Berges de l'Uraal | un mage dans le groupe

Printemps - 3e jour 1ere ennéade de Barkios
10e année XIe Cycle

Le Conseil d'Ardamir avait reçu une nouvelle alarmante d'Alëandir hors de tout relais officiel. Et comme toutes les nouvelles de ces derniers mois, cela avait donné un mal de tête extrême à Medherith. Une nouvelle qui creuserait la méfiance si le peuple en était informé. Heureusement pour tout le monde, c'était Linandil et non Kireth qui représentait Arcamenel à la session plènière lors de laquelle tout avait été discuté. Et il avait également été le premier volontaire pour enquêter sur ces informations. Ayant passé des années à voyager entre les différentes Cités pour apprendre de leurs tradition, il avait également des contact dans le clergé d'Arcamenel et de Kÿria de l'ensemble de l'Anaëh. L'investigation avait été de courte durée pourtant. L'information était avérée par Kaëlis et il fut décidé d'envoyer une petite équipe au lieu de rendez-vous pour entendre les revendications de ce drow. Si Ardamir avait prouvé qu'elle était capable de prendre les armes, elle restait profondément pacifiste.

Eörim, Killen, Sedhen et d'autres membres du Conseil insistèrent pour que l'ex-protectrice prenne la tête de l'équipe mais sa détention devait se poursuivre jusqu'à la mi-Barkios et ils ne pouvaient attendre jusque là. Ils ne pouvaient pas non plus envoyer l'armée officielle et les Limiers devaient restés pour protéger les abords de la Cité. l'impensable se produit alors.

- Réunissons une équipe de trois ou quatre personnes. Je connais l'Oliyan, je pourrais jouer les traducteurs s'il ne s'obstine pas à parler en drow. Ce sera mieux que rien. Avait proposé Linandil avec son dynamisme habituel.

Le soir même, Linandil et Gheniël, l'Aigle qui veillait depuis dix ans sur Valëa, la sœur de Dragan Tiril, embarquaient sur la Rêveuse vers le Lac d'Uraal, dans la direction opposée à leur destination finale, pour quérir l'aide d'un dernier membre : un mage capable de leur éviter de mauvaises surprises de la part d'un lanceur de sort de haute volée.

Dans la nuit du 3e jour, peu avant l'aurore, leur barge glissait silencieusement sur le lac, près de la rive. Le clapotis de l'eau s'entendait à peine tandis que la vétéran poussait régulièrement sur sa longue rame, ses cheveux blanc comme une tâche sur l'horizon noir des eaux du gigantesque lac. Linandil, pelotonné au fond de la barque, marquait le passage du temps d'un ronflement régulier. Une machinerie bien huilée se mis en place, les attirant vers le bord, contrôlant leur identité avant de les mener à destinations, dans une large grotte.

Le soleil apparaissait à peine au-dessus de l'eau.

Dans l'une des salles de la grotte, le silence était presque complet. Seuls deux mages dormaient là, les autres s'étant comme toujours déjà réveillés, faisant entendre leur respiration à qui faisait attention. Et pour une fois, je faisais partie de ces gens heureux de dormir comme s'ils étaient rentrés chez et s'étaient allongés dans leur lit douillet. Parce que c'est ce dont je rêvais, un livre dans le creux de mes bras faisant office de doudou, allongée sur le dos et les membres confortablement écartés. Comme si j'étais chez moi, à Aëandir, après avoir passé quelques jours d'affilée le nez fourré dans des livres. Ces derniers jours avaient été similaires, pour tout dire... Trop malheureuse de devoir repartir pour Alëandir, je métais perdue corps et âme dans d'ultimes recherches sur l'obélisque. Et j'étais désormais heureuse : il me semblait avoir une preuve que la magie changeait au cours du temps, et donc qu'un même artefact pouvait ne pas réagir de la même manière à travers les cycles à cause de ce changement. Enfin là était mon interprétation. Et ce fait expliquait à mes yeux bien des choses, apportait des réponses à de nombreuses questions. Maintenant, une autre question me taraudait l'esprit - et là je n'avais aucunement les compétence spour y répondre : pourquoi et comment la magie fluctue ? Est-elle vivante ? Pourquoi évolue-t-elle au lieu d'être constente ? Tant de questions... mais dont je me devais de m'en arrêter aux rêves. En tout cas, déjà, il fallait que je sois plus précise sur l'artefact qui se trouvait dans la pièce d'à côté...

