Des retrouvailles après de longues années (Fineldor)

Maudit temps... maudite pluie... maudits nuages qui s'évertuaient à déverser leur eau depuis plusieurs heures. Il pleuvait tellement que je n'arrivais pas à voir à plus de quelques mètres devant moi et je ne pouvais m'empêcher de porter un regard soucieux à mon focalisateur magique ainsi qu'à la protection magique que j'avais créée au-dessus de moi. A combien de temps étais-je de Tethien, encore ? Peu... mais cela pouvait s'avérer s'évaluer en heures, j'étais incapable de voir où j'en étais vraiment. J'arrêtais ma monture et regardais à nouveau le bouclier qui me servait de parapluie avant de soupirer longuement. J'étais fatiguée, très fatiguée. Et c'était bien plus la magie qui me fatiguait que le voyage en lui-même, pour le coup. Alors je rabattis ma capuche sur la tête, fermai au maximum ma cape et laissa s'effilocher au fur et à mesure le bouclier qui se trouvait au-dessus de moi. J'allais être trempée, je le savais. Mais là je n'avais plus trop le choix. Me perdant un moment dans mes pensées, la magie se brisa d'un seul coup et toute l'eau qui était restée sur le parapluie improvisé tomba en masse sur ma tête, me mouillant sans vergogne des pieds à la tête malgré la cape. La monture n'apprécia pas, moi encore moins... sale temps, vraiment.

~~~~~~

"Mmmm... Monsieur ? Monsieur ?

Le garde qui se tenait devant la porte posa son regard sur moi, petite chose toute petite et toute frêle complètement mouillée qui osait s'adresser à lui. Il put remarquer que déjà le tic nerveux de m'entrelacer les doigts était présent, synonyme de la timidité maladive qui m'habitait depuis que j'étais adolescente. Il se passa un instant avant que je n'ose reprendre la parole, avec difficulté.

-Je... je viens voir Fin' euh... le Protecteur Elwëndrion. Savez-vous où pourrais-je le trouver ?

Le soldat regarda son comparse de l'autre côté de la porte comme pour lui demander silencieusement quelque chose, hocha la tête puis me regarda à nouveau.

-Suivez-moi."

Après un simple hochement de la tête pour le remercier je le suivais, mes quelques affaires dans mon sac presque aussi trempé que moi pendant à mon épaule. Je le suivis dans le dédale de couloirs jusqu'à me retrouver devant une porte que je ne connaissais aucunement. Les nouveaux appartements de Fineldor ? Je savais qu'il était devenu protecteur depuis peu, et donc qu'il avait déménagé pour vivre au palais. Et donc forcément je ne savais pas où le trouver ni comment m'adresser à lui... Avait-il changé ? L'étique voulait-elle que je le vouvoie, que j'arrête de le nommer par son prénom ? Et comment réagira-t-il à ma venue ? Je ne l'avais pas spécialement prévenu que je viendrais (du moins que j'arriverais aujourd'hui).

Alors que toutes ces questions se posaient dans ma tête, mes mains n'arrêtaient pas de se serrer mutuellement, mes doigts s'entrelaçant. Bonjour ou... bonsoir peut-être ? Il y avait tellement de nuages que le soleil ne pouvait les percer... Bon alors : Bonjour Fin ! Non... ça ne va pas, il est protecteur maintenant. Ah mais comment dois-je l'appeler ? Fineldor ? Elwëndrion ? Je le vouvoie ? Bon allez... du calme ma pauvre ! Tu as déjà parlé à des protecteurs, non ? En quoi ce serait différent là ? Parce qu'il est ce que l'on appelle un ami pour toi et que tu ne l'as pas revu depuis plusieurs années ? Qu'il a changé de statut ? Oh vraiment qu'est-ce que tu es bête Eno ! Ce n'est pas parce...

Un éclatement de voix me fit sursauter, m'arrachant presque un petit cri aigu de surprise. Fineldor... C'était sa voix, son ton colérique, sa vivacité... Je le regardais débouler sans même me remarquer dans la pièce, visiblement énervé par quelque chose que je ne pouvais certainement pas comprendre. Je regardais un instant autour de moi et vis que le garde n'était plus là. Je n'osais pas trop m'approcher de Fin', mes doigts s'entremêlant encore, hésitante. C'est alors que je réfléchissais à tout allure comment je pouvais l'interpeller sans qu'il ne me crie dessus lorsque tout à coup...

"ATCHI !"

J'éternuais, provoquant ainsi un son aigu que certains qualifiaient de "mignon". Ah oui... c'est vrai, j'étais encore trempée comme si je venais de prendre un bain toute habillée et que j'avais oublié de me sécher avant de poser les pieds sur le plancher - le sol étant désormais imbibé d'eau sous mes pieds. Voyant le protecteur se tourner vers moi je souriais bêtement, lançant sans plus réfléchir un bonjour sincère.

"Bonjour, Fin'."

"Tu... tu vas plus la tremper qu'autre chose tu sais...

Je baissais la tête tout en laissant Fineldor se défaire de sa cape immaculée pour la poser sur mes épaules, comme si cela pouvait m'aider en quoi que ce soit. J'appréciais l'attention, mais j'étais tellement trempée qu'il ne fallut pas longtemps pour voir des tâches d'humidité se former sur le tissu. Par pudeur je refermais encore plus ma propre cape sur moi... je sais que je n'avais pas beaucoup de formes, même pour une elfe, mais bon. Les vêtements me collaient à la peau et ma cape était bien ce qu'il y avait de plus épais sur moi. Faisant juste attention à bien prendre mon sac de voyage relativement maigre, je me laissais guider par le maître des lieux sans poser la moindre résistance. Je fus quelque peu gênée par ce que ma présence occasionnait, mais pouvais-je seulement attendre autre chose que de lui ? Non, je ne pense pas. J'avais bien vu sa réaction lorsqu'il avait appris malgré moi le mal qui me rongeait depuis le siège d'Alëandir et c'était à peine s'il avait voulu me laisser repartir pour continuer mes recherches. Mais c'était il y a plus d'un siècle, cela. Depuis nous ne nous étions pas vraiment revus.

-Toutes mes excuses, Enoriel, pour ce piteux accueil. Même s'il ignore ce qui t'atteint, je suis mortifié de te savoir ainsi. Je vais faire en sorte de t'installer au mieux. Et peut être voudras-tu ensuite me dire quel bon vent t'amène en la belle cité de Tethien ? Car j'avoue avoir plaisir à te revoir...

Je relevais la tête et souris à mon ami d'enfance. Non, vraiment, il ne changeait pas. Toujours aussi protecteur... c'était d'ailleurs amusant que les siens lui aient confié le protectorat, lui donnant ainsi le titre de Protecteur de Tethien.

-Ne t'excuse pas, Fin'. Je ne t'avais pas prévenu que j'arriverais maintenant et... enfin... tu sais, un simple b'TCHI ! bain me suffira. Et peut-être un feu aussi, mais bon, je ferai sans s'il le faut.

