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 Le souffle d'un royaume

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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Le souffle d'un royaume   Le souffle d'un royaume I_icon_minitimeMer 2 Avr 2014 - 16:08

C’était une journée comme les autres. Comme les autres depuis que le royaume s’était entredéchiré pour se reformer dans le silence. Les anciennes inimitiés, gardées secrètes ; les rages, étouffées. Le château de Diantra s’en était retrouvé plombé. Les dignitaires se faisant rares, les couloirs restaient vides et les pages attendaient des ordres, aussi bas soient-ils, comme leur salut. La régente s’était recluse, sortant de temps à autres, écoutant les doléances, n’agissant que par devoir et non plus par loisir. Cléophas avait naguère posé ses yeux sur ce château fourmillant de personnages tous plus colorés les uns que les autres. Maintenant, du haut de sa tour il n’apercevait que le soleil brûlant le pavé et les vignes gagnant du terrain sur les murailles qu’avaient désertées les gardes pour se réfugier dans les tours.
Les rapports des agents de la Couronne étaient vides. Cléophas y voyait la péninsule se tasser sur ses talons, les nobliaux se contentant de chasser et de tenir de maigres festins auxquels personne ne venait plus. Eventuellement, le chancelier décida de rappeler ceux qu’il avait envoyés dans les marches septentrionales du royaume, puisque aucune activité n’y était plus décelée. Plongée dans une profonde torpeur, la péninsule semblait attendre. Mais quoi ? Le commerce extérieur maigrissait à mesure que les ducs et les comtes s’enfermaient dans leurs lopins de terre et l’intérieur, s’il bénéficiait de routes désormais sûres, peinait à redécoller. Les guerres finies, on voyait les casernes remplies d’une soldatesque vautrée dans l’ennui, le vin et la graisse et les arsenaux garder des navires qui ne goûteraient jamais à la morsure du feu de Pharet et des harpons.

Telle, la péninsule. Et ceux qui y vivaient.

Comme un dragon couvant son trésor, Cléophas observait cette colline de roche vivoter au rythme des marchés et des prières et songeait à sa patrie, Merval, qui en cet instant lui paraissait si lointaine. On lui en disait du bien, les chantiers qu’il avait entrepris lors de sa montée sur le trône touchaient à sa fin, la baronnie se relevant des années de la sorcière, années bannies des calendriers mervalois et dont les marchands ne parlaient qu’avec une amertume à peine dissimulée.

Un garçon débarqua dans l’office. C’était un jeune page, rien d’étonnant puisqu’ils étaient les seuls à être restés dans le château. Il avait apporté à Cléophas un plateau de dattes et de la glace. Parce qu’il n’avait rien d’autre à faire, le chancelier accepta de bonne grâce. Comme il le faisait chaque jour depuis plusieurs mois… Un jour, se disait-il, je lâcherai ces fruits du démon. Mais pas aujourd’hui, aujourd’hui il fait chaud. Sauf qu’il faisait toujours chaud à Diantra et que le chancelier refusait qu’on lui apportât de la glace sans quelques dattes pour en tempérer la froideur. Dans l’obscurité de ses chambres, Cléophas regardait souvent son corps nu, comme pour constater l’irréparable morsure du temps et dans l’intimité il admettait regretter ces temps d’insouciance où il ne faisait qu’aller de cour en cour, les parchemins sous le bras. Ce temps où la péninsule ne représentait encore rien à ses yeux, ce temps où l’enfant non-encore né n’est pas devenu une source d’inquiétude pour son parent. Tous les temps sont révolus en même temps qu’ils se mettent à exister.

Une cloche sonna dans les couloirs : Cléophas devait rendre son jugement au sujet d’une affaire mineure. D’ordinaire il n’y assistait pas. Diantra comptait suffisamment de procureurs, de juges, de baillis, de greffiers pour que le chancelier n’ait pas à s’y intéresser mais là…tout était devenu si lent. Le conseil royal ne se résumait plus qu’à Cléophas et la régente, les autres grands officiers s’en étant retournés dans leurs terres ou abandonné leurs offices. Il n’y avait plus de lois à écrire, ni à modifier. Rien. Alors Cléophas endossa les robes de la magistrature et descendit dans les chambres de justice pour décider du sort d’un bagarreur des rues. Le jugement fut rendu rapidement. L’homme n’eut aucun membre coupé, mais alla servir dans les galères. C’était là la grande absurdité de ce royaume au ralenti : les seules galères qui essaimaient l’Olienne le faisaient pour garder quelques prisonniers loin de la cité.

