[Intronisation] S'évaluer pour mieux se coordonner (Delnwë & Kelendil)

Neuvième ennéade de Barkios, VIII° année du XI° Cycle,
Palais d'Eteniril.

Et la soirée continuait, sans grand répit pour le nouveau seigneur-protecteur, qui au final ne mangeait jamais à sa place initiale puisqu'il passait son temps à passer de chaises en chaises pour pouvoir apprendre à connaître un maximum de convives, convives avec qui il serait amené à travailler. Se levant une nouvelle fois de table, Neraën prit le temps d'écouter la douce musique tout en regardant les différentes personnes aller d'un point à un autre du banquet. Il fronça les sourcils en remarquant qu'étrangement, les elfes semblaient suivre la musique et se déplaçaient selon différents rythmes. Comme si c'était un jeu. Il se dit un instant qu'un jeu liant chaises et musique pourrait être inventé, mais il se voyait mal courir pour attraper une chaise avant que la musique ne s'arrête ou change de rythme. Aussi son esprit se concentra à nouveau sur la partie de table qui lui restait à faire, se demandant à quelle heure son tour de table terminerait.

Au-dehors la nuit avait fini par tomber et, déjà, tous ceux qui faisaient quelque peu attention au paysage qui s'offrait à travers les fenêtres pouvaient admirer la vue splendide donnant sur les étoiles. Neraën laissa ses yeux se tourner quelques secondes vers ce spectacle auquel il était pourtant habitué et se remémora l'étrangeté de son rêve : un palais en ruine au sein même de la voûte céleste. En comprendrait-il un jour la signification ? Il était fort probable que non. Alors il fit un pas et les voix s'effacèrent. Un deuxième pas et un fin souffle d'air vint caresser son visage. Un troisième pas et le bruit des feuilles de papier qui dansaient sur le sol s'offrit à ses oreilles. Un quatrième pas, un cinquième... la sensation de ses pieds nus sur le sol froid de la salle du trône le ramena à la réalité, loin du chuchotement paisible de la Symphonie. Les bruits de la fête revinrent, les gens existaient à nouveau dans son esprit, chacun regardant et discutant avec l'autre sans vraiment faire attention à lui. Sauf un, habillé de l'uniforme de parade des capitaines de l'Armée Royale d'Anaëh, qui ne semblait pas être des plus bavards. Ayant une chaise libre à côté de lui, Neraën s'y installa et regarda de ses yeux couleur de glace le haut-gradé.

"La majorité des elfes qui sont venus aujourd'hui sont des politiciens. Que ce soit par convenance, étiquette ou curiosité, ils forment en cette soirée un groupe de personnes qui a besoin de se parler. Mais je suis ravi de pouvoir voir que l'Armée d'Ellyrion peut être représentée par deux des siens. J'espère que je ne te dérange pas, au moins ?"

"C'est un honneur que de vous rencontrer, seigneur protecteur. Je m'excuse de m’immiscer de la sorte dans votre conversation et j'espère ne pas vous déranger, auquel cas, je vous laisserais.

Neraën leva les yeux vers le commandant de l'Armée du Sud, reconnaissable aux habits qu'il portait. Le seigneur-protecteur se permit de le détailler rapidement du regard et n'eut aucun mal à voir la jeunesse en cet elfe étant pourtant le plus haut gradé de toute Anaëh. Cela lui faisait étrange, quelqu'un de si jeune... et pourtant, le vieil elfe était à même de savoir que ce n'était pas l'âge qui faisait tout ; lui-même s'était démarqué très rapidement. En fait, si la bataille du lac Uraal s'était pas passée autrement pour lui, il aurait peut-être bien été le supérieur hiérarchique du présent commandant - du moins pendant un temps -, pour ne pas imaginer être celui des deux elfes. Cette pensée le fit sourire intérieurement. Les temps changeaient, et que ce soit une bonne chose ou non, il ne pouvait que le remarquer.

- Ne t'excuse pas et viens donc t'asseoir, dit-il tout en montrant une autre chaise de la main. L'honneur est partagé.