Je pris dans l'une de mes poches trempées un bout de tissu toute aussi trempé dont je me servis comme mouchoir. Puis nos pas nous firent parcourir la distance qui nous séparait de la fameuse chambre des invités. Tout en marchant, je ne pouvais m'empêcher de jeter quelques regards sur cette partie du palais, notamment sur l'architecture : m'étant à une époque fortement intéressée à l'architecture en général, je ne pouvais m'empêcher d'attacher une certaine importance à ce que je voyais.

-Concernant pourquoi je viens en cette belle cité, disons que je recherche toujours à être plus efficace dans mes sorts, que ce soit pour créer et manipuler du vent ou bien pour le condenser de sorte à créer un bouclier. Et j'ai pu lire quelques livres à l'Académie d'Alëandir sur le sujet, de vieux livres passionnants sur lesquels je n'étais jusque là pas tombée, à savoir pourquoi, peut-être parce qu'ils viennent d'être ajoutés à tous les autres. Enfin tu me connais, je trouve pratiquement tous les livres passionnants, surtout lorsqu'il s'agit d'Histoire ou de magie... Enfin là n'est pas la question ! J'ai lu ces livres et j'ai remarqué qu'il y avait des détails qui manquaient, sans pour autant savoir lesquels. Je me suis dit que l'Académie de Tethien étant spécialisée dans des domaines magiques plus élémentaires, que sa bibliothèque ou celle de Tethien en général aurait certainement des écrits sur le sujet.

Ca y est, j'étais partie sur la magie... adieu timidité, bonjour passion ! Fineldor avait de quoi sourire : je ne lui laissais même pas le temps de me répondre que j'enchainais déjà sur le principe magique que j'avais pu déjà commencer à tester.

-Je crois que je t'en avais déjà parlé la dernière fois, ou peut-être par lettres, mais jusque là le principe que j'ai du vent est de créer une base qui tourne en spirale de sorte soit à pouvoir faire une tornade de bonne forme, soit à permettre d'augmenter considérablement la puissance du sort, quoi que j'en fasse par la suite. Mais là l'idée de prendre une pente nettement moins douce et de faire, en quelque sorte, des croix. Je fis des gestes avec mes mains, afin de matérialiser ce que je présentais, ce qui se traduisit par des filets d'eau provenant de ma propre cape. Ca c'est pour la tornade. Pour les boucliers, c'est différent, il faudrait que...

Je m'arrêtais de parler, voyant le protecteur ouvrir une porte menant à des appartements. Nous étions déjà arrivés ?

-Oh... J'ai encore monopolisé la parole, n'est-ce pas ? Je me suis encore laissée allée à parler magie. Désolée...

Je baissais la tête, quelque peu désolée, tout en sentant mes joues se teinter de rouge. Qu'est-ce que je pouvais devenir bavarde lorsqu'on abordait ces choses-là !

-Mais toi, que deviens-tu ? Le rôle de Protecteur te plait ?"

Pendant que Fineldor répondait à ma question, je regardais pensivement le fauteuil sur lequel il m'avait assise. J'étais en train de le tremper... il manquait plus que ça, que j'abime toutes les belles choses qui se trouvaient en ce palais ! Un fin sourire s'affichant sur mes lèvres, alors qu'il énonçait les inconvéniants de sa charge auxquels il n'avait pas forcément pensé, je me levais et me défis des deux capes qui pesaient sur mes frêles épaules. Sans faire de bruit je les étendais sur le sol en me disant qu'elles sécheraient plus rapidement ainsi, d'autant plus qu'avec le feu le sol carrelé était chaud. Une chaleur bienfaisante qui me poussa à enlever mes chaussures trempées et à m'asseoir juste devant le feu. Lorsqu'il parla de l'académie de Tethien qui n'était selon les dires de ses conseillers pas une priorité, je regardais en sa direction, heureuse de simplement pouvoir être réchauffée par un feu de bois, et lui répondit.

"Si tu veux être professeur ou pas au sein de ton académie, il est à toi seul d'en décider. Tu verras dans quelques temps si ta fonction te prend trop de temps pour cela ou pas. Concernant le fait que l'académie ne soit pas une priorité... peut-être veulent-ils dire par là qu'avant de s'occuper de rehausser le niveau en magie, qu'il y a besoin de s'attaquer en premier lieu à des choses plus graves, qui touchent tous tes Elfes ? Peut-être que la guerre au sud-est demande de la nourriture, qu'il y a des problèmes au bord de la cité portuaire à cause de pirates... enfin je ne fais que supposer. Mais prends le temps de bien faire, la magie est un art trop précis et précieux pour laisser quelques écueils la détériorer.

Il y eut un court silence puis, laissant sa colère retomber, il revint au sujet de ma venue. Je ne pus m'empêcher de rougir légèrement quand il affirma que ma venue était comme une lueur dans l'obscurité et que j'étais ici comme chez moi. Même l'académie de Tethien m'était ouverte, ce qui n'était pas chose anodine venant de mon confrère. Je me retournais quelque peu pour le regarder lui, nos regards se croisèrent... des yeux emeraude qui m'avaient manqué. A nouveau un silence... En détaillant les traits de son visage, je me dis qu'il devait trouver que j'étais vraiment dans un sale état, lui qui avait tendance à me surcouver depuis qu'il avait appris que je pouvais tomber malade. En même temps, il fallait dire que je ne devais pas faire très présentable avec ma longue robe blanche me collant à la peau... me collant à la peau... me collant à la peau ?!

Je devins soudainement aussi rouge qu'une pivoine et, en un geste précipité, je me retournais vers le feu tout en reprenant la cape la plus proche de moi et la roulant maladroitement autour de moi. Ma robe me collant à la peau... on était en été, cette robe n'était pas la plus épaisse... et j'avais oublié que le fait d'être trempée faisait que la robe prenait toutes mes maigres formes et que c'en devenait gênant. C'est que je tenais à ma pudeur et que... oh par les Cinq, être ainsi vêtue devant Fineldor ! J'étais si gênée que toute notion de honte ou autre ne semblait même pas pouvoir s'infiltrer dans mon esprit.

- D... Dé... Désolée, je... j'avais presque oublié que j'étais trempée.

J'inspirais un grand coup pour enlever cette gêne et expira doucement. Décidément... Fichue pluie.

- Merci de me laisser accéder à l'académie, mais normalement je devrais surtout avoir besoin de la bibliothèque. Comme ça, si je crée un ouragan par erreur, je ne devrais pas déranger tes élèves ! Et puis ça leur fera un bon exercice de tout remettre à sa place grâce à la magie.