"Enoriel ?
- Mmmhyeeeen ?
- Il y a...
- Rrrrrronffffffl...
- Enoriel ! Debout !
- Aaaaaah oui mon colonel ! Les figures sont décryptées, le sol marqué, les tableaux azurés, les sacs faits, les carpettes roussies, les...
- C'est cela oui... Vous vous souvenez que c'est votre dernier jour ici, au moins ?
- Euh... on a recouché le trou... les écureuils ne cuisinent plus de fraises...
- Enoriel ?
- ... et les flux transversent gravitent autour de l'obélisque par le bas pour remonter vers le haut pour la décharge, comme les magnolias distillent les courgettes qu'il faut pas jouer avec sinon papa va mouaaaaah pas être content... Zzzzz"

Le militaire me regardait, les yeux grand ouverts, alors que m'étant assise dans mon lit de fortune ma tête aux cheveux emmêlés retombait mollement vers le bas. Ainsi découvrait-il ce qui arrivait lorsque je tirais trop sur mes heures d'éveil sans pour autant déclencher une trop grosse décharge magique au niveau du monolithe... et ce n'était pas beau à voir. Il soupira, se retourna vers l'entrée de la grotte, réfléchit un instant puis se dirigea là où deux étrangers se tenaient, assis autour d'une boisson simple et non-alcoolisée. Les mages se tournèrent vers lui en le voyant revenir, l'un un sourire amusé aux lèvres, les autres se plus étonnés qu'autre chose.

"Elle s'est réveillée ?
- Elle a du mal... Quelqu'un a de l'eau ?
- Si vous voulez il y a un lac juste à côté !
- Ah c'est vrai qu'on ne l'a pas baptisée... mais bon, déjà qu'elle parle fort dans son sommeil, il ne faudrait pas faire du bruit à cette heure-ci à l'extérieur.
- En effet. Un petit seau d'eau suffira à la remettre sur pieds. Quelqu'un veut se faire plaisir, peut-être ? Menendras ? Vas-y, on t'attend là."

Un sourire espiègle sur les lèvres, le mage de l'immatériel ne se fit pas prier. Il prit un seau avec un fond d'eau et partit sans faire de bruit réveiller sa pauvre comparse. Temeril, qui était celui qui avait essayé de la réveiller, s'assit à sa place et s'adressa aux dénommés Linandil et Gheniël.

"Comme on a pu vous le dire, même si nous sommes sur la fin de notre mission, la seule personne qui peut vous accompagner est Enoriel puisqu'elle doit arrêter aujourd'hui. Vous avez peut-être entendu parler d'elle, c'est une maître élémentaire de l'académie. Ca n'en a peut-être pas l'air là comme ça, mais elle a fait ses preuves plus d'une fois. Par contre elle a deux énormes défauts... Un cri se fit entendre depuis le fond de la grotte, suivi d'une série de jurons incompréhensibles. Déjà elle est extrêmement timide, ensuite c'est une passionnée. Lorsqu'elle part dans des recherches elle continue des jours durant sans dormir ni manger et... et voilà ce que ça donne au final, une mage difficile à réveiller. Comptez-vous lui parler de votre quête ou... ?
- Ca y est, elle est réveillée !"

