Printemps - 9e de la 5e ennéade de Barkios
10e année du XIe Cycle
- Il est mort. En l’absence d’un Grand Prêtre, les plus âgés d’entre nous discutent de sa succession depuis. Un sifflement austère résonna dans l’oreille de la drow. Un coup sur la tempe sûrement. N’ayant pas bien entendu, ou peut-être
par réflexe, elle demanda avec un sourire
« Quoi ? ». Sa poitrine s’affaissa doucement, relâchant l’air d’un trait fébrile. On lui répéta la nouvelle comme si de rien était. Une pierre glacée se posa sur sa clavicule, coulant lentement en elle, tirant cœur et poumons, gorge et diaphragme, estomacs et viscères. Après une courte disparition, sa respiration revint. De plus en plus forte, de plus en plus vibrante, de plus en plus profonde, de plus en plus saccadée. La main qui monta jusqu’à son visage pour en retirer le masque de métal tremblait. Elle eut même du mal à en déclencher le mécanisme d’ouverture.
Le bruit blanc que l’objet d’acier fit en tombant au sol révéla un visage d’une perfection étrange. Ni jeune, ni âgé, il était dépourvu de la moindre ride, de la moindre marque, mais les yeux de laves qui le perçaient étaient d’une profondeur abyssal qu’un étrange voile obscurcissait en cet instant.
Une main jaillit vers la gorge du prêtre qui para le coup sans difficulté. Prompt à riposter et peu désireux que cette annonce dégénère, l’initié d’Uriz voulut frapper la guerrière au plexus pour la calmer. Sûr de lui, c’est la tête résonnant un coup, le bras en clef derrière le dos et un couteau sous la gorge que le jeune homme se retrouva au sol la seconde suivante. Il grogna en sentant le genoux qui appuyait sur ses rein faire pression pour permettre à sa tortionnaire de tordre sa colonne et son épaule. Une loque de cheveux blanc pendait lâchement dans son champ de vision restreint. Il sentait le souffle fébrile de cette femme sur sa joue. Ses dents étaient serrées, sa gorge tendue, sa mâchoire bloquée. Les mots qu’elle prononça n’étaient qu’un chuintement sourd vibrant de ce qui aurait put être de la rage si une étrange folie n’avait pas pris le pas sur le reste.
- Je vous interdit de mentir.- Je… » Son bras se tendit jusqu’à la rupture. Le couteau disparut. Une main le remplaça, le relevant et le jetant contre le mur pour venir l’y contraindre. Elle ne se répéterait pas. Cette femme, quelle que soit son identité, n’était plus maîtresse d’elle-même. La brutalité d’un être sauvage brûlait dans ses pupilles dilatées. Une mèche blanche barrant son visage depuis les profondeurs de sa capuche sombre. Elle tenait d’une seule main le prêtre qui lui faisait face. Des doigts aussi forts étaient capables de broyer une trachée, il n’en avait aucun doute.
« Je vous le jure… le Haut Prêtre Velkyn Xaran est mort l’ennéade dernière.- Comment ?! » Un rugissement plus qu’une question. Le cri à peine articulé rebondit sur les murs du long couloir. Il n’avait qu’à tenir le temps qu’on vienne voir ce qui se déroulait. Pourvu que l’on vienne vite…
- Il a perdu un duel mais son adversaire à succombé aux suites de ses blessures. C’est pour ça que nous sommes en pleine successions. » expliqua-t-il en levant de plus en plus le menton, l’air se faisant rare et…
Un glapissement étouffé retentit lorsqu’il se retrouva dos à la guerrière. Il eut tout juste le temps d’entendre un murmure.
« Tu as mentis. ». Un claquement sec. Avant qu’il ne touche le sol, la nuque brisée, la meurtrière avait ramassé son masque et l’avait replacé sur son visage. Les fentes en étaient suffisantes pour distinguer parfaitement les deux silhouette avançant dans le couloir.