Un rire cristallin sortit d'entre mes lèvres. Moi, créer une catastrophe dans une bibliothèque ? Impensable ! Je tenais trop à ce que pouvaient contenir les précieux ouvrages pour ne serait-ce qu'essayer quoi que ce soit dessus. La magie me servait juste à tourner les pages ou à ranger un livre, rien de bien compliqué et surtout rien de dangereux. On toqua à la porte. L'heure du bain, suposais-je.

- Je crois qu'il va falloir que tu me laisses quelques minutes, le temps que... hum... que je me lave. Tu reviendras tout à l'heure ?"

"Oui... bien sûr... Je m'en vais donc te laisser. S'il te faut quoi que se soit, fait le savoir immédiatement. Je vais donc te laisser."

Je souris timidement, m'amusant de la prise de parole quelque peu hésitante de Fineldor. Le fait qu'il se répète ne lui était pas habituel, aussi je me demandais si ce n'était pas à cause de ma tenue d'il y a seulement quelques secondes qu'il était... déstabilisé. Si c'était le cas, j'en étais désolée et confuse. Je refermais donc encore plus ma cape sur moi, laissant le protecteur quitter la pièce alors que le page entrait pour déposer le nécessaire pour le bain. Je le remerciais d'une parole agréable puis, désormais seule dans la pièce, me permis d'enlever la cape afin qu'elle puisse sécher sur le sol. Puis j'enlevais ma robe, avec un peu de mal à cause du fait qu'elle me collait à la peau ainsi que du fait de la lourdeur de ma longue chevelure trempée qui n'aidait pas. Désormais aussi nue qu'une brindille sans la fine couche d'écorce qui l'englobe habituellement, je pris un moment à rester auprès du feu, me réchauffant encore avant de m'éloigner du doux âtre. J'étais bien là comme ça, recroquevillée sur moi-même, mes cheveux formant comme un rideau sur ma peau. Rideau qui glissait sur le sol lorsque je bougeais la tête, ajoutant une caresse humide sur mon corps assez pâle. Je restais un moment comme cela puis finis par me relever et mettre près du bassin tout ce qui pourrait me servir. Enfin, après avoir trempé mon doigt dans l'eau pour vérifier la température, j'entrais dans le bain.

Je soupirais d'aise. L'eau était chaude sans trop l'être et cela faisait un bien fou. Alors que mon esprit fatigué commençait déjà à divaguer, mes mains se mirent par habitude à danser au-dessus de l'eau, invoquant un petit tour de marionnettes. Des guirlandes d'eau commencèrent à prendre forme et à monter vers le plafond, mes fins doigts les faisant toutes prendre des formes différentes. La tête appuyée contre le bord, je regardais tout aussi admirative que pensive le ballet qui se déroulait devant mes yeux. Si j'avais plus de mal avec l'élément de l'eau qu'avec celui de l'air, j'arrivais tout de même à créer des petites choses artistiques que je trouvais tout simplement magnifiques. C'était quelque chose que j'appréciais vraiment avec la magie... ce simple fait de pouvoir créer juste en faisant danser ses doigts dans l'air.

Cela dura un bon moment, peut-être une dizaine de minutes, ou moins... jusqu'à ce que je sente mes yeux se fermer d'eux-mêmes. Je m'obligeais donc à arrêter mon jeu du moment ainsi qu'à prendre le savon et le frotter sans grande vigueur sur ma peau et mes cheveux. J'étais toute fine et pas bien grande, aussi cela alla relativement rapidement. Le plus compliqué fut de me relever etde m'emmitouffler dans des serviettes. Je me frottais déjà les yeux de fatigue, comme une enfant. Décidément... cette pluie m'aura bien plus fatiguée que ne l'aurait fait un voyage lambda. Maintenant sèche, je m'occupais d'enfiler avec attention la robe bleu argenté que l'on avait posée sur le lit. Elle était belle, douce au toucher, confortable... mais un peu trop grande. Je me regardais quelques secondes dans un miroir et souris en trouvant que c'était une couleur qui m'allait bien. Je rangeais rapidement les affaires et ouvris la porte afin de dire au page qu'il pouvait revenir et annoncer à son protecteur qu'il pouvait revenir. Tout en bâillant je pris les affaires qui étaient restées dans mon sac et m'occupais de les placer de sorte à ce qu'elles sèchent elles aussi. Par contre, mes deux pauvres livres étaient également trempés. Il allait falloir que j'utilise ma magie pour décoller les pages sans les abimer. Et là malheureusement j'étais trop fatiguée pour pouvoir faire autre chose que déchirer leurs précieuses pages. Aussi je les plassais à un endroit pas trop froid mais pas pour autant près du feu, tout en faisant grandement attention à les garder le plus intact possible. Une fois la chose faite, je m'assis dans un fauteuil tout à fait moelleux et repliais mes jambes contre mon buste. J'attendis.

Lorsque Fineldor arriva, à peine quelques minutes plus tard, il trouva une elfe aux longs cheveux dorés assise sur un fauteuil, recroquevillée contre elle-même. Sa respiration était douce et ses yeux noisette étaient fermés. Le sommeil l'avait emportée, la laissant dans un repos bien mérité reprendre les forces qui lui manquaient.

Musique

Lorsqu'il la déposa sur le lit, l'elfe à la longue chevelure d'or se recroquevilla doucement sur elle-même. Encore plongée dans un sommeil bienfaiteur, les traits de son visage ne montraient que sérénité. Il la recouvrit d'une belle couverture douce et réchauffante, faisant bien attention à ne pas la réveiller. Comme un père aurait bercé son enfant alors que celle-ci se serait endormie trop tôt. Ce qui était en quelque sorte le cas, puisque Enoriel avait gardé toute une part d'enfance en elle ; un côté curieux, joueur et naïf qui faisait que le temps semblait ne pas pouvoir la toucher. Pourquoi, alors qu'elle avait elle-même connu un épisode tragique ainsi que des moments difficiles au cours de son existence ? Peut-être était-ce parce qu'elle avait besoin de compenser la perte d'un être cher par un reste d'enfance... peut-être.

Le grand elfe partit, ne faisant aucun bruit, et ferma la porte derrière lui. A la lueur des étoiles - puisque le ciel s'était enfin dégagé - se trouvait toujours le petit bout de femme qui respirait paisiblement. Au fond de ses songes dansaient des myriades de guirlandes et de personnages d'eau et d'air, rappel de nombreux souvenirs liés à cette cité dont elle en connaissait surtout le protecteur.

