[Intronisation] L'ombre sous les lunes (PV Mac-Nera)

La nuit était bien avancée. Malgré la saison chaude qui arrivait, l'air était doux et une légère brise venait chatouiller les branchages. Les jardins étaient déserts à cette heure. Les deux lunes étaient levées et baignaient les lieux de leur lumière limpide. Par endroit, arbres et arbustes projetaient leur ombre qui s'étendait sur le sol. Aucun oiseau, aucun rongeur, aucun visiteur nocturne n'était là pour perturber ce paisble tableau.

Soudain, une silhouette vint se mouvoir au milieu de ce petit paysage de nature. C'était une jeune fille à la robe blanche et aux longs cheveux noirs. Ses traits avaient quelque chose d'indécis... comme s'ils n'étaient pas clairement définis. Son corps semblait dépourvus de matière et l'on pouvait apercevoir le décor de fond en transparence. Cette apparition avait quelque chose d'instable, apparaissant et disparaissant tel un fantôme.
Une voix se fit entendre. Comme un rire... Un rire d'enfant lointain qui raisonnait entre les arbres. Un souvenir du passé que revenait hanter les lieux.

La silhouette, bien que furtive, courrait. Elle se dirigeait plus loin dans les jardins, s'éloignant des bâtiments qui l'entouraient pour s'enfoncer dans la végétation. Elle rejoignait une autre forme qui lui ressemblait beaucoup, à ceci près qu'elle était immobile et palpable.

Macabre était arrivée quelques jours auparavant. Elle avait accompagné Fineldor qui souhaitait profiter de l'occasion pour lui montrer la diversité des coutumes et cérémonies de leur peuple. Ce peuple qu'elle connaissait si mal et qu'elle avait tant de difficultés à comprendre. Elle avait assisté à l'intronisation puis à une partie des festivités, ne quittant pas l'ombre de son protecteur. Elle s'était tenu suffisamment loin pour ne pas attirer l'attention à chaque fois que quelqu'un approchait Fineldor mais assez près pour se rassurer avec sa présence. Laliëmerel était restée auprès d'elle à chaque instant, quittant même les festivités lorsque sa petite élève n'en tint plus de tant de monde et d'activités. Elle l'avait alors emmenée dans ce jardin afin de la détendre avant de la conduire à sa chambre pour la nuit.
Les deux jours qui suivirent, elle les avait passé entre la bibliothèque et cet espace de verdure au milieu du palais, un peu comme si elle était à Thetien, ses lieux communs et ses connaissances en moins. C'était la nuit que tout cela lui manquait le plus. Habituée à se contenter de peu de sommeil, ses besoins n'avaient que faiblement évolués depuis sa "libération". Aussi, à quatre heure du matin, elle était réveillée et devait trouver à s'occuper en attendant que Fineldor ou sa gouvernante se réveille. Le premier jour, elle avait sagement attendu dans sa chambre (qu'elle partageait avec Laliëmerel) mais le second, elle n'y tint plus et sortit.

Voici comment la petit elfe s'était retrouvée dans ce jardin en pleine nuit.
Profitant que tout le palais dorme, elle avait décidé de s'exercer à la magie de l'illusion. Elle n'avait certes pas choisi l'exercice le plus facile avec une création mouvante et sonore mais le but était plus de l'occuper que de réellement travailler...
C'était debout, la tête baissée et les yeux fermés qu'elle tentait de faire venir à elle cette apparition d'elle-même, essayant de suivre les allées qu'elle avait mémorisé. Son double fantomatique rencontrait parfois sur son chemin un arbre ou un banc mais elle persévérait, s'attachant plus aux mouvements de sa création qu'aux détails qui la définissaient. Ainsi concentrée, elle n'entendit pas approcher celui qu'elle avait involontairement attiré à elle...

Musique

Deux jours après l'intronisation, au beau milieu de la nuit,
Palais d'Eteniril.

La journée qui avait suivi l'intronisation avait été particulièrement éprouvante, aussi bien sur le plan physique que moral. Cela avait été la raison pour laquelle strictement personne n'aurait pu voir le nouveau seigneur-protecteur lors de la nuit qui suivit : la fatigue étant trop forte, le sommeil s'était emparé de son esprit pour l'emporter dans l'un de ces étranges rêves éprouvants. Alors il s'était réveillé, la respiration lourde et saccadée, commençant mal une journée où il serait fortement demandé.

Assis sur un banc de pierre dans l'une des allées de l'un des nombreux jardins du palais, Neraën observait en silence. Tout autour de lui se trouvait une végétation presque sauvage, désordonnée en fait. Depuis le Voile et le retour de Kÿria sur Miradelphia, ce qui avait été un jardin simple, ordonné et tout cela en gardant tout un côté naturel était désormais un endroit où la végétation refusait de garder le même calme qu'avant. Les allées étaient donc pour la plupart loin d'être droites, peu de choses avaient gardé de leur homogénéité... mais pour autant cela donnait une beauté aussi étrange que bienveillante. Du moins aux yeux du vieil elfe qui se sentait à son aise dans ce genre d'endroits. Aussi passait-il là une partie de sa nuit, insomniaque.

C'est alors qu'il entendit un rire cristallin, lointain écho accompagnant une forme humaine quelque peu floue. Il resta un instant interdit, étonné de voir une telle chose en ce lieu à une heure pareille, puis devint de plus en plus méfiant au fur et à mesure qu'il continuait à voir l'apparition. Etait-ce son esprit qui lui jouait des tours, dormait-il éveillé ? Ou bien était-il la victime d'un sort ? Même s'il ne voyait pas qui aurait pu vouloir s'amuser à jouer à ce jeu dangereux, il y avait plus de risques que ce soit quelque chose de cet accabit qu'autre chose. Alors il se leva et suivit de loin l'apparition fantômatique, faisant grandement attention à tout ce qui pouvait l'entourer, prêt à esquiver au moindre signe.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il comprit qu'il avait en réalité à faire à une adolescente, jeune mage passant son temps en s'entraînant à utiliser le domaine de l'ombre ? Il la regarda un instant faire, détaillant chacun de ses traits, appréciant l'amusement qu'elle semblait tirer de sa magie. Elle au moins devait vivre pleinement cette magie à laquelle elle était sensible, ne pas avoir de problèmes avec... Enfin. Au bout d'un moment il sortit de sa cachette et, sans un bruit, s'approcha d'elle. Lorsqu'elle s'aperçut enfin de sa présence, il sourit. Elle n'avait rien à craindre de lui, sauf si elle commettait l'erreur de l'attaquer elle-même.

"Je ne savais pas que tu manipulais la magie... Macabre ?"

Son sourire était confiant et doux, ce qui contrastait avec ses yeux de glace. Il l'avait reconnue.

Les yeux fermés, la tête baissée, Macabre était concentrée. Certes, pas autant que si cela avait été un véritable exercice mais ce sort restait particulièrement difficile à manipuler pour son niveau de maîtrise en magie de l'illusion. Elle aurait fait bien mieux avec les ombres mais il n'y aurait eu ni son ni couleur.
Elle était parvenue, tant bien que mal, à conduire son apparition jusqu'à elle et elle tournait désormais autour de sa créatrice. Avec un mouvement répétitif, elle aurait plus de facilité à peaufiner son ouvrage... mais quelque chose la perturba dans sa concentration. Elle ouvrit alors les yeux et releva la tête tandis que son fantôme s'évaporait. Apercevant une forme dans la limite de son champ de vision, elle tourna brusquement le regard pour découvrir celui qui l'observait. Mais alors que nombreux auraient été ceux qui seraient partis, celui-ci s'approchait. Macabre fronça légèrement les sourcils et eut un petit mouvement de recul. En guise de réponse, l'elfe lui sourit.
Elle reconnaissait sans mal le Protecteur que Fineldor lui avait brièvement présenté deux jours plus tôt. Elle n'oubliait jamais un visage. Quant aux noms, ceux des elfes étaient trop compliqués pour elle. Pourtant, les drows n'étaient pas mal en la matière mais la sonorité lui était hélas bien plus familière.

