Quand coeur meurtri rencontre souvenirs du passé. (PV)

Oschide fut dubitatif lorsqu’Angelina aborda des points pour le moins sensible. Il avait l’impression de s’immiscer dans sa vie alors qu’ils ne se connaissaient que depuis quelques heures seulement, et pourtant, il aurait pu l’écouter parler sans s’arrêter. La voix de la jeune femme l’apaisait même si ce qu’elle disait était sombre et mélancolique. Ce qu’il manquait à cette femme était de l’espoir. Retrouver sa cousine Ambre était sa mission alors autant faire en sorte qu’elle y parvienne et qu’elle retrouve de l’espérance. Elle lui avait proposé son aide, mais Oschide ne voulait pas qu’elle cesse sa quête pour lui. Non, elle devait continuer sa route et garder une lueur d’espoir. Du moins, après qu’ils réussissent à se sortir indemne de cette pagaille.

« Votre aide me serait sans aucun doute ce qui pourrait me faire le plus plaisir, mais vous devez continuer à chercher votre cousine », dit-il d’une voix sûre, « Après ce que nous avons vécus ce soir, nous sommes surement les deux mieux placés pour raconter ce qui s’est passés et alerter l’opinion. Mais je crois que vos recherches sont aussi importantes, ce pourquoi j’aimerais à mon tour vous proposer mon aide ».

La nuit se faisait moins noire, on pouvait apercevoir quelques faibles rayons lumineux transpercer les innombrables vitraux du temple. Dans quelques heures, il leur faudrait tenter de s’enfuir et se séparer serait surement la meilleure chose à faire, il le savait. Les gardes devaient rechercher un jeune homme et une jeune femme ensemble, il n’y avait donc pas d’hypothèse à se faire sur les chances qu’ils avaient de se faire pincer s’ils étaient ensemble.

« Le jour se lève, il sera bientôt l’heure de partir. Il nous faudra nous séparer pour éviter d’attirer l’attention ».

Son regard se porta sur les personnes qui dormaient toujours. Même le prêtre avait fini par sombrer dans ses rêves. Il n’y avait plus que lui et la jeune femme, si elle voulait lui dire quelque chose d’important, le moment était venu.

« J’espère du fond de mon cœur que vous retrouverez Ambre. Et si je peux vous fournir mon aide, n’hésitez pas une seule seconde à me demander. Ma famille a de l’argent et je suis sûr que mon père ne verra aucun mal à ce que son fils lui en emprunte pour vous aider dans votre quête. J’en mettrais ma main à couper ».

De l’argent, effectivement sa famille en possédait. Mais avec les événements qui s’annonçaient, les caisses se videraient non sans mal.  Sauf qu’il ne voyait pas comment aider autrement la jeune femme dans sa quête. Il ne savait absolument pas ou se trouvait Ambre, à vrai dire, il n’en avait à peine qu’un vague souvenir. Angelina voyageait seul, cela ne servait donc à rien également de lui mettre dans les pattes plusieurs gardes pour assurer sa sécurité. Après ce qu’il avait vu, elle se défendait très bien toute seule. Maintenant, il n’attendait plus qu'une réponse pour savoir comment se rendre utile.

Le jeune homme avait essayé de retenir tout ce que lui avait dit Angelina. Il devait donc envoyer quelqu’un au manoir Solaria ou une femme dénommée Agnès, une cuisinière. Celle-ci devait donc lui donner des effets personnels à elle pour qu’il les revende à son tour. La tâche était simple et peu périlleuse. De cette façon, Angelina pouvait garder ses distances avec sa famille et continuer ses recherches grâce à l’argent qu’il lui redonnerait. Il n’y avait aucune raison pour qu’il n’accepte pas. A part peut-être si des gardes venaient à les trouver et à les tuer. Oschide fit un simple hochement de tête comme pour acquiescer.

« Je le ferais, je vous le promets »

Mais comment pouvait-il savoir quel était le lieu pour mener la transaction. La jeune femme ne lui avait pas encore dit.

« Connaissez-vous l’auberge des trois collines sur la grande route qui relie Soltariel à Ydril. C’est un endroit de passage ou personne ne s’attarde très longtemps. On peut y déposer des choses pour que d’autres les récupère, et cela sans que ça se sache. Je pense que c’est le meilleur endroit pour pouvoir déposer l’argent, qu’en dites-vous ? ».

Il connaissait cet endroit pour y être allé quelque fois. Lorsqu’il était avec son oncle deux ans auparavant, il s’y était arrêté lors d’une visite à Ydril. Il avait alors pu voir des choses qui s’apparentaient à peu près à ce qu’ils comptaient faire tous les deux. Cependant, une chose l’arrêta dans sa réflexion. Comment pourrait-il faire pour savoir si l’argent a bien été reçu ? Si Angelina venait à mourir, il ne pourrait le savoir. L’idée d’établir une vague correspondance traversa ses pensées.

« Promettez-moi de m’écrire pour me dire si vous avez reçu l’argent. Promettez le moi ? Vous me direz alors où en sont vos recherches. Vous me ferez part de vos projets, de vos déceptions, de vos peines… », dit-il en pensant à ce qu’il vivait présentement, « Je ne sais comment je pourrais vous aider si je vous sais disparu ou pire… Mais sur mon honneur, je m’y obligerais si c’est cela que vous me demandez ».