Il laissa Kelendil s'asseoir tout en se présentant, fait qui n'était que caduque en cette situation : bien sûr que Neraën savait qui il était et bien sûr qu'on s'était évertué à le décrire avant que ne commence la cérémonie. De plus, voir un membre de l'armée suivi de deux gardes du corps laissait deviner l'importance de cet elfe. Par contre il n'était pas sûr de vraiment situer l'autre elfe, celui auprès duquel il s'était assis. Ce dernier, dénommé Delnwë, se présenta et enchaîna directement sur la guerre au sud de la forêt. A chaque présentation, Neraën inclina respectueusement la tête. Puis lorsque vint à son tour de prendre la parole, il regarda dans les yeux les deux militaires avant de répondre à l'archer.

- Avant de te répondre, Delnwë Iridwen, je vais demander à tous deux une chose : tutoyez-moi. Même si la tradition ainsi qu'un soit-disant respect demandent le vouvoiement, je n'ai jamais compris l'intérêt de la chose hormis de signifier à son interlocuteur qu'il y a plusieurs esprits dans sa tête.

Ses lèvres se plièrent en un fin sourire, montrant ainsi qu'aucune remontrance n'était faite. Au moins les deux elfes pouvaient-ils percevoir quel type de caractère possédait le seigneur-protecteur...

- Tu as bien entendu, j'ai effectivement été au front et tenu une lame. Tout comme vous j'ai fait partie de l'Armée d'Ellyrion et je sais donc ce qu'est la guerre, même si je n'ai pas eu à participer à un front enlisé. Quoi qu'il en soit je vois que l'armée est prise en main par une jeune génération, ce qui n'est, à mon sens, pas un mal. Les vieux ont tendance à rester campés sur les traditions et les habitudes, oubliant que la ruse et donc l'adaptation ont un poids considérable lors de conflits. Mais peut-être n'est-ce pas là votre point de vue ?"

Se tenant toujours avec droiture, il s'adossa contre le dossier de la chaise, laissant un court silence s'installer entre eux.

Neraën laissa le commandant de l'Armée d'Ellyrion parler, sans faire de bruit, mais son esprit ne put s'empêcher de détailler tout ce qu'il pouvait concernant ses deux interlocuteurs : attitudes, gestes, regards, mimiques, mots employés, tonalité de la voix... Et le principal personnage à être ainsi inspecté était Kelendil. Ce dernier ne l'avait peut-être pas fait exprès, mais il avait interpellé l'ancien lieutenant plus qu'il ne l'aurait dû. En effet, la prise de parole du jeune haut-gradé montra à Neraën qu'il n'avait pas assez confiance en lui et, visiblement, n'entrenait pas des liens étroits avec ses comparses. Erreurs. Pour le deuxième point tous avaient ce même problème, mais malheureusement cette excuse ne pouvait en être une lorsque l'on faisait partie de l'élite elfique, du moins à ce que pensait le seigneur-protecteur. Concernant la confiance en soi et en les autres... c'était un autre problème et il ne pouvait que penser à faire comprendre cela au commandant. Peut-être qu'en effet il avait besoin des conseils d'une vieille génération ? Il ne montra rien de ses interrogations. Il se contenta de le laisser terminer et de répondre à sa question, avant que Delnwë ne prenne la suite.

"Je n'ai eu que peu de d'échos de l'état du front, et si je ne peux réellement imaginer ce qu'il se passe au sud ce n'est que grâce aux récits de ceux qui y sont. Mais le fait de savoir que le front s'enlise a de quoi m'inquiéter. Les Drows sont réputés pour avoir la hargne nécessaire au combat.