L'attitude de l'elfe, bien loin de la rassurer, l'intriguait.

-Je ne savais pas que tu manipulais la magie... Macabre ?

-Y'en a qui m'appellent comme ça.

Elle marqua une pause avant de reprendre.

-Il fallait bien qu'on puisse m'appeler...

Elle reconnaissait elle-même que ce n'était pas un nom mais c'était toujours mieux que de la siffler... Même si on rechignait souvent à employer ce pseudonyme. Quoi de plus normal quand il s'agit de "Macabre", un nom aussi inattendu qu'effrayant. Et puis, tout le monde ne l'appelait pas comme ça.
Mais elle revint, sans transition, sur le sujet de la magie.

-Oui, j'en fais. Mais je ne dois pas en faire en public ou alors je dois rester discrète.

On reconnaissait bien là les recommandations qui lui avaient été données par son protecteur. Bien sûr, elle n'était pas interdite de magie mais l'ombre était trop peu utilisée en Anaëh et elle aurait effrayé plus qu'elle ne le faisait déjà par son attitude sombre et étrange. Sans compter qu'elle ne maîtrisait pas tout à fait ce qu'elle faisait...
Croisant les bras et rehaussant ses épaules, elle ne se sentait pas tout à fait à l'aise. Elle n'avait pas l'habitude de se faire aborder par un (quasi) inconnu.

-Vous aussi.

Ce n'était pas une question. Macabre avait compris depuis longtemps que ceux qui étaient les moins effrayés par la magie étaient ceux qui la pratiquaient. Et mieux ils la connaissaient, moins ils la redoutaient. Tout du moins, dans un cadre comme celui-ci. Alors, s'il s'approchait et lui parlait, c'est qu'il devait très bien la connaître...

Etrangement, l'étonnante réaction de la petite Macabre n'étonna pas le vieil elfe. On l'avait prévenu que la jeune fille qui accompagnait le protecteur Elwendrion était particulière, que ce soit dans ses mimiques ou ses paroles. Alors il la laissa parler, essayant de ne pas l'intriguer plus qu'il ne le faisait déjà. Il y avait des personnes qui l'appelaient Macabre... il fallait bien l'appeler d'une manière ou d'une autre. Pour la magie, on - certainement Fineldor - lui avait conseillé de rester discrète. Pourquoi ? Sûrement parce qu'elle était sensible à un élément relativement atypique pour un être d'Anaëh. Mais ce ne fut pas cela qui "dérangea" le protecteur.

"Vous aussi.

Neraën la regarda un moment, surpris par une telle affirmation. Comment pouvait-elle savoir qu'il était également mage ? L'avait-elle ressenti ? Ou bien le lui avait-on dit ? Mais dans ce cas qui ? Fineldor peut-être ? Le protecteur de Tethien étant un mage de l'immatériel fort porté sur la recherche - du moins de ce qu'il avait pu en entendre - le fait que sa protégée soit au courant du cas particulier qu'était Neraën n'avait pas de quoi étonner. Et puis... et puis qu'il était bête ! Bien sûr qu'elle savait, lors de son intronisation son état de mage avait été énoncé ! L'elfe aux cheveux blancs sourit alors à la jeune fille et regarda les étoiles qui illuminaient le ciel, accompagnant les deux lunes.

-Moi aussi, en effet. Mais je ne prends pas le temps de jouer avec.

Il alla s'asseoir sur un banc non loin d'eux et détailla du regard l'adolescente.

- Tu dis qu'il fallait bien t'appeler, mais que penses-tu de Macabre ? N'aimerais-tu pas que l'on t'appelle autrement ? Ou bien au contraire désires-tu garder ce surnom ?"

De nouveau, le comportement du Protecteur parut étrange à la petite elfe. Comme un chat sauvage effrayé par la présence d'un bipède, ses yeux suivirent avec attention et perplexité l'homme qui s'installait sur le banc. Macabre avait suffisamment pu observer cette action pour comprendre que c'était une invitation à la discussion.
C'était de plus en plus curieux. Il s'approchait, lui parlait, restait là et voulait lui parler encore. Combien auraient déjà cherché à partir à sa place ? Cela lui était arrivé trop de fois pour qu'elle puisse les compter. Personne ne s'approchait d'elle d'ordinaire, à moins de faire déjà partie de ses proches ou d'y être contraint. Et personne ne restait à parler avec elle... hormis ces mêmes proches.
Mais Macabre n'avait pas vraiment peur. Elle était à la fois intriguée et curieuse de comprendre. L'attitude des autres ne lui importaient guère et elle ne se vexait pas du fait d'être fuie mais ce qui était différent chez cet elfe l'intéressait. Il ne semblait pas être une menace pour elle alors elle pouvait aisément se laisser prendre au jeu.

-Tu dis qu'il fallait bien t'appeler, mais que penses-tu de Macabre ? N'aimerais-tu pas que l'on t'appelle autrement ? Ou bien au contraire désires-tu garder ce surnom ?

Macabre recula la tête, interloquée.

-Vous voudriez-vous ?

La réaction était sans appel mais n'avait rien d'un reproche. Elle ressemblait à celle d'un enfant, aussi franche que spontanée. Elle en avait le visage et la maturité émotionnelle. Quant à l'esprit...

-Macabre n'est pas un nom. C'est un mot. Je voudrais qu'on m'appelle par mon prénom.

Tandis qu'elle parlait, elle avait regardé dans la même direction que celle du Protecteur un instant plus tôt, cherchant à voir ce qu'il regardait au juste dans le ciel... Elle ne se rendit pas compte que sa réponse apportait une nouvelle question. Pour changer...
Et elle passa à autre chose.

-Pourquoi vous ne faites pas de magie ?

"Vous voudriez-vous ?

La question n'était pas très bien exprimée, comme si les mots prononcés venaient d'une jeune enfant. Une jeune enfant dans un corps d'adolescente qui, loin d'être bête, semblait pourtant se demander si le protecteur avec qui elle discutait souhaitait la voir changer de nom. Cette réaction pourtant si simple surprit quelque peu Neraën qui garda son regard braqué sur les yeux azur de l'elfe, ne montrant à son habitude aucune expression. Il la laissa continuer, comprenant qu'elle n'avait pas choisi ce mot qui lui servait de nom et qu'elle préfèrerait qu'on l'appelle par son vrai prénom. Mais lequel était-il ? Se souvenait-elle seulement de ce fameux prénom ? Rien de moins sûr... il n'était pas dans les habitudes des Elfes d'appeler uniquement par un surnom une personne, encore moins si ce mot faisait complètement référence à la mort. A moins que ce surnom ne corresponde vraiment à la personne. Mais en quoi une personne belle et bien vivante pouvait mériter cela, surtout qu'elle avait encore de nombreux siècles pour fouler la grande forêt d'Anaëh ? En rien. Et même Neraën qui pourtant était du style à malmener les traditions ne se serait jamais permis de manquer de respect envers la vie de la sorte.

- Pourquoi vous ne faites pas de magie ?

Le mage sortit de ses pensées et son regard se fit moins glacial lorsqu'il eut compris que la nouvelle question de Macabre était des plus innocentes. Il n'avait pas spécialement envie de répondre à l'interrogation de la jeune fille, mais vu le peu qu'il savait d'elle, il se faisait presque un devoir moral de l'aider à comprendre que les choses pouvaient être plus compliquées qu'elles n'y paraissaient, même (voire même surtout) dans un lieu où l'esclavagisme n'existait pas et où chacun était libre d'évoluer comme bon lui semblait en fonction de ce qu'il était et devenait. Il réfléchit un instant aux propos qu'il allait tenir et une fois qu'il lui eut semblé trouver des mots relativement simples et compréhensibles pour son interlocutrice, il entreprit de lui expliquer ce que son esprit pouvait arriver à oraliser.