Éventuellement, lorsqu’il revint au Palais par la route qui montait, il lorgna les coupoles et les vitraux éteints. La salle du trône était vide. Plus d’enfant-roi braillard, ni de veuve-régente éplorée. Juste un fauteuil qui prenait la poussière sous un dais qui n’attendait qu’à se coucher. Les regalia, proprement rangées dans une salle annexe attendaient la venue d’un autre Roi. Le royaume attendait un nouveau souffle. Comme il aurait été facile de les saisir, là, pendant que personne ne regardait…


C’est ce qu’il fit.


L’espace d’une seconde, le sceptre entre les mains, Cléophas avait imaginé le renouveau d’un empire, irrigué d’un sang nouveau, de familles nouvelles. Il avait imaginé une péninsule ré-unie gravitant autour d’une Diantra de nouveau resplendissant. L’espace d’une seconde seulement car le sceptre en place, tout s’éteignit soudain. Dans l’ombre de cette chambre, dans la fugacité de cette seconde, la péninsule était redevenue la grande lumière de Miradelphia…
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MessageSujet: Re: Le souffle d'un royaume   Le souffle d'un royaume I_icon_minitimeMer 2 Avr 2014 - 19:32


« Je ne veux pas d’un royaume malade ».

La lettre se finissait par ces mots. « Envoyez-là dans toute la péninsule, qu’elle irrigue toutes les cours, que pas un serf ne meure sans avoir lu ces mots. C’est clair ? ». Le messager acquiesça. Les scribes avaient déjà rédigé plusieurs copies du manuscrit de Cléophas. La cire chauffa toute la nuit, les sceaux s’abattirent toute la matinée. Paradoxalement, c’était en se vidant que le château reprenait vie. Les tours toisaient une Diantra dubitative devant ce défilé incessant de montures, toutes les portes étaient ouvertes, les rues se vidaient et partout dans les places on placardait : VIENT L’ÈRE NOUVELLE !

Concrètement, personne ne savait de quoi il s’agissait, c’était donc sans étonnement que le peuple n’en arrêta pas pour autant de teindre le linge et de crier son poisson. Mais dans les couloirs de Diantra, on pouvait nettement se douter de quoi il s’agissait. Cela faisait si longtemps que l’on n’avait eu de nouvelles de la régente, ses propres dames de compagnie confiaient ne plus entrer dans ses appartements. C’était bien cette étincelle qui ralluma la flamme diantraise. La flamme de ceux qui servent la Couronne avec entrain. La flamme de ceux qui voulaient ce royaume, comme le phœnix, rejaillir de ses cendres. Ce petit rien, ces quelques mots susurrés de la bouche d’une femme « On ne l’a plus vue messire », ils suffirent à faire s’embraser ce qui semblait être un tas de bois mouillé. La ruine qu’était le château de Diantra n’était pas certaine de se relever, mais il y en avait un qui prenait le risque. Quitte ou double. Cela ne fera de mal à personne, se dit-il. Après tout, pouvait-on pleurer de la résurrection d’un mort ? Ils l’avaient acclamé, l’homme divin qui était sorti de sa tombe, trois fois. Ils l’acclameraient bien celui-là.

Il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours, sa vision toujours aussi claire que lorsqu’il l’avait reçue. Il en était persuadé, ce sceptre était tout droit forgé de la main des Dieux et il donnait des visions à ceux qui s’en emparaient. Voilà pourquoi le Roi Trystan serait devenu aveugle ? Voilà pourquoi la Régente s’était enfoncée dans le deuil ? Voilà pourquoi l’Ivrey s’était repu de massacres ? Ce sceptre n'était que le porteur d'un pouvoir séculaire, il portait toute une ligne de rois, autant d’âmes et d'enfants des Dieux places sur un trône aussi branlant que leur esprit. Une fièvre avait pris Cléophas, aussi ses chambres étaient-elles noyées dans les encens, mais il lui paraissait à ce moment précis que son esprit n'avait jamais été aussi clair. Dieux ! Il avait vu la péninsule dans sa virginité merveilleuse, il avait vu la bataille d'Alonna et celles de Diantra, il avait vu la guerre d'Ydril et la paix de Trystan, il avait vu s'opposer la Régence aux rois pentiens ; son époque et celle des pharétans. Dans tout ce tumulte ou se confondaient le passe et l'avenir, il avait senti la paix. Il avait vu la paix. Derrière un grand écran de brume, il avait entrevu un soleil rouge venant de l'est irradier la péninsule de sa chaleur. Il avait vu les champs stériles reverdir sous l'action de ces rayons pourpres. Il avait vu le royaume sous forme d'oiseau s'élancer dans les bras de Néera-aux-blanches-ailes ! Il en était certain : ce qu'il faisait était la bonne chose. Il fallait mettre un terme à des années de stagnation et d'aveuglement. Une fois pour toutes rayer ce temps de chuchotements pour entamer celui de l'acclamation. Comme l'on se vide le sang pour s'en créer un meilleur...