Elle rengaina son couteau. Aussi profondément enfoncé dans les entres du temple, ce n’étaient pas deux sentinelles mais bien deux prêtres sortis du lits qui marchaient à grands pas. Ils ne firent pas long feu, leurs couteaux semblant se perdre dans les ombres projetés
par la tenue de cuir et de métal de l’étrange apparition sans qu’elle n’accuse la moindre douleur. Lorsqu’ils s’effondrèrent, inconscients, elle ne prit pas la peine de les achever et continua à grand pas vers la cathédrale ou attendait les hommes et les femmes qu’elle était venue présenter cette nuit au Haut-Prêtre en toute discrétion. Ces porcs se croyaient-ils protégés
par la conspiration à laquelle ils avaient prêter la main ?
Une porte explosa.
- Ils ont assassiné le Haut-Prêtre Velkyn Xaran ! Les rares fidèles rassemblés dans l’immense nef à une heure si tardive se figèrent. Elle cria de nouveau à la face du monde le blasphème qui avait eut lieu ici. La troisième fois, quelque chose se brisa dans sa voix. Sa posture s’affaissa légèrement. Une initié voulu la frapper pour lui faire regretter ses paroles. Sous les yeux horrifiés des spectateurs, le coup de la prêtresse rebondit sur l’armure de métal de l’accusatrice. Le sol de pierre volcanique rougissait de son sang la seconde suivante.
L’auditoire, glacé, regarda le corps de la prêtresse tomber et cette femme qui venait de se salir les mains du sang d’un initié de leur Père à tous. Disgrâce. Le visage masqué de l’étrangère se tourna plusieurs fois pour regarder l’assemblé sous les immenses colonnades. Un silence frais régnait ici. Une cathédrale taillée directement dans le volcan ou déambulaient des centaines de fidèles durant la journée. Peut-être des milliers. La silhouette de leur dieux façonnée au milieu de l’endroit veillait sur ses oilles du haut de sa dizaine de mètres.
- Fermez les portes.Son masque – étrangement – n’étouffait pas le son de sa voix, mais elle n’avait pas parlé fort pour autant. Pourtant, les deux mots avaient résonné de façon presque surnaturelle. Les deux véritables fidèles venus en pleine nuit dans cette antre de foi et de recueillement, s’effondrèrent, inconscients, avant d’avoir réalisé que les autres silhouettes se levaient de concert pour obéir. Une fois les grandes portes barrées de l’intérieur et les quelques gardes et initiés mis hors d’état de nuire, deux hommes coururent à hauteur de la meurtrière qui s’était laissée tombée à genoux devant la statue du Père des Batailles tout en sortant de leurs capes des masques semblables au sien.
- Tu es folle ! Nous devions regagner notre place à Elda. Laver nos noms. Pas nous aliéner notre propre peuple ! » Cracha l’un d’eux à mi- voix en arrivant à sa droite pour la relever sans ménagement.
A travers les fentes du masques, à cette distance et grâce à un brasier, il distinguait les yeux de celle qui aurait put être son chef, plus rouge que jamais. Un colosse à sept doigts
paré de mille cicatrices fulminait à son côté.
- Tu n’es qu’un infidèle ! Nous combattons pour notre place au Nahali ! Si elle dit vrai tous le clergé est corrompu. Nous… »L’un des couteaux de la guerrière se ficha dans le flanc de l’homme au parfum de tabac froid qui la tenait
par le bras, coupant son compagnon dans sa diatribe et faisant reculer le malchanceux d’un pas gémissant.
- La foi ne souffre pas de doute, Eshk’Oroth. Pas plus que mes ordres. Il a été assassiné. » dit-elle simplement d’une voix sourde.
« Brûlez tout.Les deux vétérans se regardèrent un bref instant. L’homme retira la lame de son flanc. La blessure n’était pas mortelle mais elle était profonde… Pour la première fois, il leva des yeux voilés de frayeurs vers cette femme aux mains tachées de rouge. Elle s’éloigna sans un regard pour récupérer le corps de la prêtresse et le hisser sur ses épaules, empoissant son armure d’un sang épais qui coulait encore. D’un mouvement brusque, elle se défit de son fardeau sur l’autel des offrandes au milieu des livres de chair, et des sacrifices du jour qui seraient brûler au matin. Droite, flamboyante, elle se tourna vers les vingt-sept hommes et femmes qui, malgré des accoutrements variés, portaient tous le même masque.