C'est alors que Delnwë prit la parole. Comme pour Kelendil, il écouta ce qu'il avait à dire avant de répondre. Cette fois-ci, l'officier alla directement au but en lui demandant ce que lui pourrait apporter à cette guerre en tant que nouveau seigneur-protecteur, contrairement à plusieurs de ses confrères qui ne s'occupaient que de "politique". Neraën regarda intensément Delnwë dans les yeux, son regard de glace devenant alors dérageant. Puis il fit de même avec Kelendil, mais moins longtemps. Que pouvait-il lui répondre ? Qu'Eteniril s'était jusque là résolue à participer au front à cause de la mort de Ringwë, qui avait eu l'intelligence d'aller elle-même voir ce qu'il se passait là-bas ? Et qu'en plus de ce fait qui a considérablement refroidi le Haut-Conseil il y a eu les problèmes avec les noss qui ont augmenté ? Et pourtant... qu'avait à craindre Eteniril ? Mis à part l'ouverture sur la mer au nord, il n'y avait aucune frontière à risque et son armée était reconnue comme faisant partie des meilleures, presque au même niveau de celle de Daranovar - même si la mentalité y était différente. En somme, à y réfléchir, il y avait bien plus à gagner qu'à perdre à envoyer les soldats au front et certains pouvaient s'étonner de la non participation de ce protectorat. Neraën tourna à nouveau son regard vers Delnwë.

- Excuse-moi de ne pas réellement répondre à ta question, tu comprendras certainement pourquoi plus tard.

Puis en les regardant tous deux.

- Si j'envoyais une partie de mon armée se joindre au front et que je ne pourrais pas être à sa tête, de même que leur commandant, qui s'en occupera ? Les soldats de l'Armée d'Ellyrion semblent être en trop petit nombre pour chercher à s'occuper d'une armée qui n'est pas la leur, même si n'importe quel aigle équivaut à un officier. Et qu'allez-vous montrer de votre propre armée ?

Une question qui ne venait pas de rien. Que les deux militaires saisissent le pourquoi de cette question ou pas, cela n'avait aucune importance. L'important l'intention que Neraën allait mettre dans les paroles qui allaient suivre et, surtout, dans les actes qui pourraient arriver par la suite si les deux soldats l'acceptaient.

- Continuer à parler ne servirait pas dans le cas présent, vu ce qu'il me semble avoir constaté. Et le lieu ou plutôt le moment n'est pas opportun pour vous faire comprendre ce que j'ai à vous montrer. Serez-vous encore là demain ? Si oui dans ce cas je peux vous proposer une chose, à tous les deux : revenez ici-même vers trois heures de l'après-midi, avec vos armes. Si cela vous tente."

Une proposition saugrenue, mais le protecteur avait comme à son habitude besoin de voir et de montrer par des actes. Parce qu'il consatatait beaucoup par les situations qui se créaient plus ou moins volontairement autour de lui, bien plus que par les mots. Et ce qu'il venait d'entendre, de ressentir lui disait qu'il y avait besoin d'une séance d'entraînement. Elle donnerait ce qu'elle donnerait, mais il risquait de devoir passer par là.

Le temps. Chose étrange, intangible et pourtant visible que cette notion. Et ils manquaient de temps. Qu'est-ce que cela pouvait donc bien vouloir signifier ? Peut-être juste le fait que certains événements arrivaient plus rapidement que d'autre et que tout ce qu'il fallait faire avant que ces événements arrivent étaient trop importants pour tous être faits. Donc les Elfes, dans leur lenteur et routine habituelles, allaient moins vite que les Drows. Était-ce si étonnant que cela ? Pour Neraën, la réponse était clairement "non" : depuis que l'existence de cette race leur avait été révélée, les premiers à porter un coup étaient toujours les Noirelfes. Aux armées elfiques, maintenant, de répondre en conséquence. Et c'était dans ce cadre que le seigneur-protecteur d'Eteniril allait revoir deux hauts-gradés de l'armée royale.

Assis en tailleur sur l'herbe, son épée double reposant en équilibre sur ses genoux, Neraën attendait. Il profitait de ces quelques heures entre le moment où Anorn était parti et celui où il devrait retrouver les deux militaires pour reprendre des forces et être au maximum concentré. Parce qu'il lui fallait être en forme - ce qui n'était pas gagné d'avance malgré la boisson qu'il avait prise - pour vérifier ce qu'il souhaitait vérifier et, peut-être, apprendre aux autres ce qu'il pouvait être bon d'apprendre.

