l'épervier va plus vite que le faucon | Nera

Hiver - 5e jour de la 3e ennéade de Karfias
10e année du XIe Cycle

" Pfff... C'est toujours la même chose. Il lambine en plus. J'y serais jamais à temps.
- Un peu de cœur non d'un chien. T'as vu l'état dans lequel il est. ça me fait mal de voir un grand homme comme ça se mettre le bras dans l’œil à ce point. Il a caresser l'Aduram bien comme il faut si tu veux mon avis.
- N'empêche que je serais jamais à l'heure. "

Falendis secoua la tête devant le visage renfrogné de son frère d'arme geignard tout en vérifiant avec une habitude certaine les différents éléments du plateau repas de manière à s'assurer que rien de dangereux ou de subversif n'y avait été ajouté à l'intension du Protecteur-Officiel. Puis il pris une bouchée de chaque met. Ce qu'il pouvait détester les carottes...

" T'es pas croyable. " crachota-t-il avait d'avaler la dernière bouchée à laquelle il se risquait en tant que détecteur de poison. " Tu réussis à obtenir un entretien avec un recruteur de l'armée royale parce qu'il s'est retrouvé coincé ici à cause de l'hiver, t'as une chance folle et tu trouves encore à te plaindre.
- Et bah justement, ma chance folle, si je suis pas à l'heure, elle risque de me passer sous le nez. "

La plainte supplémentaire ne reçue qu'un grognement en réponse, si bien qu'il se ratatina quelque peu.

" Et tu veux que je fasse quoi ?! " demanda soudain Falendis en se retournant, visiblement près à chopper son ami par les épaules pour le secouer jusqu'à ce que mort s'en suive. " Que je te couvre pour que tu puisses partir plus tôt ? Tu veux vraiment qu'on se fasse dégrader ?
- Non ! " Il s'interrompit un instant avant d'ajouter " En même temps si je suis pris dans l'armée royale, être dégradé dans celle d'Eteniril... "

Le visage de Falendis se renfrogna.

" Non.
- Allé, Fal ! Un petit geste ! Personne n'en saura rien... " Il joignit les mains comme pour le supplier " Alléééé...?
- ... T'as deux heures.
- OUI !
- Moins fort crétin !
- Pardon...
- Deux heures et t'as intérêt à pas être en retard pour la relève de cette après-midi, sinon je dis que tu as déserté ton poste et que j'ai rien pu faire.
- C'est de bonne guerre. "

Sans plus attendre, il salua son ami et parti à grand pas dans le couloir menant aux casernements pour ôter son uniforme avant de se rendre à son rendez-vous. Falendis s'empara donc seul du plateau et avança d'un pas aussi rapide que martial vers la chambre de Neraën. L'Aigle qui gardait la porte fronça un sourcil en le voyant arriver seul mais le garde n'eut qu'à dire que son comparse avait été rappelé en urgence par leur supérieur pour que la suspicion n'aille pas plus loin. Cet Aigle n'était là que pour Neraën et Falendis était un visage connu.

Pourtant, ce jour là, le garde Etenirili glissa quelques mots à l'impressionnant militaire en arrivant à la porte de la zone anti-magie. Une surprise fugace passa sur les traits de l'Aigle puis il ouvrit le battant, laissant entrer le porteur de nourriture... avant de refermer derrière lui.

" Votre repas, Protecteur. " indiqua-t-il sur un ton neutre en posant comme d'habitude le plateau sur la table.

Les mains libres, dans l'angle mort des fenêtres, il se mit à fouiller entres les pans de son uniforme pour en tirer un rouleau de papier défraichis et aplatit qu'il posa ostensiblement à côté de l'assiette lorsqu'il fut certain que le protecteur avait les yeux sur lui. Le document était cacheté de cire verte qui tachait surement le papier, mais le sceau était totalement plat.

Neraën,

J'espère que tu vas aussi bien que les réseaux officiels veulent bien me le dire et que tu ne parles plus à tort et à travers.

Un Haut Conseil aura lieu lors de la 4e ennéades de ce mois pour statuer sur ce qu'il convient de faire pour Eteniril. La vérité éclatera sous peu et nous pourrons peut-être éviter un massacre.

