La fin d'un long sommeil [Kahina]

Plus que de tout le reste, la ruine d’un Royaume tenait souvent du détail de l’Histoire ; tout aussi ironiquement, sa salvation se cachait parfois dans les hasards facétieux du Destin, à moins que ce ne fussent les Dieux qui, se jouant des Hommes, déguisaient leurs desseins derrière les plus humbles auspices.

Alors qu’il fuyait la chambre du Duc, le jeune page manqua heurter le Sire Manso d’Aphel, dont on ne savait plus si son plus grand prestige était d’être le Sénéchal du Royaume ou le frère cadet de Camille d’Aphel, tant la renommée de la Dame était grande désormais. Le notable voulut le rabrouer, mais c’était sans compter l’urgence et le maladroit, loin de se démonter, le coupa. Quand, finalement, les mots du garçon firent sens, le Sybrond lui agrippa le bras et il lui intima, avec ce qu’il fallait dans le regard pour glacer son interlocuteur : « Là, silence ! » Et devant son air estomaqué, de continuer : « Tes mots dans les mauvaises oreilles et c’est la vie du Duc que tu mets en danger.

— Mais, monseigneur, il faut prévenir la Pr… » La fin de sa phrase mourut dans le glapissement douloureux que ne manqua pas de lui arracher la poigne d’acier du chevalier.

« Plus. Un. Mot. À personne. Si quelqu’un doit prévenir sa Sérénissime, ce ne sera nul autre que moi, » déclara Manso. Et de conclure, finalement : « Maintenant, retourne au chevet du Duc et ne laisse personne l’approcher. »

De la ruine d’un Royaume et de sa salvation, aussi. Manso se sentait comme au bord d’un précipice dont il n’avait pas même soupçonné l’existence. Qu’il fît le mauvais pas et c’était sa perte qu’il assurait ; qu’il sût choisir le bon, c’était le Royaume qu’il sauvait. La résurrection de Maciste était de fait de ces événements qui pouvaient tout changer. Cat tel était son dilemme : que l’Aphellois le lui ordonnât et le Sénéchal se jetterait dans la gueule de l’Elda, le cœur libre de la moindre hésitation ; des manigances de Kahina, au contraire, il se méfiait et à raison. Depuis la venue de la diablesse, tout n’avait été que chaos et ruine pour les siens, fortune et réjouissance pour elle. Elle était Princesse des Deux Soleils, désormais, quand le jeune Alastein était mort. Il l’avait vu devenir la Fossoyeuse d’un Royaume plusieurs fois centenaires et, sous couvert d’en sauver les restes encore chauds, avait voracement grignoté encore un peu plus de pouvoir. Il l’avait suivie et soutenue, malgré tout, parce qu’elle était femme et mère de Sybronds. Mais son sang, par la DameDieu, était aussi vicié qu’un sang pouvait l’être et il ne doutait pas qu’elle fût capable de précipiter la fin de Maciste, si tant était qu’elle craignît qu’il pût menacer son empire naissant.

Cela, il ne pouvait pas le permettre. Jamais.

D’un pas rapide, il rejoignit ses quartiers où l’attendait, à son grand soulagement, la Dame sa femme. Il lui enjoignit de rassembler leur coterie et dépêcha deux chevaliers garder leur suzerain. Quelques minutes plus tard, il passait à son tour les portes du coucher ducal et ce fut non sans soulagement qu’il s’agenouiller au chevet du malade.

« La DameDieu soit louée. » Se retournant à moitié, il cria d’une voix assez forte pour couvrir le brouhaha feutré de la pièce : « De l’eau ! De l’eau pour le Duc ! » Et déjà se retournait, car il y avait urgence. « Par les Cinq, Maciste, c’est un véritable miracle. Nous avons terriblement besoin de toi. Ta femme… »

Mais dans son dos, déjà, l’acier parlait et son fracas couvrit ses accusations. Les portes s’ouvrirent sous les gémissements tant des gonds que des hommes et Ryl’antar, le coutelas en sang, s’avança en leur direction. L’espace d’un instant qui ressemblait à s’y méprendre à une éternité, le puissant sang-mêlé défia du regard le Sénéchal désemparé. Puis le tonnerre des bottes d’acier contre la pierre froide emplit l’air. Les gardes au tabar ducal encerclèrent la coterie du malheureux, qui n’eut d’autres choix que de se relever, hébété. Il lança un regard désemparé au petit page, qui se garda bien de le lui rendre.

