Voyage de retour [Johann]

La nuit était tombée depuis quelques heures quand j’arrivais enfin dans un petit village situé au sud d’Odélian. La journée avait été longue et mon cheval trainait la patte. La vision d’une écurie confortable lui donna un sursaut d’énergie et il franchit les portes de la grange en hennissant de plaisir. Un jeune palefrenier apparut alors, il était dans le grenier à fourrage et observait la scène dans haut. Il devait sûrement être étonné de voir une femme seule à une heure aussi tardive, aussi fût-il en bas en quelques secondes.

- B’jour M’dame. Laissez moi votre cheval je vais le bichonner vous allez voir. Il doit rester des chambres, vous devriez allée vous mettre au chaud…. Oh…euh… vous voulez peut-être que je vous accompagne.

Visiblement le jeune homme avait croisé mon regard voilé. J’adressais un fin sourire à l’ombre que je voyais devant moi et hochait la tête. Mon fils profita de ce moment pour pousser un cri d’agacement. Ce voyage était déjà trop long pour un bambin de son âge. Plus d’un mois et demi était passé depuis sa naissance, il gazouillait gaiement habituellement, mais la longue journée de voyage avait fini par l’agacer. J'attrapais mon sac de voyage d'une main, et calait mon fils dans l'autre bras. Jouer avec mes boucles brunes occupa immédiatement son attention

- Ca doit pas être simple de vous occuper d’lui M’dame. Ma sœur pourra vous donner un coup d’main. Elle a déjà deux gosses.

Très naturellement, l’adolescent me prit le coude et m’entraîna derrière lui, lentement, vers la porte de l’auberge. L’endroit était chaud et bruyant malgré l’heure. Plusieurs regards se tournèrent vers l’entrée mais je ne représentais aucun intérêt pour la plupart et ma capuche devait masquer mon visage.

- Peux-tu m’indiquer une table un peu à l’écart ?

J’aurais pu aisément en trouver une toute seule, mais il était étrange qu’une non-voyante se déplace avec aisance. J’aurais attiré l’attention et ce n’était absolument pas mon but. Je me retrouvais bientôt assise devant une table, mon sac de voyage posé sur le banc à côté de moi et mon fils assis sur mes genoux. L’ambiance qui régnait dans la pièce avait attiré sa curiosité et je le sentais gigoter dans tous les sens pour regarder partout autour de lui. Parfois lorsqu’Elle était de bonne humeur, la Déesse me montrait son visage. Je le voyais grandir, même si ce n’était que quelques images par-ci par-là.

L’aubergiste s’approcha et posa devant moi un verre de lait tiède.

- C’est pour le petit. Il a l’air affamé. Vous prendrez une chambre ?
- S’il vous en reste une oui. Et un repas également.
- Pas de problème. Je vous envoie ma fille, elle peut s’occuper de votre marmot si vous voulez.
- Ce ne sera pas la peine. En revanche je veux bien que quelqu’un monte un peu d’eau chaude dans la chambre. Merci.

L’homme s’éloigna et je retournais mon attention sur mon fils. D’une main je repoussais ma capuche et retirait ma cape. Il faisait bon dans la pièce, je devais me trouver non loin du feu, une agréable sensation de chaud se répandit dans tout mon corps jusqu’à réchauffer mes os glacés.
Une femme s’installa à côté de moi. Sûrement la fille de l’aubergiste. Elle se mit à parler sans interruption, à croire qu’elle n’avait pas besoin de respirer, elle me prit mon fils des mains et s’occupa de lui faire boire son lait pendant que je mangeais mon assiette. Je n’avais pas eu voix au chapitre et je l’écoutais parler de ses enfants, du beau bébé que j’avais là et de son désir de partir sur les routes.

- Vous êtes sacrément courageuse de partir sur les routes seule et dans votre situation. C’est pas une vie pour votre bébé vous savez. Il va bien falloir vous poser quelque part. Ah ! Mais vous y allez sûrement n’est-ce pas ?

