“Seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous.”

« L'aménagement du territoire, votre Excellence, figure parmi les plus grand défis à relever en Sainte-Berthilde. »

« S'il vous plaît, gardons les titres pour les rencontres formelles. Vous êtes mon conseiller et mon intendant, Aristide. » fit la femme d'âge mûr, habillée d'une élégante en robe sombre dans un langecin aussi bon que le sien.

« Certes... Madame. En tout cas, voilà ma thèse. Notre économie est fortement dépendante, pour ainsi dire, de la pluie et du beau temps. Nous avons vécu plusieurs belles années, mais rien nous dit que cela continuera à être le cas. Si vous voulez bien me suivre dans votre bureau, nous pourrions mettre à profit votre récente carte pour mon explication. »

Judith fixa l'homme en face d'elle. Assistant de l'intendant, c'était un homme particulièrement proactif, dont les idées nouvelles n'avaient pas encore heurté la réalité avec ses corruptions, ses fainéantises et ses intrigues. Elle était contente de recevoir un point de vue frais et neuf, parvenant de ce langecin si doué avec les chiffres. Madame d'Hardancour sourit.

« Mais avec plaisir, Aristide. »

Cantharel était bien plus grande que Saint-Aimé, et Hardancour n'était clairement pas comparable. Il lui fallut quelques minutes pour quitter l'intendance et rejoindre ses propres quartiers, ou une quantité de livres non négligeable figuraient sur les étagères. Rentrer dans le bureau de Hardancour, c'était retourner de nouveau au Langehack, pensa Aristide, un brin nostalgique. Il jeta un coup d'oeil à la grande carte qui faisait face à la table de travail de la marquise.

« Voilà donc. Sainte-Berthilde et Cantharel trône à l'ouest de l'Olienne. Mais entre la mer et la capitale trônent plusieurs villes d'importance modestes, » décrivait-il en traçant, avec une badine posée là, une ligne imaginaire reliant Sainte-Berthilde et Olyssea à la mer. 

«  Or, à part Olysséa, je remarque qu'il n'y a aucune autre grosse étape notable. » Judith jouait le jeu de l'intendant, curieuse quant à sa conclusion.

« Voyez, le problème est qu'Olysséa... Eh bien, la route commençant par Etherna aura déjà beaucoup plus d'intérêt pour la plupart des négociants. Etherna possède historiquement une flotte marchande et un port d'importance plus grande que celui d'Olysséa, due à l'ouverture directe à la mer. D'Etherna, il est facile de rejoindre Olysséa, par voie de mer ou de terre, et ainsi continuer à Sainte-Berthilde et jusqu'à la- »

Judith leva un doigt, et l'assistant intendant se tut immédiatement. Cette dernière mention devait rester secrète, et elle craignait qu'un espion puisse entendre la réelle étendue de l'entreprise. Jusque là, la description était intéressante, mais un détail manquait au tableau.

« Or, aucune route commerciale notable nous relie à Thaar de cette façon. Nous comptons plutôt sur nos amis du Ponant, pour cela. » L'on pouvait déceler la pointe ironique.

Le langecin releva l'esprit en souriant. « Certes. Et les raisons à cela sont multiples. Voyez, je ne vous aurais point mandé si je n'avais pas déjà mené une certaine étude à ce sujet. J'ai envoyé quelques maçons relever l'état de l'ancienne route reliant Sainte-Berthilde à Olysséa, puis Olysséa à Etherna.. Le premier tronçon est en relativement bon état, quoi qu'usé et troué sur quelques endroits. Mais des chariots de graviers sur l'étendue de la route devraient suffire à tout réparer. Remarquez, nous pourrions en profiter pour élargir les routes, et songer ensuite à un éventuel pavage. Reste le problème du deuxième tronçon. L'équipe en charge de ce tronçon n'est venue qu'hier soir. »

Il fit tourner la badine autour de ses doigts.
« La route est particulièrement endommagée, et pis encore, foisonne de bandits. Je gage qu'une discussion là-dessus avec le propriétaire de ces routes nous permettra de lancer cela dans les plus brefs délais. »

« D'accord... Eh bien, je verrai quoi faire pour rendre cela possible. Revenez ce soir, et communiquez-moi une estimation des prix pour les deux routes séparément. Olysséa ne devrait pas être un problème, mais je pense qu'une relation doit être établie avec Etherna avant. Oh... Et faites mander le scribe avec le vélin frais. Notre destinataire est de ceux qui méritent une telle attention. Portez-vous bien, Aristide. Vous serez grassement récompensé, à hauteur de la réussite de cette idée que vous nous avez partagé-là. »

Madame d'Hardancour a écrit:

De Judith d'Hardancour, Marquise de Sainte-Berthilde, à Jérôme de Clairssac, Baron d'Etherna, Seigneur de Froissart et d'Hiviènes, héros d'Amblère, salut.