~~~~~~~~

Je frottais mes yeux endormis de ma main, comme une petite enfant. Puis j'ouvris les paupières pour m'apercevoir que j'étais dans une pièce que je ne connaissais pas. Je m'assis alors sur ce qui s'avérait être un lit, tout autant étonnée qu'intriguée, et regardais autour de moi. Par la fenêtre je pouvais apercevoir les premiers rayons de soleil traverser les fenêtres de la chambre, montrant en même temps une salle où différents meubles étaient répartis de manière très esthétique mais également pratique : commode, table, chaises, tapis, miroir... J'avais dû oublier que j'étais allée me coucher dans la chambre d'invités. Et je devais vraiment être fatiguée puisque j'étais encore habillée dans la robe que l'on m'avait passée hier ! Ou bien m'étais-je endormie sur le fauteuil ? Je ne savais plus...

Je finis par me lever, sans faire de bruit, et marchais jusqu'à la porte fermée. Je posais une main sur la poignée et appuyais doucement pour éviter de faire du bruit, comme je m'étais habituée à faire au fil des siècles. J'aimais le silence et me rendre toujours plus transparente était un art auquel je ne cessais de m'amuser. La porte s'ouvrit, je regardais ce qu'il y avait de l'autre côté : une pièce avec des fauteuils, un feu depuis longtemps consumé et de nombreuses affaires étendues sur le sol. Cette partie-là je m'en rappelais. Alors j'avançais avec ma grâce habituelle, jusqu'à arriver au livre que j'avais laissé sécher dans des conditions qui auraient pu être meilleures. Enfin, "au"... J'avais deux ouvrages pourtant !

