1er jour de la 1er énnéade de Verimios de la 9erannée du XIer cycle,
Ville de Thaar,
Le port de Thaar était resplendissant dans la lumière de l’hiver. L’hiver était peut-être la saison la plus agréable tant la cité semblait resplendir durant cette période où la chaleur harassante prenait pause et laissait la place à une chaleur agréable et douce. Le port vu du ciel devait sous ce soleil avoir des airs d’une cité de lumière, reflétant sur la mer d’Eris à la surface presque lacustre des rayons gracieux. La journée était bien avancée et le soleil était péniblement arrivé non loin de son zénith. Il fleuretait avec les toits bombés et les dômes des palais des princes marchands, ou des ex princes marchands, ou des futurs princes marchands. Il écrasait de sa clarté les innombrables toits plats des petites gens ou des marchands de moins grande envergure.
En ce jour les gens étaient au dehors. Les foules immenses et chamarrées faisaient leurs affaires. Car c’était la capitale des affaires. De toutes les sortes d’affaires : commerciales, amoureuses, politiques, charnelles, toutes les affaires étaient réunies à cet endroit. Le reste du monde était une petite farce, une petite opérette en comparaison de la grande comédie qui se jouait à Thaar. Nul autre tableau n’était plus vif que la cité à la fois par ses décors et ses acteurs. Ici l’on jouait au centuple le jeu des puissants, car ici encore moins qu’ailleurs, les règles n’existaient.
Oui Thaar était une jungle. Les plus forts y vivaient une vie de roi… Les plus malins aussi… Et les autres ? La foule d’autres ? Il se contentaient de survivre. Terrés dans l’effroi. Car il ne fallait pas avoir peur pour aller se frotter aux grands de Thaar. Il fallait avoir du courage, des armes et de l’intelligence. A ce titre beaucoup étaient passés au tamis de l’existence. Il ne fallait pas qu’ils espèrent trop dans cette vie s’ils voulaient survivre. Se terrer dans un trou, trouver de la nourriture, faire des enfants, de temps en temps se payer un petit luxe. Telle la proie qui de temps en temps va un peu plus loin dans la clairière pour trouver une herbe plus tendre. Mais il fallait bien vite retourner se cacher dans la forêt, dans l’ombre. Car se pavaner à la lumière est un privilège de prédateur ou de pachyderme.
Dans l’ombre des quartiers populaires se terraient donc cette foule d’innocentes proies qui vivaient leur vie tranquille. Sans rien ne demander à personne, ou en en demandant peu. Et dans la lumière se trouvaient les palais et les gens riches, très riches, immensément riches, qui festoyaient sur le cadavre de leurs proies. Tantôt chassées dans la clairière si la proie avait eu l’outrecuidance de penser s’en tirer à si bon compte. Tantôt dans l’ombre en ayant attendu l’heure propice. Car entre deux siestes à la lumière, les prédateurs chassent également de nuit au cœur des forêts.
Faeron s’était couché de très bonne heure. Et il s’était levé au milieu de la nuit. Chose prévue, il était descendu jusqu’aux docks et avait rejoint le bord d’un de ses navires. Une partie non négligeable des docks de Thaari portaient son nom ou le nom d’un de ses commerces. Et certains navires faisaient des commerces dont il valait parfois mieux régler les détails de nuit, sous la protection ciel étoilé d’une part, mais surtout à l’abri des regards.
Il était allé récolter des informations et avait donné des ordres à bord du ''Sylenis'' un petit navire de sa flotte spécialisé dans le commerce de petites denrées et le transport rapide et sûr de gens aisés. Ses navires croisant dans toute l’Eris lui permettait de prendre des informations partout et de connaître les commerces qui avaient le vent en poupe ou le vent debout. Lui aimait le bruit et l’odeur de navires. Il aimait également voyager, découvrir les femmes du bout du monde, ou les artistes des grandes cités.
Il avait un goût sûr en tout, et l’amour du luxe même s’il n’était ni douillet ni regardant à devoir se salir les mains ou le corps dans une affaire demandant son implication personnelle. Il ne se voyait ni homme ni elfe.