Menendra affichait un magnifique sourire, amusé d'avoir enfin pu avoir l'occasion d'embêter sa comparse. Blague qui avait eu son revers de médaille puisque des deux elfes qui se tenaient debout près des autres, il était celui qui était le plus trempé : alors que j'avais le visage et les épaules mouillés, lui ben... comment dire... j'avais eu la présence d'esprit de lui retourner une vague d'eau qui l'avait un instant complètement immergé ?

Tandis que la taciturne et calme Gheniël buvait le thé chaud que leurs hôtes avaient eu la bonté de leur préparer pour lutter contre la nuit de veille qu'elle avait accusé, Linandil s'attaquait à la difficile tâche de se réveiller suffisamment pour tenir un discours cohérent à la seule aide qu'ils réussiraient à obtenir ici. Ses relations avec son accompagnatrice n'avaient pas commencé de façon brillante et cela risquait de ne pas s'arranger étant donné les ordres du Conseil d'Ardamir, alors autant être capable de défendre son cas.

- Alors comme ça vous faites des recherches en magie ? avait-il tenté pour lancer une conversation à voix basse avec les quelques Souffles réveillés.

L’intention aurait put porter des fruits intéressant si tout un balais ne s'était pas mis en place pour lever celle qu'on allait leur jeter dans les pattes. La seule qui était disponible d'après eux. Autant dire qu'il n'avait pas le droit de perdre sa verve habituelle. Heureusement, l’ambiance était plutôt à la franche camaraderie et aux blagues de casernes. Lors que les deux mages-à-l'eau arrivèrent près du feu, il éclata de rire.

- Venez donc vous réchauffez, les invita-t-il, essuyant une larme sur son visage tailladé de coups de couteaux.

Sa posture orgueilleuse se poussa pour leur laisser de la place avant et il fit un signe avec les autres présents pour que des bols de thé chaud soient versés.

- Ravi de vous rencontré, Heri. Désolé de devoir vous tirer du lit à une telle heure mais vous êtes sûrement notre seule espoir de réussite. On m'a dit que vous étiez une experte en magie élémentaire ?

Chcreugneugneu... J'étais bien moi dans mon sommeil. Puis il avait fallu que Menendras vienne me réveiller avec de l'eau. Bigre. Idiot. Bref... Je jetais un regard aussi énervé qu'endormi sur mon confrère, ce qui lui tira un large sourire sur les lèvres. Répondre à l'invitation de l'inconnu était tout à fait dans ses cordes, même complètement trempé - heureusement qu'il avait eu la brillante idée de mettre le livre que je tenais loin de nous... - et ce fut avec des mots gentils qu'il accepta de s'asseoir près du feu. D'une main il me poussa doucement à faire de même, faisant étrangement en sorte que je me retrouve à côté du jovial larme-à-l'oeil. La petite brindille que j'étais obéit sans réplique et se recroquevilla sur elle-même, jambes pliées et bras les entourant. Je restais un instant sans rien dire, me renfermant dans la contemplation du feu qui crépitait doucement.

"Ravi de vous rencontrer, Heri. Désolé de devoir vous tirer du lit à une telle heure mais vous êtes sûrement notre seul espoir de réussite. On m'a dit que vous étiez une experte en magie élémentaire ?"

Pour toute réponse, mon esprit bougon de ce début de matinée eut juste l'idée d'utiliser la magie élémentaire pour réparer ses propres conneries. Parce qu'il faisait froid, mine de rien, et que je n'avais pas non plus envie que Menendras attrape mal - je sais, dans cette brochette de mage, je devais être la seule à pouvoir tomber malade... Ma main gauche se releva pour que mes doigts soient dirigés vers Menendras et sans même le regarder je fis de très brefs mouvements de mes longs doigts fins. Toute l'eau qui recouvrait l'elfe s'évapora très rapidement et, gentiment, alla s'échapper à l'extérieur de la grotte. Un mouvement de l'index et ma tête comme mes cheveux trempés subirent le même sort. Il fallut que mon voisin de gauche me donne un coup de coude pour que je finisse par répondre à celui de droite, tout en haussant les épaules.