Fronçant les sourcils je me retournais et vis alors Fineldor assis sur sur le fauteuil où je me trouvais la veille au soir, endormi et un livre reposant sur ses genoux. J'eus un sourire. C'était attendrissant et beau à la fois, surtout avec l'éclairage qui créait un fort contraste entre lui et le reste du salon. Alors je m'occupais tout simplement du livre qui était à mes côtés. Le prenant dans mes mains avec grande précaution pour ne pas l'abîmer, je regardais sur les côtés pour vérifier que la pluie ne l'avait pas trop détérioré. Puis j'entrepris de regarder les pages elles-mêmes, m'inquiétant davantage lorsque je vis que certaines pages s'étaient collées entre elles. Aïe aïe aïe... J'allais donc m'asseoir dans la pièce où je m'étais réveillée afin de ne pas réveiller Fineldor et entrepris d'utiliser la magie pour séparer tout en douceur les pages du manuscrit, sans les déchirer. Cela me prit un bon moment mais j'arrivais finalement à obtenir un bon résultat. Concernant l'encre qui avait à certains endroits glissé hors des lettres, je m'occuperai d'elle plus tard. Décoller les pages était le plus important pour l'instant, sans compter le fait que remettre l'encre à sa place grâce à la magie de l'eau me prendrait certainement tout un après-midi. Alors je revins dans le salon, reposais le livre à sa place et vins m'agenouiller auprès du protecteur.

Je me souvenais d'une fois où, n'étant pas encore en âge d'aller à l'académie, j'avais retrouvé l'étudiant qu'était Fineldor en train de dormir, sa tête reposant sur des livres. Il était très tôt ce matin-là, mon père m'avait laissée aller à la bibliothèque à cette heure matinale parce qu'il avait un rendez-vous avec un autre mage et qu'en conséquence il ne pouvait pas me garder. Je m'étais amusée à regarder l'élève dormir et j'avais même essayé de le réveiller doucement. Cela ne fonctionnant pas, j'étais donc partie demander quelques pâtisseries ainsi qu'un verre d'eau. Avec mes petites mains j'avais réussi à ramener le tout jusqu'à sa table et, faisant attention à garder le verre dans mes mains...

"C'EST L'HEUUUUUUUUURE !!!"

J'avais éclaté de rire en voyant mon ami se réveiller en sursaut, des marques de livres couronnant son beau visage. Il me réprimanda en comprenant ce qu'il se passait, forcément, mais j'étais tellement amusée par la situation que je n'arrivai même pas à comprendre tout ce qu'il disait. Jusqu'à ce que je renverse malencontreusement le contenu du verre sur mes pieds, me refroidissant directement. Après un petit cri de surprise je me remis à rire puis je montrai la nourriture sur la table. Je l'aimai bien mon Fineldor, il m'apprenait beaucoup de choses. Aujourd'hui je l'aimais toujours, mais de manière tout à fait différente même si cela restait de l'amitié.

Je retins un rire doux de traverser mes lèvres en repensant à ce moment de mon enfance. L'époque où je n'étais pas encore timide et où faire des farces aux gens que j'aimais était l'une de mes spécialités. Regardant à nouveau l'elfe, j'essayais de reprendre l'ouvrage sans pour autant le réveiller. Ce ne fut pas très simple mais au moins cela fonctionna. Je fus étonamment surprise de constater que ce livre-ci avait mieux survécu à la pluie que l'autre et n'eus donc pas trop de difficultés à bien détacher les quelques pages qui pouvaient poser problème. Pour l'encre encore, je verrais cela plus tard.

"Fin' ? Fineldor ?

Je gardais le livre fermé dans ma main droite alors que ma main gauche prenait doucement la main droite de cet ami que j'étais heureuse de revoir. Tendrement, ma voix s'éleva pour l'appeler. Je vis une réaction au niveau de son visage, aussi je continuais à le réveiller tout en douceur.

- Fineldor, l'aube se lève déjà. Tu t'es endormi sur le fauteuil.

Je lâchais sa main lorsque le pauvre elfe sortit de son sommeil, afin qu'il puisse avoir toute la latitude dont il avait besoin pour se réveiller. Je le regardais, mes yeux noisette pétillant d'amitié et de tendresse ainsi que le sourire aux lèvres.

- Bonjour, Fin'. Comment vas-tu ?"

Il se réveillait. J'eus un sourire tout en m'écartant de lui, m'assayant sur le sol. Il se passa un petit moment pendant lequel nous restâmes les yeux dans les yeux, moi admirant les deux émeraudes oranant son visage. Il se leva tout en s'étirant, puis répondit à ma question. Visiblement il avait bien dormi, malgré le fait que trouver le repos sur un fauteuil était toujours moins agréable que sur un lit. Je hochais doucement la tête pour répondre à son espérance, lui signifiant ainsi que j'avais effectivement bien dormi. Je ne me souvenais même pas avoir été dérangée à un quelconque moment, alors qu'il s'était permis de me déplacer du fauteuil.

"... En tous les cas, tu m'apparais bien rieuse de si bon matin. Un tel sourire m'avait décidément bien manqué."

Je sentis alors mes pommettes se teinter de rouge alors que la chaleur s'emparait de mes joues, aussi je détournais les yeux. Mince ! Pourquoi fallait-il que je rougisse au moindre compliment ? Décidément je n'avais pas changé... A cause de mon éternelle timidité, je me recroquevillais sur moi-même sans rien dire, sans aucun bruit. Fineldor ne sembla pas se rendre compte de l'état dans lequel j'étais puisqu'il fit plusieurs pas pour délier ses jambes. C'est seulement après qu'il se retourna vers moi, un franc sourire aux lèvres.