Il était allé dans ce navire qui revenait des Sept monts pour recevoir lui-même le courrier de ses informateurs. Cela était trop important pour passer entre les mains d’un de ses sbires. Car il attendait une lettre bien précise. Mais il souhaitait aussi revoir le jeune homme qui portait toutes ces informations. Un homme d’une trentaine d’année et qui était un fidèle parmi les fidèles. Il rayonnait de ce garçon une adoration presque religieuse de son patron. Et le jeune homme était parmi les assesseurs les plus prometteur du moment. Un jeune loup souhaitant entrer dans la meute…
Il était reparti du navire avec des nouvelles graves et avait pris avec ses sbires la direction de l’intérieur de la ville, plongeant dans les eaux troubles des quartiers les plus délicats de la ville. Il était habillé comme un véritable assassin, et les hommes qui l’encadraient l’étaient aussi. Personne ne savait que Faeron était de la partie, la discrétion était toujours de mise, et il apparaissait là où ne l’attendait pas. Mais les hommes en noir de Faeron étaient bien connus des truands de tous bords, et craints... Presque tous étaient des sang-mêlés elfiques ou des elfes tombés en déchéances. Faeron s’appuyait largement sur la communauté des bas-fonds d’elfes ou de sang-mêlés, qui n’étaient pas nécessairement très bien vus du reste de la population. Il fallait dire que l’individualisme de ses membres n’aidait pas.
Lui patronnait des initiatives pour ces gens, son père n’avait pas eu cette intelligence par une sorte d’aristocratisme idiot. Mais Faeron trouvait que de payer quelques souverains par ci par là pour aider les autres créait un sentiment de solidarité dont il se servait largement pour se faire un nom et recruter facilement dans ce puits sans fond. Une fontaine par ci, un petit banquet par-là, quelques dispensaires, des jeux pour les jeunes… Et l’on oubliait vos mauvaises actions pour chanter vos louanges. Qu’il était simple de se racheter une conduite quand on était riche… Il aurait pu marcher au grand jour et sans se cacher dans les ghettos elfiques et sans garde grâce à cela. Mais lui n’avait aucune attirance ou aucun sentiment de solidarité pour les autres. Il savait simplement que c’était dans la boue que l’on trouvait les meilleures pépites…
Il était donc habitué à devoir se salir les mains lui-même. Encore une chose que feu ses parents n’osaient pas faire par douilletterie et qui avait dû les empêcher d’arriver aux plus hautes fonctions thaari. Ce soir il allait donc descendre dans la fange. Non pas dans les ghettos où il était bien vu, mais dans les quartiers plus diversifiés en population. Et là il devait se fondre dans le reste de ses hommes. Leur tenue était bien connue du reste du public et s’il n’était pas officiel que cette bande était de mèche avec Faeron et ses entreprises, officieusement c’était un secret de polichinelle.
Les ‘oiseaux de nuit’ comme ils étaient appelés par la population et par eux mêmes n’était ni la seule clique à travailler principalement de nuit, ni la seule clique téléguidée par de puissants intérêts à Thaari. Chaque personne souhaitant compter disposait d’un équivalent avec ses caractéristiques. Certains cambriolaient, certains protégeait les filles faisant la rue, certains autres transbordaient des marchandises particulièrement valorisées ou secrètes. Les ‘oiseaux de nuit’ s’étaient (que le hasard faisait bien les choses) spécialisés dans la visite nocturne de mauvais payeurs ou de temps à autre l’assassinat de très mauvais payeurs. Ils ne marchaient pas sur les plates-bandes des guildes d’assassins. Ils n’acceptaient pas de contrat d’assassinat. Leur vocation était toute entière liées au bon vouloir de leur patron. Et de fait ils n’étaient en guerre avec aucune autre clique ou bande.
Ils étaient habillés d’un cuir noir souple sous lequel se trouvait un habit de lin noir. Ils portaient des gants de cuirs noir et des chaussures fines et dures également en noir. Leurs faces recouvertes d’une épaisse capuche ou d’une cagoule noire. En cela rien ne les démarquaient vraiment des assassins. Mais au bras de leurs habits noirs se trouvaient brodés de blanc un petit rapace, ceci afin d’être reconnaissable. L’oiseau pouvait être vite camouflé par leurs brassières s’ils devaient être le plus discret possible. Si leurs visages étaient cachés, leur taille et leur manière d’avancer ne permettaient pas de cacher qu’il s’agissait principalement d’elfes. Un homme mal averti aurait pu penser qu’il s’agissait d’une cible facile, mais ils avaient troqué la puissance par la rapidité ce qui en faisait des adversaires très redoutables.
