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 La Reconquête d'Almia - IV. La mémoire de pierre

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Dun Eyr
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MessageSujet: La Reconquête d'Almia - IV. La mémoire de pierre   La Reconquête d'Almia - IV. La mémoire de pierre I_icon_minitimeMer 5 Aoû 2015 - 12:54

      Assis à même le Kathon, cet enclos de pierre qui figurait le cœur de l’Almia nouvelle, à la première profondeur, se tenaient deux Nains en grande conversation. Une colère sourde faisait danser leurs barbes flamboyantes, qui battaient l’air au rythme de leurs grognements.
      « Quel est son nom, encore, à ce Pâle-Pisse – on nommait ainsi les derniers Drows qui s’attardaient encore à Almia, ceux dont ni le froid, ni les Gobelins, ni aucun malheur, n’étaient venus à bout – qui là-bas complote avec Dun Eyr ? »
      C’était Baltor qui avait parlé, et Derntor, son frère, lui répondit d’une même voix grondante.
      « Mogar le maudisse ! Nul ne le sait. Cette sale trogne doit pourtant bien porter un nom dans son dialecte d’Orient, mais dans notre langue à nous, il n’y a pas une sonorité qui rende cela. On dit qu’il parle vite et avec tous, sans jamais tomber à court de mots, encore qu’il ne baragouine l’amien qu’avec un accent effroyable. Certains, à force de l’entendre encore et encore reprendre la parole, l’ont surnommé ‘‘De-Plus’’. »
      Les deux Nains jugeaient, sans aménité, la scène qui se déroulait loin d’eux, dans le renfoncement d’un rocher. On voyait deux silhouettes, et dans la pénombre elles semblaient presque enlacées : c’était Dun Eyr, écoutant, et De-Plus, parlant toujours et encore davantage.
      « Voilà qu’il se penche à l’oreille de Dun Eyr, commenta Derntor.
      – C’est qu’il doit lui dire d’honteuses paroles, grogna Baltor, de ces mots que les cavernes d’Almia n’auraient jamais cru entendre.
      – Regarde, cet éclat dans la main de De-Plus ! Quelle ignoble magie il peut avoir là…
      – Et pourquoi,
pesta Baltor, pourquoi Dun Eyr écoute-t-il cette langue-de-poison ? »

      Car c’était vrai, Dun Eyr écoutait De-Plus. Voilà de longues journées que le Nain, délaissant ses tâches au sein de l’Almia pourtant croulante, s’asseyait aux abords du taudis où s’était établi le Drow, en contrebas de l’esplanade du Kathon. Peut-être quatre Sombres restaient encore dans Almia. Pareillement, ils s’étaient établis, chacun de son côté, ici ou là, où les Nains leur concédaient un mauvais sol caillouteux. L’un tenait les galeries de l’ouest, là où crissaient les dents des Gobelins tout proches. L’autre étouffait dans les basses cavernes où proliféraient les plus nauséeux des champignons. Le troisième avait été reclus, près de la surface, et les vents faisaient trembler sa cahute. Le dernier enfin, De-Plus, tenait un résidu minable, là même où s’était dressé l’éphémère campement des Drows de Ust’Chath – avant que l’alliance avec les Almiens ne soit brisée, et que la plupart des Drows ne soient chassés hors d’Almia, presque traqués. Ceux qui avaient été admis à rester, ceux-là, on les toisait d’un œil noir. Nombreux étaient les Nains qui auraient voulu purger pleinement l’Almion, et oublier jusqu’à l’arrivée des Sombres.
      Mais il semblait que Dun Eyr n’était pas de ceux-là. Et c’était son prestige à lui, le Prophète de la Reconquête – lui qui avait combattu aux côtés d’Agrarald, lui qui avait plongé de nombreuses fois jusqu’aux entrailles contestées de la montagne – c’était ce prestige qui prévenait qu’on égorgeât les derniers des Drows.

