Il n'y a pas de Temple à Chiard ? | Griffon & Nat

Fin de la 9ème ennéade
Printemps, Barkios 18:XI

Le voyage a été plutôt maussade. Natael a l’esprit ailleurs et le regard régulièrement tourné vers le Nord-Ouest ou vers Chiard. Zofia est dans ses pensées, bien évidemment. Il peinait déjà à avoir des nouvelles en étant chez lui alors depuis Langehack, il n’est pas certain de comment les choses vont se passer. Sa famille et Agathe lui ont promis de lui faire suivre les lettres de sa fiancée mais, en les lisant, il aura toujours conscience de les parcourir avec tellement de retard… Mais il fait cela pour eux et il sait… ou plutôt il croit… Non, il espère qu’elle le comprendra en lisant le mot qu’il a laissé à Rainier.

Le temps et l’inquiétude le font douter.

Arrivé la veille en compagnie de Renard, le jeune vitaliste se trouve désormais au Grand Temple de Langehack. Dans un couloir, il attend, bras croisés, qu’un entretien se termine. Un entretien entre son patriarche et le Grand-Prêtre. Jusque-là, il était mage profane, n’obéissant à aucune règle, soignant comme bon lui semblait, allant où le cœur lui en disait. Il faut convaincre, rassurer… Et qui mieux qu’un marchand peut faire cela ? Voilà pourquoi Renard l’accompagne aujourd’hui et pourquoi il se contente d’attendre en silence. Son tour viendra. Il faudra confirmer les dires de son père, prouver qu’il n’est pas un mage déviant et incontrôlable, montrer sa dévotion à travers sa connaissance du culte… Car un fervent pratiquant ne peut pas être foncièrement mauvais, n’est-ce pas ? On dit beaucoup de choses sur Natael d’Orman, la plupart assez désagréables mais rien de foncièrement négatif. Et le seul fait concret et avéré, ce sont bien ses visites plus que régulières au Monastère de Chiard, et pas uniquement le jour de Néera.

Tandis qu’il attend -plus ou moins patiemment-, le jeune homme regarde les gens aller et venir dans le Temple, circulant entre les chapelles et les statues, demandant l’oreille d’un prêtre ou s’isolant pour prier. Dans cette foule, il reconnaît des traits qui lui sont familiers. Il n’a pas l’intention d’aller au-devant d’une conversation. Lui qui est plutôt solitaire en temps normal, il n’est certainement pas plus avenant aujourd’hui alors que ses soucis le tracassent. Son regard s’en détourne plutôt et il continue d’attendre, soupirant d’inconfort, d’inquiétude et d’impatience.

Griffon descendit de sa monture à environ une centaine de mètres du grand-temple et fut rapidement imité par son entourage. Un entourage qu’il aurait d’ailleurs préféré ne pas avoir mais malheureusement, lorsque l’on est important, il est difficile d’être seul. Un adolescent qu’on lui avait présenté le matin même, et dont il avait oublié le nom, se porta à son niveau pour prendre les rênes de son cheval et la réaction boudeuse de Maël fit rire le marquis. Malheureusement pour le jeune baron, il était encore trop jeune pour s’occuper pleinement de l’animal. La vingtaine de personnes termina alors le trajet à pied, entre les murs de couleurs vives de Langehack, les passants saluant avec un respect, parfois mêlé de crainte, bien marqué le cortège de sangs-bleus.

Le maître de la cité se disait que tout cette histoire aurait pu être expédiée bien plus vite si seulement les apparences ne devaient pas être maintenues. En effet il lui fallait maintenir son rang, comme on disait, et chaque apparition, aussi futile soit-elle, était une bonne occasion de faire étalage de sa puissance et de son influence ; ça passait par les châtelains et autres personnages importants qui suivaient le marquis, par l’apparat, avec des parures qui coûtaient un nombre absurde de souverains pour le plaisir de yeux de personnes qui, bien souvent, n’avaient jamais tenu une de ces pièces dans leurs mains. Tout ça pour aller parler quelques minutes avec le grand-prêtre et adresser une prière à la DameDieu. Griffon en aurait poussé un soupir s’il ne s’était pas trouvé en pleine rue. En réalité il aurait bien fini le voyage à cheval mais s’il avait contenté les libertins en leur permettant de se montrer il se devait également d’accommoder les sages, qui n’étaient, malgré le nom, pas plus sages que leurs adversaires de toujours, en faisant montre de piété publiquement, d’humilité. Ainsi c’était à pied qu’il se rendait au grand-temple et ce serait en leur nom qu’il ferait une donation au culte. Une donation qui serait évidemment vu, il aurait été naïf de penser que ce don était tout à fait altruiste. Une donation qui irait peut-être aider les plus démunis et, pour le coup, avec le descendant d’Irys d’Arosque, il se permettait d’espérer que ce serait le cas ce qui ferait que, pour une fois, cette apparence de bonté ne serait pas que superficielle.