Tient bon. Pour tous ceux qui croient en ce que tu as essayé d'accomplir en Eteniril et pour une petite mage aux cheveux noirs qui attend ton retour à ne plus en trouver le sommeil. Tu lui manques vraiment beaucoup.

D'ailleurs, je ne te demanderais qu'une chose : prend le temps de lui écrire quelques mots. La personne qui t'as remis ce message se chargera de lui faire parvenir le courrier ainsi que n'importe quel objet ou souvenir que tu voudras bien lui remettre.

Souvient toi que tu n'es pas le seul à vouloir éviter une guerre et que nous sommes nombreux à attendre ta libération.

Un ami

Le garde attendit que le Protecteur finisse de lire avant d'ajouter à voix basse.

" Si vous voulez que les Eperviers transmettent quelque chose au conseil des protecteurs lors de leur session, cela devrait être possible également. "

Attendre, écouter, voir, parler... puis attendre à nouveau, jusqu'à ce qu'une quelconque situation ne vienne troubler sa journée. Les heures s'enchainaient, pourtant intemporelles aux sens du protecteur - s'il l'était encore ; seuls quelques petits événements réguliers lui permettaient d'avoir une quelconque idée du temps écoulé. Le vide se faisait sentir, encore et toujours ; seule une note de musique l'empêchait de sombrer dans cet immense fossé et de perdre la raison, ce qui aurait ainsi donné raison à la fois à ses geôliers, à la fois aux hauts placés d'Alëandir.

Quelle demi-journée était-ce ? Il n'en savait rien... et s'en fichait. Ce genre de détail était loin de lui importer. Comme à son habitude il était assis sur le sol, tête baissée et jambes croisées. Ses yeux d'un bleu profond semblaient s'être perdus dans le néant et rien chez lui ne changea lorsque le soldat entra dans sa chambre, annonça la raison de sa visite et posa son plateau sur la petite table qui trônait non loin de l'entrée. Il se passa un bon moment avant que Neraën ne lève enfin son regard sur l'elfe, ressentant que ce dernier ne s'en arrêtait pas à l'habituel dépôt de repas. Un froncement de sourcils accueillit la lettre placée ostensiblement à côté du plateau puis l'ancien aigle s'arracha à sa contemplation de l'infime chant symphonique pour venir prendre le papier.

"Si vous voulez que les Eperviers transmettent quelque chose au conseil des protecteurs lors de leur session, cela devrait être possible également.
- Rares sont les fois où un épervier s'approche de sa cible, jusqu'à lui donner son identité."

Neraën darda son regard sur le soit-disant épervier, attendant de lui une réaction précise similaire à celle qu'il avait apprise lorsqu'il faisait encore partie de l'armée royale. Ce n'est qu'une fois cette réaction passée qu'il regarda ailleurs, posa la missive sur la table et commença à faire les cent pas dans la chambre. Cette lettre, il se doutait fort de qui elle provenait : il ne voyait qu'une personne pouvant avoir écrit la toute première phrase. Le fait de mentionner Macabre ne faisait qu'être un pas de plus vers la certitude... même si le mot "ami" était au masculin et non au féminin. Ses yeux parcoururent rapidement la pièce à la recherche d'une réponse à la demande qui lui était faite. Pas celle concernant les Eperviers ou un quelconque Conseil, non... celle l'appelant à signifier à une amie qu'il se portait au mieux pour la situation.

"La nuit est noire et l'hiver mordant. Enfants des pierres et frères des vents se toisent sans plus se comprendre. Là où la lumière perdure, là où l'espoir se donne, c'est pourtant deux ombres bien distinctes que les lunes étendent sur certains généralement de bon conseil. Ceux-là pensent bien faire, mais la raison elle-même n'éclaire plus leurs regards. Puisse la Mère leur pardonner et l'Etoile à nouveau resplendir de ses sept branches unies."

Difficile à comprendre. Normal, c'était fait exprès. A qui les entendrait, il lui faudrait retenir chaque mot et faire le tri de chaque phrase pour comprendre le plus essentiel : certains conseillers sont fous et provoquent la guerre civile qui a actuellement lieu, tout cela parce que citadins et noss ne sont plus capables de se comprendre. Tout en parlant il prit un livre, en arracha proprement une page dont l'un des côtés était vierge et attrapa un crayon de bois. Il ne lui fut pas difficile de se servir du bouquin comme appuis pour écrire quelques mots en réponse à Halyalindë. La page était séparée en deux parties.