"Mais peut être souhaites-tu te restaurer ? Tu n'as guère mangé hier... A moins bien sûr que tu n'ais pas faim. Je peux te proposer de venir parmi les jardins si tu préfères. J'avoue prendre plaisir à profiter de l'éveil de la nature lorsque le soleil se lève. Il n'est rien de plus beau que de voir les arbres s'illuminer, l'herbe briller de la rosée et les fleurs s'ouvrir et se colorer au sein de cette douce lumière. Qu'en dis-tu ?
Je réfléchis un instant avant de lui répondre, essayant de contrôler la couleur de mes joues.
- On peut aller dans les jardins si tu le souhaites, cela fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de pouvoir admirer les jardins de Tethien ! Par contre pour le repas... je... j'ai encore de la nourriture dans mon sac, on ne va pas déranger les cuisiniers, n'est-ce pas ? Et puis dedans il y a une spécialité d'Alëandir que tu n'as pas dû manger depuis des années !"

Je me levais immédiatement, allant chercher dans ce qui restait de mes affaires le sac de nourriture. J'espérais juste que l'eau n'avait pas rendu le pain immangeable... Mes yeux pétillèrent de bonheur lorsque je me rendis compte que grâce aux morceaux de tissus dans lesquels je l'avais enrobé, il avait survécu en bonne partie à la tempête de la veille. Sans même demander quoi que ce soit ou attendre l'avis du protecteur de Tethien, je rompis le pain et en tendis un morceau à Fineldor.

"Tu reconnais, je suppose ?"

J'avais toujours été friande de ces petits pains, aussi lorsque je devais aller tôt le matin à la bibliothèque parce que mon père avait un rendez-vous ou autre et que je savais que travaillait l'élève studieux qu'était Fineldor, je me débrouillai toujours pour lui apporter plein de petits pains que je dévorai avec lui. Un clin d'oeil à notre passé commun, en somme.

Alors qu'il me répondait, se rappelant certainement quelques souvenirs, je pris une petite boîte en bois qui était resté auprès du reste pêle-même de mes affaires, l'ouvrit, et pris délicatement ce qu'il y avait à l'intérieur. Je vérifiais que j'avais bien sur moi mon focaliseur et me tournais vers Fineldor. Je mangeais une bouchée de pain puis, la bouche à peu près vide, je lui demandais :

"On y va ? Je te suis !"

Avec un grand sourire taquin, je lui tendis mon bras droit pour qu'il le prenne. Ce genre de geste n'avait avec moi aucune arrière-pensée... enfin juste de le taquiner, en bon ami auquel je tenais.

Après avoir ri des bêtises de Fineldor, je me laissais guider à travers les jardins de Tethien. Heureuse que j'étais de retrouver cet ami de longue date, je racontais moults détails plus ou moins drôles et passonnants et écoutait avec un sourire radieux ce que me racontait le maître des lieux. J'admirais au passage toutes les plantes qui s'entremêlaient sans qu'aucune main ne vienne y mettre de l'ordre, déplorant à certains moments de ne pas avoir pris de calepin pour dessiner ce que je voyais. Oh, il y avait de quoi faire de beaux dessins ! Ils ne me serviraient en rien de bien particulier, mais au moins aurais-je eu la chance de pouvoir les dessiner. Enfin, là n'était pas le moment. En cette belle matinée, j'avais juste à me complaire de discuter avec Fineldor.

Au bout d'un moment, nous passions sous une vaste voûte naturelle faite de branches et de lierre, voûte qui renfermait ses propres trésors tels qu'un point d'eau et plusieurs plantes aquatiques vivant paisiblement à l'intérieur. La rosée matinale qui s'était déposée sur l'abri formait comme des perles de cristal sur la nature, ce qui rendait encore plus beau l'espace. J'avais même l'impression que c'était un endroit fait exprès pour les jeunes mariés, qu'ils viennent profiter de toutes ces petites gouttes après s'être promis de vivre ensemble pour l'éternité. J'eus un doux sourire à cette pensée, alors que je regardais ailleurs, dans la direction opposée à Fin'. Je sais, en plus d'être une douce fort timide, j'étais également dotée d'un minimum de romantisme.

Je continuais aux côtés du protecteur, mon bras toujours soutenu par le sien, jusqu'à ce que nous débouchions sur une nouvelle étendue de fleurs diverses typiques de l'Anaëh. A côté se trouvait un banc en pierre, sur le quel je m'assis volontiers. Fineldor m'accompagna et ce ne fut que l'orsque nous étions tous deux sur le banc que mon bras se détacha de celui de mon cher confrère mage.

"Hé bien, Enoriel. Que penses-tu des jardins de Tethien ? Ce n'est là qu'une petite partie, mais j'aimerai bien ton avis, toi qui as tant voyagé. J'ai à cœur que la nature ici puisse s'épanouir et vivre librement, donnant libre cours à sa beauté.
- Huuum..."

Je pris le temps de réfléchir, agrémentant le début de ma réflexion par un petit bruit pour taquiner Fineldor. Je revoyais dans ma tête les différences flagrantes qu'il y avait entre les cités et les mentalités que les différents habitants vis-à-vis de l'Anaëh en fonction de là où ils vivaient. J'avais vu de tout, de l'arbre maison d'Ardamir à la cité limite isolée de la forêt de la Quatrième Saison. Alors, ce que je pensais des jardins de Tethien ? Fineldor voulait-il que je compare ce que j'avais vu avec les autres protectorats ?