Personne n'avait osé le contredire. Personne n'avait souhaité lui résister. Quand le mot se répandit de ce qu'il avait fait, on pouvait lire dans les yeux des courtisans comme une nouvelle flamme et dans leur bouche comme un air nouveau remplir leurs poumons. Point de sourires, mais juste un clignement d'œil ici, une lèvre retroussée par la : ces signes suffisaient. Oui, ils suffisaient bien après toute une ère de morosité et d’alanguissement sans but. On rapporta ces nouvelles à Cléophas qui agonisait dans sa couche et en les entendant, il jubila. En lui une flamme montait, si forte qu'elle léchait la paroi interne de tous ses organes. Son foie et sa rate et ses reins hurlaient a la mort mais sur ses lèvres bleues on lisait le sourire de l'homme qui avait gagné.

Autour de lui, les docteurs et les prêtres avaient pris les dernières dispositions : on l'avait saigne et purge pensant évacuer le mal ; on versait sur lui l'huile et les cendres pensant le délivrer du démon. On récitait des litanies du soir au matin, on implorait la miséricorde de la Damedieu. En vain, pensait le chancelier qui regardait dans les yeux ses dernières heures s'approcher. Sa sérénité contrastait avec l'angoisse de ceux qui l'entouraient. Le mal s'était propage si subitement, sans raison apparente. Nul ne comprenait ce qui se passait, nul ne comprenait ce sourire du chancelier. Ce sourire qu'il avait arboré toute sa vie, l'on aurait pensé qu'il l'aurait abandonné dans sa mort ne serait-ce que pour s'amender de ses intrigues qui avaient causé tant de maux parmi les Hommes.

Mais non. Le chancelier resterait énigmatique, il l'avait décidé. Sans doute, ses muscles s'étaient-ils simplement crispes, mais ça personne n'était en mesure de le dire. L'assemblée de doyens finit par se taire, constatant la finitude de leurs outils et se prirent à contempler l'œuvre de la Vie. De la Vie lorsqu'elle se retire. On sentait roder la Damedieu, de plus en plus près, on la sentait qui trépignait a l'idée d'accueillir un homme de plus entre ses bras mais étrangement...elle aussi attendait ; à l'image de ce royaume qu'on lui avait dédié. D'entre les docteurs en serge noir et les prêtres vêtus de soie verte se dessinait sa silhouette, évanescente, intrigante.
Deux yeux flottaient au milieu d'un visage taille dans la lumière, deux grands orbites vides d'yeux mais pleins de tout ce que le monde avait vu et à voir. Cléophas leva la main vers celle que personne ne pouvait voir et il se mit à parler...

Mais personne ne comprit ce qu'il avait dit. On soupçonna qu'il était entre dans la démence et on se contenta de le regarder l'air apitoyé. Pourtant il ne démordait pas car en lui, ce n'était pas des babillements mais de véritables antiennes qui résonnaient à la hauteur de sa révélation. Eventuellement, ses balbutiements finirent. On ne sut vraiment s'il était mort ou s'il vivait encore, nul n'osait s'approcher de son corps. Il respirait la sérénité. Il respirait la paix. Eux, les vivants, arboraient le masque de la mort. Mais lui...lui semblait enfin avoir pris gout à la vie.

"Maintenant, tu peux me laisser m'en aller. La paix couvre mon départ, la paix que j'ai vue dans ce que tu prépares pour les Hommes. Laisse-moi reposer ma Mère, dans la douceur de tes seins car je ne te crains pas."
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