Située au large des côtes péninsulaires, au beau milieu du tumultueux Eris, l'île de Meca est un lieu nimbé de mystère, que l'on raconte impénétrable, et peuplé de forbans. Dans les tavernes ydrilotes, il se dit que seul un homme natif de l'île sait en déjouer les pièges, et peut éviter ses écueils traitres pour gagner l'abri du port. Il se dit aussi que ces gens là sont d'infâmes crapules, doublés de marins émérites, ne craignant pas les dieux, et dont le passe temps consiste à dévorer les corps des infortunés tombant sous leur emprise, et à sacrifier des boucs à d'impies démons. Vous l'aurez compris, Meca nourrit nombre de fantasme, et l'on tâchera de séparer le bon grain de l'ivraie.
Abordons l'île en elle même. Comment ce fait-il, me direz vous, qu'un endroit pareil, aussi grand que tout le Soltaar, n'ait jamais suscité la convoitise des seigneurs de la Péninsule ? Cela appelle une raison, ma foi fort simple : c'est une île oubliée des Cinq. Rocailleuse, bordées d'écueils tranchants sur l'extérieur, remplies de marais gelés à l'intérieur, Meca est une terre de perdition. Les marins évitent comme la peste ses courants traitres, ses vents violents, ses hauts-fonds et ses récifs capables d'amener n'importe quel équipage à sa perte. Dépourvue d’attrait, on comprend pourquoi l'île a été longtemps ignorée de la Péninsule - pire, maudite - et pourquoi seuls les renégats, les pires fripouilles du continent y ont trouvé refuge. Ses maigres forêts n’abritent qu'un gibier malingre, et ses eaux agitées font de la simple pêche au filet une activité périlleuse. Les côtes mecanes sont ainsi ponctuées par les épaves éventrées, tant de coques opulentes que de vulgaires coquilles de noix.
Il serait bien présomptueux d'affirmer connaître l'île, tant ses occupants eux-même s'en détournent. Rares sont les vélins traitant à Meca de l'arrière pays, et les habitants ont toujours été tournés vers la mer. À raison! C'est que le Nord de l'île n'abrite qu'une étendue sans fin de tourbières acides, gelées par les vents venus du Nord, et dont on dit que les fonds hébergent quelques mauvais esprits. Perçant le givre, l'eau bouillonnante fait irruption, crachée par d'ébaudissants geysers. Bien peu d'hommes se sont aventurés dans la lande volcanique, et encore aujourd'hui, nombre de marins mécans prennent les récits des bassins bouillonnants pour des fables.
Si le Sud de l'île, quant à lui, demeure plus hospitalier, il n'en est pas moins un pays bien pauvre. Recouverts par d'épais amas de pins soufflés par les vents, Meca n'est pourtant guère giboyeuse. Les bêtes sauvages ont délaissé depuis fort longtemps ces forêts sèches - ou bien ont-ils tous été chassés par les premiers colons. La terre, aride et craquelée, recouverte d'épines acides et d'une herbe rase, ne permet guère les cultures, et seuls quelques maigres troupeaux viennent y paître. Les pâtres mécans sont ainsi une figure d'exception sur l'île, uniques hommes à se tourner vers l'arrière pays plutôt que la côte.
Les gens de l'île, d'une race fort peu recommandable à l'origine, n'ont guère bénéficié de ce climat de géhenne. Ils ont poussé sur ce rocher ingrat comme les moules s'agrippent aux récifs, tâchant de survivre à l'incurie du lieu, et aux exigence de la mer. Trouvant refuge dans l'unique crique abritée de l'île, les exilés de Meca fondèrent le port éponyme. L'endroit, pareil à une fleur trônant sur le fumier, n'est pas dépourvu de charmes. La ville mêle des habitations construites à même le roc, sur de vertigineux a-pic rocheux, et des bas quartiers, gagnés par les pilotis sur le delta marécageux d'une mince rivière acide, unique source d'eau douce pour les habitants.