Sa promesse était lourde, mais il savait ce qu’il faisait. Le marché lui semblait équitable et c’était là le principal. A côté d’eux, les réfugiés commençaient à se réveiller petit à petit. Tous avaient les visages marqués, fatigués et effrayés. Même si la tension était quelque peu descendue. Seuls les dieux savaient ce qui les attendrait en dehors. Mais il fallait tenter le coup. Oschide avait la conviction qu’après tout cela, il ne pourrait plus rien lui arriver. A lui comme à Angelina. Tous deux survivants d’un massacre sanguinaire.

Voyant qu’il leur faudrait partir assez vite, Oschide fixa la jeune femme dans les yeux pour quérir une réponse. Il y avait tant d’autres questions qu’il aurait voulu lui poser, notamment sur ce qu’il avait vu dans la soirée, ces guérisons miraculeuses qui semblaient être aussi des malédictions pour Angelina. Ils auraient pu se parler encore des heures entière se dit-il. Et si elle acceptait de lui envoyer des lettres, alors il pourrait continuer leur conversation. Sauf qu’il n’y aurait qu’elle qui lui parlerait. Mais un jour, Oschide en était convaincu, ils se reverraient.

Les derniers mots d'Angelina résonnaient encore dans son esprit. Ses yeux avaient heurté les siens, non plus de la façon qu'elle l'avait regardé lors de leur bousculade dans la petite ruelle d'Ydril un peu plus tôt. Mais cette fois-ci, les yeux de la jeune femme l'avaient véritablement touché. Elle lui avait fait promettre de ne jamais lui écrire, mais s'y tiendrait-il ? Il y avait tellement eu de bonté et de gentillesse chez cette jeune femme. Mais il y avait eu aussi tellement de tristesse et de mélancolie lorsqu'elle lui avait raconté sa vie passée.

Sans dire un mot de plus, elle était partie doucement avec les premiers réfugiés. Oschide l'avait regardé s'éloigner sans savoir si leurs chemins se recroiseraient. Il n'en avait aucune certitude. Il n'y avait plus que les promesses qui pourraient les rapprocher de nouveaux. Et cela, il ne l'oublierait pas. Elle lui avait ouvert l'esprit sur sa condition. Lui avait rappelé son serment et fait de lui une personne qu'il n'aurait jamais pu prétendre d'être. Leur rencontre n'avait duré qu'un court moment dans la vie d'un homme, mais à quel point marquant.

Alors qu'elle franchissait la grande porte du temple, il l'a regardait encore. Au milieu des personnes qu'ils avaient sauvées, elle s'enfonçait dans la masse. Il pouvait alors encore ressentir le baiser qu'il avait reçu sur la joue et se tenait droit en plein milieu du temple. Avant qu'il ne la voie disparaître, Oschide décida de briser le silence qui l'avait maintenu.

« Je vous le promets, sur ma vie ! »

Voilà qu'il était de nouveau seul. Seul dans l'immense temple de Néera qui leur avait servi de refuge et le seul à savoir s'il survivrait ou non. Alors qu'il s'apprêtait à partir à son tour, ses pensées étaient toujours rivées vers Angelina. Étrangement, il avait le pressentiment que plus rien ne pourrait lui arriver. Peut-être avait-il l'impression que la jeune femme reviendrait l'aider s'il lui arrivait le moindre mal. Mais non, cela n'était plus possible. Elle n'était plus dans aucune des ruelles.

Non, il n'y avait même plus personne dans les ruelles. Une ambiance de mort planait encore sur Ydril. Les pavés étaient éclaboussés de sang et parsemés de corps inertes. Tyra s'était abattu sur la cité et n'avait eu l'ai d'épargner personne... sauf eux. Tandis qu'il marchait emmitouflé dans le long manteau à capuche déchiré, il croisa des mères pleurant leurs enfants morts, des pères pleurant leurs fils et des enfants vraisemblablement abandonnés. Oschide tenta alors de s'imaginer la réaction qu'avait du ressentir Angelina à la vision de telles atrocités.

A sa grande surprise, les portes étaient de la cité étaient ouvertes, mais un barrage de gardes sélectionnaient les sortants. Non loin à côté, il revit le jeune garçon qu'il avait sauvé la veille sur la grande place. Celui-ci s'était attiré les foudres de quelques hommes encore en soif de sang. Sans essayer de protester, Oschide vint se mettre au niveau de l'enfant et lui prit la main tout en continuant à fixer ces démons dans leurs yeux. Le garçon laissa sa main aller dans la sienne et lui adressa de nouveau le même regard qu'il lui avait alors donné la veille.

« Maintenant, nous partons », dit-il les yeux remplis de colères et à la fois de peines.

Les gardes ne firent rien de plus que de les regarder s'en aller calmement. Son audace avait payé une fois de plus et il repensa subitement à Angelina. Qu'aurait-elle dit si elle l'avait vu une nouvelle fois venir en aide à cet enfant. Mais sa promesse commençait dès maintenant, il n'avait plus besoin d'elle pour sauver ces gens. A partir de ce moment, il n'aurait de cesse de se battre pour remplir son devoir et accomplir son serment. Et pourtant, alors qu'il franchissait la grande porte d'Ydril, un sentiment de douleur s'empara de lui. De la douleur mêlée néanmoins à de la joie, celle de se demander s'il la reverrait un jour. Au loin devant lui se trouvait la liberté et au loin également, se trouvait son devoir.