Cher ami,

Merci pour tes quelques mots. Jamais tu n'aurais dû prendre ce risque.

Sache que je vais bien ; la raison pour laquelle je suis ici ainsi que notre dernière conversation m'aident à faire ce que je dois. J'espère juste que la véritable libération, celle qui verra la fin de ce conflit, arrivera au plus tôt et avant que les lunes ne rougissent, que ce soit ici ou au front.

Neraën

Jeune amie,

Ne sois pas triste de mon absence. S'il n'est pas toujours facile de vivre loin de ceux que l'on aime, il est encore plus difficile d'apprendre que ces derniers n'arrivent plus à avancer. Tu as encore toute la vie devant toi, prends-la ; tes rêves sont des inquiétudes, fais-en ta force. Je t'ai fait une promesse, je m'y tiendrai. Mais pour cela il faut que tu vives pleinement, sinon cette promesse que je t'ai faite n'aura pas de sens. N'oublie pas :
Deux lunes, deux ombres : il ne t'est pas tracé qu'un seul chemin.
Le fleuve et l'océan finissent toujours pas se retrouver...

Puisse la Mère veiller sur tes pas,

Neraën

Il ne pouvait dire plus... il ne voyait quoi écrire d'autre avec le peu de temps qu'il devait avoir devant lui. Il plia la feuille et la tendit discrètement à l'épervier au cas où quelqu'un aurait l'idée de regarder par la fenêtre à ce moment-là.

"Je n'ai pas de cire pour sceller la lettre. S'y trouvent deux mots, pour deux personnes différentes. Fais attention."

Le visage blasé de Falendis se fendit d'un léger sourire, presque gêné que le Protecteur lui fasse si ouvertement remarqué que la procédure de ce jour n'avait rien d'habituel pour une situation aussi périlleuse que celle d'Eteniril. Oui... Si certains de ses supérieurs le savait avant que ça ne porte des fruits substantiels, il était bon pour la retraite anticipé en terre humaine... Pourtant il n'hésita pas un instant quant à la conduite à avoir pour convaincre son hôte de sa véritable nature. Aussitôt que cela fut fait, le Protecteur se mit à marmonner des paroles dépourvues de sens... Mais des paroles tout de même.

Rompu aux techniques de mémorisations, l'Epervier se répéta les quelques phrases, tentant d'y associer images, sensations et rythmes pour retenir aussi bien la forme que le font apparent de la comptine. L'entendre une fois n'avait pas suffit... Il faudrait qu'il la note. Et rapidement.

L'avantage avec un contact militaire de ce calibre, c'est qu'il n'avait pas besoin d'expliquer en long en large et en travers que leur entretient devait être court. En quelques secondes, Neraën avait trouvé de quoi écrire, griffonné quelques mots au dos d'une feuille et donné discrètement le tout à son visiteur en un mouvement à peine exagéré pour venir manger son repas. Si tous les écarts qu'il faisait à la procédure pouvaient être aussi facile et lucratif que celui là, il voulait bien suivre plus souvent les ordres crapuleux de Lönwe et de son mystérieux commanditaire... Enfin pas si mystérieux que ça puisque le nombre de personnes auxquelles ce vieux briscard faisait suffisamment confiance pour en appeler aux vieux amis était assez restreint pour qu'un elfe avec une tête bien faite et suffisamment d'informations puisse faire le tri sans trop de problème.

D'un geste souple, il glissa les papiers à l'intérieur de sa veste et tout écart de conduite pris fin en un hochement de tête amical. Alors revint le garde austère et relativement dégoûté par l'état déplorable de son Protecteur. Comme à son habitude, il resta planté là jusqu'à ce que Neraën prenne au moins quelques bouchées de la nourriture qui avait été préparée pour lui, histoire d'être sûr qu'il continuait à se maintenir en vie de son plein gré.