« Tu étais le sang de mon sang, Manso, » tonna une voix froide dans son dos. Le sybrond se retourna et, le dos bien droit, accueillit Kahina. « Maciste t’a tout appris et moi, j’ai fait de toi un Sénéchal. » La princesse se tût quelques secondes et le sybrond put voir, non sans surprise, son désarroi. S’il était une chose dont il avait fini par se persuader, c’était que l’estréventine lisait si bien les cœurs que rien ne pouvait plus la surprendre. Elle aurait dû voir ses doutes, deviner ses angoisses, prévoir ses actions. Il semblait, pourtant, qu’elle en était venue à lui faire confiance. « Pourquoi ?

— Nous sommes à Soltariel, Kahina. Je devais m’assurer que… »

Le poing de Ryl’antar, dont il n’avait pas même vu venir la carrure, mit fin à sa piètre tentative de justification. « Assez de mensonges pour aujourd’hui. Qu’on les arrête tous, le Conseil décidera de leur sort, » ordonna Kahina, qui put enfin poser un regard sur son seigneur et maître. Les yeux qu’elle lui offrit étaient durs comme l’acier et elle-même ne savait trop si elle se réjouissait de voir ainsi le suderon à demi redressé.

« Sortez tous ! » finit-elle par ordonner. « Annoncez la bonne nouvelle : le Duc est réveillé. »

Et ainsi fut-il fait. Tout juste le page se surprit-elle à trouver le courage de tendre un verre d’eau fraîche à la Princesse. Avant qu'il ne déguerpît, elle lui manda d'aller trouver son médecin, qu'il vînt vérifier l'état du malade. D’un pas lent, elle rejoignit le lit et, après avoir tendu à Maciste l’objet de tous ses désirs, s’assit à ses côtés.

« Ton fils n’a eu de cesse de demander son père, » l’accusa-t-elle finalement, comme s’il était le seul responsable de son mal. « Mais sois rassuré : j’ai su gagner le Royaume que tu lui avais promis. »

Et c’était comme si elle se libérait d’un fardeau dont personne n’avait su estimer l’importance.

J’ai aimé un autre homme, pensa tristement Kahina, tandis que sous ses yeux se mouvait pitoyablement la carcasse malade de son seigneur et maître. Maciste pouvait bien nourrir tout le regret qu’il voulait à son encontre et maudire le peu de joie qu’elle voulait bien témoigner de sa rémission, elle n’en avait cure. Il avait gagné son cœur, une fois, mais elle voulait croire qu’il lui faudrait se battre à nouveau pour elle ; ce n’était que justice, n’avait-elle pas dû se battre, elle, pour que leur fils n’eut pas à souffrir de la défection de son géniteur ?

« Tu n’as pas idée. » Ou bien peut-être le savait-il très bien ; pour fuir le doute qui, tard la nuit, la gagnait, Kahina avait souvent trouvé refuge dans l’atmosphère moite et renfermée de la chambre ducal. Chaque fois, elle s’était surprise à tout lui dire. Elle avait su trouver dans ses silences autant d’encouragement à ne pas dévier de sa route. Avait-il seulement pris la peine d’écouter, tandis qu’il luttait contre quelque mal qui l’assaillait ? Elle n’en avait jamais rien su et n’avait aucune idée de le lui demander. Car de fait, elle n’était pas fière de tout ce qu’elle avait pu accomplir, à commencer par la mort d’Alastein. Elle avait apprécié le petit homme, sa candeur naïve et sa volonté brûlante d’être le comte que personne ne voyait vraiment en lui. Sa mort l’avait peinée, mais elle subodorait que la peine de Maciste serait plus grande encore. Comment lui dire, alors, qu’elle avait dû abandonner l’Ydril à son meurtrier ?

À cette pensée, la demoiselle préféra tourner la tête et son regard accrocha son reflet, projeté avec insolence par un miroir sale. « J’ai cru que tu ne te réveillerais plus… » lâcha-t-elle enfin, montrant pour la première fois les tourments que lui avait inspiré l’état du suderon. Elle avait triste mine, force lui était de le constater. Ses traits tirés faisaient peine à voir, ses cernes soulignaient un regard qui avait perdu de sa malice et gagné en dureté.