      « Et comment dis-tu cela encore, mon ami ? »
      La voix de Dun Eyr roulait doucement dans la cavité, les mots renvoyés par un écho assoupi.
      « Cuijjin, sifflota De-Plus. »
      Et le Nain, reformulant le mot dans le propre dialecte d’Almia, en déroula toutes les voyelles : « Khoui’zyn, alors, khoui’zyn… »
      Devant les yeux du Nain, De-Plus avait tendu sa paume sombre, veinée de bleu. Le regard s’abîmait dans les éclats irréels qui y dansaient. Le Drow présentait un galet tout rond, et irisé de blanc et de violet ; la matière s’y trémoussait, comme agitée par des vagues, secouée par des remous. On y voyait, se reformant indéfiniment, un Nain qui triomphait d’un gobelin.
      Et comme le petit théâtre reprenait sans cesse, dans la paume du Sombre, sur les lèvres de Dun Eyr revint rouler le mot exotique : « Khoui’zyn, khoui’zyn. »
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Dun Eyr
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MessageSujet: Re: La Reconquête d'Almia - IV. La mémoire de pierre   La Reconquête d'Almia - IV. La mémoire de pierre I_icon_minitimeSam 11 Juin 2016 - 15:21

      Baltor et Derntor, gaillardement plantés, les bras croisés, grognaient tous deux ; la même note menaçante montait de leurs deux gorges gutturales. Les jumeaux regardaient, d’un œil noir, la petite tragédie qui n’en finissait plus de se jouer, là, à vingt pas devant eux.
      Dans la cavité haute et bombée, les silhouettes de Dun Eyr et De-Plus se distinguaient nettement. Cela faisait plus d’une saison maintenant que les deux, le Nain et le Sombre, n’avaient plus quitté ce réduit niché dans un recoin de l’Almia nouvelle. Des apprentis runistes de Mogar leur apportaient une bolée de champignons le matin ; ils repassaient le soir pour vider une jarre remplie de fèces et d’urine. A l’exception de ces visites, tout le jour et toute la nuit – si jamais ces notions extérieures avaient encore un sens dans les entrailles de la terre, à Almia – Dun Eyr et De-Plus travaillaient avec acharnement. Ou plutôt, comme l’avaient douteusement perçu les jumeaux, le Nain s’exténuait à accomplir les caprices du Sombre. On voyait s’activer la petite silhouette de l’Almien, presque cassé en deux, ici à pétrir une poudre, là à polir une pierre ; et toujours, De-Plus sifflotait ses ordres au Nain harassé. Dans cette cavité toute sphérique, où il n’y avait rien sauf un gros bloc de granit posé en son milieu, l’un commandait et l’autre s’exécutait. Trois fois, au moins, Dun Eyr avait manqué de s’effondrer sous l’effort, se retenant à grand-peine à un angle du granit. Quand le Nain faillit défaillir pour une quatrième fois, manquant de se fracasser le crâne contre la pierre, les jumeaux n’en purent plus et bondirent.
      « De-Plus ! » jetèrent les deux timbres dans un même rugissement rageur.
      Le ton claqua en écho dans la cavité, faisant sursauter un De-Plus soudain effrayé, qui se retourna vite. A ses côtés, Dun Eyr tourna un peu la tête, il haussa vaguement ses sourcils maintenant blanchis ; il semblait trop éreinté pour réagir plus vivement.
      « Quoi ? » siffla le Sombre, la peur chargeant sa voix d’un peu plus d’agressivité qu’il ne l’aurait voulu.
      Le mot ne plus pas. Baltor était déjà sur lui, il leva haut son point large comme un chaudron, et l’envoya fouiller entre les côtes du Sombre. De-Plus se plia en deux, les mains crispées au ventre, et Derntor qui suivait en profita pour fracasser du talon les jambes du Sombre. Le grand échalas alla rouler dans la poussière, qui se colora alentour d’un rouge épais et gras. Les jumeaux ne lui prêtèrent pas plus d’attention, et se précipitèrent au chevet d’un Dun Eyr vacillant.
      Lui, le prophète de la Reconquête, n’était même plus à cette heure l’ombre de ce qu’il avait été. Toute la chair du Nain avait fondu, sa peau pendait rugueuse et rêche autour du corps qui avait perdu tout son gras. Le visage n’était plus qu’un masque cendré, qui semblait trop large pour les traits du Nain à présent rétractés sur les os du crâne : les joues pelaient, les cheveux dégoulinaient en une masse huileuse, la barbe pendait filasse. Sous la bure effilochée qui tenait lieu d’habit au Nain, le ventre avait tellement fondu qu’on devinait à présent les contours des côtes – ce qui est très honteux pour un Nain civilisé, seuls les barbares des clans du Nord font saillir leurs côtes. Quand Derntor saisit l’Almien à l’épaule pour le relever, il lui parut soudain léger comme de la paille.
      Les yeux de Dun Eyr cherchaient vaguement à discerner les visages qui s’agitaient devant lui ; les jumeaux y lurent les remous d’une douce folie fiévreuse. Du bout de ses lèvres parcheminées, l’Almien commençait : « Qu’est-ce que … » Mais Baltor, qui semblait vivement ému de cette déchéance, appuya sa paume calleuse sur la bouche du Lirganique, pour lui éviter la fatigue de parler.