« -Tu aurais du te rendre dans un temple comme je te l’avais conseillé…
- Je n’avais pas envie d’être reconnue. Et puis c’est vous qui voulez que je regagne l’Erac discrètement…
- Tiens une connaissance ! Comme le Destin est amusant ! »

Sur cette phrase énigmatique je replongeais dans le flot incessant des paroles de la jeune femme. J’avais complètement perdue le fil et je n’arrêtais pas de me demander qui était cette fameuse connaissance ? Quelqu’un qui aurait été capable de me reconnaître ?
En douceur je récupérais mon fils sur mes genoux et remerciais la jeune femme d’un sourire entendu. J’avais longtemps voulu appeler mon fils Loïs, comme mon défunt frère, mais le jour de sa naissance Néera avait murmuré à mon oreille un autre prénom. Pour quelle raison avait-elle voulu le baptiser Elyan je n’en avais pas la moindre idée, en tout cas j’avais cédé à ce nouveau caprice. Après tout c’était un joli prénom.

« - Dois-je m’inquiéter de la présence de cette… Connaissance ? »

Et évidemment comme toujours, je n’ai pas eu la réponse à ma question. Cela semblait beaucoup amuser Néera. Et bien soit...

L'animation des villes humaines lui avait tout de même manqué, les dragueurs invétérés qui cherchaient une compagne pour la nuit, les poivrots et autres alcooliques, les joueurs de cartes et d'autres jeux de hasard ou les boissons coulaient à flot. Les jeux de hasard... Ce genre de petites choses lui avaient manqué, être une femme avait ses inconvénients sur ce genre de tablées, rares étaient celles qui osaient offrir un siège pour jouer ces derniers ne préférant la compagnie que de celles qui écartent leurs cuisses. Mais parfois un peu de "diplomatie" aidait les gens à comprendre qu'elle n'était pas ce genre de "femelle" et que celui dont elle avait broyé les noix à l'aide de son genoux pouvait aller se rhabiller, libérant ainsi un siège. Une fois le petit jeu de qui a la plus grosse passé, c'était celui qui plumerait l'autre ou qui tricherait le mieux. Le jeu favoris de certains était également d'attraper les tricheurs, l'histoire de faire leur sport nocturne en faisant voler les poings et autres baffes à travers la figure du déclaré coupable qui subirait la justice populaire ! Un jeu amusant et se répétant souvent surtout dans les auberges ou il y avait du passage.

La partie s'était bien engagée, chacun récupérant et posant ses cartes en fonction du jeu et des gains. Un peu de stratégie et de chance dans ce monde de brute laissant autant de chance à l'un comme à l'autre. Plus à celui qui savait tout de même lire le jeu et déterminer ce qui pouvait rester dans ce dernier et tirer son épingle du jeu. Les parties étaient allées de victoires en défaites et de défaites en victoire. Le tricheur ne semblant pas vraiment de sortie ce soir... Quoique, le petit brun assis à cette tablée de cinq joueurs avait un comportement étrange, mais pas de quoi trop attirer l'attention. peut-être un tricheur amateur qui sous le regard de ses camarades de tablée n'ose pas faire son petit tour de passe passe. Grand bien lui en fasse, il sortirait peut-être la bourse un peu plus légère, mais il garderait ses dents quelques jours de plus !

La présence de la voyageuse fut temporairement oubliée au profit d'une femme seule qui rentra au bras du palefrenier. une femme seule dans ce genre d'établissement attire toujours l'attention plus que de raison, et à voir celle à leur table jurer comme un homme et surtout aussi souvent avait refroidit certaines ardeurs, surtout quand on la comprenait capable de vous émasculer sans autre forme de procès et de vous la faire bouffer ensuite. Cette attention se relâcha aussitôt le marmot repéré, ce genre de petites choses braillardes qui ont le don de faire fuir la gent masculine un peu trop éméchée en recherche d'une nuit au chaud.