- J'en fais, sinon on ne pourrait pas me qualifier de "mage". Mais ce n'est pas le genre de magie que l'on peut voir facilement. Je pourrais l'utiliser sur toi que tu ne t'en rendrais certainement pas compte, à moins d'avoir été habituée à ce type de magie. Je suis réceptif à ce que l'on appelle la magie de l'esprit. Je peux par exemple lire dans les penser de quelqu'un ou tout simplement l'apaiser. Si je le voulais je pourrais apprendre à créer des illusions aussi. Des choses qui touchent l'esprit des autres et donc avec lesquelles je préfère ne pas jouer, par respect pour elles. Et par respect pour toi, je n'utiliserai pas cette magie sur toi.

Voilà, c'était dit, il ne pouvait en dire plus. Ou ne le voulait... enfin cela n'avait pas d'importance, puisque de toute façon ça revenait au même. Il rajouta juste une précision, en faisant bien attention à ne placer aucune émotion dans sa voix tout en essayant de refouler toute magie qui pourrait faire en sorte que son malaise concernant sa propre relation à la magie puisse être transmis à Macabre.

- Tu sais, nous avons tous une relation différente à la magie : certains la craignent, d'autres l'adorent, d'autres encore la voient comme un simple instrument... De même, certains sont à l'aise avec les éléments naturels comme la terre et l'air, d'autres comme nous arrivent à manipuler l'immatériel et un troisième groupe de mages préfèrent tout ce qui se rapporte à la vie et donc à tout ce qui va toucher le corps comme la guérison. Le seul point commun que nous avons, mis à part d'être sensibles à une forme de magie, est que ce... don nous est unique et qu'il demande beaucoup de travail afin de pouvoir l'utiliser à bon escient.

Un don... ou une malédiction !

- Cela fait longtemps que tu utilises la magie ?"

Macabre écouta l'explication du Protecteur sur sa magie. Le moins que l'on pouvait dire, c'est qu'il avait capté son attention car il parlait du seul sujet susceptible de l'intéresser, tout du moins à coup sûr. De plus, il maniait une magie que l'on voyait peu, surtout en Anaëh. Toucher l'esprit des autres n'étaient pas vraiment dans les habitudes des elfes... Contrairement aux drows. Mais, heureusement pour elle, elle n'avait pas beaucoup côtoyés ce genre de mages, sans quoi les dégâts sur son esprit auraient été opérés bien plus vite et auraient pu être bien plus graves. A l'heure actuelle, elle serait peut-être toujours en proie à la honte et la culpabilité de ne pas être retournée chez son maître...
Toutefois, ce petit discours amena une nouvelle question.

-Comment vous pouvez maîtriser vos sorts si vous ne pratiquez pas ?

Les épaules de la petite elfe avaient baissés de quelques centimètres, signe qu'elle était déjà beaucoup plus à son aise. Le sujet la passionnait tellement qu'elle en avait oublié le comportement de celui qui avait interrompu sa concentration pour venir lui tenir compagnie au beau milieu de la nuit.
Elle écouta le petit cours sur la magie mais fut un peu déçue. Si les premiers mots l'intéressaient, elle avait déjà connaissance des trois formes d'art qui existait et les avait toutes côtoyées.

-Je sais tout ça. Fideldor m'enseigne... et je lis des livres qu'il me donne ou que je trouve. Lalë fait de la magie de l'eau. Et un mage de la vie m'a soignée quand je suis arrivée. C'était long...

Macabre ne mentionna pas la douleur qui en avait résulté car, si pour n'importe qui d'autre, cela aurait été un élément majeur qui aurait marqué sa mémoire, ce n'était pas son cas. Les soins ayant été mineurs, ne touchant qu'à d'anciennes blessures en surface, et le mal que le mage lui avait fait n'était rien en comparaison de ce que son maître avait pu lui infliger et donc auquel son corps était habitué.

-Cela fait longtemps que tu utilises la magie ?

La petite elfe avait lentement adopté une position plus ouverte. Désormais, ses bras n'étaient plus croisés devant elle et seules ses mains gardaient encore contact l'une avec l'autre.

-Environ un siècle. Peut-être un peu moins.

Macabre lui avait répondu sur un ton monocorde, ne se rendant visiblement pas compte que son jeune âge ne dépassait finalement que de peu cette durée. Cent ans, c'était à peu près l'ancienneté de son plus vieux souvenir. Et elle n'était pas tout à fait sûre de la date... Toujours était-il qu'elle se souvenait avoir toujours pratiqué la magie. Ses facilités à la comprendre et la manipuler s'étaient révélées très tôt, alors qu'elle était toute jeune. Elle ne pouvait pas dire quand avait eu lieu son premier entraînement mais cela ne pouvait pas faire beaucoup plus qu'une petite centaine d'années. Avant, elle aurait été bien trop petite pour arriver à faire quoi que ce soit.

-Je ne l'ai pas choisie. Je ne peux pas dire que je l'aime mais je ne la déteste pas. Mais si je n'en fais pas ça me manque... Vous comprenez ?

Par cette petite phrase, Macabre s'assurait qu'elle avait été suffisamment claire dans son explication car elle savait qu'elle était parfois difficile à cerner... Au départ, simple instrument de la réussite de son maître, elle n'avait pourtant jamais cessé de pratiquer la magie de l'ombre une fois à Thetien, même dans sa cellule. Elle n'avait jamais vraiment su comment l'expliquer... Il fallait avouer qu'elle n'avait pas l'habitude de formuler ses pensées et ses sentiments à voix haute. Elle n'avait d'ailleurs pas eu l'habitude d'en avoir avant Fineldor...
Penchant la tête sur le côté, la petite elfe se fit interrogatrice tandis qu'elle ne quittait pas le Protecteur du regard. Elle lui avait donné la catégorie à laquelle elle appartenait (à savoir : aucune de celles qu'il avait décrite) et voulait savoir ce qu'il en était pour lui sans même se rendre compte que sa question était peut-être indélicate.

A la première question de l'adolescente, l'elfe ne répondit pas. Comment faisait-il pour maîtriser ses "sorts" s'il ne pratiquait pas ? Parce que le concernant la magie elle-même l'obligeait à pratiquer, même s'il ne le souhaitait pas, même si cela le mettait mal à l'aise. Aussi l'exercice le plus difficile était en réalité de faire en sorte de ne pas céder aux pulsions magiques. Ne serait-ceque pour préserver la vie privée de la personne, par respect pour elle. Vie privée qui n'existait plus tellement entre lui et Anornedellon : ils connaissaient chacun tous les épisodes de la vie de l'autre, même leurs plus grands secrets n'en étaient plus. Concernant Neraën cela ne le dérangeait pas spécialement qu'Anorn sache puisqu'il n'avait rien de compromettant. Concernant Anorn, par contre, il se doutait que le fait qu'il sache pour Aldartha était loin de plaire au Seigneur-Protecteur de la Quatrième Saison et que même s'il ne raconterait ce secret à personne cette histoire risquerait de créer des dissensions entre eux. Mais il n'imaginait pas à quel point...

"Cela fait longtemps que tu utilises la magie ?
- Environ un siècle. Peut-être un peu moins. Je ne l'ai pas choisie. Je ne peux pas dire que je l'aime mais je ne la déteste pas. Mais si je n'en fais pas ça me manque... Vous comprenez ?
- C'est que tu t'es habituée à elle.

Il lui adressa un fin sourire. Il y eut un temps où il resta silencieux, se disant qu'elle avait dû faire partie de ces enfants qui découvraient très jeune qu'ils avaient une sensibilité particulière pour la magie. Parce qu'elle était jeune, très jeune pour pratiquer la magie depuis cent ans. Trop jeune peut-être, même.