      Un silence gêné s’était abattu sur les trois Nains. Les jumeaux virent les yeux de Dun Eyr vite quitter les leurs, pour obliquer vers la gauche, et s’abîmer à contempler le bloc de granit qui occupait le centre de la cavité. C’était une masse de roche étonnamment carrée : elle courrait sur plusieurs pieds de chaque côté, il aurait fallu au moins neuf Nains pour en faire tout le tour. La pierre était doucement irisée, comme on la trouve au plus profond de la montagne, là où se niche aussi le marbre rose. Mais sur tous ses flancs, on l’avait recouverte de symboles et de runes qui la constellaient de petites bosselures. Les jumeaux reconnurent sans peine les enchaînements élégants de l’écriture des runistes de Mogar, comme ils devinèrent, dans les boucles semblables qui passaient alentour, l’inscription propre aux autres dieux et aux héros des terres du Nord. Mais en six endroits, par grandes balafres énigmatiques, des salves de caractères biscornus étiraient comme des bandeaux sur la pierre. A voir les angles rugueux des symboles, qui accouplaient des bâtons tordus avec des trémas tremblants, les Nains devinèrent là la maudite écriture des Sombres. Un hoquet saisit les deux jumeaux à la même seconde.
      « Dun Eyr … » commença à grogner Derntor, qui tenait toujours l’Almien entre ses bras.
      Mais un deuxième hoquet reprit aussitôt les jumeaux, puis un troisième, de plus en plus fort. Soudain ils se mirent à tressauter sur leurs pieds, saisis par des spasmes fiévreux, comme si des éclairs leur traversaient le corps. Baltor se jeta à terre pour vomir : par-dessus le contenu de son estomac répandu sur la pierre, il vit la silhouette de De-Plus qui s’était redressé. Le Sombre leur crachotait des incantations hargneuses. Ses doigts interminables étaient tordus par la magie, qui ruisselait depuis le Drow vers les Nains démunis. Il riait avec violence.
      « De-Plus … » couina Dun Eyr dans un filet de voix.
      Les spasmes grandissaient sur les carcasses des jumeaux, qu’ils secouaient toujours plus violemment. A présent Baltor roulait dans sa propre régurgitation, et Derntor, les genoux en terre, peinait pour ne pas s’effondrer lui aussi. Un rictus tordait le visage du Sombre.
      « De-Plus, assez … » laissa couler la voix distante de Dun Eyr.
      Le Sombre hésita soudain, son rictus disparut en entendant le timbre affaibli du Nain. Peut-être que De-Plus, à cet instant, réalisait jusqu’à quelles extrêmes limites d’épuisement il avait acculé son disciple dans la magie obscure. Les doigts crochus s’ouvrirent soudain, l’enchantement malfaisant se dissipa très vite. Une surprise sincère se gravait sur les traites du Sombre, qui croyait émerger d’un délire continu de plusieurs dizaines de jours.