« Ils vont vouloir se servir de toi pour m’atteindre. » Elle reporta son regard opale sur sa personne, jaugeant de sa réaction. « Tout ce que je leur ai pris, ils vont vouloir me l’arracher pour mimer de le déposer entre tes mains. Je ne doute pas que dès que tu te seras véritablement rétabli, tu n’auras aucun mal à tout réclamer, mais alors, il ne me restera plus rien. » Elle saisit un linge, qui trônait sur la table de chevet, et épongea avec une tendresse non feinte la sueur qui perlait à foison de son front. « Que crois-tu que Manso essayait de faire, sinon t’arracher ma condamnation ? » Une pause. « Un mot de toi et il était sûr de me museler. Lui aurais-tu donné ? »

En vérité, Manso s’était surtout montré stupide ; qu’importait qu’il eut réussi ses desseins, il aurait fallu plus que les mots du Duc pour faire chuter la Princesse. Elle avait planté ses crocs dans la noblesse soltaar plus profondément qu’aucun ne pouvait vraiment le supposer. Pour autant, s’il était une chose dont elle ne doutait pas, c’était qu’elle ne voulait en aucun cas s’opposer au père de son enfant. Du bout des doigts, elle caressa donc sa joue impeccablement rasée — c’était, sans doute, l’un des avantages d’être un duc que de se réveiller d’un coma propre et frais — et ajouta, le regard brûlant : « Longtemps, j’ai cru que je serai ta Reine, mais les choses ont changé, désormais, et je te dois la vérité : accepteras-tu d’être mon Roi ? »

Elle ne doutait pas qu’il saurait saisir toute la nuance.

Las ! Le bougre s’arrachait à peine aux griffes du coma que, déjà, il lui parlait comme à une enfant. Cette diatribe lui en rappelait une autre, quand Maciste avait cru bon d’humilier sa femme face à ses dames ; il lui avait reproché, alors, sinon d’être sotte, au moins d’agir sottement. Elle ne lui avait jamais pardonné, pas plus qu’elle ne lui pardonnerait jamais sans doute ces nouvelles remontrances. Elle le jalousa un instant, cependant, car il lui semblait qu’il se réveillait le même qu’il s’était endormi, là où elle avait tant et tant changé. Quand il se tût enfin, le souffle court et la veine palpitante, elle le couva d’un long regard ambigu. Qu’ils sont beaux, tes discours, songea-t-elle en détaillant. Il y croyait, de cela au moins elle était certaine. Il croyait en chacun des mots qu’il venait de prononcer. Elle croyait se souvenir d’une époque où elle-même s’était laissée convaincre, mais elle devait se l’avouer ce jour : une part d’elle n’avait guère plus envie de partager quoique ce fût avec qui que ce fût.

Qu’importait. Il lui fallait apprendre à aimer à nouveau le chevalier. Elle lui devait d’essayer.

« Je ne règnerai pas aux côtés d’un infirme, » lâcha-t-elle finalement ; avec agilité, elle monta sur le lit, l’enjamba et se pencha sur son visage qu’elle devinait surpris. « Maudis moi tant que tu veux pour être celle que j’ai toujours été. Abomine mon égoïsme. Vomis l’injustice qui veut que je te blâme pour ce que tu as vécu. » Ses lèvres frôlaient déjà celle du suderon. Sans douceur, elle fouilla ses braies et se saisit de son vis affaibli. Sans doute son état exigeait du repos, pas le ventre de sa femme. C’était sans compter ce dont elle avait besoin. Cela faisait trop longtemps qu’elle se privait pour lui, de peur d’enfanter. « Accomplis ton devoir, chevalier ! Voilà trop longtemps que tu l’as négligé ! »

Quand elle le sentit se frayer un chemin en elle, Kahina laissa échapper un grognement sourd. Ce n’était pas du plaisir, qu’elle ressentait. Son intimité était restée sèche, malgré les baisers avides de Maciste. Leur étreinte, finalement, n’était guère plus qu’un simulacre d’union et aucun n’en tirerait quoique ce fût, sinon de la frustration. La vigueur du Duc n’était que façade, son corps demeurait grandement affaibli et ses va-et-vient se firent rapidement sporadiques. Chaque fois qu’il donnait un coup de rein, elle grinçait des dents ; lui ahanait pitoyablement et elle crut plusieurs fois qu’il allait tourner de l’œil. Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour qu’un râle plus long et rauque que les autres lui apprît qu’il en avait fini. Ils s’immobilisèrent presque instantanément et se regardèrent de longues minutes sans mot dire. Finalement, Kahina se pencha une nouvelle fois sur lui et déposa un léger baiser sur ses lèvres. « Si tes Dieux ou le mien ont voulu cette étreinte fertile, prie pour que l'enfant fasse preuve de plus de vigueur dans sa vie que son père au moment de sa conception. »