- Je te comprends. Aimer ou apprécier ce que l'on est capable de faire n'est qu'une question de subjectivité et de ressentis. La majorité des mages adorent user de leur don parce qu'ils désiraient se rapprocher de la magie. Et qu'ils ont eu un enseignement adéquat avec cette volonté, voyant leur motivation leur permettre d'aller très loin dans leur domaine. Pour d'autres, les choses se passent différemment.

Et c'était le cas de la jeune elfe, de ce qu'il avait compris. Et c'était également son propre cas : il n'avait jamais voulu devenir mage et la magie s'était emparée de lui contre son gré, le torturant, l'obligeant à faire des choses qu'il ne voulait pas. Il se souvenait de ces longues séances dans l'Académie d'Alëandir où Celebrand s'occupait de lui en essayant de l'aider à maîtriser tout cela, parfois accompagné par d'autres mages. Parce qu'il devait le premier cas de ce genre. Et lui à l'époque ne désirait que revenir en arrière, éviter cette torture ou encore l'abréger. Au final, plusieurs dizaines d'années après, il avait fini par commencer à s'accepter. Mais cela avait été un parcours long et douloureux, qu'il ne souhaitait à personne de plus que malgré plus d'un siècle d'entraînements cette magie le dépassait toujours.

- Je repense à ce que tu m'as dit tout à l'heure, comme quoi que tu préfèrerais que l'on t'appelle par ton prénom et non pas par un mot comme Macabre. N'as-tu aucun souvenir de ce prénom ?

Non. Bien sûr que non, sinon on ne l'appellerait pas ainsi. Il la laissa son interlocutrice répondre puis reprit.

- Si tu le souhaites, un vieil ami m'a appris un moyen de découvrir son nom. Pas celui que nous ont donné nos parents, mais plus celui qui correspond à notre esprit, notre âme. Ce n'est qu'une question d'attention, aucunement de magie. Y croit qui veut y croire, mais cela pourrait te permettre d'avoir un nom au lieu de juste un mot. Voudrais-tu essayer ?"

Le Protecteur ne répondit pas à sa question sur la pratique de la magie mais elle passa vite à autre chose. Macabre n'était pas du genre à insister lourdement sur une idée qui ne comptait pas tant d'importance et elle n'était pas capable de comprendre le sens d'un silence. Il n'y avait que bien peu de sujets sur lesquels elle pouvait se borner jusqu'à avoir une réponse claire et celui-ci n'en faisait pas partie.

-C'est que tu t'es habituée à elle.

La petite elfe pencha la tête sur le côté. C'était ça, et en même temps pas tout à fait.

-Elle fait partie de moi. C'est ce que je suis. Même si je ne l'ai pas choisie.

Si Macabre était extrêmement immature sur certains sujets, pour d'autres elle était mille fois plus sage que les elfes de son âge. Cette magie lui avait été imposée par son maître. Si elle avait eu le choix, elle n'aurait probablement pas privilégié les ombres, même si elles s'accordaient bien à son caractère distant et réservé. Elle n'avait pas pleinement conscience de n'être que le reflet de ce que Don'dar avait voulu faire d'elle. Tout ce qu'elle avait été, il l'avait brisé et tout ce qu'elle était, il l'avait forgé. Difficile d'imaginer aujourd'hui un sourire se dessiner sur son visage de marbre et cette voix monocorde se mettre à rire. Au lieu de refuser ce qu'elle était devenue, elle se l'était approprié car c'était tout ce qu'elle connaissait d'elle. Alors oui, cette magie faisait partie d'elle et pour l'instant elle lui convenait très bien. Mais si demain elle devait changer, qu'en ferait-elle ?

-Je repense à ce que tu m'as dit tout à l'heure, comme quoi que tu préfèrerais que l'on t'appelle par ton prénom et non pas par un mot comme Macabre. N'as-tu aucun souvenir de ce prénom ?

Macabre tourna la tête de gauche à droite à quelques reprises. Tout ce dont elle se souvenait c'était le froid de la cellule qui lui tenait lieu de chambre, l'humidité de son pain resté à même le sol, le goût de l'eau croupie qu'on lui servait, les cris de son maître et de son précepteur qui lui hurlaient dessus, sans oublier la douleur... Partout. Tout le temps. Ses souvenirs ne remontaient pas plus loin.

-Si tu le souhaites, un vieil ami m'a appris un moyen de découvrir son nom. Pas celui que nous ont donné nos parents, mais plus celui qui correspond à notre esprit, notre âme. Ce n'est qu'une question d'attention, aucunement de magie. Y croit qui veut y croire, mais cela pourrait te permettre d'avoir un nom au lieu de juste un mot. Voudrais-tu essayer ?

Une petite étincelle apparut dans les yeux de la petite elfe. Elle refusait qu'on lui donne un autre nom que le sien, celui que ses parents avaient choisi, mais si son âme en portait un alors pourquoi pas ?
La méfiance de Macabre pour l'inconnu avait considérablement diminuée à mesure qu'ils discutaient. A présent, elle se sentait suffisamment en confiance pour s'approcher un peu. Lentement, elle s'avança et vint s'asseoir dans l'herbe à quelques pas face au Protecteur. Assise en tailleur, les coudes posés sur ses genoux, elle était attentive, attendant de connaître la marche à suivre.

Musique

Lorsqu'elle marcha en sa direction, il ne scilla pas. Il son visage ne s'ouvrit pas plus qu'il ne l'était déjà et l'elfe se laissa surprendre par la décision de la jeune fille. Il lui avait fait une proposition étrange : apprendre à connaître le nom qui sommeillait en elle ; il ne s'était pas particulièrement attendu à ce qu'elle accepte si facilement, lui accordant une confiance qui semblait être jusque là de réserve. Il la laissa se mettre à son aise, sans dire mot. Il ne désirait pas briser l'attention de celle que l'on appelait Macabre ; elle allait en avoir besoin. Puis, lorsqu'elle le fixa des yeux, coudes posés sur les genoux dans une position d'écoute attentive, vint à sa mémoire l'image d'un jeune adulte aux longs cheveux blancs écouter d'un air inquisiteur son ami de longue date. A l'époque, il avait été l'élève. Désormais il semblerait que ce soit lui le maître.

"Ferme les yeux, jeune fille, et écoute. Ecoute ce qu'il y a autour de toi. Entends le silence, ressens la fine brise caresser ton visage, l'herbe se plier lorsque tu la touches, la terre être le support ferme qui te permets de te tenir assise. Ressens juste. Garde les yeux fermés, laisse-toi respirer. Et écoute."

Sa bouche se ferma, ses jambes se croisèrent de la même manière que celles de son interlocutrice. Il laissa le silence planer autour d'eux, quelques fois entrecoupés par le lointain hululement d'un oiseau nocturne prêt à prendre son envol afin d'aller quérir à manger. Mais contrairement à elle, il ne ferma pas les yeux. Les images venaient d'elles-mêmes, lui rappelant ce court épisode de sa longue vie.

Il s'en souvenait comme si c'était hier, comme si celui qui lui avait proposé cette proposition tout à fait étrange respirait encore en ce monde. Tinrael se tenait devant lui, un sourire taquin aux lèvres, s'amusant de la méfiance visible dont faisait preuve son confrère des cités par rapport à ce que lui-même avait appris. De son côté, Neraën était loin d'être sûr que l'âme d'une personne puisse avoir un quelconque nom. Qui le lui aurait donné ? Kÿria elle-même ? Il ne voyait pas pourquoi elle se serait amusée à cela alors qu'elle devait pertinemment savoir qu'une fois l'enfant né ses propres parents lui attribuaient un nom. Enfin bon... comme l'apprenti druide se faisait insistant sans se priver de se moquer gentiment de lui, il finit par accepter. Au pire, il n'y avait pas grand chose à perdre dans cette histoire. Il finit donc par faire un signe de tête affirmatif envers l'elfe aux longs cheveux bruns et à la forte carrure - même du point de vue du guerrier qu'il était, c'était pour dire. Le futur druide se fit alors une joie de devenir l'enseignant de son ami d'enfance, s'évertuant à le faire se recentrer sur lui-même. Il se passa quelques minutes, tout au plus. Mais quelques minutes que n'oubliera pas Neraën. Parce que lorsque ces courtes minutes se terminèrent, lorsque Tinrael lui parla de ce nom, il fut surpris qu'un nom vienne à son esprit, surprise qui le marqua profondément. Et ce nom était...