"Ils sont magnifiques, Fineldor, même si je dois avouer être plutôt habituée aux jardins plus rangés d'Alëandir. Enfin du moins était-ce ainsi avant le Voile. On ressent bien la volonté que vous avez à faire en sorte que la nature s'épanouisse d'elle-même au sein de la cité, tout en prenant soin d'elle et donc en apportant une touche non... naturelle, si je puis dire. Cela me fait pensé à certains coins sauvages de l'Anaëh non loin des chemins. Je n'ai pas vu beaucoup de villes avoir une pensée similaire à la vôtre, mais celle qui a certainement été le plus loin dans ses idées est celle d'Ardamir. Sais-tu que même les citadins vivent dans un arbre ? Avant, je n'aurais imaginé cela possible que de la part de noss ! En tout cas, une remarque que je me suis faite et qui est somme toute intéressante, du moins de mon point de vue, est que toutes les cités qui font comme Tethien d'entendent coorectement voire même bien avec les elfes sylvains. Je ne me trompe pas, n'est-ce pas ?"

J'affichais à nouveau un grand sourire sur mon visage avant de me lever d'un bond, ouvrant grand les bras paumes vers l'avant et le visage tourné vers la voûte végétale, les yeux fermés. Puis, après avoir rouvert les yeux, je tournais sur moi-même à plutôt bonne allure, m'amusant de faire tourner la robe bleue que l'on m'avait gentiment prêtée la veille au soir pour que je puisse m'habiller dans du sec. Cela fit tourner en même temps mes longs cheveux blonds, dont quelques mèches vinrent se poser sur mon épaule.

"Elle est vraiment belle cette robe, même si un peu trop grande pour moi. Encore merci de me l'avoir prêtée."

Je m'avançais alors vers mon interlocuteur qui se tenait toujours auprès du banc. Arrivée non loin de lui, je tendis ma main gauche, dont les doigts renfermaient visiblement quelque chose.

"Je l'ai trouvée à Solith, j'ai tout de suite pensé à toi en la voyant."

J'attendis que Fineldor ouvre ma main pour découvrir quel objet je lui offrais, juste pour le plaisir d'avoir pensé à lui lors d'une marche dans une ville. Ce que je tenais dans ma main était une pierre transparente polie, tout simplement. Rien de bien particulier, certes, si ce n'est que la forme qu'elle avait faisait qu'à un certain angle elle rediffusait la lumière du soleil un peu bizarrement. A l'inverse d'un prisme qui divisait la lumière blanche en une multitude d'autres couleurs, cette pierre déformait l'image sur laquelle elle se trouvait pour laisser voir une autre dimension du dessin. J'expliquais à Fineldor ce qu'il se passait avec ce petit bijou ainsi que le fait que c'était un apprenti joallier qui n'avait pas fait exprès de lui donner cette forme relativement ovale, mais que le résultat donnait quelque chose de sympathique avec la lumière. Peut-être même qu'il saurait lui en trouver une utilité, comme cacher un message quelque part ? C'était lui le mage de la lumière, je ne pouvais donc que supposer. J'espérais juste avoir eu une bonne intuition, que cela lui plaise un minimum... ce qui n'était pas forcément gagné d'avance puisqu'il devait être habitué à tout un tas d'artefacts ou autres objets servant à la magie dans son domaine.

Musique

"Merci beaucoup pour ce petit cadeau. Sache cependant que j'ai déjà idée de son utilité. Si tu le permets, je souhaiterai que tu te place à nouveau sous l'arche, et que tu tourne le dos. Je ne t'en dis pas plus.
- Hum... d'accord !"

Me demandant sincèrement ce qu'avait en tête Fineldor, je m'exécutais tout en laissant des myriades de questions valser dans ma tête : était-ce juste qu'il voulait me faire une surprise ? ou bien il avait besoin que je sois sous l'arche ? ou encore peut-être qu'il ne voulait pas que je vois le mode opératoire pour des raisons étranges... Oh, je n'y connaissais que trop peu en magie de la lumière ! Et j'avais vraiment envie de savoir ce que le protecteur allait faire de la pierre, à quoi ce petit objet initialement râté allait pouvoir servir. Ce n'était pas spécialement dû au fait que c'était un cadeau de ma part, même qu'initialement je pensais qu'il ne saurait pas quoi en faire et que je n'aurais pas de nouvelles de ce petit joyau. Mais le fait qu'il sache déjà... Bon, d'accord, j'étais impatiente !

Alors s'éleva jusqu'à mes oreilles des mots que je compris être ceux d'une incantation. Rien d'anormal, sauf la forte luminosité qui s'ensuivit derrière : je plaquais mes mains sur mes yeux tant la lumière m'aveuglait. Puis, lorsque le sort se dissipa quelques instants plus tard, je me retournais pour voir Fineldor. Qu'avait-il fait ? Pourquoi autant de lumière ? Je fus surprise de le voir assis par terre, de la douleur se lisant sur son fin visage. Sans même réfléchir j'accourais et m'agenouilla en face de lui, cherchant le mal qu'il pouvait avoir. C'est alors qu'il releva la tête et qu'il me sourit. Je restais là, un instant, hébétée à genoux par terre. Il ouvrit ses doigts et me montra la pierre que je lui avais offerte, trônant dans sa paume brûlée scintillant encore de magie.

"Je pense que tu peux désormais la reprendre. C'est un... cadeau, que je te fais à mon tour."

Un cadeau ? Je pris délicatement la pierre et la regarda... voyant quelle image bougeante y était désormais gravée, je me mis à éclater en sanglots. Pleurs de joie, d'étonnement... ou tout simplement parce que j'étais touchée par le geste de mon aîné et que mon être tout entier avait décidé de l'exprimer ainsi.