La femme qui venait de rentrer avec le braillard ? Un visage qui ne lui était pas inconnu, faute a pas de chance cette dernière savait qui était la fugitive... Et qui disait cette femme dans les parages, était synonyme d'avoir des troupes ou au moins une garde personnelle des hommes d'Alonna... Même si la dernière rencontre s'était révélée positive, la méfiance restait de mise. De toute manière qu'est-ce qu'elle irait vérifier une table bruyante qui joue aux cartes ?

Les minutes passèrent et mis à part la suivante qui lui tenait le crachoir - ce qui ne semblait pas vraiment plaire à la dame, donc pouvait également dire que la suivante n'en était pas une - aucun garde ou quoi que ce soit s'approchant ne vint rejoindre la dame Kastelord. Pour le moment il n'y avait donc pas menace, mais également pas vraiment d'intérêt pour la fugitive d'être identifiée d'une quelconque manière que ce soit ce soir là. Faire profil bas et laisser passer la tempête était la solution de facilité et celle qu'elle allait utiliser. Après tout elle avait appris la subtilité, en quelque sorte...

Des éclats de voix. Il ne faisait pas bon être une femme seule dans ce genre d'établissement une fois la soirée bien avancée. Après tout le rôle de la femme était souvent limité aux métiers de la maison... Autant dire la bouffe, les mouflets et autres tâches dites "ingrates" pour les mâles qui préféraient passer leur temps disponible loin de la marmaille et de la femme qui vient, d'après eux, leur casser les pieds. Celles qui restaient "libres" étaient souvent des dames de petites vertus et bien que les gobelins braillards qu'elles pouvaient transporter en refroidissent plus d'un, d'autres n'avaient pas l'air d'en être perturbés. D'ailleurs cela fit très drôle au poivrot qui n'osa pas se méfier de la petite créature et de celle qui la tenait.

Le problème était tout autre, utiliser ainsi la magie même pour se sortir de ce genre de situation n'avait rien de bien appréciable pour l'entourage... La noble n'avait-elle pas retenue ses leçons de savoir-vivre lors de ses voyages ? Le Nord n'était pas bien connu pour sa tolérance envers les autres peuples ou encore la magie. Les sangs-mêlés elfes pouvaient espérer être laissés tranquilles s'ils ne se créaient pas d'ennuis et la fugitive n'avait pas eut d'autres choix que de maintenir ses cheveux de telle manière à dissimuler ses oreilles, il en était de même pour les mages s'ils décidaient de garder leurs pouvoirs là ou ils devaient être. C'est à dire bien cachés... Non décidemment elle avait bien fait de se faire discrète sur ses pseudos-origines, mais l'acte de la dame Kastelord ne passa pas complètement inaperçu à sa table.

Déjà les mots réprobateurs se faisaient entendre au sein de la partie qui s'était partiellement mise en pause à cause de l'altercation. Des mots durs qui finirent par se transformer en menaces sourdes... Cela avait été une erreur certaine de provoquer ainsi la population locale, même si cela n'avait pas été le but, elle allait récolter ce qu'elle allait semer si les joyeux compagnons de la battisse mettaient leurs menaces à exécution. Et avec l'ennui qui semblait régner dans ce petit hameau... L'idée du lynchage public d'une mage semblait leur apporter un peu de réconfort ainsi que celles des tortures qu'ils pourraient imaginer pour qu'une telle horreur ne se produise plus devant leurs yeux.
Heureusement pour elle, la baronne avait décidé de quitter la pièce avant que la température ne continue à monter et ne fasse péter la soupape de sécurité qu'était la menace de voir arriver la garde, ou alors qu'était le self control de la foule... Dans tous les cas la partie ne s'éternisa pas alors qu'un petit groupe visiblement mal intentionné se rassembla autour de la fameuse table ou les meneurs habituels de ce genre "d'inquisition" semblaient avoir leur place. La fugitive ne se fit pas prier pour déguerpir, après tout "Ce n'était pas la place des femmes que de participer à ce genre de discussion, ces demoiselles effarouchées étant trop sensibles à la vue du sang." et pour une fois que le sexisme lui sauverait la mise ! Elle n'eut même pas à inventer d'autre excuses pour s'éloigner de l’attroupement.