Les yeux de Neraën se tournèrent à nouveau vers son élève improvisée. Il la sentait investie dans la tâche qu'il lui avait demandée, prête à passer à la suite. Ce ne serait pas long. Il eut un fin sourire qui disparut rapidement pour laisser place au masque froid auquel il était désormais habitué. Puis il reprit.

"Maintenant, concentre-toi sur ta respiration. Laisse-toi aller avec l'air qui entre puis qui sort de ton corps, laisse-toi ressentir les effets qu'il fait sur ton corps ainsi que ton esprit. Ressens. Ressens juste, ne pense plus à rien. Laisse ton esprit tout entier se vider, être libre. Laisse-le se retrouver, laisse-le être lui. Laisse-le te prendre, t'appeler. Il laissa le silence revenir quelques secondes afin que la jeune elfe puisse écouter et surtout s'approprier ce qui devait certainement se passer au fond d'elle. Entends-tu ce nom par lequel il t'appelle ?

Qu'elle le vit ou non, qu'elle ait ouvert les yeux ou non, il fit un signe de la main pour lui demander de ne pas parler.

-Il t'appartient de le révéler ou de le garder pour toi, s'il est bien remonté jusqu'à tes pensées. Il n'appartient qu'à toi d'y croire et de le partager. Aussi je ne vais te poser qu'une seule question : comment souhaites-tu que je t'appelle ?"

Au fond de lui, un nom retentissait. Un nom qui venait du passé mais qui, étrangement, semblait vouloir y rester. Comme si le fait d'avoir changé il y a de cela trois cents ans avait assez affecté son âme pour que le nom qui y était associé ne soit plus de circonstance. Telenwë... était-il toujours lui ?

A l'écoute des consignes du Protecteur, Macabre fronçant légèrement les sourcils en penchant la tête sur le côté. Ecouter le silence... Voilà bien une curieuse idée. Comment pouvait-on écouter ce qui ne faisait aucun bruit ? C'était... bizarre. Trop peut-être pour elle. Malgré tout, elle joua le jeu, ferma les yeux et tendit l'oreille. Toutefois, elle était loin de ne rien entendre. Le vent, les insectes estivaux et les oiseaux nocturnes formaient un fond sonore ininterrompu. Elle sentait l'herbe et la terre sous ses pieds mais son esprit, trop pragmatique et logique, n'était pas capable de comprendre ce qui était réellement attendu d'elle.

Un long moment s'écoula avant que l'elfe ne lui donne la suite des instructions. Elle avait gardé les yeux fermés et écoutait toujours ce qui l'entourait. A présent, elle ne devait plus prêter attention à l'extérieur mais se concentrer sur elle-même. Se concentrer sur sa respiration... Elle n'en comprenait pas l'utilité mais essaya tout de même. Elle inspira, bloqua ses poumons quelques secondes et expira. Elle répéta l'opération à plusieurs reprises tandis que le Protecteur continuait de lui indiquer ce qu'elle devait faire. Malheureusement, les consignes étaient très abstraites... Trop pour elle. Ressentir les effets de sa respiration... Vider son esprit... Le laisser se retrouver... Tout cela n'avait aucun sens.
Malgré tout, elle conserva les yeux clos jusqu'à la fin de l'exercice. Soudain, une chouette hulula à proximité et Macabre tourna brusquement a tête dans la direction du son. Ce son qui était venu perturber le calme ambiant.

Lorsque l'elfe lui demanda comme elle voulait qu'il l'appelle, elle lui répondit tout en gardant les yeux fixés vers l'arbre qui devait probablement abriter l'oiseau.

-Je ne sais pas.

Comme à son habitude, le visage de Macabre n'affichait rien et son ton était monocorde. Cela ne signifiait pas pour autant qu'elle ne ressentait rien. Elle était déçue au contraire. Sa quête d'identité durait depuis quelques années maintenant et même Fineldor, avec les moyens qui étaient les siens, n'avait trouvé aucune réponse. Un nom, même venu du vide, lui aurait fait un peu de bien. Malheureusement, son esprit fragile et instable n'était pas habitué à ce genre d'exercice et n'avait pas su l'accomplir.

Il était assez rare de croiser quelqu'un n'exprimant aucun sentiment alors en voir deux se rencontrer... Toutefois, les raisons de cette attitude chez les deux elfes en présence étaient bien différentes. Si Neraën cherchait à contrôler sa magie, Macabre, elle, ne savait tout simplement pas comment exprimer ce qu'elle ressentait. Aussi, contrairement à ce qu'elle montrait, elle souffrait de cette absence d'identité. De cette absence de passé. Elle ignorait où était sa place, dans une famille ou dans les tréfonds du Puy, et ne trouvait pas vraiment de motivations pour se plier à tous les enseignements qui lui étaient prodigués, rendant la tâche de Laliëmerel et de Fineldor plus compliquée qu'elle ne l'était déjà.

-Vous aviez entendu quelque chose vous ?

Voilà qui répondait à l'interrogation silencieuse du Protecteur sur la réussite de cet exercice...
Macabre ne portait toujours pas son regard sur lui, semblant toujours chercher des yeux la chouette qui l'avait dérangée. Tout comme elle restait hermétique au langage elfique, elle ne ressentait pas d'affinité particulière avec les animaux. Pourtant, elle était plus à même de les comprendre et d'avoir la bonne attitude face à eux que bon nombre d'elfes. En effet, son comportement était proche de celui d'un animal sauvage. Restant méfiante face à l'inconnu, demandant à être apprivoisée avant de pouvoir s'en approcher, refusant de tourner le dos à celui en qui elle n'avait pas pleinement confiance ou qui ne représentait pas de menace, semblant toujours détachée de tout et pourtant si attentive... Gardant le regard porté ailleurs alors qu'en son cœur régnait la douleur... Il n'y avait chez elle aucun faux semblant. Elle était naturelle, même si cela ne signifiait pas qu'elle était elle-même.

Je ne sais pas... Etrange réponse, dans le fond. Une réponse qui laissait deviner au seigneur-protecteur que sa jeune interlocutrice n'avait pas été assez réceptive à elle-même. Suite à cela, Neraën ne répondit aucunement. Peut-être n'était-elle pas prête pour ce genre de chose, ou peut-être n'était-ce tout simplement qu'une croyance. Tinrael y avait fortement cru. Lui sentait un fond de vérité dans ce que son ami lui avait enseigné. Alors il ne la bouscula aucunement, lui laissant le temps de reporter son attention sur leur discussion puisqu'elle état en train de chercher du regard une chouette.

"Vous aviez entendu quelque chose vous ?
-Oui, jeune fille. Mais c'était il y a bien longtemps, peut-être que je ne corresponds plus au nom qui s'était présenté à mon esprit. Cela arrive quelques fois, lorsque le temps passe et que l'être change. Mais c'est assez rare... il faudrait que je refasse l'exercice pour être sûr."