"Mes domaines sont l'eau et l'air. Mais je suis surtout une historienne."

Quelqu'un arriva et nous donna à tous les deux du thé. Je le gratifiais d'un sourire pour le remercier et bus une gorgée de la chaude boisson bienfaitrice. Après quelques gorgées, ça allait mieux... alors, sans trop oser porter les yeux sur les deux qui requéraient mon aide, je repris la conversation.

"Que peut-il bien vous arriver pour qu'un fantôme académique puisse être votre dernier espoir, Heru ?"

- Fantôme académique, certes! Mais qui sait se débrouiller hors des murs de son école." sourit l'elfe.

Il paraissait confiant, d'une assurance proche de l’arrogance même, mais son sourire ne dissimulait aucune malice. Aucune qui aurait put concerner la magicienne en tout cas. Il avait suivit les ondes d'eau glisser vers l'extérieur avec un certain amusement mais n'était nullement touché par cette utilisation quasi instinctive de magie. Il avait souvenir d'une certaine personne appliquant son art comme il respirait, qu'importe la situation ou l’à-propos. La façon qu'avait cette femme d'utiliser la magie lui faisait un effet similaire.

Dès que cette pensé lui traversa l'esprit, il ne put s'empêcher de détailler un peu plus précisément le visage et la silhouette de la mage. Un corps fin au point d'en paraitre fragile. Un visage gracile aux grands yeux bruns ensommeillés. De longs cheveux d'un blond doré. Son corps reflétait une jeunesse que ses yeux démentaient. Pourtant, il voyait également dans ces traits fatigués une innocence qui le saisit. Il ne réalisa que son propre visage s'était figé en une expression de surprise que lorsque celui de la dame se chiffonna étrangement, gênée, agacée ou peut-être étonnée de l'insistance avec laquelle elle était observée. En guise d'excuse, il lui offrit un sourire plus incertain, presque gêné, avant de plonger un instant les yeux dans les flammes pour poursuivre et reprendre contenance.

- Comme vous le savez, Ardamir est un lieu de paix et ses habitants y apportent une grande importance. Mais ces dernières années ils ont été obligés de participer aux combats. Ils ont beaucoup perdu mais ils ont toujours à coeur de protéger le plus de vie possible.

Linandil passa distraitement la main sur l'une des cicatrices qui maculaient son visage au demeurant d'une grande finesse. Ses yeux d'un noir d'encre retombèrent sur ceux de la mage, de nouveau confiant.

- C'est pour ça que je suis là. Il y a quelques jours, le Conseil d'Ardamir à reçu des informations étranges. Un drows qui n'est pas fermé à la paix nous a proposé une rencontre en terrain neutre mais nous ne pouvons pas décemment y aller sans protection. Nous avons des bras et des boucliers mais la magie, ça c'est une autre histoire...

J'attendais sa réponse, buvant mon thé tranquillement en espérant arriver à pleinement me réveiller, regardant sans vraiment voir le feu dansant paresseusement. Ainsi aurait-il dû en être car je ne mis pas longtemps à relever les yeux vers mon voisin, vraiment gênée par le regard qu'il portait sur moi. Instinctivement je me recroquevillais encore plus sur moi, ne sachant pas trop comment prendre son air fort surpris alors qu'il me semblait n'avoir absolument rien fait pour mériter cela... Je ne baissais les yeux que lorsqu'il se reprit, montrant un peu de gêne. Je savais qu'il n'avait pas à être gêné ; pourtant je n'arrivais pas à faire autrement que me rapetisser face à ce genre de regard.