La pauvre fille qui avait attribué la chambre n'avait même pas eut le temps de revenir dans la pièce principale qu'elle avait été interceptée en cours de route. "Je suis intéressée par la proposition. Je m'occupe du reste, donnez-moi le double des clés de la chambre." Le ton ne laissait pas vraiment de place à la négociation et la limite d'utilisation de la force était déjà atteinte comme si elle était signe d'une urgence, d'une question de vie ou de mort, qui ne permettait pas l'usage de la diplomatie.

La serrure de la porte émit son cliquetit habituel alors que la clé venait à la rencontre du mécanisme de cette dernière avant de s'ouvrir dans la plus grande discrétion et de se refermer de la même manière comme si rien ne s'était passé.

"Vous devez partir d'ici. Ramassez votre moufflet et vos affaires avant que vos nouveaux amis ne finissent par se décider sur la meilleure manière de vous écorcher vive."

Le ton était pressant, ce n'était pas un ordre mais un conseil, un conseil qui était plus qu'appuyé étant plus proche d'un avertissement que d'autre chose. La dame Kastelord était libre de ne pas le suivre pendant que la fugitive positionnait une des chaises contre la porte. Ce n'était pas comme si cela allait les ralentir s'il tentait de la défoncer, mais au moins s'ils essayaient la voix diplomatique en utilisant la poignée, cela permettrait de gagner quelques précieuses secondes le temps qu'ils ramènent un banc pour la défoncer.

L'autre issue ? La fenêtre l'offrait à battants ouverts à l'aide d'une corde que la fugitive était en train d'attacher au pied du lit et qui les conduirait dans l'arrière cours de l'édifice. Pour quelqu'un d'habitué une telle descente ne poserait strictement aucun problème, d'ailleurs la femme qui semblait être ce genre de personne, n'était visiblement pas motivée par le fait d'attendre de voir combien de temps les locaux mettraient pour défoncer la dite porte.

La porte s’ouvrit à peine une minute après que je sois entrée dans la petite chambre. Mon regard aveugle se tourna vers l’intrus et je restais silencieuse, ma main cherchant le manche de la dague que je cachais dans une poche discrète de ma robe de voyage. Mes doigts se refermèrent sur l’arme lorsque la personne m’empressa de prendre et de fuir l’endroit. Ce qui me laissa coite se ne fut pas d’apprendre que mon petit tour de passe-passe avait déplu aux ivrognes de l’auberge, mais bien que je venais de reconnaître la propriétaire de cette voix.
Je l’avais déjà croisé il y a plusieurs mois, lorsque je quittais la Péninsule. Elle avait voulu vendre de la bave de dragon dans le temple où j’avais fait halte. Ainsi donc il s’agissait de cette fameuse connaissance dont parlait Néera. Et je me rappelais bien qu’à l’époque déjà elle m’avait informé que je connaissais cette femme du temps où je n’étais pas encore Gardienne.

Sans la moindre hésitation et passé l’effet de surprise, j’attrapais mon sac et nouais rapidement le châle qui me permettait de transporter Elyan facilement. Mon fils était habitué depuis sa naissance à se retrouver ainsi contre moi. Je ne pouvais hélas pas faire autrement du fait de ma cécité.
Il ne me fallut que quelques secondes pour assurer le nœud puis je me dirigeais vers la fenêtre et après quelques tâtonnements, je suivis la jeune femme en enjambant la fenêtre. Bon sang cette opération était périlleuse et j’étais franchement inconsciente de me pendre ainsi dans le vide mais une fois mes pieds bien ancrés dans le sol j’avais un immense sourire aux lèvres. A l’aventure ! Ca avait quelque chose de grisant ! Je me tournais vers la femme qui venait de voler à mon secours et mes yeux voilés se posèrent sans la moindre hésitation sur son visage. Malgré ma cécité, malgré l’obscurité de la nuit je savais toujours étonnamment où regarder.

