Une rencontre soit-disant fortuite. [Walther]

Walther regardait la pluie et le vent balayer les environs. Lui et ses hommes rentraient à Hasseroi, trempés de la tête au pied, n’attendant qu’un brasier pour se réchauffer. Cela faisait maintenant plusieurs ennéades qu’il était revenu sur les terres qui avaient vu périr son père et son frère. Il était retourné dans ce chaos presque tête basse dans le seul espoir de regagner la dignité de son nom et de pouvoir gagner suffisamment d’argent pour sa famille. Mais voilà que sa seule mission n’avait été que d’attendre et d’assurer quelque fois les transmissions entre les campements et les cités. Cela ne lui avait pratiquement rien rapporté, d’autant plus qu’il se devait à présent d’entretenir ses hommes qui étaient partis avec lui depuis Lourmel. Heureusement pour lui, il avait rencontré un vieux vétéran qui lui servait maintenant de sergent. L’homme à l’allure imposante se faisait appeler Manfred. Sa seule condition pour l’aider à encadrer et à former les anciens prisonniers avait été d’être payé en alcool. Au moins, sur ce point-là le nord n’en manquait pas contrairement à la nourriture qui se faisait de plus en plus absente.

Mais ce Manfred avait été d’une grande utilité, surtout pour inculquer la discipline dans les rangs. Même s’il n’y avait qu’une vingtaine d’hommes dans sa compagnie, une mutinerie l’aurait probablement déjà tué si le vieil ivrogne n’avait pas été là. Au fil des ennéades, sur les conseils de son sergent, il finit par se rapprocher de ses hommes afin de briser la glace et de gagner leur sympathie. Se retrouver au milieu de prisonniers, souvent illettrés pour la plupart et surtout violent n’avait pas été chose aisée, mais au final, les hommes lui faisaient désormais confiance, du moins, il l’espérait.

Au loin, il vit Hasseroi qui s’activait avec son campement débordant d’hommes de Serramire, survivants d’Amblère. Alors qu’ils avaient battus les campagnes pour trouver des provisions ou donner des renseignements, on lui avait appris la déroute d’Amblère. Les sombres leur avaient infligé une défaite cuisante qui résonnerait encore longtemps dans les esprits des combattants.

-Ca s’rait pas les bannières de Lourmel là-bas ? lança Manfred entre deux rasades.

Walther leva la visière de son heaume pour mieux apercevoir toutes les bannières présentes et il reconnut bel et bien celle de Lourmel.

-Il semblerait, Manfred. Dis aux hommes d’installer le campement en contre-bas de la colline et de se faire un feu. Je dois me rendre là-bas.

Manfred se retourna alors et fit face à la vingtaine d’hommes de tous les âges qui accusaient le coup d’une trop longue marche sous la pluie.

-Z’avez entendu les gars ?! Le cap’tain veut qu’on pose not cul.

Aussitôt, Walther laissa sa petite compagnie et s’en alla en direction des plus hautes tentes ou se trouverait peut-être celle qui lui avait tant donné. Lorsqu’il arriva à la vue des premiers soldats, il les regarda afin de juger de l’état général des troupes. Si certains avaient été amputés, d’autres prenaient leur mal en patience et attendaient inexorablement leur revanche. Lorsqu’il arriva devant ce qui semblait être la tente de commandement, il mit pied à terre et se rendit devant l’un des hommes qui montaient la garde. Le gars le reconnut sans attendre et lui adressa un rapide sourire.

-Dis-moi, qui commande les hommes de Lourmel ? Est-ce Ser Roland ?

-Non mon gars, c’est le cousin de la châtelaine, le général d’Outremont. Tu veux lui parler ?

-S’il n’est pas occupé, oui.

Il ignorait encore ce qu’il aurait à lui dire, mais de voir un visage familier lui rappellerait surement Lourmel et l’hospitalité qu’il y avait trouvé. Un homme plutôt jeune sortit alors de la tente et Walther s’inclina respectueusement devant le général.

-Mes salutations, Général. J’ai vu vos bannières, mes hommes et moi-même venons tout juste de rentrer. Quelles nouvelles de la guerre ?

La réponse ne tarda pas à arriver et elle ne fit que conclure une triste réalité. Ils avaient été en dehors des informations depuis tant de temps que seuls quelques échos de la défaite leur étaient parvenus. Forcément, on ne donnait pas ce genre d’informations à des mercenaires, voilà tout ce qu’il était devenu. Walther acquiesça en laissant paraître une brève amertume. Aussitôt, un homme vint se rajouter dans la conversation. Celui-ci était déjà un peu plus grand et fort que le général d’Outremont. Ce dernier ne tarda pas à le présenter au nouveau venu et lui fit quelques éloges, cela tombait bien, il en aurait besoin. Ce sur quoi, on lui demanda sans attendre ce qui l’amenait ici. Les informations dans un premier temps puis les propositions se dit-il. Il y avait déjà pensé sur les routes, il ne restait plus qu’à savoir.

-Je suis redevable envers votre cousine, messire. Les hommes qu’elle m’a fournis lui appartiennent et si elle veut les incorporer dans vos rangs, je me ferai un honneur de les diriger et de vous servir. Ces hommes sont devenus des mercenaires par défaut, mais restent des lourmellois. Ils n’étaient pas des grands criminels, souvent accusés de vols, de déclencher des bagarres ou d’escroqueries, mais ne sont pas particulièrement dangereux, sauf pour nos ennemis bien sûr. Je les entraîné et équipé du mieux possible et eux-mêmes souhaiteraient surement mieux servir votre cause que les basses œuvres qui leurs sont généralement attribuées.

Il resta un peu amer à propos de ses dernières paroles.

-On nous prend pour des pillards et des violeurs alors que nous ne voulons seulement gagner notre vie. Je sais qu’une vingtaine d’hommes peut paraître dérisoire par rapport à vos effectifs actuels, mais nous ne serons jamais de trop pour faire une guerre… La plupart de mes hommes sont de bons cavaliers et savent tirer à l’arc. Mais nous n’avons que deux chevaux sur lesquels ils peuvent s’entraîner et quelques arcs fabriqués à la hâte.

Walther savait qu’il négociait pour leur survie à tous. Il valait bien mieux se mettre sous les bannières d’un grand noble plutôt que de parcourir les routes sans savoir pourquoi.

-Au moins, nous avons pu parcourir les campagnes jusqu’aux zones sensibles et nous connaissons les meilleurs points d’approvisionnements. J’ai moi-même pris des notes sur les reliefs, les forêts, fleuves et villages qui pourraient servir pour tendre des embuscades ou déposer des troupes. Si vous le souhaitez, je vous en donnerai les détails sur un rapport.

Ce n’était pas une nouvelle qu’il aimait étudier la faune et la flore. Dans cette situation, son passe-temps lui avait bien servi même s’il n’avait souvent vu que désolation et mort.