Griffon tenta d’expédier tant que faire ce put la donation, deux nobles de son entourage donnèrent l’argent à des prêtres selon un rituel qui était bien trop long pour ce que c’était au goût du marquis avant de se diriger directement vers les quartiers du grand-prêtre ; cette fois il poussa un soupir, une fois seul. Le plus désagréable était passé : il pouvait être seul désormais. C’était requis pour s’entretenir avec le grand-prêtre, ou la grande-prêtresse d’ailleurs, bien qu’il lui semblât qu’il manquait une moitié du couple aujourd’hui. Ensuite il devrait il ne serait plus seul pour prier mais durant la prière il pourrait se renfermer un peu sur lui et n’aurait pas à entretenir une conversation avec une personne envers laquelle il n’avait que peu d’intérêt.

Toutefois les dieux semblaient vouloir le tourmenter encore quelques instants : le grand-prêtre n’était pas encore disponible, il discutait avec on ne savait qui, du moins Griffon ne savait pas et il n’était pas certain de vouloir le savoir de toute façon. Attendant dans l’antichambre, le marquis laissa son regard vagabonder sans prêter attention aux personnes présentes jusqu’à ce qu’il entende des bruits de pas venant de sa gauche. Après avoir lancé un regard furtif il reconnut Mégara de Lars, une femme qui l’ennuyait à mourir et qui ne savait pas se taire plus de quelques secondes. Griffon se tourna alors vers la personne la plus proche de lui, un jeune homme blond aux yeux gris qui lui semblait soucieux, un peu anxieux.

« Qu’est-ce qui vous tracasse, jeune homme, vous avez reçu une mauvaise nouvelle ? »

En le détaillant un peu plus, le marquis eut l’impression de l’avoir déjà vu quelque part mais fut bien incapable de dire où et encore moins dans quelles circonstances.

A l'arrivée, Natael s'incline devant lui mais ne s'outre pas de ne pas le voir engager la conversation. Il doute qu'il se souvienne seulement de lui, il ne se sont vu qu'une seule fois après tout et c'est sa fille qu'il a envoyé comme représentante à son anniversaire. Autrement dit, il ne se sont vu que pendant la brève conversation qui lui a accordé le droit de se marier. Conversations que Griffon de Langehack doit avoir trop souvent et qui doivent lui paraître insignifiantes comparées aux problèmes du marquisat. Alors non, le jeune homme ne s'offusque pas de voir le Seigneur l'ignorer proprement. Au contraire, cela l'arrange et l'entendre lui adresser finalement la parole le surprend bien plus et il ne peut s'empêcher de arquer le sourcil. Il lui faut un bref instant avant de se décider à lui répondre, car il ne peut décemment pas se permettre de ne pas adresser un mot au Marquis alors que celui-ci engage la conversation. Il a certes un franc parlé trop prononcé mais il n'en ignore pas pour autant les règles de bonnes conduites et les limites qu'il se doit d'observer en matière de bienséance.

-Si je semble tendu, c'est que mon avenir se joue derrière cette porte, Votre Excellence. Lui dit-il sans chercher à faire preuve de courtoisie ni de rond de jambe. Il se contente simplement de répondre à la question qui lui est posée, sans chercher à masquer son humeur du moment.