L'ardamiri reprit et s'évertua à m'expliquer que le protectorat d'Ardamir tenait à protéger le plus de vies possible en prenant part au front contre les Drows et que récemment son Conseil avait reçu de drôles d'informations. Un sombre qui ne serait pas fermé à la paix et qui les inviterait à la discussion. Et bien sûr, vu l'opportunité que pouvait être une invitation sincère - même si je doutais fortement que ce le soit - la délégation qui y répondrait n'irait pas sans défenses. Et voilà que j'entrais en jeu, ou tout du moins les mages de guerre... S'ils avaient des bras armés, ils n'avaient pas de mages capables d'aller au-delà de la magie académique.

Je ne répondis tout d'abord rien. Même si je n'avais pas envie de le comprendre, j'avais parfaitement saisi que rejoindre le groupe de ces deux elfes revenait à aller à la rencontre de drows et être la seule protection magique qu'ils auraient. Que si dans l'idéal cela permettrait de sauver des milliers de vies, la réalité risquait fort de se résumer à un traquenard où nous aurions tous les risques de mourir ou, encore pire, d'être capturés. Pour une faiblesse qui demandait tout de même l'essai.

*Je suis historienne. Pas mage de guerre.*

Mes lèvres s'entrouvrirent légèrement mais ces quelques phrases ne s'échappèrent pas. J'étais au courant que cette catégorie de mages n'était pas majoritaire, loin de là même. Sauf en Daranovar. Il se trouvait bien des mages de bataille là en Uraal mais ils étaient en mission parce qu'ils faisaient partie d'une armée et donc qu'ils ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient. Moi je n'étais qu'une civile qui avait suivi un semblant de formation pour ne pas être un boulet en cas d'attaque de la part de l'ennemi. Et cette formation avait visiblement fait ses preuves puisque j'avais réagi de manière correcte et en adéquation avec mes collègues lorsque des drows avaient essayé de récupérer toutes les informations que nous avions trouvées sur les obélisques trois jours seulement après le passage de mon ancien maître académique, Estiam. Certains m'avaient félicitée mais je savais que ce n'était que pour me rassurer : rien n'avait été parfait, j'y étais même allé "trop fort". Au moins je ne m'étais pas emportée, contrairement à ce que je craignais. Le danger n'avait pas été à mon sens trop important. Enfin...

"Aucune armée n'a-t-elle pu vous envoyer des mages de guerre ?"

Parce que je n'étais franchement pas certaine d'être celle qu'il leur fallait...

La question de la mage assombrit le visage du voyageur autant que de sa compagne armée. Eux qui n'avaient échangés un regard amène depuis leur arrivé en étaient presque à hocher la tête de concert.

- Si nous avions eu le choix nous aurions préféré nous adressé à l'armée royale mais le Trône Blanc ne réagit pas. Le rendez-vous est pour cette ennéade et il n'a rien fait. Le Conseil des Protectorats d'Ardamir ne peut plus se permettre de déposer sa sécurité entre les mains du Haut Conseil étant donné son temps de réaction en cas de crise.
- Aucun Aigle, aucune Épervier, pas le moindre diplomate n'a été dépêché. ajouta la guerrière à la voix étonnamment claire pour son visage renfrogné.

Après un bref silence, Linandil émit un étrange bruit de gorge mécontent.

- Ardamir a de nombreux mages mais nous... enfin, ils sont des guérisseurs, des chercheurs et des façonneurs végétaux. Un mysticiste à accepté de se joindre à nous et pourra nous protéger des intrusions mentales et autres magies d'ombres ou de la vie mais il n'est absolument pas formé aux situations de combats réels et l'imprévu pourra lui jouer des tours. Nous avons besoin de quelqu'un qui soit formé, même basiquement à ce genre d'environnement pour pouvoir gérer des mages adverses.
- Pour être honnête ce n'est pas spécialement vous que ce monsieur cherche. Je lui ait seulement dit que si des mages pouvaient être à la foi doués et disponibles, il se trouveraient ici.

Gheniël essuya froidement un regard coléreux de son comparse sans se débouter. Qu'est-ce qu'elle avait besoin de venir la dégoûter celle là?