- Ainsi donc je vous retrouve ici. Comme le destin est surprenant.

Je tirais la capuche de ma cape sur ma tête et prit la direction des écuries pour récupérer mon cheval. J’entendais le boucan que provoquer la colère des ivrognes toujours enfermés dans l’auberge. Je me figeais et me tournais vers cette personne que je ne parvenais toujours pas à identifier clairement.

- Vous avez déjà fais beaucoup pour nous mais puis-je tout de même vous demander une dernière chose. Je doute de pouvoir récupérer mon cheval aussi rapidement qu’il le faudrait… pourriez-vous vous en charger pour moi ?

Elle la sortait d'ici et la dette était payée, enfin... Si dette il y avait ! Après tout elle avait juste essayé de s'occuper d'elle alors que son noble d'époux l'avait faite enfermée dans ses geoles sans autres formes de procès et les dernières fois qu'elle avait fait des "retours d'ascenseur", comme on ne pouvait pas encore le dire à cette époque (les ascenseurs n'existant évidemment pas...), ce dernier s'était transformé en retour de bâton lui faisant regretter amèrement de l'avoir fait. Bon, cette fois elle essayerait au moins de ne pas s'attarder et d'éviter ainsi tout problèmes non souhaités avec la dite personne !

Elle laissa la femme et son mouflet descendre par ses propres moyens ! Quand on faisait un marmot, on l'assumait ! Et on ne pouvait pas dire que la fugitive avait assez de fibre maternelle pour aider à s'occuper de ce genre de chose autrement que l'abandonner aux loups pour voir ce que ça pouvait donner... Le destin surprenant hein ?

"Il le sera encore plus si vous ne finissez pas sur un bucher à cause de votre magie."

Le tout était de trouver une issue sans que la dame ne se fasse remarquer par ses petits camarades. Partir dans les ruelles serait une idée, mais le mieux serait de quitter le hameau et le plus rapidement possible pour les laisser se calmer gentiment à mettre ce dernier sans dessus dessous pour finir par se passer l'ennuis sur le premier passant venu qui leur aurait lancé un regard de travers.

"Ne bougez pas d'ici."

La laisser aller chercher sa propre monture était inconscient, il suffisait que le palefrenier passe par la ou se décide d'avoir la langue trop pendue pour qu'elles n'aient même pas le temps de quitter les écuries avant que les petits amis de sa comparse ne finissent par rappliquer. Heureusement pour ce dernier, il avait certainement rejoint sa couche ou qu'importe. Il n'était pas là ! Les deux animaux furent emmenés dans le silence tout relatif des sabots heurtant en rythme le sol de terre battue.
A l'intérieur la température montait et quelques poings avaient décidé de rencontrer le visage d'autres personnes qui ne semblaient pas vraiment d'accord sur la manière de procéder. Le brouhaha ainsi causé profiterait aux deux femmes pour disparaitre sans demander leurs reste le temps que les excités ne finissent par tomber d'accord. Et aux vues des bruits, la voix contestataire n'allait pas faire du bruit encore bien longtemps...

[quelques quart d'heures plus tard]

Le poste de garde du hameau n'avait pas été bien dur à traverser après s'être acquitté de la "taxe" nocturne pour faire ouvrir les portes au moment ou les gardes ont consignes de ne pas le faire. Le calme avait finir par revenir dans ce silence imposé par la fugitive qui ne semblait pas des plus enclines à bavarder à cette heure de la nuit. Elle venait de perdre une nuit de sommeil dans un lit "confortable" et des couvertures chaudes après un bon bain au bénéfice d'une inconsciente.

"Qu'est-ce qui vous a pris d'utiliser la magie comme ça ? Votre victime se serait faite corrigée par n'importe qui aux vues de votre situation."