Natael pourrait rafraîchir la mémoire du Marquis quant à son identité et le contexte de leur rencontre mais il n'en voit aucunement l'intérêt. Il n'a aucune faveur à lui demander et rien à espérer de lui. Son futur est déjà tout tracé, à condition que le Grand Prêtre l'accepte comme serviteur de la DameDieu. Il a un assez bon curriculum pour cela et il peut faire considérer qu'il pratique la magie divine et non profane s'il met en avant son focaliseur qui n'est autre qu'un emblème religieux. Un symbole de Néera elle-même.
Le vitaliste n'a pas l'intention de discuter très longtemps avec Griffon. Il ignore ce qui l'a poussé à lui adresser la parole, la curiosité, l'ennui... Peu importe. Lui n'est pas tellement d'humeur à bavasser. Mais alors que les deux hommes se toisent, une voix enfantine et enjouée crie le nom de Natael tandis que de petits pas se précipitent vers lui. L'intéressé se retourne et décroise les bras en voyant Mael arriver à sa hauteur.

-Hey ! Salutations bonhomme. Pardon... Votre Honneur. Fait-il par jeu plutôt que pour réellement corriger son erreur, inclinant légèrement le buste.
-Tu n'es pas crédible une seule seconde.
-Il est vrai. Lui accorde le puîné des d'Orman d'un air léger. Mais il faudra bien que je m'y mette un jour. Quel Baron serais-tu si tu n'attirais même pas le respect de tes cousins ?

Natael n'a aucune envie de changer d'attitude envers le fils de sa regrettée cousine mais, pour son bien, il sait qu'il devra le faire tôt ou tard. Au moins en public. S'il se montre parfois insolant, le vitaliste n'en est pas moins intelligent et sait ce qu'il peut se permettre ou non et aussi ce qui peut nuire à ses proches ou non. Il a plus à cœur l'honneur de son entourage que le sien que tout le monde terni déjà depuis des années sans raisons valables. Alors il préfère jouer de ce qu'on dit de lui, mais jamais au détriment de sa famille. Mael est certes jeune mais il comprend le message et prend note du fait qu'un jour son cousin ne l'accueillera plus avec une gaieté aussi franche et que ce ne sera pas parce qu'il n'est pas heureux de le voir. D'ailleurs, Natael en a temporairement oublié l'entretien qui se déroule dans la pièce d'à-côté entre son père et le Grand-Prêtre.

-Que fais-tu ici ? Demande le petit garçon, curieux.
-C'est une longue histoire...

Natael voit déjà le regard de Mael s'illuminer, lui qui adore ses récits. Mais celui-ci est nettement moins joyeux et ne l'amènera certainement pas à rêver de la même manière que lorsqu'il lui parlait de la cité blanche d'Ithri'Vaan ou des immenses jardins suspendus. Surtout qu'après tout... Il lui a menti sur lui durant tout ce temps et il ignore totalement comme il va réagir.
Malheureusement pour lui, le peu que le Marquis a pu entendre a éveillé sa curiosité et il demande désormais à connaître les récents évènements qui ont poussé le jeune d'Orman à solliciter le Grand-Prêtre de Langehack. Il pourrait très bien refuser mais c'est l'insistance de Mael devant l'opportunité qui se présente qui finit par le faire céder. Il soupire et plie le genou pour se mettre à la hauteur du garçon.

-Il y a quelques jours, un homme a été grièvement blessé. En plein cœur de Chiard.
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!
-Il a été agressé, selon toutes vraisemblances.
-Et toi, tu y étais ? Qu'est-ce que tu as fais ?

Natael hésite une seconde. Il sent le regard de Griffon sur eux. Il cherche comment le dire à son petit cousin avec délicatesse. Mais il continue malgré tout.

-Je l'ai soigné.
-Tu sais faire ça, toi ?
-Aussi bien qu'un prêtre.

Mael réfléchit puis écarquille les yeux, semblant comprendre ce qu'il veut dire.

-Tu... Il s'arrête dans son élan et se penche à l'oreille du vitaliste pour lui poser sa question plus discrètement. Tu es un mage ?

Natael hoche la tête de haut en bas. Le petit garçon passe par plus d'une émotion. Il est émerveillé, heureux et puis, finalement, soucieux... Il sait que sa mère pratiquait la magie, tout comme lui, mais qu'elle était très mal perçue. Il a peur qu'il arrive la même chose à son cousin. Et cela, le jeune d'Orman le lit dans ses yeux et pose une main sur son bras.