      C’était l’occasion qu’il fallait à Derntor, libéré des spasmes. En un instant le Nain fut sur le Sombre et, s’il n’avait pas d’armes entre les mains, il se jeta par l’avant du crâne pour assommer le magicien. Le grand corps et le petit allèrent à nouveau s’étaler dans la poussière, plus bas. Mais Derntor ne lâcha pas le Sombre pour autant : il avait passé ses mains épaisses autour de la gorge de De-Plus et, lorsqu’il fut au-dessus et l’autre sous lui, le Nain plongea ses mâchoires dans l’aorte de sa victime. Les dents comme des cisailles percèrent la chair amollie du magicien, qui se vida comme une éponge : la peau cuivrée explosa sous le choc, et des bouillonnements de sang noir jaillirent à grandes gerbes.
      A dix pas de là, Baltor s’était remis debout et il voulut bondir, mais c’était trop tard. Le formidable coup de dents avait fait son travail : Derntor recracha un bouquet de la chair vive de De-Plus, qui venait d’expirer entre ses mains. Un grand silence succéda à la mêlée, à peine troublé par le flic-floc du sang qui glougloutait depuis la gorge grande ouverte du Sombre. Baltor s’approcha doucement de son frère, qu’il releva, et contempla la dépouille du magicien. Après un instant, peut-être de réflexion, le Nain cracha sur le visage déjà sali de De-Plus.
      « Bien fait pour ce … » commença Baltor.

      Un grincement terrible avala les derniers mots, faisant à nouveau sursauter les jumeaux. Derrière eux, Dun Eyr s’était soudain relevé, avec une étonnante vigueur. Le Lirganique tenait à peine sur ses jambes, qui flageolaient follement sous lui, mais une hargne rouge s’était réveillée au fond de son regard. Il avait aperçu la dépouille de De-Plus, son maître dans les arts obscurs depuis maintenant une saison, et une respiration furieuse soulevait en cadence la poitrine amaigrie du Nain. Les jumeaux n’eurent pas le temps de prononcer une parole, que le même grincement atroce les saisit à nouveau, mais cette fois ils en découvrirent la cause. C’était le granit, le gros bloc posé dans le centre de la cavité, qui s’agitait soudain. Les runes écrites en langage sombre semblaient onduler le long de la pierre, qui elle-même s’était mise à tanguer. Des fragments entiers se déplaçaient à l’intérieur du granit, et c’était le crissement de la pierre contre la pierre qui faisait entendre ces sons de torture. Alors la voix gutturale de Dun Eyr alla rouler par-dessus le granit, étirant des incantations incompréhensibles, dans un patois almien aux accents inconnus. Un halo de poussière se mit à nimber le monolithe de granit, qui se défragmentait comme du sable dans la tempête. Des pans entiers de la pierre se mirent à tournoyer, des éclats de toutes les formes et de toutes les tailles orbitèrent autour du rocher, qui s’amenuisait vite. Tout cela s’étirait de plus en plus vers l’extérieur. Soudain l’ensemble se recompacta l’espace d’un instant, à des proportions encore plus resserrées que ne l’était le bloc encore intact. Puis Dun Eyr prononça trois ou quatre mots, ni dans la langue d’Almia ni dans celle des Sombres, mais dans un improbable abâtardissement des deux, et soudain le granit explosa définitivement.
      C’était une fresque, une immense fresque. Depuis le plafond jusqu’au sol de la cavité, et sur toute sa largeur, une gigantesque scène se déployait soudain sous les yeux des Nains. Des copeaux de granit, sombres et laqués, dérivaient doucement dans l’air. On aurait dit une grande tapisserie ciselée par les mains les plus habiles de l’Estrévent lointain, s’ils avaient su tisser la pierre. A l’instant même, les éclats de granit représentaient une marée de Gobelins en déroute face au triomphe de quelques Nains. Puis un souffle sembla passer sur le granit, tout changea, et ce fut l’obscure figure de Mogar, le Père, qui trôna dans toute la cavité. Encore une fois la fresque se contracta puis se redéploya, et on vit une figure qui avait été perdue depuis trop longtemps : la barbe auguste d’Agrarald Dolbarg’Ma, jugeant sévèrement ses enfants.