Le ton était au reproche et sous entendait presque la question "mais qu'est-ce que vous foutiez là sans une escorte valable et avec un mioche entre les pattes ?!" Au moins la fugitive lui laissait l'opportunité de s'expliquer en brisant le silence qui était presque devenu dérangeant. Presque autant dérangeant que la magie de la Dame Kastelord qui empestait l'air.

La femme était sèche dans ses directives, visiblement en colère bien que je n’en comprenne pas totalement l’origine. Après tout elle aurait très bien pu me laisser seule dans ma chambre et laisser faire. Or elle avait décidé de me venir en aide… bien que ce soit de mauvaise grâce. Pourquoi donc ? Pourquoi s’embêter à aider quelqu’un si on préférait se trouver totalement ailleurs ? A moins… A moins qu’elle se sente obligée de le faire, peut-être se sentait-elle redevable pour une raison ou pour une autre … A moins que cette femme soit complètement incohérente…
Bref je suivis à la lettre ses instructions et quelques temps plus tard nous étions sur les routes chevauchant en silence.
 
Enfin… le silence ne dura pas. Le premier reproche tomba et je restais un moment silencieuse, fronçant légèrement les sourcils. Que répondre à ça ? Oui j’aurais pu laisser courir, j’aurais pu ne pas utiliser ma magie, mais comment être certaine que quelqu’un se serait porté à mon secours ? Devais-je risquer la vie de mon fils dans l’attente d’un preux chevalier ? Non. La vie que j’avais mené ses derniers mois m’avait appris la prudence et surtout à user des armes que j’avais à ma disposition. Et puis après tout Néera m’avait demandé de faire savoir mon retour non ? Certes j’étais plutôt contre cette idée mais finalement si cela pouvait me permettre de finir ce voyage sans le moindre problème alors soit.
 
- Je vous remercie pour l’aide que vous m’avez apporté, vous m’avez évité une nuit mouvementée. En revanche, ce que je fais avec ma magie ne vous regarde pas. J’utilise les seules armes à ma disposition pour nous protéger mon fils et moi.
 
J’étais exténuée mais je n’avais plus trop le choix. La prochaine ville n’était assez proche pour la rejoindre en quelques heures. J’allais donc devoir passer une nuit à la belle étoile. Bien que cette perspective ne me plaise guère j’étais tout de même rassurée de me trouver avec quelqu’un. Du moins si elle ne disparaissait pas dans la nature au prochain embranchement.
 
- Avant je savais me servir d’une épée, mais le fait que je ne puisse plus voir mon ennemi limite forcément son utilisation. Une femme aveugle accompagnée d’un bébé voyageant seule ça a de quoi agiter les esprits. Je l’ai calmé à ma manière. Pourquoi employer la violence, je ne lui ai pas fait le moindre mal à cet homme alors que l’un de ivrogne de cette auberge lui aurait fracassé le crâne. Et pourquoi finir sur un bûcher pour ça ? La magie est reconnue à travers la Péninsule, les prêtres l’utilisent tous les jours… Vous semblez détester la magie… Votre colère semble venir de là… Mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi.
 
Je lui parlais autant que je me parlais à moi-même. Cette femme m’intriguait, d’abord parce que je savais pertinemment la connaître de ma précédente vie, et parce que son comportement actuel était parfaitement déroutant.
 Nous avancions toujours dans la nuit, mon cheval suivant les pas du sien. Elyan, qui avait été réveillé par notre départ précipité, semblait bercé par le balancier de notre chevauchée, il ne tarda pas à s’endormir et je l’enviais un peu. Quoi que je n’allais pas me plaindre… après tout il ne pleuvait pas c’était déjà ça !
 

Non, la Dame ne comprenait absolument pas la mentalité des gens du peuple de cette région... Elle était bien spéciale et n'avait pas vraiment changé ces dernières années, surtout après tant de guerres, famines et autres épidémies. Surtout après que les Drows aient assaillit les frontières de nombreuses fois faisant craindre leur magie, puis la magie en, général. Tout du moins une partie de la magie, celle qui va dans leur sens et leur profite est facilement acceptée, après tout pourquoi refuser quelque chose qui vous simplifie la vie ? Par contre celle qui va se retourner contre et et aller contre leur volonté même si cette dernière est déplacée ? Alors là non ! Ils ne veulent pas en entendre parler ! Et c'était exactement dans cette case que c'était placée la Dame.