-Je ne fais que soigner les gens, Mael. Je le fais depuis des années, sous une fausse identité. Je n'ai pas toujours été bien accueilli mais on ne m'a jamais rien fait. Pour quelqu'un comme moi, il suffit d'éviter le Nord de la Péninsule. Et si je suis venu ici, c'est pour me mettre en sécurité, maintenant que je ne peux plus garder mon secret.
-Mais tu ne pourras plus voyager comme avant ?
-Non. Mais ce n'est pas très grave.
-Tu n'aurais pas dû le soigner alors ?
-C'aurait été contraire aux enseignements de Néera et à mes valeurs.

Mael affiche une mine boudeuse puis hoche la tête. Il comprend. Il doit apprendre lui aussi à intégrer ce genre de choses. Il faut savoir à quel moment se taire, à quel moment agir, en fonction de là où il y a le plus d'intérêts. Et les intérêts de Natael sont assez modestes... Il a sacrifié son mode de vie et sa liberté pour sauver un homme parce que sa vie comptait davantage à ses yeux.

Le marquis se détourna du jeune homme pour lancer un regard vers la porte dont on lui parlait et il se mit à compatir. Il savait ce que c’était, d’attendre une nouvelle importante sans savoir si elle serait bonne ou mauvaise ; surtout lorsque la nouvelle en question conditionnait votre avenir. Alors il hocha la tête, s’armer de patience était bien souvent la chose la plus difficile à faire. Mais derrière les pas de Mégara s’en détachèrent d’autres, plus rapides et plus léger, qui se mirent bien vite à courir dans sa direction en criant. Griffon adressa un regard noir à de Lars qui tenta, trop tard, d’attraper le baron par le bras pour le retenir mais il était trop tard, l’enfant était déjà parti hors de sa portée. On lui avait pourtant dit si souvent de ne crier ni de courir dans un temple mais visiblement la leçon n’était pas encore assimilée, nota Griffon dans un coin de sa tête.

Observant la scène avec un sourire amusé, le seigneur de Langehack prit note du lien familial entre son page et l’inconnu, ou du moins le presque inconnu alors que la dame de compagnie qui avait pour charge de s’occuper de Maël au moins dans le temple, s’approchait de son seigneur sans rien dire, pour une fois ; rien que pour ça le marquis ne reprit pas l’enfant.

« Une longue histoire que nous avons tout le temps d’écouter. » Bien qu’il aurait aimé s’asseoir, Griffon n’en fit rien et resta debout alors qu’il parlait. « Et que vous avez probablement le temps de raconter. »

D’un geste de la tête il désigna la porte derrière laquelle se jouait le futur de Natael. Croisant les bras, le marquis prêta une oreille attentive au conteur qui mettait un genou à terre. Griffon sourit devant l’impatience de Maël qui devrait apprendre à se calmer pour laisser son cousin parler ; le marquis s’était attendu à un récit épique dans lequel le jeune homme se battait contre toute une bande de malfrats pour sauver leur victime mais il n’en fut rien. Suite à l’explication, même si le marquis n’avait pas entendu correctement ce qu’avait chuchoté l’enfant, il ne fut pas bien difficile de deviner qu’en face du baron se trouvait un vitaliste. Un vitaliste qui, par la force des choses, devait être présent aujourd’hui pour entrer dans les ordres. Du moins c’était ce qui lui semblait le plus logique avec ce qu’il raconta ensuite. Le maître du langecin hocha la tête, approuvant la dernière réponse de Natael.

« En agissant ton cousin a suivi deux des neufs dogmes de la DameDieu, peux-tu me citer lesquels, Maël ? » L’enfant releva la tête vers son suzerain et les efforts qu’ils mettaient dans sa réflexion se reflétaient sur son visage juvénile.
« Le… troisième? » Le marquis hocha à nouveau la tête bien que ce ne fut pas forcément celui auquel il s’attendait en premier. Le baron, qui vit sa confiance s’affermir, reprit rapidement la parole. « Et le septième. »
« Je vois que tes leçons portent enfin leurs fruits, père Ralio sera fier de l’entendre. »

Les portes menant au sanctuaire du grand prêtre s’ouvrirent derrière le marquis.

« Vous éminence. » Griffon s’inclina et l’intéressé le lui rendit. « Avez-vous quelques instants? Je ne serais pas long. »

Le grand-prêtre hocha la tête et après avoir dit au revoir au père de Natael, il fit demi-tour avec le marquis à ses côtés bien que ce dernier se retourna.