Il n'avait pas à en dire plus. Il était de ceux qui préféraient garder le nom de leur âme pour eux-mêmes, considérant que cela relevait du plus profond de leur vie privée. Il attendit donc un instant puis, voyant que la jeune elfe continuerait un bon bout de temps à rechercher l'oiseau qui avait osé briser le silence quelques minutes plus tôt, le vieil elfe finit par se lever de son banc, sans un bruit. Il passa doucement à côté de la dénommée Macabre de sorte à ne pas la déranger et à ne pas passer dans son champ de vision pendant un maximum de temps. Où se dirigeait-il ? Vers l'arbre que l'enfant observait, rien de plus rien de moins. Lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques pas de l'abri, il s'agenouilla à même la terre et attendit, dans un silence complet, ses yeux de glace braqués sur l'être qui continuait à grandir tranquillement.

Au bout d'un moment, le premier changement qu'il advint de cette curieuse scène fut un mouvement entre les branches de l'arbre. L'animal nocturne qui avait auparavant dérangé l'apprentie s'envola, fit un tour des lieux ailes déployées et vint atterrir à plusieurs coups d'ailes de Neraën. Sans changer de position, juste en faisant pivoter sa tête, l'elfe tendit doucement sa main vers l'oiseau sans pour autant vouloir le toucher. Il n'avait pas de don particulier avec les animaux, hormis les quelques astuces que les noss avaient pu lui apprendre pendant une bonne partie de sa vie. Il ne savait pas non plus parler leur langage. Mais il savait mélanger magie et connaissances. Il se sentait sécurisé par rapport à son contrôle de la magie à ce moment précis et ne risquait pas de faire de mal à la chouette. Elle avait répondu, c'était son choix. Maintenant il appartenait à cet animal d'avoir confiance en lui ou non.

D'un signe du regard, il invita la protégée du protecteur de Tethien à s'approcher. Il avait compris que c'était cet animal qu'elle avait cherché du regard pendant un bon moment. Il se demandait désormais comment elle allait réagir face à ce petit être pourtant adulte, si elle allait profiter qu'il n'ait pas encore décidé de retourner dans son foyer ou non.

Statue de pierre aux yeux de glace mais au coeur d'or, Neraën attendait désormais de voir comment allaient réagir celle-qui-n'avait-pas-encore-de-nom ainsi que la chouette.

Macabre observait l'oiseau. Malgré la lumière des deux lunes qui inondait les jardin, elle ne le voyait pas aussi bien qu'elle l'aurait voulu. Un sort d'ombre n'y aurait rien changé car la luminosité n'était pas plus en cause mais plutôt la distance qui la séparait de l'animal. Alors, avec toute la délicatesse dont était capable cette ancien assassin de la nuit, elle se mit sur ses pieds sans pour autant se mettre debout et s'approcha. Elle n'avançait pas directement vers la chouette. Elle la contournait tout en diminuant progressivement l'écart entre les deux êtres. Si l'animal devait s'agiter ou m'anifester son mécontentement voire son inquiétude envers le geste de la petite elfe, elle reculerait un peu et s'arrêterait avant de reprendre lentement son avancée.
La protégée de Tethien n'avait jamais vécu en forêt et ne connaissait pas le contact des animaux. Mais, tout comme eux, elle avait été livrée à elle-même et n'avait pas été éduquée. Son comportement était presque aussi sauvage que le leur, aussi sa relation avec eux était-elle facilitée.

Macabre s'assit finalement à un emplacement stratégique. De là, elle était suffisamment proche de l'oiseau pour pouvoir l'observer à loisir sans pour autant représenter une menace à ses yeux. Mais elle s'était aussi protégée de l'elfe en restant à une certaine distance et en le gardant dans son champ de vision. Au besoin, elle pourrait toujours se réfugier dans l'ombre qui l'abritait et qui courrait sur plusieurs dizaines de mètres en direction du palais.
Elle n'avait aucune raison de s'en méfier mais c'était plus fort qu'elle. Il s'agissait d'une habitude... d'une manière de vivre basée sur la survie. Le fait de simplement vivre ne lui était pas encore familier.

A l'image du Protecteur, le visage de l'enfant elfe n'afichait aucune expression. Seule son attitude révélait un réel intérêt pour la chouette. Elle n'en avait jamais vu de si près et il en était apparemment de même pour l'oiseau qui la détaillait sous toutes les coutures, tournant sa tête de tous côtés comme si elle cherchait à trouver l'angle de vue adéquate pour mieux la cerner. Au bout d'un moment, elle finit par se figer, la tête totalement basculée sur sa gauche. Macabre l'imita, penchant son chef à droite afin de pouvoir plonger ses yeux dans les siens. La scène était amusante et pitoresque.

-Il n'a pas l'air d'avoir peur de moi.

La voix de Macabre était presque inaudible. Certes l'oiseau l'entendrait tout aussi bien (voire mieux) que l'elfe mais le but était de ne pas l'effrayer en rompant trop violemment le siilence qui c'était déjà bien installé. Quant au sujet qu'elle avait utilisé, il était générique car elle n'avait aucun moyen de savoir s'il s'agissait d'un mâle ou d'une femelle et elle ne savait pas reconnaître une chouette d'un hibou.

Neraën regarda longuement la petite faire, devenant en même temps une statue dont la seule particularité était de respirer. Il ne montra en rien l'amusement qu'il eut face à la situation, préférant détailler chaques faits et gestes de l'enfant. Il attendit que l'oiseau se soit concentré sur la nouvelle arrivante pour s'asseoir tranquillement sur le sol, croisant ses bras sur ses genoux pliés. Il se passa un moment que Macabre ne chuchote quelque chose, petite phrase que le protecteur entendit très bien puisqu'il n'était pas très loin d'elle. C'est d'un voix posée qu'il lui répondit, sans pour autant chuchoter.

"Il n'a pas l'air d'avoir peur de moi.
- Elle... c'est une femelle, jeune fille. Et elle semble en effet ne pas te craindre."

Il ne dit plus rien, laissant l'enfant face à l'animal. Il se passa un long moment avant que la chouette ne se décide à s'envoler à nouveau de ses propres ailes, retournant dans l'arbre après avoir plusieurs fois tourné au-dessus des deux elfes. Pendant ce bal aérien, Neraën avait juste posé ses yeux sur Macabre. Le fait que l'oiseau soit resté si longtemps auprès d'elle l'impressionnait. Cela lui rappelait le bon vieux temps où l'apprentissage, quel qu'il soit, faisait pleinement partie de sa vie. Aujourd'hui, c'était lui qui apprenait aux autres... ou bien il passait son temps à chercher quelque chose de non matériel.

"Il y a bien une erreur que font nombre de personnes, notamment les Humains et les Drows. A moins de posséder l'illusion, ils oublient que ce n'est pas parce qu'une personne ou un animal est petit est frêle d'apparence qu'il est forcément un adversaire facile et qu'il doit avoir peur de ce qui est plus grand. La chouette n'avait pas peur de toi... mais elle avait peut-être plus de quoi se défendre que toi. Je suppose que tu n'es pas sans défenses non plus, n'est-ce pas ?"

Peut-être parlait-il de magie, peut-être pas. Peut-être savait-il, peut-être cherchait-il tout simplement à mieux connaître cette manipulatrice d'ombres. Mais l'assurance qu'il avait démontrait une chose : il ressentait au fond de lui que cette jeune elfe savait se défendre, d'une manière ou d'une autre.

Macabre n'ajouta plus rien. Elle continua d'observer l'animal jusqu'à ce qu'il se lasse et décide de reprendre son envol. Le décollage sembla difficile, les premiers coups d'ailes réclamant bien plus d'énergie que le maintien en vol. L'oiseau s'éleva finalement dans le ciel avec de plus en plus de facilité et de légèreté. Tandis qu'il s'éloignait, la petite elfe ne le quittait toujours pas des yeux. Les rayons des lunes l'éclairaient toujours mais un petit sort d'ombres lui permit de scruter la chouette quelques instants encore... Jusqu'à ce que le Protecteur ne rompe le silence.