Les papiers étaient pris, tous ceux pouvant avoir une quelconque importance. La missive d'Halyalindë ainsi que la page sur laquelle il venait de griffonner deux lettres. Désormais l'officieux n'existait plus et Neraën ne se retrouvait plus que devant un garde etenirili, rompu au comportement militaire et s'attelant avec sérieux à attendre que son protecteur ait fait un quelconque mouvement. Idée qui exaspéra d'avance le protecteur...

"Je suppose que tu ne partiras pas avant que j'ai mangé quoi que ce soit ?"

Non... forcément... et Neraën n'avait pas faim. L'elfe se força donc à s'asseoir près de la table puis à picorer quelques mets de l'assiette. Pourquoi fallait-il qu'on l'oblige insidieusement à manger alors qu'il n'avait pas faim ? Peut-être parce qu'il était déjà dans un état déplorable... mais qu'il ne s'en rendait aucunement compte. Alors, entre deux petites bouchées, il posa une question. Toujours la même, celle à laquelle il n'avait que rarement une réponse satisfaisante. Celle qui lui faisait autant espérer que trembler. Et pourtant, elle n'était que simplicité.

"Que se passe-t-il au-dehors ?"

" En effet." répondit simplement le garde en réprimant difficilement un moue de dédain " On m'a demandé de veiller a ce que votre état se dégrade le moins possible."

Et c'était d'ailleurs pour ça que l'assiette du Protecteur n'arrivait jamais à lui sans qu'il ait personnellement pioché dans l'intégralité des plats ainsi que dans le pichet d'eau. Au delà de ses attributions, il était hors de question qu'un Epervier laisse un Protecteur se faire assassiner en douce et vu les habitudes de la cité visiblement...

A la question du protecteur, une question qu'il lui avait déjà entendu posé des dizaines de fois, Falendis répondit sombrement :

" Des gens meurs... Mais moins que ce qu'on pouvait craindre. On parle de jugement et de guerre. Rien de très folichon. On essaie surtout de tirer les raisons de votre présence au clair. Les gens ont peur. Peur des Noss et de voir débouler les Rebelles. Le Conseil... Enfin passons. Mangez. "

Il n'y avait rien à dire de plus. Si le doute qu'il sentait dans les familles proches de l'armée ne se sentait pas assez dans sa voix, alors le Protecteur ne méritait pas d'avoir ses réponses.

Toujours la même question. Elle devait exaspérer le pauvre faux etenirili qui se tenait debout à côté de lui, sagement à attendre qu'il mange suffisamment pour pouvoir partir. D'un côté, Neraën se fichait complètement qu'il reste longtemps ou non... ce qui le faisait tenir était tout autre. De l'autre, il savait quel était le véritable métier de l'elfe et quel long message cripté il lui avait donné par oral, aussi malgré le fait qu'il ait envie de savoir s'il ne faisait pas cela pour rien, il savait qu'il valait mieux qu'il libère l'épervier rapidement au cas où celui-ci aurait besoin d'écrire ce qu'il avait retenu. Aussi se força-t-il réellement à manger, plus que d'habitude, afin que l'elfe ne reste pas par devoir pendant des heures dans cette chambre cela avait pu être le cas il y a encore quelques ennéades.

"Des gens meurent... Mais moins que ce qu'on pouvait craindre. On parle de jugement et de guerre. Rien de très folichon. On essaie surtout de tirer les raisons de votre présence au clair. Les gens ont peur. Peur des Noss et de voir débouler les Rebelles. Le Conseil... Enfin passons. Mangez.
- Le Conseil... ?"

L'intonation de la voix, les quelques mimiques qu'il avait remarquées, le fait de savoir que l'épervier jouait un personnage... Neraën ressentait clairement le doute dans les paroles du soldat et cela lui donnait déjà une indication sur ce que pouvaient penser des habitants de la cité. D'où sa question. Il se doutait qu'il n'aurait pas de réponse de la part d'un épervier, mais avec un etenirili il avait plus de chances et il était dans sa nature de chercher à faire en sorte que les autres aillent jusqu'au bout de leur pensée, afin de les obliger à réfléchir. Tout en écoutant la réponse de l'elfe ou bien son absence de réponse, le protecteur picora encore deux-trois aliments. Puis il reprit, presque comme s'il s'agissait d'une discussion mondaine.