Elle se dégagea ensuite gauchement, l’entre-jambe en feu — et en sang, supposait-elle. Chaque pas la mettait au supplice, mais elle fit son possible pour ignorer la gêne ; il était hors de question que Maciste la vît ainsi mortifiée. S’approchant d’un grand miroir qui longeait un des murs, elle se débarrassa de ce qui lui avait servi de robe, quelques minutes plus tôt.

Profitant de ce moment de calme, Jafar fit son entrée ; Kahina ne doutait pas qu’il fût arrivé plus tôt, mais l’homme avait eu l’intelligence d’attendre que le couple ducal eut fini ses affaires. Sans se retourner, la princesse fit les présentations : « Maciste, je doute que tu te souviennes de Jafar. Entre autres talents, il est un médecin reconnu à Thaar. Si tu es en vie, c’est probablement grâce à lui.

— Ce fut un plaisir, votre Grâce, » affirma l’estréventin en se fendant d’une courte révérence. L’homme était long et sec, son visage était taillé à la serpe et sa peau mate ne laissait aucun doute sur ses origines. « Sa Sérénissime a fait peut-être montre d’un peu trop d’enthousiasme. Je ne suis pas certain que l’exercice physique est le remède le plus indiqué pour votre Grâce.

— Nous nous passerons de tes commentaires, la coupa la jeune femme avec humeur. Fais simplement ton office.

— Comme sa Sérénissime le voudra, acquiesça l’homme de science avant de s’approcher de son patient. Comment vous sentez-vous ? » demanda-t-il avec simplicité en se saisissant du poignet du Duc.

Jafar ne se laissa pas troubler par la hargne du jeune Duc ; l’homme se concentra plutôt sur l’état de son patient, qui en vérité faisait peine à voir. Le muscle avait fondu et les côtes étaient saillantes, la peau était pâle, fine et presque transparente. Il faudrait plusieurs ennéades à Maciste pour se remettre complètement de cette éprouvante affliction, si jamais il se remettait un jour. Le médecin posa plusieurs questions, s’interrogeant sur ce goût de sel dont il se plaignait, sans prendre ombrage de l’accusation sous-jacente. « Vous semblez blâmer le poison, votre Grâce, mais j’ai quant à moi quelques doutes. » Fouillant dans l’un de ses sacs, il sortit une ventouse de verre finement ouvragée, comme on en trouvait qu’en quelques endroits en Estrévent. « Ou alors, votre occiseur est un bien étrange homme qui ne sait pas ce qu’il veut. Après tout, vous êtes réveillé, n’est-ce pas ? C'est que, s'il existe bel et bien, il doit bien le vouloir. » Il dégagea le torse de Maciste, puis claqua des doigts sous l’objet. Une petite flamme apparue, qu’il maintint quelques secondes avant d’éteindre en secouant la main. Puis, d’un geste prompt, il le posa au-dessus du cœur du Sybrond ; presque instantanément, la peau se souleva et devint cramoisie. « Cela chassera le mauvais sang, votre Grâce, » expliqua Jafar avec calme ; quelques secondes plus tard, trois autres fioles avaient trouvé leur chemin sur le corps du chevalier. Se tournant vers la Princesse, Jafar s’inclina. « Je vais me retirer, Sérénissime.

— Fais donc, je me chargerai de les lui retirer, » acquiesça la jeune femme, sans toutefois se retourner. « Profite en pour rassurer tout ce beau monde que j’entends piaffer derrière la porte.

— S’il le faut. » Jafar préféra cependant s’éclipser par une porte dérobée, peu désireux d’imposer à Maciste le brouhaha violent de ses partisans.