C'est avec toute l'attention et l'amitié que nous portons à nos voisins d'Etherna que nous vous apportons une proposition qui, nous l’espérons ardemment, assurera paix et prospérité à l'ensemble de nos routes et foyers respectifs. Tout d'abord, sachez que nous ne sommes nullement ignorants des derniers événements ayant secoué le Nord, et les conséquences tant humaines que financières de cette héroïque entreprise. Et c'est de ces conséquences qu'il est sujet ici, des moyens d'y faire face et faire ainsi front à l'avenir, ensemble.

Les rapports de nos marchands, venant d'Olysséa et d'ailleurs, sont hélas sans équivoque : les terres etherniennes sont dans l'état actuel peu sûres, et les routes, anciennes, ne sont guère empruntées. Aussi rencontrons-nous le problème du désintéressement des princes marchands, qui préfèrent alors commercer avec les contrées langecines et soltarielle, qui en ressortent d'autant plus enrichies, perpétuant un cercle vertueux pour eux, mais vicieux à notre égard. Vous qui portez à cœur l'intérêt de vos contrées et celles de vos vassaux, je ne me fais nul doute sur votre accord quant au constat que je viens de dresser.

Ainsi accordés comme nous le sommes maintenant, je pense que vous être en droit d'être mis dans la confidence de mes futurs projets. Actuellement, il existe deux principales routes vers la Nanie, depuis l'exotique Estrévent : La route maritime, passant par les côtes de Soltariel et remontant jusqu'à celles arétanes, engraissant par-là  même cette association de marchands bien trop importante pour son rôle, la compagnie du Ponant, et leurs frères en profit, les pirates de l'île mécane. Aussi la route est-elle longue et j'oserai dire, grâce aux récentes informations qui me sont parvenues sur la situation politique du Soltaar, particulièrement risquée.  Je n'oserai même pas parler de l'entreprise hasardeuse de passer par le Wandrais qu'est la seconde route vers le pays nain.
Mon projet, et, si vous l'acceptez, le nôtre, qui consiste à passer par les trois villes etherniennes, olysséannes et berthildiennes, seraient autrement plus intéressantes pour nous. De là, les ports arétans desserviront les contrées naines à bon port. En d'autres termes, nous y gagnerions un marché en amont, où les nains descendront jusqu'en Etherna, et en aval, ou les thaaris remonteront la même route.

Néanmoins, la réussite de cette entreprise, et j'entends par là l'ampleur et la célérité de son retour sur investissement, comporte certaines conditions qui, si elle sont respectées, catalyseraient le développement de nos nations de manière significative. La première est l'aménagement des routes entre Olysséa et Etherna. L'entreprise n'est pas particulièrement compliquée, et je suppose que nos intendants respectifs seront à même de parvenir à un plan d'aménagement efficace, moyennant quelques entrevues. Reste donc la question de la sécurité. Nos vassaux ont déjà eut l'immense générosité de disposer de leurs troupes en patrouilles sur ces routes. Il serait peu avisé pour un bandit de couper le tronçon à ce niveau, mais j'ai bien peur que cela ne soit le cas d'Etherna, où faire de même serait une condition sine qua non à l'établissement de cette route. Sainte-Berthilde pourra bien évidemment porter des hommes volontaires pour cette tâche, et ce dans un cadre d'amitié et d'abaissement des frontières entre nos pays. Aussi la sûreté d'Etherna sera assurée à moindre coût pour vous, et dans des délais autrement plus brefs.

Dans l'attente de votre réponse, nous prions la Damedieu pour votre bénédiction et celle d'Etherna.

Judith d'Hardancour,
Marquise de Sainte-Berthilde