"Ca parle de jugement, serait-ce celui des rebelles ? A moins qu'il n'ait été décidé que j'en aurai un ?"

Neraën regarda Falendis dans les yeux, apportant ainsi un poids à sa question sans pour autant mettre un quelconque ton grave dans leur courte discussion. Dans son regard, rien qui ne pouvait dire à l'épervier quels pouvaient être les ressentis de Neraën par rapport une quelconque mise en justice de la part des conseillers. Non, tout ce que le vieil elfe montrait était qu'il attendait de savoir, si l'autre voulait bien être plus précis quant à ses propos... parce qu'il devait en savoir bien plus que ce qu'il ne laissait entendre, le bougre.

" Le Conseil tente de maintenir le calme, mais la présence d'un Protecteur dans un cachot ne simplifie pas les chose. " grogna-t-il, un peu plus véhément cette fois-ci.

Falendis détourna les yeux vers la la fenêtre, se retenant d'ajouter quelque chose qu'il aurait certainement regretté plus tard. Les yeux dans le vague, il se répéta les mots du Protecteur, trouvant de nouvelles associations pour le graver un peu plus nettement dans sa mémoire. Cela n'avait presque aucun sens... ou pas plus qu'une comptine. Et c'est ainsi qu'il tentait de le mémoriser, notant de loin les cliquetis que faisait le prisonnier en mangeant.

Et de nouveau le Protecteur le questionnait. Comme il le questionnait toujours. Aujourd'hui il avait la preuve que même en répondant à sa première satanée demande et en révélant sa véritable identité, le vieil elfe n'avait pas l'intension de lui lâcher la grappe... Et sur l'instant, il ne savait dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Il posa sur l'homme un regard placide, deux bloques de granites distant s'observant mutuellement.

" ça viendra plus vite que vous ne le pensez. " lâcha-t-il " Pour eux comme pour vous. "

Puis, raide, comme excédé par les questions du protecteur, il salua et s'approcha de la porte pour y frapper deux coups. L'Aigle l'ouvrit de l'extérieur et le laissa sortir. Selon la routine bien huilé, il viendrait chercher les restes du repas dans l'heure suivante. Il y avait toujours des restes...

Ainsi était la fin. La fin de cette discussion qui s'était terminée avec un peu plus de réponses que d'habitude. Sans rien dire, ne cherchant pas à embêter le garde en lui posant d'autres questions - lesquelles, de toute façon ? - Neraën ne fit absolument aucun geste lorsqu'il partit. Le silence s'abattit à nouveau sur la pièce, un silence auditif tout aussi traumatisant que le silence intérieur qu'il avait peine à combler depuis qu'il s'était rendu à ses propres conseillers. Conseillers qui le jugeraient malgré la loi stipulant qu'un protecteur ne peut normalement être jugé que par le Trône Blanc. Mais bon... Qu'en avait-il à faire pour l'heure ? Le Trône Blanc s'impliquerait-il seulement dans cette sombre affaire ? Il n'en savait rien. Alors il faisait ce qui lui semblait être le mieux, rester pour essayer de briser la folie de l'intérieur. Rester auprès des siens au lieu de fuir le danger afin de leur montrer qu'il ne les abandonnait pas. Enfin, que leur futur ex-protecteur... était assez fou pour risquer sa propre vie dans cette histoire.

L'ancien aigle regarda son assiette encore bien remplie, trop pour son ventre. Déjà là il en avait plus mangé que les autres jours et s'était forcé uniquement pour que l'épervier puisse partir rapidement. Il poussa l'assiette vers l'autre côté de la petite table, regarda vers la fenêtre puis laissa le silence l'envahir pleinement, lui laissant tout le temps de ressasser cette inattendue entrevue dans sa tête. Il se passa un temps où le prisonnier resta là, assis sur sa chaise à regarder vers le ciel, immobile. Puis la statue elfique se mit à se mouvoir, les épaules tremblant et les lèvres se mouvant avec quelque mal, pour laisser naître un rire que Neraën essaya d'étouffer afin de ne pas attirer l'attention des aigles devant sa porte.

Oui, quelque chose dans cette discussion le faisait franchement rire. Et étrangement, cela lui faisait un bien fou.