Faeron aimait prendre cet uniforme et retomber dans l’anonymat. Il aimait voir l’expression directe de la crainte des gens qu’ils croisaient dans la rue, comme une troupe de fantôme ou le salut presque mécanique de ceux pensant être sous la protection des oiseaux. A la lumière des braseros réchauffant l’air glacial des nuits du désert ou à la frêle lumière des lampes à huile, ils devaient apparaître de nulle part. D’autant qu’ils avançaient sans difficulté dans le noir et sans aucun bruit. Cela devait être une scène onirique ou cauchemardesque de les voir apparaître des ténèbres, passer leur chemin et se refondre dans les ténèbres aussitôt.
Ils arrivèrent bientôt là où ils voulaient arriver, en bordure des quartiers tenus principalement par les nains. Là le territoire devenait bien plus un territoire hostile. Il faudrait faire preuve de plus de discrétion. Mais les deux guides de la bande que l’on avait choisi car ils connaissaient le quartier comme leur poche avaient pour mission de faire prendre les ruelles les plus désertes les plus sûres pour amener jusqu’à leur destination. De manière à éviter les mauvaises rencontres ou à se placer dans une foule hostile. On accéléra le pas jusqu’à un trot discret, histoire de rester silencieux mais de ne pas prendre une heure pour arriver à destination.
Finalement l’on arriva devant un établissement de prêt sur gage qui étaient en grandes affaires avec Faeron, par nécessité. Les nains n’étaient pas ses meilleurs clients, loin de là. Et pour cause ils avaient peut-être plus horreur des dettes que les autres races. Il y avait quelque chose de maladif dans leur approche aux valeurs monétaires… Faeron trouvait cela totalement ridicule. Cela expliquait certainement pourquoi ils étaient si bons constructeurs mais si mauvais entrepreneurs. Ils ne trouvaient jamais de solution simple à un problème, ils se sentaient toujours obligés de tout maîtriser, de tout assurer. Bref, ils n’étaient pas de ceux qui avaient tant que cela le goût du risque. C’était une vertu autant qu’une faiblesse. Il fallait parfois réfléchir en dehors des chemins battus.
L’avantage au moins était qu’ils étaient presque toujours bons payeurs. Donc ce n’était pas les meilleurs clients, mais de bons clients et des clients fiables. Cela en revanche était une bonne chose. Ils assuraient un fond de roulement sans risque qui était une partie non négligeable de la structure de risque de Faeron. Car un usurier était bien plus dans le commerce du risque que dans le commerce de l’argent. De fait son gang intervenait peu dans les ghettos nains. Là il sous-traitait. Et il faisait commerce principalement avec de grands prêteurs sur gage nains qui ensuite déclinaient vers leurs ouailles. C’était plus simple comme cela… Ils se parlaient entre personnes de même taille, la conversation n’en était que simplifiées et cela évitait des torticolis.
En entrant dans l’établissement, le nain au comptoir cilla les gens entrant. Il eut un regard mauvais.
« - Salut les noirauds… J’espère si vous espérez sortir vivant du quartier que vous ne venez pas me chercher des noises. Votre maître et moi on est au carré, fit le nain d’une voix qui si elle était dure, marquait tout de même un peu d’inquiétude.
- Allons. Allons. Cher Argam… Moi qui venait te faire une visite de courtoisie, énonça Faeron d’une voix grave et cristalline dont chaque mot tranchait comme une saillie. Je sais que tu es à jour de tes paiements. Tu es presque toujours à jour… T’ai-je jamais envoyé la moindre remontrance ? Tu sais bien de plus que je préviens avant de passer aux choses sérieuses…
- Maitre Savarius ?
- Lui-même, fit Faeron en enlevant sa cagoule.
- Que foutez-vous ici ?
- Oh… Tss… Je ne fous que rarement. Mais je travaille souvent… Même par chez toi Argam... Je viens car j’ai un message pour ton maître…
- Je n’ai pas de maître… »
Le visage de Faeron s’éclaira et il fit quelques pas pour s’approcher des étagères passant son doigt ganté sur le côté de l’étagère et jetant un œil sur la poussière accumulée. Frottant ses doigts d’un air réprobateur, il s’approcha du comptoir avec un sourire narquois.
« - Mmh… Pas de maître… Bien sûr… Moi non plus… Mes hommes non plus n’est-ce pas ? Mais nous avons tous un maître… Nous n’en sommes pas toujours esclave et nous avons de la liberté mais certaines puissances nous dépassent toujours n’est-ce pas Argam ?