Lorsqu'elle se tourna vers lui, ses yeux étaient encore noirs d'une paupière à l'autre. Il ne fallut qu'une seconde au charme pour se dissiper. Toujours aussi à l'aise avec le langage, elle l'écouta sans comprendre le sous-entendu sur la vulnérabilité jusqu'à ce qu'il devienne plus clair en l'interrogeant directement sur ses capacités.
Macabre pencha à nouveau sa tête sur le côté. Elle ne savait pas vraiment où il voulait en venir ni ce qui lui faisait dire ça, même s'il avait raison. Son premier atout était bien l'apparente faiblesse de son corps frêle et l'innocence de ses traits. Pourtant, elle avait commis des actes impardonnables pour répondre aux caprices de son maître et à sa soif de sang. Sa gouvernante préférait se voiler elle-même la face afin de préserver un regard vierge de tout jugement et de toute peur à son égard. Car les seules émotions qu'elle était capable de reconnaître chez les autres étaient celles qu'elle avait toujours connues. Or, Lalë voulait qu'elle connaisse un peu de cette enfance qu'elle n'avait pas eu... Quoi de mieux pour cela que la voir telle une enfant candide et pure.

Macabre n'avait pas l'intention de mentir. Elle ne savait pas le faire d'ailleurs. Une qualité pour certains... Mais la délicatesse et la clarté n'en faisait pas partie, même après 9 ans passés parmi la noblesse elfe.

-Je me souviens de chaque visage. Et des noms même si je ne sais pas tous les prononcer.

Le Protecteur pouvait comprendre cette phrase, à moins de la considérer comme complètement hors sujet. Elle pouvait en effet vouloir simplement occulter le sujet et évoquer ses capacités mnémoniques, tant visuelles qu'auditives.
Mais non. Macabre parlait bien de ses victimes. N'ayant pas eu d'éducation, elle ne les avait jamais comptées. Aujourd'hui, elle le pourrait si l'envie l'en prenait. Mais qui irait compter le nombre de personnes qu'il a tué par obligation hormis pour se faire du mal ? La petite elfe vivait dans l'instant présent tout en redoutant le futur. Le passé, elle ne s'y attardait pas, bien qu'elle en portait encore les stigmates psychologiques mais aussi physiques. Son corps, déjà petit à cause de la malnutrition dont elle avait été victime alors qu'elle se trouvait en pleine croissance, était soutenu par des os aussi fragiles qu'une branche d'arbre.

-Je vous fais peur ?

Il n'y avait aucune émotion dans la voix de la petite anonyme de Tethien. La plupart de ceux qui la croisait avait peur de son impassibilité et sa froideur associé à son visage si innocent et parfait. Elle faisait penser à un fantôme ou un être abominable et tous la fuyaient. Non pas qu'elle s'en souciait, elle n'avait pas le souci de ce que l'on pouvait penser d'elle et ne ressentait pas le besoin d'être entourée et de se faire de nouveaux amis, la solitude l'ayant toujours habitée. Mais cet elfe s'était montré presque aussi émotionnellement détaché qu'elle depuis le début de leur entretien et, à moins que ses mots ne l'aient réellement surpris, elle ne pourrait probablement pas lire la peur dans ses yeux. Alors pourquoi ne pas demander...

HRP:

"Si tu me fais peur ?"

Rien en lui ne montrait une quelconque peur ou un quelconque amusement chez le nouveau protecteur. Comme toujours hormis lorsqu'il se forçait à montrer une émotion tant il était habitué au masque de froideur peint sur son visage. La seule chose que la jeune fille put ressentir, sans que cela ne soit causé par un fait en particulier, fut de l'étonnement. Etait-ce dû à la question de la dénommée Macabre ou bien aux yeux étranges qu'elle avait lorsqu'elle avait tourné la tête vers lui ? Il ne répondit pas à cette question discrète.

"Non. Disons plutôt que tu m'intrigues. Je n'ai jamais connu d'enfant se comportant comme toi. Ici les Elfes apprennent à vivre dans une quiétude certaine... tant que les citadins ne s'aventurent pas trop loin dans la forêt."

Une chose qu'il regrettait et qu'il avait, dans le fond, du mal à comprendre. Si seulement... si seulement le fossé ne s'était pas autant creusé entre les citadins et les noss...

"Il y a quelque chose que je n'ai pas compris... Tous ces visages dont tu as parlé, quels sont-ils ?"

Il ne connaissait pas l'histoire de la jeune elfe qui était auprès de lui. Et peut-être allait-il venir à apprendre à la connaître.

-Qui-étude ?

Macabre ne comprenait pas ce mot. Cela arrivait souvent avec Fineldor : il utilisait des termes trop savant pour elle. Il lui avait fallu plus d'une explication pour parvenir à en comprendre certains et à s'en souvenir d'une fois à l'autre. Malheureusement, elle était encore loin de les utiliser elle-même.
Toutefois, cela ne l'empêchait pas de répondre (pêle-mêle) à ce que lui avait dit de Protecteur.

-Il n'y a pas d'enfants comme moi ici. Il n'y avait pas de forêt là-bas.

Elle avait remarqué depuis longtemps qu'aucun elfe de son âge ne lui ressemblait de près ou de loin. Ils étaient sociables, éduqués, civilisés... Seul le poids des siècles finissait par les rendre plus proche de ce qu'elle était, sans pour autant les rendre dépourvus de toute émotion. Se sentir un peu unique ne provoquait rien de particulier chez elle parce qu'elle l'apparentait à la solitude qu'elle connaissait déjà. Car être unique revient bien à dire "être seul", non ?

-Il y a quelque chose que je n'ai pas compris... Tous ces visages dont tu as parlé, quels sont-ils ?

La tête de Macabre partit à nouveau sur le côté. Il était vrai que l'assassinat n'était pas une pratique courante en Anaëh. Fineldor le lui avait dit plusieurs fois. C'était tellement ancré en elle qu'elle avait du mal, aujourd'hui encore, à le comprendre et à l'intégrer. Ce souvenir venait de lui sauter au visage alors que le Protecteur l'interrogeait sur ce qui lui avait semblé si évident.
Elle répondit comme elle savait si bien le faire : sans montrer d'émotions et sans détour.

-Ceux que j'ai tué.

Pas de honte. Pas de tristesse. Pas de colère. Ces morts lui semblaient normales. Non pas qu'elle les cautionnait et qu'elle aurait commis des meurtres sans qu'on ne le lui ordonne. Elle savait que c'était une mauvaise action car elle ne faisait pas partie de l'ordre naturel des choses. Pourtant, elle n'avait rien pu faire contre et les acceptait. Tout simplement.
Quand à savoir comment son interlocuteur allait réagir, cela ne faisait pas partie de ses préoccupations dans un échange social.

"La quiétude, c'est... le fait de ne pas être inquiété par quelque chose. Je voulais dire par là que les enfants elfes apprennent à vivre en paix, en sureté, sans avoir à être inquiétés par des dangers extérieurs."

Le point d'éclaircissement fait pour que la jeune elfe puisse le comprendre, la discussion reprit son cours. Au bout d'un moment assez court, Neraën demanda à la protégée de Tethien à quoi correspondaient tous les visages dont elle se souvenait sans pour autant pouvoir redonner de noms. Le protecteur avait déjà une certaine idée de ce à quoi ils pouvaient correspondre, mais son esprit espérait secrètement qu'il se trompait. Pourtant, de la façon dont elle en avait parlé, elle ne laissait pas beaucoup de doute...

"Ceux que j'ai tué."

