[Chiard] La corde au cou

Printemps - 4 jour de la 3e ennéade de Favrius
10e année du XIe Cycle

Entre les murs du Palais Ponti, dans l'aile que sa nièce avait récupérer pour lui et sa famille un mois plus tôt, Renard terminait d'annoter les affaires en souffrance dans son journal personnel. Il avait déjà effectué deux voyages au village de la Croisée. Cécilie n'avait pas mentit, Beaurivages avait lancé la restauration de leur dépendance sur place. Les travaux allaient bon train. Si Chiard cédait, ses fils pourraient s'installer là-bas avant la fin de l'été. Et pour régler l'épineux problème d'Aral, Cécilie était sensée venir passer quelques jours sur place.

Quelques heures plus tard, comme prévu, il l'accueillait pour la première fois dans la cour du palais qui avait été celui des de Laval durant tant de siècles. Désormais, les invités de marque logeaient directement sur les lieux. Les cuisines avaient été rouvertes, les chambres réaménagées, le personnel augmenté. Heureusement, le passage d'invités de marque n'était pas rare depuis la fin de l'hiver.

Accompagnée des deux hommes qui constituaient déjà son escorte le mois précédent, Edgard et Anthoine, auxquels venaient s'ajouter la fière Rose, Cécilie mis pied à terre, son visage marqué de son habituel sourire serein. Renard se porta à sa hauteur pour déposer un baisemain sur les doigts blancs et la prit par le bras.

- Enfin de retour !
- Il y a eu bien des affaires à traiter et ma santé m'a joué de tours.
- Votre santé ?

Dans le ton du joyeux diplomate, une once de peur avait soudain percée. Avec l'absence d'Ernest, tout le monde craignait pour la jeune lignée, et tout particulièrement pour la jeune comtesse étant donné la tentative d'assassinat qui avait eu lieu à Diantra et l'affection que lui portait personnellement Nelen. La main de la musicienne vint presser la sienne en un geste rassurant.

- Un mal de dos persistant qui m'a empêcher de prendre la route. Rien de grave, mon oncle.

Et surement une intoxication alimentaire étant donné les maux de ventre et les écœurement qu'elle avait eu, mais il ne servait à rien d'être vulgairement précise quant aux symptômes.

- Dites moi plutôt comment vont mes cousins et ma tante.
- Fort bien. Ma bru a un ventre bien rond et commence à éprouver les angoisses qui vont avec mais votre tante est tout à fait délicieuse avec elle. C'est à croire qu'elle est née pour aider les jeunes mères.

Les mondanités durèrent un peu plus longtemps qu'il n'est de coutume lorsque le sort des autres ne vous importe pas. Après tout c'était la famille et des alliés de poids. Des amis... peut-être. La jeune femme ne prononça pourtant pas un mot sur Arnaut ou Mathilde. Renard approcha le sujet par circonvolutions discrètes mais ne toucha jamais au but, la conversation prenant un tour inattendu à chaque fois qu'il frôlait le débat.

Puis il fallut bien attaquer le véritable sujet de sa visite. Il avait été décidé qu'ils mangeraient d'abord tous ensemble avant de mettre au clair la situation. La présence de Renard et la promesse que Chiard resterait une ville commerciale avec ses lois particulières avaient beaucoup détendu la bourgeoisie marchande et militaire mais d'Aral avait toujours ses irréductibles. Des irréductibles qui commençaient à infuser la haine et la méfiance dans le bas peuple, ravivant la peur de la magie et des dieux, attisant les superstitions et les méfiances. Ils ne pouvaient plus attendre, surtout avec la guerre qui risquait d'arriver par le nord et par bateau.

- Les choses se sont dégradées plus vite que je ne le craignait. J'aurai du laisser Elois et Raymond s'occuper seul du début des travaux à Missède...
- Il est trop tard pour les regrets. A présent il convient de savoir comment nous allons pouvoir démanteler tout ça.

Il n'était pas nécessaire d'être un expert en diplomatie pour se rendre à l'évidence et trouver la seule réponse valable.

- Nous ne pourrons pas.
- Mais alors Chiard...
- Mais notre ami d'Aral, lui, le peut tout a fait. que le peuple se méfie de moi n'est pas un problème, mon frère et mes soeurs seront ici, pas moi. Il faut par contre discrédité Aral et le manœuvrer de manière a ce qu'il jette le doute sur ses propres malfaçons.

Mais malgré les discussions, les recherches et les ficelles, bien peu de choses bougèrent. Le Juge d'Aral se faisait de plus en plus virulent publiquement et les appuis des de Laval peinaient à tenir le rythme de sa mauvaise foi et de la haine qu'il éprouvait envers la Comtesse. Il était pourtant suffisamment fin pour que ses actes semblent uniquement mus par la bonté et le soucis du devenir de sa ville.

Trois jours plus tard, une réunion de plus eu lieu, dans le feutré cette fois-ci. Et les enjeux furent clairement posés :

- Il me semble que votre aîné à deux garçons, Messire.

Le vieil homme s'était raidit instantanément, l'insulte qu'il avait sur les lèvres coulant doucement dans sa gorge.

- Il semblerait que nous ne puissions nous arranger directement, j'ai donc pris la liberté de contacter votre fils, Alain. Sachez qu'il est d'accord avec ce que je m'apprête à vous proposer.
- Vous l'avez retourné contre moi lui-aussi ?! Vipère !
- Tenez votre langue à moins que vous ne vouliez la perdre !

La voix de la Comtesse venait de tonner comme rarement. Cet homme et ses attaques constantes la mettaient hors d'elle. Habituellement, elle se contenant devant son publique, mais ici ils n'étaient que quatre et Rose pour porter la bougie. Elle pensait l'amener petit à petit à accepter la suite, mais puisqu'il ne comprenant que la manière forte et ne pouvait pas montrer un minimum de respect, soit. Son visage glacial et son maintien régalien ne donnaient que plus de mépris aux mots qui suivirent.

- Votre petit fils épousera Augustine de Faviar, parente de la dame de Roch, et viendra vivre à ma cour. Le second sera envoyé à Beaurivages comme pupille de Clarence de Beaurivages. Sur ce, je vous souhaite la bonne journée.

Elle se leva et appela Rose d'une voix sèche. Il n'y avait nul besoin de précisé ce qui arriveraient aux deux jeunes gens si les rumeurs continuaient à se répandre et que leur grand-père continuait sa vendetta.



Une fois de retour dans sa chambre avec Rose, Cécilie lui demanda de l'aider à trouver la plus proche banquette et, une fois n'était plus coutume, de rester un peu avec elle. Ses traits radoucis étaient empreints d'une lassitude teinté de culpabilité. Rose leur servit une coupe de vin dans lequel macérait les drogues que les guérisseurs conseillaient à leur Comtesse pour soigner ses douleurs chroniques. Pour la première fois depuis longtemps, les deux jeunes femmes parlèrent de choses et d'autres. Elles échangèrent des opinions et des idées, se tenant le plus loin possible des souvenirs. Mais lorsque leurs idées les ramenèrent sur les problèmes actuels et que la colère de la Comtesse à l'encontre d'Aral avait repris des proportions convenables...

- La seule chose que j'espère c'est qu'il me pense assez ignoble pour faire assassiner des enfants... car je ne sais pas si j'en serai capable.
- C'est que tu es encore une femme de bien.
- Non... Tu n'as pas compris. Je ne suis pas certaine que je les laisserai vivre. C'est ça qui me terrifie.