Milieu de la 3e ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Berges de l’Olienne, entre Thaar et Geresh
L’odeur de la mer te chatouille les narines. Le vent de l’Olienne te fouette visage et torse. Les plumes d’Été de Vìrin claquent dans le vent en même temps que ta crinière laissée libre. Tu goûtes une seconde fois depuis votre arrivée à un semblant de liberté. Les imbroglios Thaaris loin derrière toi. La possibilité de l’échec loin derrière toi. L’idée de la colère certainement grimpante chez tes pairs loin derrière toi. Seulement la faïra et toi, taillant votre chemin à travers les paysages Vaanis, vivant dans l’instant ; sans penser à hier, sans penser à demain.
Elle était belle, la mer. Tu étais forcé de te l’avouer. Claire comme l’eau de roche, léchant doucement d’immenses plages de sable blanc. Elle était calme la mer ici, bien moins caractérielle que l’océan nordique sur lequel donnait le nord d’Anaëh. Elle était chaude la mer ici, et les rafales qui la balayaient étaient tant fiévreuses des rayons du soleil que des vapeurs échappées par la surface. L’esprit perdu quelque part entre la contemplation de l’horizon et les souvenances de la côte Tethianes, tu te laissais porter par ta monture dans une heureuse mélancolie. Il ne lui manquait qu’une chose : la mélodie forestière. Plus le temps passait, et plus tu te rendais compte d’à quel point tu étais dépendant des soupirs d’Anaëh. Ici, une fois les roulis des vagues pour seules compagnes, le silence devenait véritablement claustrophobique.
Et pourtant l’horizon portait tellement loin.
Tu glisses contre le flanc de l’animal pour poser pied à terre, ta main se refusant à quitter son encolure. Votre voyage continue contre des vents plus naturels. Lentement. Tu souris. Tu ris. Derrière-vous dans le sable se dessine la fin de votre trajet. À chaque pas tes orteils creusent un peu le sable chaud, profitant de cet environnement qui t’est presque inconnu. Vìrin n’est pas bien impressionnée, mais ton bonheur est contagieux et elle s’en suffit largement. La grande dame ronronne gaiement, te poussant gentiment du bout de la truffe. Loin de tout sans l’être sur cette plage abandonnée, profitant du soleil et de la brise d’été…
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Heureusement qu’on a réussi à te trouver un nouveau baudrier ! tu confies à la féline, le ton à la fois amusé et sentencieux alors que tu défouraillais ton sceptre pour le lui confier Comme ça… tu coupes ta phrase le temps de défaire tes guêtres on peut se permettre de profiter du moment sans que j’aie à passer mon temps à le surveiller.L’animal grogne un coup, et te pousses de l’épaule.
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Oui… oui… il n’y a pas l’air d’avoir grand monde qui passe par ici, mais on ne sait jamais ! tu poses ton front contre celui du félin Et d’entre nous deux, il me semble bien que c’est toi la plus forte. tu t’éloignes, un air de défi au visage N’est-ce pas ?La femelle au poil pâle souffle des nasaux et sautille sur place avant de te charger un grand coup et de te renverser. Tu ris comme un enfant alors qu’elle te lèche le visage, et tu te débats aussi comme un enfant alors que ses pattes t’interdisent de te relever. Le manège durent durant quelques minutes avant qu’elle ne t’en sente fatigué, et ne t’autorise à te relever. À ce moment-là, vous allez chercher l’abri d’une formation rocheuse, et à son ombre tu te défais de tes ceintures, sangles et pantalons pour les y ranger.
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La plus forte peut-être… mais pas la plus rapide ! Sans même attendre de terminer ta phrase, tu donnes ta première impulsion. Tes orteils s’enfoncent dans le sable, ton dos tourne sur lui-même, et tu te retournes en direction de la mer. Tu sprintes aussi vite que tu peux, espérant que ton avance te laisse arriver à l’eau avant elle. Allez… allez… tu l’entends prendre son élan, tu entends son pas se rapprocher inexorablement… tu es un bon sprinteur mais tu n’es pas un faïra. Mais il ne te reste que quelques pas avant l’eau, quelques enjambées avant de pouvoir te jeter à l’eau et de pouvoir clamer ta…
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Victoire ! tu éclabousses l’animal, puis entreprends de reculer jusqu’à ne plus avoir pied Ha ! Peut-être que c’est moi qui devrait te porter la prochaine fois !Une heure durant vous nagez côte à côte, jouant à des jeux aquatiques comme n’en connaissent que les animaux et les enfants. Tu lui parles, sachant qu’elle ne te comprend pas comme te comprendrait un être pensant, heureux même que ce ne soit pas le cas. Tu te confies à la féline comme à un journal intime, et en retour elle te couvre d’une affection comme seule elle en était capable. Elle t’écoute attentivement, mais elle n’écoute pas tes mots. Elle écoute ton cœur battre, ta peau frissonner, et ton timbre muer. Elle écoute tes sentiments bruts et y répond de manière aussi brute. Et quand vous quittez les vagues, vous laissez dans une courte prière vos douleurs à la Voilée.
Plutôt que de prendre place à l’ombre des rochers tu préfères y grimper. Après tout, le sommet du plus grand d’entre eux ne ressemblait-il pas à un siège ? Un siège à ta taille qui plus est ! Du moins un peu grand en réalité, mais après presque une ennéade passée dans des maisons de poupée, qui se plaindrait d’être devenu petit ?
Sans plus penser à autre chose tu t’installes dans le transat de fortune, allongé les mains derrière le crâne, à attendre d'être épongé par la brise. Les yeux vers un ciel dangereusement bleu, mais les oreilles toujours trop alertes pour succomber à un tentant sommeil.
Le temps passe. Les nuages flottent mollement au dessus de vous. La brise lèche amoureusement la rosée salée qui couvre ta peau. Tes sens vagabondent vers le lointain. Les sons. Les odeurs. Les battements de la vie foisonnant en silence. Les hurlements de la mort juste hors de portée de ton esprit.
Ton regard se porte un instant sur une Vìrin alerte, et pris par l’émotion, tu es persuadé que c’est parce qu’elle a entendu battre ton cœur qu’elle a ainsi tendu l’oreille. Tes yeux fouillent l'horizon, tes prunelles se dilatent, tu mets quelques instants à comprendre, à t'arracher aux rêveries. Et puis tu réalises. Tu n’es pas en Anaëh. Ici la Symphonie n’est pas. Ces cris sont réels.
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Virìn !Quand tes orteils trouvent le sable, la fauve est déjà en position de départ. Le cœur battant de plus en plus fort, tu noues approximativement tes vêtements autour du baudrier, et sans plus prendre le temps de te préparer pour la suite, consommé par le sentiment d’urgence, tu montes en selle. Au loin les cris continuent de retentir, de t’appeler. Au loin la chaleur monte.
L’odeur de la chair brûlée arrive jusqu’à tes narines