Printemps - 7e jour de la 2e ennéade de Favrius
10e année du XIe Cycle
L’angoisse pesait sur le palais de Missède comme un nuage lourd. Les mages maçons d’Ethin et les quelques mages recrutés pendant l’hiver venaient régulièrement au rapport et les préparatifs des travaux du sous-sol avançaient bien. Les murmures parlaient sans cesse de l’absence d’Ernest, se taisant à l’approche de Cécilie.
Cette dernière avait peu à peu récupérer le retard engendré par son voyage au sud sans trouver le courage de lire sa correspondance personnelle. Sa mère, Aliénor, quelques amis nordiens et quelques autre missèdois… Elle n’avait pas envie d’entendre parlé d’eux pour l’instant. Seuls Gaël, Renard et Colombe étaient lus sans délais et c’était déjà bien assez.
Plus les jours passaient, plus Cécilie était fatiguée. Les voyages des dernières ennéades avaient été un peu trop éreintant fallait-il croire, puisqu’elle se payait en prime un douloureux lumbago a chaque fois qu’elle se penchait en avant ou se levait sans précaution. Pour l’instant, les traitement du guérisseur qui la suivait depuis son arrivée à Missède n’avaient rien donné. A certains moments, elle envisageait de faire rapatrier Obélias… mais son altruisme la rattrapait et lui rappelait que les Diantrais avaient sûrement plus besoin de lui qu’elle avec tous les médecins qu’elle pouvait contacter. De toute façon l’angoisse en était sûrement la principale cause étant donné que son mari avait disparu depuis maintenant presque trois ennéades entières. Trois ennéades durant lesquelles elle n’avait put lui donner qu’une chasse discrète étant donné le danger que représentait une position de faiblesse en des temps si belliqueux.
Le bon côté des choses c’est qu’elle arrivait à prendre quelques heures tous les jours pour reprendre ses exercices magiques ou pincer les cordes de sa harpe. Une maigre lueur d’espoir qui lui faisait miroité l’existence d’un équilibre par delà les mois de troubles. Maigre mais bien présente. Aussi, depuis trois jours, elle profitait de ces petites pauses pour s’entretenir en privé avec un jeune sculpteur, trouvé par l’intermédiaire de Madame de Clairmont.
Ce matin là, Anthoine le trouva bien pâle lorsqu’il sortit du petit salon dans lequel il s’était entretenu avec la Comtesse toute la matiné. Le jeune homme habituellement expansif salua à peine le garde, retournant seul vers la sortie, les yeux dans le vague et le teint verdâtre. Le militaire lui aurait bien couru après pour s’assurer que tout allait bien, mais cela faisait près d’une demie-heure qu’il attendait son départ pour transmettre une information des moins réjouissantes.
Il pénétra donc dans la petite pièce dans laquelle Cécilie se reposait, mais après avoir pris ses ordres et noté mentalement le fait qu’Augustine ferait bien de se pointer en vitesse pour remonter le moral de sa Comtesse, il creva l’abcès qu’on lui avait confié un peu plus tôt.
« Madame… le Capitaine des Vertueux ne pouvait pas attendre mais il m’a chargé de vous dire qu’il pourrait vous mener à la jeune personne qui pique votre intérêt dès demain si vous le désirez.- Bien Anthoine. » Acquiesça-t-elle sans laisser voir l’importance de la chose. En silence et à sa demande, il l’escorta jusqu’à ses appartements.
« Vous pouvez disposer. » lui intima-t-elle en poussant le battant.
« Assurez vous que personne ne me dérange.- Même Augustine ?- Même Augustine. Même Rose. Et même vous. » sourit-elle avait légèreté.
« J’ai besoin de dormir un peu »Connaissant les difficultés qui suivaient sa Comtesse depuis Lourmel quand il s’agissait de trouver le sommeil, le garde sourit à son tour et la laissa pénétrer seule dans son royaume personnel. Avec un soupire, Cécilie referma la porte, posa sa canne près du chambranle et détacha les quelques broches qui ornaient ses cheveux d’un mouvement souple. Quelques pas d’un côté et elle tâtonnait pour trouver sa coiffeuse. Oui. Juste là. Quelques pas encore et elle était à côté de son lit. Elle en suivit le tour jusqu’à sa table de nuit. Claquemuré dans le tiroir, un vieux livre entouré d’un linge l’attendait sagement.
Lorsque ses doigts heurtèrent la couverture à travers le tissus, quelques murmures chantants dansèrent à la frontière de l’esprit de la jeune femme. Un sourire nostalgique lui vint aux lèvres sans savoir exactement pourquoi. S’installant aussi confortablement que possible, elle tira le livre de sa gangue protectrice et l’ouvrit sur ses genoux, laissant courir ses doigts sur les pages colorées.
Yeux clos, dans le silence, seuls ses mains dansaient. Son visage s’ornait de temps à autre d’un sourire ou d’un air plus douloureux. Elle ne réalisa le temps qui s’était écoulé que lorsque des coups retentirent à sa porte. Sa journée devait reprendre.
En remettant précautionneusement le livre à l’endroit d’où elle l’avait tiré, elle s’excusa à voix basse.
___________________________
Printemps - 8e jour de la 2e ennéade de Favrius
10e année du XIe Cycle
« C’est immonde... » murmura la jeune femme sur le pas de la porte.
L’atmosphère de la chambrette était saturée d’une sorte de présence poisseuse, un air mauvais et vicié qu’elle seule pouvait percevoir dans une pièce dont le ménage était fait chaque jour et que le personnel veillait à aérer et à entretenir au mieux. Ce détail, autant que les quelques mots de description qu’Anthoine, l’avait clouée sur place.