"Entre, Eon.

Le page entra, ne s'étonnant plus que l'elfe lui parle avant même qu'il ait frappé à la porte.

-Le commandant en chef ainsi que le capitaine de l'armée royale sont arrivés, Seigneur-Protecteur."

Le vieil elfe se leva, prenant son arme de la main droite, et s'avança sans un mot vers l'autre elfe. En cet après-midi, Neraën s'était vêtu très simplement : une courte tunique vert clair un peu fade et un pantalon marron, rien de moins original. Il ne portait ni armure ni breloque inutile et la partie avant de ses cheveux était, contrairement à son habitude, attachée. Son épée et son savoir-faire lui suffiraient. Il savait se battre contre des soldats d'élite et il considérait qu'un épéiste ne pouvait être considéré comme bon s'il n'était pas capable de frapper son partenaire avec le plat de la lame. Aussi partait-il confiant.

Lorsqu'il arriva dans la salle du trône, où s'était déroulée la soirée suite à son intronisation, les deux militaires l'attendaient. Le mage ne put s'empêcher de les détailler rapidement, s'amusant presque de l'impatience que l'un d'eux ressentait. Il demanda quelque chose à voix basse au dénommé Eon, qui lui répondit d'un signe de tête affirmatif. Neraën salua alors d'un signe de tête respectueux les deux invités.

"Commandant Kelendil Lennderiel, Capitaine Delnwë Iridwen... veuillez me suivre s'il-vous-plaît.

Même si la salle était assez grande pour que les trois elfes puissent se battre dedans sans soucis, Neraën préférait qu'il n'en soit pas ainsi. L'image de la salle abandonnée où se remarquaient encore des traces de combat sur les colonnes était encore trop présente pour qu'il accepte qu'une telle chose puisse se passer. Il les emmena donc jusqu'à une salle d'entraînement de taille tout à fait respectable, qui ne se situait pas très loin. Sur le il en profita pour discuter avec les deux elfes, leur demandant s'ils allaient bien et autres questions habituelles lorsque l'on s'intéressait à quelqu'un. Puis ils arrivèrent dans ladite salle où ne se trouvait personne, les laissa entrer puis referma derrière lui. Il fit quelques pas dans la large pièce et, tenant toujours son arme, récita avec cœur des mots provenant d'un ancien temps.

-Kinganor' oesdath cerem aendnar
Gôr dorthei i'dhauar naru henair deledh i mud
Law meneg, law cered, em erud
Venil nimrae an i'dhauar telnar
Temel hind anna achas ah anwar
Nelyn rân goth istaed avdannar.

Il guetta la réaction des deux elfes tout en se plaçant face à Kelendil. Comme il s'en était douté, l'incompréhension se lut sur le visage de l'archer comme de l'ambidextre. C'en était triste. Et pourtant, que celui qui avait été lieutenant puis capitaine des Aigles ne connaisse pas la signification de ces mots était en partie de sa faute : la guerre était arrivée si vite que les hauts-gradés des Aigles n'avaient pas eu le temps d'assurer une juste transmission. Que dirait Maëndel, son premier capitaine, celui qui lui les avait lui avait appris lors de son entrée chez les Aigles ? Certainement qu'il était triste que l'armée en soit arrivée là. En attendant il devait se retourner dans sa tombe depuis près de trois siècles...

-Il semblerait que ces mots se soient perdus au fil du temps... il va falloir que je remédie à cela !