- Certes Certes... Enfin on nous a assuré que vous étiez passionnée que douée ce qui revient exactement au profil que nous cherchions à  la base... Ecoutez. je ne peux pas vous promettre que ce sera sans danger ni même que vous apprendrez quelque chose de significatif pour vos recherches, mais à force d'autarcie, nous avons excessivement peut de renseignements sur les drows, que ce soit leur magie, leur culture ou leur histoire. Nous ne savons rien des courants politiques qui les agitent et des potentiels diplomatiques qu'ils pourraient nous offrir. Le Voile nous a fait évoluer rapidement mais, Arcamenel m'en soit témoin, il en est probablement de même pour eux.

Tout en parlant, Linandil s'était levé. A la fin de sa dernière phrase, il se plia respectueusement en deux sous les regard étonnés de l'assitance.

- C'est pourquoi je vous demande humblement de bien vouloir nous prêter main forte dans notre entreprise.

*Je ne suis pas celle que vous cherchez...*

Ce refus, cette peur dans ma tête et mon coeur, se lisaient dans mon silence gêné. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de garder mes yeux posés sur l'elfe qui s'était levé puis incliné devant moi. Pour me demander une aide que je ne me sentais pas capable d'accomplir correctement. Et pourtant, devant tout le monde, il avait posé les cartes sur la table et m'avait humblement demandé de partir dans la même galère que lui, sans savoir ce que nous trouverions au bout du chemin. Parce qu'il ne pouvait se permettre de demander une personne plus compétente à une armée dirigée par un Haut-Conseil que la terre ancestrale d'Ardamir désirait visiblement ne plus suivre, quelles qu'en soient les raisons. Parce que, au final, j'étais malheureusement la seule personne qui pouvait les accompagner. Son seul espoir.

En moi, une voix avait envie de crier un refus catégorique. Mon esprit, lui, se retrouvait face à une situation qu'il détestait : être le personnage principal d'une demande d'aide faite devant des connaissances, d'autant plus des mages ; une demande que je savais au plus profond de moi pouvoir accepter. Cela me tétanisait, ou me faisait encore plus me recroqueviller sur moi-même peut-être, et me voilà que j'étais déchirée entre cette envie d'aider des frères et soeurs et la peur du passé. Je craignais d'être prise dans une bataille telle que celle d'Alëandir ; je ne pouvais pas, moi la fille de feu le grand archimage Beliandar, me cacher devant ces responsabilités que l'on me tendait. J'avais envie de rentrer chez moi ; cette timidité qui me rongeait de l'intérieur me susurrait que désormais que la demande avait été faite de cette manière, devant des collègues, il me serait bien trop impoli de dire non.

J'étais déchirée. J'avais envie de pleurer. Et le silence m'oppressait encore plus que je n'étais capable de broyer un ennemi avec de l'air. Les deux elfes, dont je ne savais toujours pas les noms, attendaient une réponse ; réponse qui ne pouvait malheureusement pas être donnée par une tierce personne.

Le silence régnait, régnait... en devenait suffoquant.

"D'accord. Je vous accompagnerai. Je... je vais chercher mes affaires."

Mes yeux s'étaient baissés en même temps que je prenais bien malgré moi cette décision. Sans plus regarder personne, surtout pas mes confrères mages, je posais le bol de thé à moitié vide par terre, me levais comme une feuille soudainement portée par le vent et me dirigeais rapidement vers le lit dans lequel je dormais encore quelques minutes auparavant. Tout en rangeant mes écrits dans mon sac je sentis mes bras fébriles trembler alors que des larmes perlaient sur mes joues légèrement blanches. Alors que je terminais rapidement de boucler mon sac, les larmes s'effaçaient par magie. Je ne voulais pas qu'ils voient. La fille de Beliandar ne devait pas pleurer dans une telle situation, elle devait être sûre d'elle. Aussi ne devaient-ils pas voir.