      Baltor et Derntor tombèrent à genoux, saisis de stupéfaction face à cette illustration mouvante des hauts faits de la Reconquête. Les jumeaux se laissèrent émerveiller par le nouveau changement du tableau, comme apparaissaient, flottant dans une illusion de vent, les barbes des premiers Nains qui avaient voulu reprendre Almia, aujourd’hui presque tous disparus. Une grande sérénité investit la cavité lorsque ces profils austères apparurent dans le granit.
      Enfin la scène changea une fois encore, et ce fut la peur qui s’empara des jumeaux. Dans le granit était apparue la figure ravagée de De-Plus, dont les artères à la gorge pendaient tristement. Son froid regard de pierre tomba sur les deux Nains, pétrifiés devant ce reflux d’outre-tombe. La gigantesque face sembla river un long moment sur eux deux ses yeux glacés, avant de se tourner vers Dun Eyr, comme pour lui parler ; mais le granit ne pouvait pas rendre les sons, on ne voyait que les lèvres de De-Plus s’agiter mollement. Pourtant Dun Eyr sembla comprendre, car alors il répondit, mais d’une voix très douce :
      « Oui, ils sont à toi. »
      C’était la peur qui avait jusqu'à présent tenu les jumeaux, ce fut maintenant l’effroi qui les submergea. Le visage de De-Plus s’était soudain décomposé dans la fresque : mais le granit, plutôt que de rester en place et d’adopter une nouvelle forme, se mit à pleuvoir vers les deux Nains. Des éclats affutés comme des arêtes fondirent sur les jumeaux, leur transpercèrent la peau, se logèrent dans la chair. Baltor et Derntor disparurent vite, entièrement recouverts par des fragments de granit, comme enduits d’une nouvelle peau. Ces deux silhouettes se contorsionnèrent tristement, sans pouvoir résister cependant à la force qui lui saisissait. Noyés dans le granit, ils s’élevèrent tous deux dans les airs et planèrent jusqu’à la fresque, où ils s’incorporèrent au tableau. Ils demeurèrent là quelques instants, fixes dans une scène figée, rigides et pétrifiés. Puis à nouveau tout changea, un souffle passa sur le granit, et les deux Nains disparurent avec les formes.
      La fresque était à présent intégralement lisse, tendue sur toute sa superficie, mais fine comme un voile de poussière. Puis soudain, deux masses de granit s’en détachèrent, depuis le coin inférieur droit. C’étaient deux petits bonshommes ; deux Nains, plus exactement, mais entièrement façonnés dans le granit. Ils semblaient pouvoir voler librement du bas jusqu’au sommet de la fresque, et ils balançaient tous deux un maillet sur leur épaule gauche. Ils en usaient pour frapper le granit en divers endroits, ici, puis là, et encore à côté ; et faisant ce petit jeu avec application, balayant la fresque de part en part, ils lui donnaient une nouvelle forme. Ainsi les deux petits artisans firent resurgir du passé d’Almia la scène glorieuse où un Holwerm fut tué sur les marches du Grand Escalier. Puis à nouveau, les deux Nains de pierre bondirent de droite à gauche sur le tableau, balançant les marteaux, et on vit cette fois apparaître une masse de cadavres de Gobelins figés dans le granit.
      Ainsi la mémoire de l’Almia nouvelle vivrait pour toujours, et les jumeaux serviraient à l’honorer.

      Dun Eyr considéra un instant le cadavre éclaboussé de De-Plus, à quinze pas de là. En levant les yeux, il vit que la fresque déployait une nouvelle fois le profil austère d’Agrarald.
      Alors l’Almien, jugeant que tout était bien, se laissa tomber dans la poussière, où il se roula en boule et s’endormit.
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