La réponse, fort brute, refroidit le seigneur-protecteur. Ainsi, il avait deviné... et alors qu'il était lui-même habitué à répondre avec distance, il fut étonné du manque d'émotions avec lequel la courte phrase avait été prononcée. Neraën ne répondit rien suite aux dires de la jeune elfe, en quelque sorte choqué par la dure réalité qu'elle avait pu connaître. Pour le coup il était tenté d'utiliser sa magie afin de vérifier quel état d'esprit pouvait avoir l'elfe en général, quelles étaient ses intentions, mais il s'en empêcha. Si le protecteur de Tethien l'avait placée sous sa protection, c'était qu'il y avait une raison, qu'au moins elle ne désirait pas donner la mort. Et si elle avait tué pour une quelconque personne, elle n'avait pas dû avoir une enfance très heureuse. Alors il valait mieux ne pas commettre d'impair. Mais que dire, en attendant ? Rien. Il ne savait pas comment briser le silence qui s'était soudainement abattu sur eux.

C'est alors qu'une tierce personne appela la dénommée Macabre. Neraën se tourna et vit une femme aux traits crispés, comme si elle avait cherché saprotégée pendant de longues minutes, s'approcher d'eux. Ne faisant cette fois-ci aucun effort pour montrer un quelconque sourire, il salua de la tête l'elfe avant de parler.

"Ne t'inquiéte pas, cet endroit est sûr. Ta protégée ne craint rien en ces lieux. Puis il se retourna vers Macabre. Il semblerait qu'il soit venu le temps que notre discussion s'arrête, jeune fille. Je suis ravi d'avoir pu faire ta connaissance. Si jamais tu désirais revenir dans cette cité voire même peut-être apprendre à connaître ce qui l'entoure... n'hésite pas à me le demander."

Macabre hocha la tête à l'explication du Protecteur, comme elle le faisait pour dire qu'elle avait compris. Puis se fut le silence total. Mac ne parlait jamais de son passé ou de ce qu'elle avait fait pour le compte de Don'dar. Elle en avait discuté avec Fineldor lorsqu'il avait voulu savoir d'où elle venait et ce qu'elle avait enduré. Elle avait même utilisé ses crimes comme une menace alors qu'il la gardait enfermée dans les geôles de Tethien. En dehors de cela, elle n'en touchait jamais mot. Cela ne venait pas dans les conversations, voilà tout. En tout cas, c'était ce qu'elle pensait, ignorant que ses proches avaient pour consignes d'éviter de lui rappeler ce qu'elle devait considérer comme le passé.
Aussi, la réaction (ou plutôt l'absence de réaction) du Protecteur ne lui était pas habituelle, bien qu'elle ne s'en étonna pas non plus.

-Pia lottë ? *

L’interpellée tourna la tête. Elle reconnaissait l'un des surnoms que lui avait donné sa gouvernante ainsi que sa voix. Pourtant, elle n'était plus tout à faire sûre de sa signification. Lorsqu'elle le lui avait traduit, elle se souvenait avoir pensé : "Elle me prend pour une plante ?...".
Mac ne répondit rien et attendit que Laliemerel l’aperçoive. Soulagée, elle s'avança vers elle et ne se rendit compte de la présence du Protecteur que tardivement.

-Te voilà. Je t'ai cherchée partout... Oh ! Pardon Seigneur Yeldoreï, je ne vous avais pas vu.

-Ne t'inquiète pas, cet endroit est sûr. Ta protégée ne craint rien en ces lieux.

Lalë lui sourit en inclinant la tête en signe de remerciement pour ses paroles rassurantes. Lorsqu'il eut fini de s'adresser à la petite elfe, elle se tourna à nouveau vers elle et s'avança. Mac la laissa s'arrêter bien plus près qu'elle n'avait bien voulu s'approcher de Neräen. Sa gouvernante était désormais penchée au dessus d'elle. Elle était pourtant paisible, la dame ne provoquant aucune méfiance d'aucune sorte chez elle, ce qui avait été un travail de longue halène pour la gouvernante.

-Pourquoi es-tu partie ? Tu sais que je n'aime pas te savoir loin. Nous ne sommes pas à Tethien ici.

-Je voulais m'entraîner.

-Quelle magie as-tu pratiquée ?

-Illusion.

Laliemerel fut soulagée. L'ombre n'était pas une magie interdite ou foncièrement associée aux sombres mais la connotation restait forte et cet art n'était qu'extrêmement rarement pratiqué en Anaëh. L'incompréhension parmi leur peuple pouvait être importante et les réactions, imprévisibles. La petite elfe pouvait la pratiquer à condition de ne pas être vue, ce qui était chose aisée la plupart du temps.

-Tu aurais parfaitement pu le faire dans la chambre, tu n'étais pas obligée de partir.

-Elle riait.

-Ton apparition ?

Macabre ne répondit pas, comme souvent lorsque la réponse se résumait à un simple "oui". Malgré la conversation énigmatique et décousue de la petite elfe, Lalë semblait suivre sa pensée sans trop d'efforts. Comme tout le reste, cela n'avait pas été facile mais c'était une étape nécessaire pour la suite. En effet, l'heure ne s'y prêtait guère mais, habituellement, la gouvernante aurait fait en sorte qu'elle parvienne à s'exprimer plus clairement, en lui faisant parfois quelques propositions de phrases afin de lui montrer comment s'y prendre.
Ayant compris la problématique qui avait poussé sa protégée à s'éloigner, elle l'invita à se lever pour l'accompagner.

-Viens, je préfère que tu restes près de moi jusqu'à ce que nous rentrions.

-Quand ?

-Nous partons dans quelques jours.

Interrompant subitement leur discussion, Macabre se tourna vers Neraën. Elle le fixa plusieurs secondes mais n'ajouta pas un mot, comme si elle exprimait déjà quelque chose. Si la chose pouvait paraître étrange au Seigneur elfe, Laliemerel comprenait déjà ce qu'elle était incapable d'exprimer.

-Je ne pense pas que tu pourras le revoir. Le Protecteur Yeldoreï risque d'être très occupé avec ses nouvelles fonctions.

A la grande surprise de la gouvernante, Neraën exprima le souhait de revoir la petite elfe. La situation était de plus en plus curieuse. Macabre ne discutait jamais avec personne et tout le monde était en cause. On la jugeait souvent trop vite, parfois même d'un simple regard, et elle ne savait pas se comporter autrement que tel qu'on l'avait faite... Alors les gens l'évitaient et elle n'était pas de nature à aller vers eux. Aussi, Laliëmerel la trouvait souvent seul et à l'écart. Mais pas ce soir. Quelqu'un s'était approché sans chercher à s'en aller le plus vite possible, elle avait joué le jeu et tous deux semblaient avoir appréciés ce moment au point de vouloir réitérer l'expérience.
La surprise passée, la gouvernante sourit avant de se tourner à nouveau vers sa protégée.

-Allons-y.

Cette fois, Macabre obéit sans plus rien "ajouter" et pris la direction de la chambre qu'elle partageait avec Lalë. Cette dernière resta quelques secondes de plus. Plusieurs idées ou questions lui brûlaient les lèvres mais le moment était mal choisi et l'interlocuteur plus impressionnant encore que la petite elfe. Elle finit par le saluer brièvement avant de suivre les pas de Macabre. Elle la rattrapa bien vite.

-Je suis heureuse de voir que tu t'es fait une relation. Qu'est-ce qui te plaît chez lui ?

Laliëmerel était curieuse de connaître le point de vue d'au moins un des protagonistes de l'histoire, bien qu'elle se doutait que la réponse allait être des plus complexes à décrypter. Toutefois, elle savait qu'il avait dû se passer quelque chose pour qu'ils semblent si bien s'entendre.
La réponse ne se fit guère attendre et, comme prévu, elle apporta plus de questions que de réponse.

-Il est comme moi.

La gouvernante s'arrêta nette. Surprise. Elle resta ainsi figée pendant un instant avant de se reprendre.

-Attends... Qu'entends-tu par là exactement ?!

*:

Edit:

» Le roi sous la montagne (ou le Gormrik sous le Kazaz)
» La fin d'un long silence | Mac & Nera
» l'épervier va plus vite que le faucon | Nera
» [Intronisation] Une nouvelle perspective | Ëninríl
» [intronisation] De l'écrit à la parole | Anorn

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