Le traitre littoral mécan, avec au loin le port éponyme. Ici, la gent mécane baguenaude tant bien que mal, ramassant les bulots à la marée basse, jetant ses nasses sur les côtes. De l'intérieur des terres, on ramène de la tourbe en quantité, et quelque bête chétive, à l'image de cette vie chiche que mènent les mécans. Pour autant, il serait mal avisé de se borner à cet aspect de disette, car si leur île ne daigne leur offrir guère, les gens de Meca, aux dents longues, ont résolu de prendre ailleurs ce qu'ils ne pouvaient trouver sur place. Depuis les temps immémoriaux, ces rudes marins ne se bornent pas à la pêche au thon rouge, et assurément, depuis le jour où un homme a posé le pied sur ces rivages ingrat, il a aussitôt cherché à retourner rançonner le continent.
C'est que les mécans sont de chevronnés pillards. Qu'ils arraisonnent les cogues cabotant entre les petits ports de l'Eris, ou mettent directement pied à terre pour dépouiller les villages de pêcheur, ces hommes font aisément feu de tout bois. Longtemps craints, ils savent toutefois également montrer patte blanche, lorsque c'est dans leur intérêt. C'est ainsi qu'il y a des années, certains parmi ces diables d'outre-mer se sont mués marchands, usant de leurs talents de marins pour rallier les ports septentrionaux de Lün et du Tor, ainsi que la riche Ydril et ses épigones suderones. La morale étant étrangère au commerce, il n'est ainsi pas rare qu'un marchand de Bonniverdi acquiert le fruit d'une rapine sur les côtes eraçonnes.
La cité, construite de bric et de broc, ne doit son salut qu'à la protection de sa crique, dont les abords rocailleux brisent les lames de fond, épargnant ainsi les fragiles docks mécans. C'est dans cette hanse bienfaitrice que mouillent les embarcations des locaux, entre deux expéditions. Trop conscient de l'inconstance des flots, les seigneurs de l'île, qu'ils soient marchands ou forbans, ont édifiés sur les hauts de celle-ci d'imposantes demeures en pierre, qui contrastent grandement avec les venelles portuaires. Ces dernières, véritable labyrinthe de bois flotté, offrent le spectacle d'une fourmilière humaine nichée au bord de l'eau, où s'ébattent une populace au gré des troquets et des bordels.
En effet, si la réputation de l'île veut que celle-ci ne serve que de havre aux pirates, la vérité est toutefois bien différente : en sus des forbans faisant escale à Meca, il y vivote une populace permanente, faite de gens libres, d'artisans en tout genre. Dépendant de la manne maritime, ce peuple vit aux rythmes des arrivages.
Les quais de Meca. S'extrayant ainsi de leur condition précaire par la pratique assidue de la piraterie et du commerce, les gens de Meca ont ainsi constitué un port d'importance sur leur île, une cité franche et libre de toute couronne. Pour autant, il serait illusoire de croire qu'un endroit pareil fut laissé en pâture à l'anarchie. C'est par l'entente de ses plus grands hommes que Meca jouit d'une paix relative, et d'une certaine tranquillité. Les conseils des seigneurs, tant pirates que marchands, décident ainsi au jour le jour de la manière dont il convient de mener les affaires, à renfort de pillage, ou de diplomatie envers le continent (lire à ce sujet la description du
conseil mécan, par Bartholomé Lastanchezza). Bien qu'à l'abri sur leur île - et l'échec du roi Trystan à purger Meca de ses forbans ne me contredira pas - les mecans ont toujours su mener un équilibre entre l'agression et la cajolerie, conscient qu'ils nécessitent les péninsulaire, autant comme partenaire que comme proie.
C'est en ce sens que le conseil mécan, depuis quelques années, tâche de modérer ses entreprises de pirateries, envers les nouvelles caravelles soltariies lancées sur la piste de Thanor. Cependant, si les grands seigneurs sont d'accord pour ne pas étouffer ce commerce naissant, afin de le saigner durablement, la chose n'est pas nécessairement du goût de tous, et l'on voit régulièrement de menus équipages s'enhardir à la poursuite des vaisseaux de la compagnie du ponant. Réussissant avec plus ou moins de succès, cette entreprise est venue perturber à la fois l'équilibre de l'île, en favorisant l’émergence de nouveaux seigneurs des mers, et à la fois le continent, dont la méfiance envers les mécans s'est de nouveau accrue.