Fidèle à lui-même, Neraën n'expliqua pas ce qu'ils signifiaient à ses interlocuteurs. Des mots qui avaient réussi à traverser les cycles, notamment grâce à ce grand capitaine... Enfin, grand... Oui il l'avait été, mais c'était surtout qu'il était devenu cher au cœur de Neraën. Maëndel avait toujours su faire preuve de recul par rapport à ce qu'il voyait et vivait, constatant parfois que certaines traditions n'étaient plus adaptées à l'époque qu'il traversait. Sage, il avait décidé de s'éteindre à un moment où l'armée n'avait plus besoin de lui, après quatre cycles de vie sur terre. Neraën était là ce jour-là, avait longuement parlé avec lui en ressentant sa décision. Et au final l'avait accompagné. Ce fut ce soir-là que sa lieutenante devint capitaine et que lui-même devint lieutenant.

-Kelendil, à toi l'honneur ! Delnwë, je m'occuperai de toi après. En attendant regarde, je pense que tu auras des choses à redire."

L'elfe aux cheveux blancs se positionna, prêt à répondre à l'attaque du commandant. Ce dernier était ambidextre, ce qui n'allait pas lui faciliter la tache. Mais Neraën était sûr d'une chose, une qui lui ferait gagner ce duel. Il attendait juste de voir comment Kelendil se rendrait compte de cela.

Une épreuve ou un reproche ? A la fois aucun des deux et les deux à la fois. En fait, c'était bien plus une leçon qu'autre chose. Une leçon où un regard extérieur pourrait toujours être intéressant. De plus que celui qui donnerait ses impressions et réflexions aurait lui aussi droit à son combat. Alors le protecteur continua, n'offrant pas de réponse politiquement correcte à son interlocuteur. Il verrait par lui-même, il ressentirait cette séance comme il le voudrait. La balle était dans son camp, Kelendil était le seul à pouvoir décider de ce qu'il se passerait.

Comme il avait été convié à le faire, le commandant de l'armée royale attaqua son hôte après avoir hésité. Comme avait pu s'y attendre Neraën, son adversaire le testa en premier lieu afin de voir ses réflexes et s'il n'avait pas de failles dans sa défense. Ensuite seulement commença le combat. Duel qu'apprécia tout à fait le protecteur puisqu'il n'était pas tant que ça habitué aux ambidextres. Et vu la précision avec laquelle l'elfe jouait de ses lames, si Neraën avait eu quelques centaines d'années de moins il aurait certainement perdu ce combat. Combat, pourtant, qui manquait un peu de saveur. Un manque de saveur que le vieil elfe faisait ressentir par la froideur avec laquelle il parait les coups et esquivait, comme s'il n'était plus qu'une machine sans âme, juste faite pour l'art du combat.

Les minutes passèrent, voyant deux anciens aigles s'affronter sans qu'aucun ne donne l'avantage à l'autre. Le premier était jeune et portait le poids des responsabilités. Le second était vieux et portait encore en lui les enseignements du passé, enseignements qui savait-il n'avaient pas pu être transmis correctement à cause des guerres comme celles du lac Uraal et d'Ellyrion. Quelques coups encore s'échangèrent. Puis alors que le commandant avait repris l'offensive et portait l'une de ses épées sur son côté, Neraën para le coup avec la garde, si bien que l'amre se trouva entre la lame et la garde. Alors sans laisser le temps à l'elfe de réagir, il fit tourner sa propre arme sur elle-même, juste en cassant ses poignets, de sorte à ce que la lame de Kelendil soit coincée par la garde et la lame. Puis il tira un coup tout en bougeant afin d'esquiver l'autre épée, désarmant ainsi en partie son adversaire. En quelques pas il eut l'opportunité de poser le tranchant de sa lame contre le cou du haut-gradé, arrêtant ainsi le duel. Il se retira de quelques pas et salua d'un signe de tête Kelendil, lui faisant ainsi comprendre qu'il avait aisément gagné son respect en tant qu'adversaire. Il posa son épée et prit une gourde qu'il tendit à Kelendil.

"Qu'as-tu pensé de cet entraînement, Kelendil ?

Une fois que celui-ci eut répondu, il se tourna vers l'archer qui avait pu suivre de l'extérieur tout ce qu'il s'était passé lors de ce duel. Tout en l'écoutant, Neraën but une grande gorgée d'eau.