« J’espère que vous obtiendrez la réponse que vous désirez. » Lança-t-il au cousin de Maël avant de suivre le grand-prêtre. Lorsque les portes se refermèrent une femme aux yeux vert clair qui avait représenté son père à l’anniversaire de Natael se trouvait derrière Maël, les mains posées sur les épaules de l’enfant.

« Sir d’Orman, cela faisait bien longtemps que je ne vous ai pas vu à Langehack. » Les deux émeraudes qui servaient d’yeux à Prudence passèrent alors sur le fils de l’intéressé. « Il en va de même pour vous, Natael, puis-je vous inviter au palais si vous en avez fini au grand temple ? »

Renard est surpris. Lui qui s'attendait à interrompre son fils faisant les cent pas dans le couloir, il le retrouve plus qu'entouré et avec le Marquis en première ligne. Cela ne l'empêche cependant pas de saluer Griffon comme il se doit et, comprenant qu'il veut s'entretenir avec le Grand-Prêtre, il lui cède la place. Il était sorti pour que Natael se joigne à la discussion mais il ne proteste pas et prend congé du religieux. Ils repasseront plus tard.
La porte se referme bien vite, laissant les d'Orman dehors. Le patriarche adresse un sourire à Maël mais ne s'en approche pas à cause de la Demoiselle qui est apparue derrière lui. En entendant sa voix, le vitaliste lève les yeux au-dessus du petit garçon et découvre un visage connu. Il se relève tandis que son père s'incline devant Prudence et lui rend sa politesse par une phrase de son crut, en bon marchand qu'il est. Quelque chose qui flatte la jeune femme sans pour autant laisser sous-entendre quoi que ce soit. Son fils a plus de mal à se montrer aussi courtois. Le noble jeu n'est définitivement pas son fort mais, cela, la fille de Griffon a déjà pu s'en rendre compte. Aussi, après s'être incliné comme il se doit, il n'a pas de jolie phrase à son attention. Quant à sa question, il se tourne vers son père. Sans un mot, il l'interroge pour savoir "s'ils en ont fini" ici. Renard hausse les épaules. La venue du Marquis n'était pas au programme et, même s'il a dit qu'il n'en aurait pas pour longtemps, qui savait s'il n'aura pas des choses à faire ensuite.

-Nous repasserons. Finit-il par dire.

Natael se tourne donc à nouveau vers Prudence. Il n'a pas vraiment de raisons de refuser, même s'il ne sent vraiment pas d'humeur à faire de ronds de jambe. Enfin... Encore moins que d'habitude. Cependant, il profite de la confusion dans cette invitation pour y associer son père. Il saura l'aider à éviter les écarts. Il est des personnes avec qui on peut se le permettre... Et d'autres pas.

-Dans ce cas, nous vous suivons.

Maël peine à masquer son enthousiasme à l'idée de profiter un peu plus longuement de son cousin et de son père. Cependant, étant donné qu'il y a un fort risque pour que le jeune homme demeure à Langehack et que le Marquis s'occupe de l'éducation de l'enfant, ils se verront sans doute bien plus dans les années à venir.

La jeune femme prit la main de Maël et ouvra la marche, les d’Orman, père et fils, derrière elle. Ils passèrent devant plusieurs représentants de la noblesse langeine qui s’inclinèrent devant l’aînée de Langehack, certains de mauvaise grâce, il fallait bien le dire, tandis que d’autres y mettaient une ferveur presque servile. Sur le chemin qui les mena jusqu’aux montures, Prudence discutaient avec ses invités, entretenant une conversation faite de banalité avec l’aisance de l’habituée.  Les chevaux étaient gardés par une poignée de chevaliers portant le symbole de l’ordre des Aigles de Sang sur les cuirasses de leurs armures de plate brillant au soleil.

« Veuillez préparer une monture pour son Honneur, mes deux invités et moi-même, nous rentrons. » Demanda-t-elle avec la politesse d’une personne requérant une faveur mais l’intonation d’un ordre. Les deux hommes à qui elle s’était adressée se regardèrent un instant en se demandant comment ils allaient bien pouvoir faire étant donné qu’il n’y aurait pas assez de chevaux pour tout le monde si jamais ils partaient avec les montures demandées. « Ceux-là feront l’affaire. »

Prudence désigna des animaux qu’elle savait appartenir à des gens qu’elle n’appréciait pas et à qui ça ne ferait pas de mal de marcher un peu. Avant qu’elle n’ait à se répéter, les chevaliers se dépêchèrent d’obéir et bientôt on présenta lesdits animaux à Natael, son père et Maël ainsi qu’à la jeune femme. Si chevaucher en robe n’était pas pratique, c’était toujours préférable à voyager en carrosse.