Linandil n'eut pas le temps de remercier la mage qu'elle partait déjà faire ses affaires. Il n'aurait pas oser lui demander de partir à l'instant et pourtant elle se tenait prête d'elle même. Ne retenant son exclamation soulagée qu'au profit d'un sourire rayonnant, Gheniël sembla se renfrogner. Tout partait à vaux l'eau en cette triste époque et elle avait été forcée d'y prêter la main. Ce que le principe de dette pouvait être répugnant parfois...

Enfin. Au moins ils ne s'attarderait pas. Dans quelques jours, elle aurait finit d'escorter ces deux fous et les autres prendraient le relais.

La mage ne pris pas plus de quelques minutes pour boucler son sac et faire demi tour. Gheniël se leva sans une hésitation, remercia leurs hôtes et pris le chemin de l'extérieur en lançant un prosaïque.

- Je m'appelle Ghenïel. Je suis une Aigle et je vous escorterai jusqu'à Eraison. Nous allons longer la cote jusqu'à la voie d'acheminement des ruines. En route.

La mage passa devant le traducteur d'occasion qui finit son thé d'un trait pour emboiter le pas aux deux femmes. Remontant jusqu'à la hauteur de leur nouvelle camarade de route, il posa simplement la main sur son épaule et lui adressa un sourire chaleureux et encourageant, prenant même le temps de hocher la tête, comme pour lui signifier que tout irait bien, avait de courir sur les quelques mètres qui le séparait encore de Gheniël.

- On laissera la barge aux passeurs ?
- Oui.
- Hey! Ralentit. Je t'interdit de malmener notre aimable accompagnatrice." Sa remarque raillarde se coupa d'une stupeur passagère. " Oh fait. Vous pouvez m'appelez Linanil, Heri. Prêtre d'Arcamenel et traducteur de langues mortelles à l'occasion de notre mission. Si je peux vous être agréable d'une quelconque façon n'hésitez pas à m'en faire part."

Dans quoi m'étais-je mise, encore... Tout en marchant assez rapidement pour rattraper les deux ardamiris. Avant de partir j'avais pris quelques secondes pour confier mes travaux de recherche à Menendras, ce qui avait été un peu difficile pour moi, mais la sûreté était de mise en cette situation. Déjà que j'en savais beaucoup sur les monolithes, au point que je connaissais pratiquement chaque concept que j'avais écrit par coeur, si en plus on nous capturait alors que j'avais cela sur moi... Les Drows s'y intéressaient également, peut-être même en avaient-ils trouvé un autre, inutile de leur donner le bâton pour nous faire battre. De plus porter autant de bouquins aurait été handicapant à la longue, sans compter que si jamais je disparaissais il valait mieux que des personnes puissent avancer.

"Au fait. Vous pouvez m'appeler Linandil, Heri. Prêtre d'Arcamenel et traducteur de langues mortelles à l'occasion de notre mission. Si je peux vous être agréable d'une quelconque façon n'hésitez pas à m'en faire part."

Je rattrapais de quelques pas de course Linandil et Gheniël, sac au dos, et affichant un petit sourire répondant à celui que m'avait adressé le chanteur juste avant.

"D'accord, heru Linandil. Appelez-moi Enoriel, ce sera plus simple. Tant que nous serons dans la région il vaudrait mieux faire attention, il y a un rassemblement de noss juste à côté, je ne sais pas pourquoi. Certains d'entre eux ont l'air assez agités..."

Je n'osais pas en dire plus, Gheniël n'ayant pas l'air très avenante. Elle devait certainement le savoir ou du moins l'avoir remarqué, et savait très certainement mieux que moi quelle conduite il valait mieux tenir. Aussi mes yeux se baissèrent et je restais muette, me laissant à marcher à travers la forêt alors que le soleil ne se levait qu'à peine.