- Qu’est-ce que tu me veux finalement ? »
Un des hommes cagoulés fit un pas mais Faeron l’arrêta d’un geste.
« - Non Beleg, fit Faeron en elfique. Je suppose que tu vas reformuler n’est-ce pas ? continua Faeron en langue humaine d’un ton aimable qui cachait des menace.
- Que me voulez-vous ? grommela le nain.
- Beaucoup mieux… Je propose que nous continuions notre discussion dans ta langue, fit Faeron dans un nain entaché d’un très léger accent, mais à la structure parfaite. Mes hommes ne le comprennent pas, nous pouvons parler tranquillement. Je veux que tu passes le mot suivant à ton maître : que je suis au courant pour les Sept-monts, et que je pense savoir ce qu’il se trame au Joyau. Dis-lui qu’il est mon invité demain au palais maritime… Officiellement pour discuter de l’extension d’un de mes chantiers navals. »
Faeron, avec un sourire satisfait à l’expression interdite du nain qui visiblement ne comprenait pas ce qu’il avait dit et était étonné des connaissances linguistiques du sang-mêlé. Faeron s’accouda d'un air nonchalant au comptoir. Avec un sourire, il ajouta en langue humaine :
« - C’est bon ? Bien… Bel établissement Argam… Toujours un plaisir de faire affaire.
- Nous n’avons pas fait affaire, je ne sais pas ce que je gagne à jouer au corbeau ?
- Mettons que c’est un service rendu au titre du fait que tu es celui profitant de mes meilleurs taux chez les nains… Entre marchands il faut savoir se rendre service n'est-ce pas ? Tu n'auras pas affaire à un ingrat. Je retiens l'aide des autres. Et puis ton maître te remerciera certainement.
- Ce n’est pas mon maître…
- C’est vrai… J’oubliais… »
Il passa la porte. Faeron se sentait en forme. Ils rentrèrent vite au palais. Faeron fit quelques exercices puis alla se couler dans une de ses piscines. D’abord la froide, en extérieur. Il n’était pas frileux et elle était frigorifique, surtout avec le vent froid du désert. Mais il aimait contempler depuis ses jardins suspendus les lueurs nocturnes de la ville tout en se sentant comme hors de la gravité, son corps porté par le fluide d’une pureté presque absolue, fouettant sa peau du froid ambiant.
Puis il revint à l’intérieur jusqu’à un autre bassin qui-là était chauffé, son ou sa favorite l’attendait souvent dans le grand bain, pas plus habillé que lui. Ils étaient rarement plusieurs à la fois, lui n’aimait pas les harems. Il espérait que cela soit le cas ce soir, et que la dame l'attendait, car il se sentait d’humeur. Sinon il se rabattrait sur ce que son intendant trouverait. Mais il n’aimait pas forcer la chose, cela était plus amusant lorsque la ou le partenaire faisait la chose par attirance et non par obligation. En ce moment c’était la fille d’un marchand du port. Elle essayait sans doute de lui mettre la bague au doigt ou de lui faire un enfant… Dans le premier cas elle en serait pour ses frais. La pauvre fille couchait avec un homme qui avait le corps de son âge mais dans les faits l’âge de son père. Les discussions ne volaient pas haut. Pour ce qui était de faire un petit Faeron, il savait par expérience qu’il était presque stérile, comme son père avant lui. Il faudrait sûrement passer ou par l’adoption, pour trouver une magicienne très très compétente. Mais il avait du temps devant lui, peut-être un siècle ou plus… En attendant, il pouvait s’adonner.
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Le lendemain il fut réveillé au lever du soleil, comme tous les jours. Il dormait sans rideau et sans volet. L’astre solaire était sa montre, comme tous les pauvres de la ville. Mais il n’en avait cure. Il était travailleur et n’avait pas besoin de beaucoup de sommeil. La jeune en revanche dormait toujours, c’était compréhensible…
Un sourire satisfait aux lèvres, il se leva pour passer un saut-de-lit noir et se rendre à sa toilette. Il y passa un bon quart d’heure, aidé en cela par un domestique. Il prêtait en journée toujours attention aux apparences. Il repassa un déshabillé, bleu et chaud cette fois et alla jusqu’à la terrasse sur laquelle donnait ses appartements. Une table de marbre était dressée de fruits et de quelques autres denrées, dont du fromage frais. Il mangeait toujours assez frugalement, mais toujours d’excellents produits. Il ne se forçait à manger beaucoup que lorsqu’il était au dehors, par socialité. Il s’assit sur le siège et entreprit de commencer son déjeuner face à la ville et sous le faible soleil du matin. Il but comme habituellement sa tasse d’une boisson infusée aux relents forts et qui était connue pour être énergétique. Il mangea un peu de raisin, une grande tranche d’un fruit bleu gigantesque et une petite tranche de jambon sec sur du pain avec du fromage frais.