- Et toi Delnwë ? Quel a été ton ressenti, ce qui a été ou pas, des remédiations si tu en vois ?"

L'avis de Kelendil était intéressant. Mais pour le coup celui du capitaine l'était encore plus.

Spoiler:

Neraën écouta, étonné et amusé par les dires des deux soldats. Que Delnwë affirme qu'il n'aurait pas aimé se retrouver face à l'un des deux bretteurs n'était pas étonnant, mais c'était un compliment qui faisait toujours chaud au coeur. Au moins le protecteur pouvait en déduire qu'il n'avait pas perdu la main, au contraire même. Enfin, ils avaient eu tous deux l'impression que c'était la dure froideur avec laquelle Neraën avait affronté son adversaire qui lui avait permis de remporter la victoire, alors qu'il n'en était rien. Leur façon de voir la chose l'étonnait, franchement. Il ne s'était pas attendu à un tel raisonnement. En même temps, les deux elfes l'avaient en face pour la première fois seulement. Ils ne le connaissaient donc pas assez pour savoir quelle était sa véritable façon de combattre, fort différente de celle qu'il venait de présenter.

Considérant de par ces réactions qu'il valait mieux qu'il écourte sa démonstration, ne désirant pas non plus emmener ses deux hôtes vers un mauvais chemin, il s'assit. Il prit une nouvelle gorgée d'eau et regarda tour à tour l'archer et l'épéiste. Il eut un bref hochement de tête en même temps qu'un fin sourire se dessinait sur son visage, repensant aux paroles prononcées. Puis il finit par répondre aux attentes de ses interlocuteurs.

"Comme l'a justement fait remarquer Delnwë, nous avons chacun notre façon de voir les choses et de combattre. J'ai combattu d'une certaine manière, elle n'était pas meilleure que la tienne. Je pense même que tu pourrais facilement me battre, surtout en tant qu'ambidextre. Je vais te demander quelque chose, si tu l'acceptes Kelendil : sur quoi te concentrais-tu lorsque tu te battais ? Quel était ton état d'esprit ? Et désirais-tu réellement gagner ce duel ?

Il se concentrait sur ses mouvements, mettait son être dans l'art du combat. C'était ainsi que l'avait ressenti Neraën, qui avait réagi en conséquence en faisant en sorte de dénuer ses gestes de toute âme. Il avait donc réagi de façon très machinale, comme s'il s'agissait d'une danse macabre. Une danse si froide que l'on se serait cru auprès de la mort elle-même. Après, ce n'étaient là que ses ressentis et ce qu'il avait voulu mettre en avant. Une fois que Kelendil eut répondu, il lui posa une autre question.

- Maintenant imagine que je sois un drow et que je sois venu attaquer les Elfes, tes propres frères. Je reste face à toi, te calculant comme un adversaire potentiel. Tu as le temps de voir que j'ai du sang sur mes mains, celui de ta propre famille, et d'un coup je plante une arme dans l'arbre qui se trouve juste à côté de moi. Mon but ? Juste faire souffrir. Pour le plaisir, juste. Par sadisme. Comment réagis-tu ? De quelle manière vas-tu m'affronter ? Quel va être ton état d'esprit ?

Il se tourna vers Delnwë. Avant que le chef de l'armée d'Ellyrion ait pu répondre, il s'adressa au capitaine d'archerie.

- Et toi Delnwë, mettrais-tu en avant la froideur ou au contraire ta volonté ?

Il les laissa très rapidement réfléchir à cela. Lorsque le premier voulut répondre, il lui fit doucement signe de garder sa réponse pour lui-même. Qu'il intériorise ce que lui-même avait vécu, qu'il se mette dans sa propre peau pour un avenir qui pourrait être plus proche qu'il ne le pensait. En effet, le front au sud de la forêt ne pourrait pas durer éternellement, les Elfes ne tiendraient pas une éternité à combattre sans arrêt et risquer leurs vies.

