifiée par le froid qui réveillait les courbatures de l'âge. Ses genoux l'avaient peut-être porté trop longtemps.

Il monta en selle et sangla le lierre autour de sa jambe endolorie. Sa cape blanche rehaussée d'une courte pèlerine en fourrure battit dans l'air frais du matin de cette quatrième semaine de Verimios. A Malereg, il avait certainement dû neiger. Le voyage n'en serait que plus ardu. Quelle idée que la menace se déplace vers le Nord, à croire que l'Elda n'avait pas de limite à sa force. A moins qu'elle ne vienne d'ailleurs... Sa plus grosse crainte avait été que le VIième Ost se reforme et vienne en aide au Puy. Même si cela était hautement improbable, il préférait y songer tout de même.

D'un signe de tête, il signifia à sa garde qu'il était prêt. Le lieutenant sonna le départ et la colonne se mit en route, lui et la Garde d'Ébène en tête. Il était encadré de deux étendards représentant la feuille d'or entourée de l'ondée sur un fond de lumière et entouré d'une bonne vingtaine de cavalier à l'armure noire terrée dans un mutisme prodigieux. Sa magie était faible, il était désormais presque sans défense face à une attaque. Mais la fin ne viendrait pas à lui si facilement, ça faisait trop longtemps qu'elle faisait la sourde oreille à ses appels, Tari ne répondrait certainement pas à un nouveau supplique...

Spoiler:

Il fit signe aux hommes de continuer leur marche. Il fallait dégager l'entrée du camp pour les nouveaux arrivants. Lorsqu'un cavalier s'avança accompagné du porte-étendard d'Eterniril, Timérion ordonna qu'on leur cède le passage à l'intérieur du cercle rapproché de sa garde. Ces renforts étaient suffisamment espérés avec l'hiver que pour en froisser le meneur... ou plutôt la meneuse. Elle lui rappelait une des Elfes qu'il avait rencontré au conseil d'Eterniril lorsqu'il était venu leur annoncer la décision de Dyarque d'envoyer l'armée royale combattre au Sud. Il était agréable de voir qu'ils avaient fini par envoyer des renforts eux aussi.

Mais la nouvelle n'était pas suffisamment bonne pour lui arracher même l'ombre d'un sourire. Il était las, las de cette guerre, las d'être empêtrer sempiternellement. Les stratèges du poste de commandement étaient tous de très bon niveau, il ne leur enlevait pas mais ils ne savaient que défendre tenacement le terrain. Lui était persuadé qu'il fallait porter la guerre au Drow plutôt que de tenir face à leurs assauts. Mais il ne tenait pas à se relancer dans ce genre de débat, aujourd'hui, le temps pesait sur ses épaules et Tari semblait l'appeler de toutes sa volonté. Et pourtant, son devoir lui interdisait de quitter ce monde. Au final, déchiré, il ne lui restait pour se raccrocher que le souvenir de la ténacité de son épouse et celui d'un jeune Elfe qui l'attendait encore à Malereg pour recevoir ses enseignements.

"Que la Mère bénisse notre rencontre, Dame d'Eterniril. Je suis heureux de voir que vos paires ont enfin convenu d'envoyer de l'aide à Ardamir. Mais si je vois que vous sembler me connaître, je n'ai pas pour ma part eu le plaisir de vous avoir été présenté..."

Parler de bonheur et de plaisir sur un ton d'enterrement pareil frôlait le cynisme, voire le mauvais goût pour certain. Il n'était nullement heureux, il ne ressentait aucun plaisir et il n'en ressentirait plus jamais vraiment, c'était ainsi. Son bonheur à lui s'était éteint au pied des portes d'Aléandir il y a plusieurs siècle de cela. Tout au plus la vision des troupes d'Eterniril lui arracherait la satisfaction de voir les Elfes travailler ensemble et de se dire qu'il ne serait bientôt plus nécessaire pour lui de errer sur Miradelphia.

Et comme un écho à ses pensées morbide, la Symphonie sinistre semblait sombrer dans l'asténie et le sommeil. C'était l'hiver, les arbres se reposaient, ou du moins devenaient-ils taciturnes et se contentaient de murmures sombres et haineux. Ce coté de la forêt finirait par ressembler à Aduram si la guerre s'éternisait, et il ne donnait pas cher de la raison des combattants elfes qui y étaient massés. Oui, décidément, il faudrait qu'il en entretienne le Roi et l'Académie. Cela pourrait leur poser problème à un terme peut-être moins loin qu'il ne l'avait jugé de prime abord...