La méfiance que Cécilie avait développée à la suite de son dernier entretien avec son époux était au moins partiellement légitime. A présent, elle en avait la preuve. S’il avait été capable de faire une telle chose sans lui en parler alors qu’il savait qu’elle aurait été capable d’apaiser la petite, même artificiellement, qu’avait-il put faire d’autre ?!
La stupeur passée, elle eu toutes les peines du monde à ne pas laisser la colère qui lui retournait l’estomac froisser les traits de son visage. Sa voix fut pourtant un peu plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu. « Anthoine, détache là et conduit moi auprès d’elle. » Il n’eut même pas l’audace d’articuler une approbation, devoir décrire la scène lui avait déjà trop coûté, alors il s’exécuta, tout simplement.
Tâtonnant au bord du matelas tandis qu’Anthoine détachait les sangles qui retenaient les bras et la jambe de l’enfant, Cécilie trouva sa petite main et s’assit auprès d’elle. Ses doigts maigres essayaient faiblement de lui échapper et des soubresauts dans sa respiration sifflante ressemblaient à de veine tentatives d’articulation.
Glissant le long de la tête de lit, la seconde main de Cécilie trouva le front de la fillette. Quelques mèches y reposaient, soigneusement lavées. Elle les repoussa du bout des ongles en rassurant la fillette à voix basse.
« ça va aller. Je te promet que je ne laisserai plus personne t’attacher. Je m’appelle Cécilie. »Mais ses mots sonnaient creux. Ils n’avaient aucun poids. Ils ne rassuraient pas. La seule chose que la fillette sentait, c’est qu’elle était de nouveau libre de ses mouvements. Elle bougeait, comme pour s’asseoir au bord du lit malgré la faiblesse morbide dans laquelle elle s’était plongée en refusant de s’alimenter. D’après ce que ses gardiens avaient dit, ce n’était pas pour autre chose que foncer vers la fenêtre pour les escaliers. Le bras montré par la couverture portait encore des marques dont Cécilie ne pouvait rien savoir mais qui détournèrent douloureusement le regard d’Anthoine.
Sa besogne terminé, il allait se planter dans un coin de la pièce mais la dame demanda doucement que tout le monde attende dehors. La porte se referma sur les yeux et les oreilles indiscrètes.
« Les hommes qui te gardaient m’ont dit que tu avais essayé de te faire du mal. » commença-t-elle en s’allongeant à demi près de l’enfant. Elle ne avait même pas si la petite comprenait ce qu’elle disait, si elle l’entendait même. Elle semblait tellement loin, tellement blessée… Pourtant il y avait des choses qui devraient être dites et répétés autant de fois que nécessaire.
« Je ne t’en veux pas. C’est normal que tu sois très triste. Ta mère doit beaucoup te manquer. » Elle sentit un léger sursaut tentant de s’écarter. Elle la laissa faire d’une demi longueur de bras.
« Ils n’auraient jamais du te faire ça et je te promet que ce ne sera plus jamais le cas. »A taton, la Comtesse passa un bras sous les épaules de la jeune fille qui recommença a se débattre. Mais elle était bien trop faible. Même Cécilie pouvait la maintenir avec un peu de concentration. Un faux mouvement tira sur ses blessures et elle s’immobilisa, tendue, sa poitrine se soulevant avec difficulté.
Après avoir ramenée la blessée contre elle, la Mériale se mit à fredonner à voix basse. Sur les côtes saillantes de la petite, les doigts de la jeune femme semblaient courir entre les cordes d’une harpe invisible. Un long moment. Jusqu’à ce qu’entre ses bras, le corps chétif se détende. Puis encore un peu plus longtemps, alors qu’elle brisait la gangue de glace qu’une jeune âme essayait de construire autour de toutes les émotions contradictoires qu’elle ressentait et qui la menait à vouloir se donner la mort. Quelques soubresaut la prirent de nouveau. Elle se débattait contre l’étreinte, contre cette mélodie qui lui était insupportable. Pour finir par sangloter contre la jeune femme rousse qu’elle voyait pour la seconde fois.
Dans une autre vie, elle l’avait vu descendre l’allée de Sainte-Deina dans une belle robe blanche pour embrassé ce drôle de bonhomme à la jambe de bois. Aussi, quand elle se fut calmer et que la dame tenta une fois de plus de la rassurer, de lui dire que beaucoup de gens s’inquiétaient pour elle, sa colère et sa rancœur lui permirent d’articuler :
« Vous mentez… Vous… inquiétez pour l’héritage.- Pour l’instant c’est à une personne, non à un héritage que je m’adresse. » Que pouvait-elle répondre de plus. La jeune fille n’était plus un bambin, elle savait parfaitement quelle charge pesait désormais sur ses épaules pour pourquoi on était venu la chercher à l’improviste en l’empêchant de pleurer sa mère comme il convenait.
« Anthoine ! » appela-t-elle sans plus attendre.
Un bruit de porte qu’on ouvre.
« Madame ?- Aide moi à la porter dans la calèche, nous partons. Hors de question de la laisser seule ici. Prévient aussi Rose, qu’elle fasse mander les gardiennes langecines de la petite. Augustine sera sa garde-malade.- Bien votre Grandeur. »Le jeune homme vient prendre la fillette dans ses bras et quitta la pièce en premier. En tombant sur le lit, les ongles de Cécilie heurtèrent l’attache d’une sangle.
« Néera le pardonne... » Car plus elle en apprenait sur lui, moins elle s’en sentait capable elle-même.