- Kinganor' oesdath cerem aendnar
Gôr dorthei i'dhauar naru henair deledh i mud
Law meneg, law cered, em erud
Venil nimrae an i'dhauar telnar
Temel hind anna achas ah anwar
Nelyn rân goth istaed avdannar.

Lorsque la nuit vient les soldats veillent
La terreur hante nos bois alors que nos frères murmurent leur peine
Ils ne sont pas mille, ni cent, seulement qu'un
Fiers de leurs armes à la forêt ils se donnent
Que leurs yeux engendrent peur et respect
Car nul ennemi de ces soldats saurait ne pas tomber.

Il eut un sourire nostalgique.

- C'était une litanie que mon capitaine récitait à tous ceux qui entraient chez les Aigles lorsque j'étais encore jeune. Tu n'as pas pu le connaître, il a décidé de s'éteindre lorsque nous n'étions en conflit contre personne de particulier, donc lorsque l'armée pouvait se permettre de ne plus avoir besoin de lui. Il mettait un point d'honneur à ce que ses aigles ne forment qu'un, mais également à ce que la peur hante chaque ennemi se retrouvant face à l'armée d'Ellyrion et que tous ceux qui étaient sous ses ordres soient respectés comme il se devait. Et cela passait par bon nombre de choses, y compris le fait de montrer l'exemple même devant l'enfant noss que l'on pouvait croiser à tout hasard dans un coin perdu de la forêt.

Ses yeux glacés plongèrent dans ceux de Kelendil. Avait-il compris où il voulait en venir ?

- Arrête de te déprécier, Kelendil. Tu as été un aigle, tu vaux n'importe quel haut-gradé de n'importe quelle armée protectorale voire même plus ne serait-ce que par ce fait. Et aujourd'hui, tu es le commandant en chef de l'armée d'élite de tout Anaëh ! Que tu ais deux cents, quatre cents ou trois mille ans, cela ne change rien, tu es là parce que tu as toutes les capacités pour et que tu les as déjà prouvées. Alors ne laisse pas les autres douter de toi. Tu es celui qui fait référence en Anaëh, rien qu'en te voyant je dois avoir du respect envers toi. Et je te dis cela parce que je sais que tu es tout à fait capable de surmonter ce que tu ressens pour t'assumer pleinement. Mais pour cela il faut que tu ais le bon état d'esprit. Tu ne sembles pas l'avoir remarqué, mais je n'ai mis aucun coeur au combat que nous venons de faire. Une simple machine académique. Et j'ai réagi uniquement en fonction de toi.

Il se releva, prit son épée à deux mains et se tourna vers l'archer.

- A nous deux, maintenant. Tu n'allais quand même pas croire que j'allais t'épargner ?

Pendant que l'épéiste se reposait et observait la scène, le pauvre Delnwë n'eut d'autre choix que d'affronter le protecteur dans un duel amical. Bien sûr Neraën fit attention à se mettre à peu près au niveau de son adversaire, mais le résultat fut en faveur du vieil elfe. Celui-ci sourit, félicitant en même l'archer qui se débrouillait très bien à l'épée pour son corps d'armée. Puis il se remit en postion de combat, invitant du regard le commandant à les rejoindre.

- Maintenant vous avez pu tous les deux voir d'un côté comme de l'autre de la barrière. Alors maintenant je vais vous affronter tous les deux en même temps, cette fois-ci selon mes habitudes. Désormais, vous avez toutes les clefs en main. Faites-moi perdre."

Il laissa un sourire confiant orner son visage, le temps de se réimaginer la guerre, la colère de ressentir les siens souffrir mais sans pour autant se laisser emporter. Le temps que ses deux adversaires puissent s'échanger une parole ou un regard. Puis il s'élança sur Kelendil en sautant, abattant violemment de biais l'une de ses lames sur lui tout en hurlant à en faire peur. Un hurlement comme bien des guerriers peuvent avoir au cours d'une bataille, un cri qui vient des tripes. Là était l'ancien aigle, danse mortelle dévouant son âme au combat et non pas seulement à la précision qu'il devait apporter à ses gestes.

Là était la dernière partie de la leçon.