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Eterniril... Il se souvenait des palais de cristal, des armées et des bannières étincelantes. Il se rappelait l'art du secret, des autorisations multiples et des protocoles à n'en plus finir. Au sein des cités, le temps semble figé, au sein d'Eterniril, lui s'était déjà demandé lors de ses rares visites si il n'allait pas à rebours tant son passage se faisait désirer. Il se souvint qu'il n'avait pas aimer les Elfes de cet endroit au premier abord, et il se rappela que lors de son second, il n'avait pas éprouvé beaucoup plus de sympathie. Des Citadins pour la plupart qui n'entendaient rien à la symphonie majestueuse d'Anaëh et à sa vraie vie. Mais bien loin des souvenirs et des sentiments, se trouvait le présent, de plus en plus insignifiant au fil des siècles et des épreuves. Et il y avait surtout les convenances et la politique, éternelle politique...

Il ne répondrait pas au sourire de son interlocutrice, il ne répondait déjà pas souvent à ce genre de manifestation de joie gratuite. Lui ne pouvait plus ressentir la joie, ou du moins c'était ce dont il était persuadé. Les jours, les semaines ou peu importe passés sur le front avait enlevé le peu de volonté qu'il avait encore à retrousser la commissure de ses lèvres. Son esprit était brouillé de chagrin et de colère, pas vraiment la sienne. Elle, elle était sourde, lancinante et diffuse, comme un monstre marin qui sillonne les eaux de l'esprit juste en dessous de la conscience et qui se manifeste de temps à autre. Non, celle qui emplissait son esprit ne venait pas de lui, elle venait de la forêt elle-même. Et c'était peut-être cela, le plus triste.

La Symphonie avait toujours soutenu le Seigneur Protecteur. Aujourd'hui, elle avait besoin d'être soutenue, et lui en était incapable. Il avait beau avoir le moyen de diffuser son sentiment et de le communiquer, de l'imposer à la Prime Forêt, il ne l'apaiserait pas. Tout au plus lui fournirait-il l'illusion d'un bien être inexistant, la distrayant du drame un instant avant de l'y replonger plus profondément encore. Cela ne valait pas la peine de s'attirer les foudres de la Blanche pour si peu. Non, mieux valait s'éloigner et revenir lorsque le besoin s'en ferait sentir ou lorsqu'il aurait enfin le moyen de soulager ses Frères-Arbres.

"Oui, j'ai vaguement le souvenir de vous avoir vu lorsque je me suis adressé à votre conseil. Les décennies passant, ma mémoire des visage s'amenuise. Il y a tellement de regard qui jalonnent mon esprit, de ceux qui vivent encore, de ceux que j'ai revu, de ceux que je ne reverrai pas ou de ceux qui sont morts, bien nombreux sont ceux-là. Il devient difficile d'en fixer de nouveau. Vous arrivez vraiment à point nommé pour le moral des troupes. De nouveaux arrivants alors que d'autres s'en vont...

Vous l'aurez compris, nous ne restons pas. Ma cité m'attend, je l'ai laissé trop longtemps de coté et l'extension vers le Nord avec l'agitation dans les royaumes humains me font prévoir que je dois me replier sur le Nord. Assurément, je reviendrai. Mais l'absence de mes troupes ne va pas s'amenuiser peu importe le nombre de mots que j'ajoute. Puis je vous demander ce qui vient de l'Est? Quelle contribution apporte Eterniril au front?"

Un courant d'air s'engouffra dans sa cape blanche, la faisant mollement onduler et pliant la fourrure au gré de son souffle. L'hiver ne leur laisserait aucun répit. Les Drows n'étaient pas les hommes, ni même les nains. Le froid ne leur faisait pas peur. Et les conditions climatiques n'étaient pas assez rudes que pour réellement modifier leur stratégie, tout au plus influer sur leur tactique. La donne avait modifié le rôle du Noeud d'Ellyrion, d'épine dans le pied, il était devenu une défense cruciale. Il était leur plus grande protection contre les sorciers de guerre des Sombres. Il détestait vraiment la tournure des événements, il leur fallait reprendre la main...

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