"Mais... snirff... qu'est-ce que tu es b... bête ! Tu... tu te fais mal pour ça..."

J'essuyais rapidement l'une des nombreuses larmes qui mouillaient mes joues puis, par pur réflexe d'une fille qui était douée pour se brûler en cuisine parce qu'elle s'était soudain mise à éternuer, je fis appel à l'élément de l'eau en faisant danser mes doigts en face de mes yeux. Fait qui m'étonna mais que je ne relevais pas, ce fut que les larmes qui continuaient à couler rejoignirent bien vite l'eau qui s'effilait au bout de mes doigts. N'y pensant pas trop, je pris délicatement la main brûlée de Fineldor et fit rouler un bandage d'eau autour d'elle, faisant comme si c'était un pansement de tissu, puis arrêta mon mouvement afin que l'eau reste bien où elle se trouvait désormais : tout autour de la paume et de toute partie brûlée.

"Pendant... dix minutes, au moins ! Et évite de b... de toucher ta paume avec quoi que ce soit, sibon le sort peut s'arrêter."

Je le serrais fort dans mes bras, lui sautant presque dessus tant j'étais attendrie par son geste. Quelques larmes coulaient encore sur mon visage, mais moins qu'initialement. Par-dessus l'épaule de Fineldor, je pouvais sans problème faire bouger dans ma main la petite pierre et voir la mini-Enoriel danser sous les rayons du soleil. Je me serrais encore plus contre cet ami sincère, me sentant étrangement bien ainsi logée. Il se passa un bon moment avant que je finisse par m'écarter de lui, me rendant soudainement compte de la situation cocasse dans laquelle je le mettais si cette étreinte était mal interprétée... J'en rougis légèrement, quelque peu honteuse.

"Merci Fineldor, il ne fallait pas... mais tu devrais la garder. Je me vois tous les jours et je peux tourner sur moi-même avec une robe quand je veux... Alors que tu ne me vois que très peu de fois, encore moins souvent qu'autrefois puisque tu es désormais rattaché à ta terre natale. Ca te fera un bon souvenir de moi ! Et je parie que tu as aimé me voir tournoyer dans cette robe, alors autant que ce soit toi qui profites de cette image."

Avec un immense sourire ornant mon visage, je lui tendis le joyau. Et, pendant qu'il reprenait son oeuvre, je déposais un doux baiser amical sur son front.

Ses mots me touchaient, me gênant quelque peu du fait de l'importance qu'ils pouvaient prendre à mes yeux. Et pourtant, je ne percevais aucunement le fond exact de ses pensées, certainement guidées par des sentiments que lui-même ne comprenait pas. Je ne dis rien, obéissant au protecteur. Il gardait la pierre ovale, je me retrouvais avec une nouvelle robe un peu trop grande pour moi. Sachant très bien que Fineldor n'était pas du style à accepter que ses dires soient contrariés, je ne rechignais pas.

"Bien, en attendant que ma main guérisse, et puisque je ne puis bouger plus que de raison, que dirais-tu de nous rasseoir, et que tu me racontes un peu tes voyages ? Tu ne m'en as que peu parlé, et j'aimerai savoir comment la petite Enoriel s'en sort de par la belle Anäeh."

Encore une fois, aucun mot ne s'échappa d'entre mes lèvres. A la place je me blottis contre Fineldor, me lovant comme un chat dans son panier. Je fermais les yeux et écoutait. J'étais bien là comme ça, assise dans l'herbe auprès de lui. Cela me rappelait en partie toutes les fois où, étant bien jeune, je restai avec l'étudiant qu'il était alors et l'écoutai sagement, lui posant souvent des questions, jouant parfois, et finalement me lovant contre lui pendant qu'il me racontait des histoires ou lorsque j'étais fatiguée. A l'époque, c'était lui qui me transmettait le savoir de nos aïeux. Aujourd'hui c'était lui qui me demandait de raconter ma propre histoire... la roue de la vie tournait et je n'étais plus l'enfant qui écoutait.

"Je ne suis pas petite, Fineldor... j'ai grandi et il semblerait même que je sois devenue maître dans l'art que nous avons en commun. Mais j'apprécie toujours être assise sur l'herbe, comme lorsque nous étions jeunes."

Je laissais Fineldor décider de ce qu'il préférait, maintenant qu'il avait mon avis. De plus c'était lui le blessé, peut-être serait-il plus à l'aise assis sur un banc. Je regardais le ciel ainsi que la voûte végétale tout en commençant mon court récit.

"Cela fait pas mal d'années que je fais le tour des cités d'Anaëh, toujours à la recherche de réponses à mes questions, d'Histoire ou encore de magie. Je reste plusieurs ennéades à plusieurs mois dans un endroit, je dévore ses bibliothèques, je rencontre nos pairs... J'ai toujours été bien accueillie mais ma timidité m'empêche d'aller jusqu'au bout de ce que je voudrais faire. Parfois j'aimerais être une petite luciole qu'on ne remarque pas tant elle est petite et peut rapidement échapper aux regards, et pour le bien de mes recherches j'ai besoin que l'on fasse attention à moi. Cela m'amène à me poser des questions parfois. Sinon, lorsque je dois traverser la forêt je n'ai pas vraiment de problèmes : les fois où je rencontre des créatures hostiles elles n'arrivent pas à m'approcher. Concernant les noss, je les trouve toujours aussi étranges, que ce soit par leurs façons de se comporter ou par leurs vêtements. J'ai l'impression que nous ne venons pas du tout des mêmes mondes... et toi, comment ça se passe avec eux ?"