Il lisait pendant ce temps-là les dernières nouvelles venant de ses nombreuses affaires. Des parchemins avaient été disposés à son intention qui résumaient les nouvelles venant de Miradelphia toute entière, glanées par les navires de passage revenus au port Thaari. D’autres feuillets, plus conséquents, résumaient les informations venant de Thaar et de ses environs.
Il se leva et fit quelques exercices d’assouplissement puis retourna s’habiller. La jeune poule s’était levée, un air aguicheur dans les yeux. Elle demanda un baiser à Faeron, ce qu’il consentit de faire de bonne grâce. Mais ses avances suivantes, qui se voulaient aller plus loin dans l’exercice, se heurtèrent à un simple :
« - Va t’habiller ! »
La fille le fusilla du regard et s’en fut, courroucée, sans s’habiller, pour aller manger son petit déjeuner. Elle commençait à devenir entreprenante. Ses jours dans le palais étaient donc comptés. Dans ces cas là, il fallait attendre la scène venant de la femme. Ça évitait de trop donner l’air de s’en débarrasser. On ne savait jamais, des fois qu’elle finirait la bague au doigt d’un puissant, il ne fallait pas qu’elle reste dégoûtée de Faeron.
Son père lui flanquerait certainement une belle paire de claque pour avoir quitté le nid sans autorisation, s'être aguiché de Faeron et d'avoir raté son coup tout en perdant son honneur. Ça éviterait à Faeron de le faire lui-même. Faeron lui introduirait un beau parti, et elle sauterait sur l’occasion. Les moins idiotes ou idiots étaient même conscients du marché et venaient chez Faeron en sachant qu’ils les placeraient derrière. C’était le prix du carnet d’adresse… Il faudrait ensuite réfléchir au ou à la suivante. L’opportunité se présenterait sûrement d’elle-même. Il verrait bien.
Il s’habilla avec une certaine allure. Il recevait ce midi. Simplement mais élégamment. La tenue habituelle des hôtes de marque hors des fêtes. Il était habillé tout de lin, d’un rouge bordeaux tirant sur le mauve. Le vêtement était bien coupé, on sentait la qualité s’exprimer dans la moindre de ses fibres. Ses chaussures étaient de la dernière mode et allaient parfaitement avec sa tenue.
Midi arriva bien vite et l’on annonça qu’un prince marchand arrivait. Pour discuter construction. C’était bien cela.
Venant de l’extérieur le palais maritime ressemblait à un immense jardin suspendu à des allures presque pyramidales. Chaque terrasse était plus large que la terrasse supérieure et tout ce qui se trouvait en extérieur était entièrement recouvert de jardins parfaitement entretenus. Un puit immense avait été creusé pour chercher de l’eau fraîche loin dans le sous sol. Dans les couches les plus propres, loin des souillures de la vie de surface. On pompait cette eau grâce à une gigantesque noria entraînée par des moulins à eau dont la force motrice était une dérivation souterraine d’un bras du fleuve.
Grâce à cela, et alors que le palais se situait sur le port, une eau pure jaillissait dans les jardins suspendus au plus haut niveau et retombaient en cascades très fines le long des jardins, traçant au passage des ruisseaux artificiels dans les jardins et servant à les irriguer. Ce qui restait d’eau était envoyé vers les fontaines ou vers les bassins à poissons. Et ce qui restait encore partait dans des fontaines extérieures au palais, devant ce dernier.
Au cœur du bâtiment, à chaque étage, dans la partie qui était recouverte par l’étage du dessus et qui n’était donc pas des jardins, on trouvait différents bureaux, salles de réception, administrations ou appartements, c’était selon.
Le palais était inaccessible venant de l’extérieur en dehors, par l’ouest, via un quai où le navire personnel de Faeron était ammaré, ou à l’est par l’accès terrestre. La sortie discrète de Faeron se trouvait via le bras de fleuve canalisé souterrain, on pouvait y suivre une coursive qui amenait jusqu’à la cave d’un bâtiment sur les quais qui lui appartenait.