Alors, seulement, Kahina se retourna. Elle darda son regard opale sur son mari, troublée malgré elle par la vision de cet homme jadis si puissant et sûr de lui, qu’elle avait vu des ennéades durant s’enfoncer dans l’inconscience, lui rendre son regard. Il ne la comprenait pas. Elle le voyait bien, à son rictus presque haineux à son égard, il la maudissait pour ses réactions. Elle ne pouvait malheureusement rien y faire. Comment lui expliquer qu’après avoir tant œuvré, tant bataillé avec les uns et les autres, la perspective que son seul réveil suffît à précipiter sa fin la terrorisait ? Il ne pourrait pas comprendre, le fol, lui qui clamait qu’il ne voulait que régner à ses côtés, d’égal à égal. Elle le savait sincère, mais elle savait aussi qu’en ces temps, une femme n’était jamais vraiment l’égale d’un homme que quand ce dernier y consentait. Elle ne voulait pas qu’il y consentît ! Elle ne voulait pas être suspendue à son bon vouloir. Elle pouvait bien l’aimer — et à sa façon, elle l’aimait, qu’importaient ses doutes — cela n’y changeait rien. Cela changeait tout, même.

« Tu m’as demandé ce que j’ai fait pour m’attirer la rancœur de… » Elle hésita, à peine, mais tout de même, avant de continuer : « nos vassaux. Je vais te le dire. » Elle s’assit à ses côtés, caressant une des ampoules, puis commença son récit.

Elle lui conta la façon dont elle avait arraché Ys à son père, comme une vengeance pour elle et une promesse pour la noblesse du duché. Elle lui décrit sa relation avec Alastein, la façon dont elle avait cherché à le soustraire aux griffes du vieux renard, quand elle avait appris les projets de ce dernier. Elle voulut continuer, mais n’y parvint pas. Ces mots-là, ceux qu’elle devrait prononcer, elle les craignait plus que tous les autres. Ils avaient nourri sa colère, comprit-elle, parce qu’elle devait bien se l’avouer, elle aurait préféré ne jamais avoir à les confronter au regard sombre de Maciste. Pourtant, elle le devait.

« Alastein est mort. » Elle trembla. Son masque se fissura. La mort de l’enfant, elle ne l’avouerait jamais, la torturait encore. Elle n'était pas totalement dépourvue de cœur. « Je l’ai laissé aux bons soins des siens, ils l’ont vêtu de fer et l’ont emmené sur le champ de bataille, les fols. À moins que ce ne fût sa volonté à lui. Mais son véritable meurtrier, Maciste, n’est autre que le baron d’Ysari. Il m’a trahie au profit des Anoszia. »

La honte la brûlait de l’intérieur. Que n’aurait-elle pas voulu les mettre tous à genoux et leur trancher elle-même la tête, à tous ! Mais elle n’avait pas pu, parce que faire cela, c’était déclencher une guerre qu’elle n’avait pas été certaine de gagner. Une guerre qui aurait pu tout détruire et ne laisser à Athanase que de la cendre.

« J’ai dû renoncer à venger ton protégé. » énonça-t-elle finalement.

Kahina ne le laissa pas ajouter un mot de plus et, pour toutes réponses à ses accusations à peine voilées, lui asséna une gifle cinglante. Elle frappa si fort le malheureux que cela lui brûla désagréablement sa paume tendue, mais elle n’en fit rien paraître. Pas à lui, pas en cet instant où il se croyait en droit d’inverser les rôles. Ce n’était pas elle qui lui avait fait défaut, jamais. C’était lui qui s’était endormi, la bave aux lèvres, l’abandonnant aux chacals qu’il tenait pour vassaux. Qu’il se permît ensuite, à peine réveillé, de l’accabler de tous ces maux qui l’avaient assaillie, elle, était plus qu’elle ne pouvait tolérer et déjà se redressait, droite et fière.

« Tu veux savoir la vérité, Maciste ? La vérité, c’est que tu as abandonné Alastein et que j’ai sauvé sa sœur. »

Et sur ces paroles terribles, l’enfant se retourna et le laissa seul avec ses regrets. Qu’elle se montrât injuste à son égard, elle refusait d’y songer. L’envisager, c’était se mettre face à ses échecs et ses erreurs et elle s’en savait incapable. Cela ne l’empêcha pas, cependant, et ce dès qu’elle eut trouvé refuge, de se glisser contre un mur. Elle resta quelques secondes ainsi, immobile, avec la sensation terrible de se trouver au bord du précipice. Son ventre la torturait, ses épaules étaient prises de violents tremblements et quand, finalement, elle pleura, elle n’en retint aucun bien. Tout juste la morsure vorace de la honte s’ajouta à ses tourments.