Que la Dame ne veuille pas comprendre son erreur ? C'était bien son problème ! Après tout si elle voulait s'attirer des ennuis c'était bien elle qui en payerait les conséquences, la vagabonde ne perdrait pas de temps à essayer d'aider une personne qui ne voulait pas l'être. Après tout, c'était le classique de ces utilisateurs de se moquer de l'avis des autres ! Comment ça, la vagabonde faisait une généralité ? Peut-être que ses expériences s'étaient toutes soldées ainsi en même temps...

"Ne vous inquiétez pas pour les crânes de ces messieurs, ils sont solides. M'est d'avis qu'ils sont d'ailleurs en train de le prouver à coup de tabouret pour tenter de trouver le coupable de votre disparition, en tout cas ils étaient déjà en train de commencer à le faire pour une autre raison au moment de notre départ. Et bien entendu, dans leur esprit ca sera forcément de votre faute."

Et pour une raison obscure, cette situation semblait amuser la vagabonde. On ne changeait pas des ivrognes qui s'ennuyaient ! Tout sujet de discorde était bon pour des débats interminables quand ces derniers ne se soldaient pas par une volée de poings. A croire qu'elle aimait ce genre de situation la bagarreuse !

"Que ce soit par votre lame ou votre magie il n'y a pas besoin d'armes pour se sortir de ce genre de situations."

A la manière de le présenter, la magie était une arme. Rien de plus, rien de moins. Elle avait toujours été utilisée ainsi par les gens et cette utilisation là n'avait pas faite exception. Après tout pourquoi se priver de l'utiliser n'est-ce pas ? La vagabonde avait peut-être la riposte physique facile, mais la lame n'était dégainée qu'en cas de nécessité, sinon c'était les poings qui parlaient facilement. Dans ce cas là, il fallait bien qu'elle garde sa distance de sécurité avec la Dame qui empestait de sa magie. Méfiante ? Oui, elle l'était. Après tout comment ne pas l'être quand on croisait cette femme seule avec son gamin, ne comptant que sur sa magie et affirmant ne plus voir alors qu'elle se déplaçait avec un peu trop de facilité pour l'être réellement ? Elle n'en avait connu qu'une autre comme ça, une psychopathe qui se pensait habitée par un dieu, et elle ne pouvait que le regretter.

La nuit apportait son "calme" habituel, avec la vie nocturne. Oiseaux et autres créatures faisaient leur vie faisant parfois fi de la présence des "deux" humaines laissant parfois entrevoir leur présence aux reflets lunaire sur leur atours. S'ils étaient inoffensif, cela restait tout de même "dangereux" de se promener ainsi, tout du moins c'était ce que la nuit laissait paraitre dans la conscience collective. Au moins les ivrognes n’essaieraient pas de les poursuivre !

"Pourquoi voyager seule alors ? Alonna est-elle devenue si pauvre qu'elle ne peut plus payer trois hommes d'armes pour escorter sa noblesse ?" le ton n'était pas agressif, mais méfiant. "Ou alors y a-t-il une raison particulière qui fasse que celà soit volontaire ?"

De la curiosité et de la méfiance, c'était ce qui transparaissait. Beaucoup de méfiance. La soi-disante aveugle ne pourrait ressentir que ceci de là ou elle était à moins d'utiliser de la magie ou une autre aide quelconque. Physiquement, c'était clairement l'hostilité qui se manifestait : la main sur le pommeau de l'épée et une posture qui ne laissait pas vraiment de doute. Cependant, cette dernière pouvait être adressée vers l'entourage en prévision d'une quelconque attaque qui ne viendrait certainement jamais... Et il restait toujours un plan de secours un peu plus gros et plus dangereux que la fugitive.