Le palais était entouré pour le reste par les eaux du port et la navigation était délicate car des flancs nord et sud les flots du bras de fleuve canalisé qui entretenait les roues à eau se rejetaient dans le port à grand remous. Il aurait été difficile de nager jusque-là. Et il fallait ensuite faire l’ascension d’un quai qui, en fonction des marées, faisait entre cinq et quinze mètres de haut, presque sans aspérités. Les derniers mètres étant saillis de discrets tessons et pics.
L’entrée terrestre était fermée de grandes grilles en fer d’environ trois mètre de haut et était gardé par des gardes pour la plupart humains. Derrière les grilles, une immense rampe amenait jusqu’à la porte du palais entourée d’escaliers, permettant aux calèches de passer. Il y avait environ trois mètres de dénivelé et cinquante mètres de distance entre la grille et l’entrée du palais proprement dite. La rampe était entourée d’immenses et majestueux palmiers, qui visaient apporter de l’ombre à ceux qui venaient en marchant. Des grandes fontaines à la superbe céramique rajoutaient au décor.
L’entrée du palais était une grande entrée ouverte sans porte encadrée de piliers et sur le fronton de laquelle on pouvait lire, dans les principales langues du continent, la devise des entreprises de Savarius : « Souviens-toi de toujours oser. ».
Suivait ensuite un grand nombre de comptoirs où des employés recevaient les clients de moindre importance dans les bureaux et les salles de réception qui encombraient le rez-de-chaussée. Là se trouvait aussi l’industrieuse administration gérant les affaires privées de Faeron. Ses différentes affaires disposaient de leurs propres locaux hors du palais : l’usure siégeait sur l’autre rive du fleuve, dans un grand bâtiment de pierre très cossu. Les chantiers navals avaient chacun leur siège. Et les compagnies d’armement maritime disposaient de leurs sièges face aux différents quais principaux ou docks d’où ils faisaient affaire. Le commerce du bois était situé près des entrepôts dans un vieux bâtiment. On songeait à le déménager. Mais ici, on s’occupait des affaires personnelles de M. Savarius, et cela aussi nécessitait une petite administration et de quoi recevoir. A l’étage au-dessus se trouvaient les bureaux de ceux gérant le contrôle des différentes affaires. Là on recevait bien plutôt les différents représentants et gestionnaires des commerces possédés par Faeron et qui venaient présenter leurs rapports et leurs comptes.
Encore plus haut se trouvaient les cabinets de travail de Faeron. La on entrait dans le faste. Il s’agissait des lieux où les collaborateurs les plus proches veillaient sur l’empire et où Faeron lui-même travaillait. On y trouvait également les immenses salles de réception où Faeron faisait ses fêtes, ses banquets. Les jardins à ce niveau était les plus vastes, la pyramide effectuant un décroché.
Au-dessus se trouvaient un étage presque complet, plus petit et réservé aux gardes du corps les plus fidèles de Faeron, dont certains, de nuit, endossait le costume des ‘oiseaux de nuit’. On y trouvait également les salles d’armes et d’exercice ou Faeron passait souvent. Et encore au-dessus se trouvaient les appartements privés de Faeron, dans une structure presque pyramidale venant chapeauter ce palais aux jardins suspendus.
L’intérieur était richement décoré, mais avec un certain dépouillement. Les bibelots ne s’ajoutaient pas aux bibelots. Mais les quelques statues, les quelques toiles, les quelques œuvres qui fournissaient les lieus étaient toutes magnifiques. Certaines étaient en avance sur leur temps et ne plaisaient pas à tout le monde. Le plus exotique était la place que la mer et que le soleil prenait dans le palais. En effet le palais était d’une clarté incroyable. La lumière entrait de partout et l’on voyait soit des jardins, soit de somptueux panoramas sur la ville ou le port, soit la grande étendue maritime que l’on appelait l’Eris.
C’est dans le petit salon que l’on mena in fine Salfaryl le sombre. Il donnait sur un panorama permettant de voir jusqu’au Joyau. Le salon avait-il été choisi par hasard ? Cela n’était sans doute pas le cas.
Faeron attendait, adossé à un pilier donnant sur les jardins et sur le panorama. Il se retourna pour accueillir son hôte. Il était amusant qu’un nain puisse s’appeler Altesse… C’était tout de même un comble. Mais l’heure n’était pas aux plaisanteries.
« - Merci d’avoir répondu à mon invitation Altesse… Je suis honoré de recevoir le Maitre des Mille Caves en mon humble demeure… »