« Laissez-nous vous escorter jusqu’au palais. » Le chevalier se dirigea vers son destrier et monta rapidement, prêt à suivre le petit groupe qui s’en allait déjà, pour le protéger et surtout pour avoir l’occasion d’amener au grand temple de nouvelles montures pour remplacer celles prises pour Prudence et son groupe. Le chemin menant au palais ducal fut le moment pour Prudence de passer à un nouveau sujet de conversation : les derniers ragots ! La cour langecine, sûrement davantage que n’importe quelle autre, si ce n’était peut-être la cour royale, n’en manquait pas ; ce qui était autant amusant, voire davantage, que de parler des ragots qui rythmaient la vie d’une noblesse désœuvrée c’était bien d’en inventer et pour ça il fallait bien admettre que pour ça les langecins ne manquaient pas d’imagination. Mais voilà : toutes les bonnes choses ont une fin et bientôt ils arrivèrent devant les jardins extérieurs du palais et des serviteurs vinrent s’occuper de leurs chevaux pour les laisser profiter d’une rapide promenade jusqu’aux portes du palais sous les yeux attentifs de statues d’anciens ducs, duchesses et saints. Prudence les mena alors à travers les innombrables pièces du palais jusqu’à une grande salle où une trentaine de personnes étaient rassemblées devant une scène de théâtre. Dès que la jeune femme eut passé la porte une voix l’appela et un homme sortit de la petite foule pour venir à sa rencontre avant même que qui que ce soit ait pu se tourner.

 « Dame Prudence ! » Sa démarche était rythmée par le son d’un bâton long comme une lance d’un bois aussi noir qu’une nuit sans lune dont il se servait comme d’un bâton de marche. Richement vêtu, Prudence dirait même trop vêtu par cette chaude journée d’été, il ne semblait pas sentir la chaleur malgré ses nombreuses couches de vêtements ; ce qui jurait avec les gens alentours qui s’étaient relativement dévêtus, sans doute que le nord verrait une telle scène comme étant débauchée mais en même temps ces imbéciles ne concevaient pas comme décent qu’on puisse dévoiler davantage qu’une cheville ou un poignet. Mais peut-être l’homme qui s’approchait du groupe d’une démarche souple pouvait impressionner par la pâleur de sa peau qui en était presque cadavérique. « Votre Honneur, messires. »

Il s’inclina dans une révérence impeccable, baisant la main de Prudence ce qui lui arracha un frisson de dégout bien malgré elle.

« Quel dommage que vous ayez raté cette représentation, elle était… divine. » Un petit rire passa ses lèvres comme s’il était le seul à apprécier un bon mot qu’on lui aurait susurré. « Mais sans doute que vous vous joindrez à nous pour la croisière sur la galère de votre père. »
« Assurément, sir de Nascimiento. » Répondit-elle avec un sourire qui sonnait faux. « Je comptes sur vous pour me raconter les meilleurs moments de la pièce que j’ai malheureusement loupée. »
« Je suis votre humble serviteur. »

Il s’inclina à nouveau après quoi Prudence enjoignit ensuite Maël, père et fils d’Orman à la suivre d’un pas pressé, peut-être même trop pressé pour faire bonne figure. Quiconque se retournait à ce moment-là aurait pu voir le regard du noble qui les avaient accueillis fixé sur le dos nu de la jeune femme, d’un noir insondable, ses prunelles ne laissaient pas deviner quelles étaient exactement ses intentions mais une chose était certaine : elles n’étaient pas bonnes. Des serviteurs vinrent proposer à boire et Prudence prit une coupe de vin hautvalois.

« Dites-moi Natael, avez-vous poursuivit vos aventures palpitantes en dehors du royaume depuis notre rencontre lors de votre anniversaire ? » Dans sa vision périphérique la jeune femme pouvait voir une autre silhouette fendre la foule pour venir jusqu’à eux mais elle préféra l’ignorer, comptant sur le fait que la personne en question aurait la politesse de ne pas interrompre une conversation.