- Ils ont assassiné le Haut-Prêtre dans son sommeil. Brûlez tout ! Purifiez cet endroit par le feu et la lame ! Égorgez les comme les porcs qu’ils sont ! Que le temple de Notre Père rayonne de son brasier salvateur ! Uriz reconnaîtra les siens !Les cœurs vibraient, les mains tremblaient. D’un mouvement sec, elle donna un coup de pied dans l’un des brasier sacré qui bordait l’autel, répandant sa braise sur le socle de pierre. Le feu rongeait les chairs, le tissus, le bois et les os en un doux fumet de viande rôtie. Les flammes gorgées de la graisse d’un animal sacrifié montèrent immédiatement pour lécher la silhouette de la statue qui écrasait toujours la scène de sa présence.
- BRÛLEZ TOUT ! » Hurla-t-elle, son ombre stridente dévorant la pierre jusqu’à ces suivants pendus à ses lèvres.
« BRÛLEZ TOUT CES IMPIES ! CES TRAÎTRES A LEUR RACE ! » Elle avala à son tour la distance qui la séparait d’eux, venant les secouer, à corps et à cri.
« KYORL UNS’AA ! » Elle cria. Ils crièrent.
Les cœurs flambaient, les voix s’unifièrent dans cette nuit, tirant de leur garde les moins attentives des sentinelles. Les lames furent dégainées. Les sortilèges grésillèrent au bout des doigts. Ceux qui ne pouvait brûler d’un regard ou d’un mot s’armèrent de torchèrent et d’huile, brisant les lampes, renversant tout ce qui n’avait pas une importance sacrée face aux gardes qui commençaient à affluer.
« Remontez jusqu’à la chambre de leurs discussions, jusqu’aux cages de leurs gladiateurs et de leurs sacrifices. Ouvrez tout. Brisez les chaînes, écartez les barreaux. Brûlez leurs dortoirs. Enfumés les. Et disparaissez jusqu’à l’heure prévue. »« Kyorl uns'aa 'zil ussta 'liests harl'il'cik wun alust d'ussta buki killian : » murmuraient-on en s’enfonçant dans les couloirs et les salles du profond labyrinthe. « Kyorl uns'aa 'zil usstan skrel Dosst kaas wun nind rarr lu'quortek :: » chantaient à voix basse les hommes et les femmes qui entassaient bois, huile, tentures et encens dans les couloirs pour enfumé le bâtiment et faire courir les flammes le plus loin possible. « P'wal F'sarn natha Glenn wun Dosst Orthae Hosse : » ou encore ceux qui tranchaient la chair et prenaient les coups.
Dans leurs pérégrination, son corbin et son couteaux tout deux rougis de sang, la guerrière se trouva face à deux immenses portes dont elle devina l’utilieé, Les ouvrant suffisamment pour se faufiler entre les deux battants, elle s’arrêta devant l’immensité de l’alcôve. L’arène du temple s’étalait à ses pieds avec son sable noir. La statue la plus colossale d’Uriz siégeait en arbitre, ses yeux aveugles contemplant la vie éphémère de ses enfants immortels. Ses bottes de cuir et de fer crissant dans le sol meuble, la femme solitaire de dressa de toute sa hauteur face au visage de pierre, jetant son masque à terre.
- Leur lâcheté disparaîtra dans les flammes et la notre avec ! Nous danserons sur leurs Braises devenues charbon. Qu’elles pourrissent à jamais dans les P’leiks ! Reçoit ma Vengeance, Père ! Elle coulera en rivières de sang et le chœur des morts te chantera sa cause !Elle leva son corbin haut dans ce ciel souterrain, au centre des gradins vides.
- WHOL ELDA ! WHOL THALACK ! WHOL PHRAKTOS !Pour Elda ! Pour la Guerre ! Pour les Dieux !L’arme retomba de quelques pouces avant de venir loger sa tête de métal au creux de la paume qui ne la maniait pas. Elle la contempla du bout de ses doigts gantés avec une douceur incongrue.
- Whol Velkyn… ajouta-t-elle à mi-voix.
Pour VelkynUne vive douleur à la nuque. Tout tourna autour d’elle. Un rire tonitruant éclata quelque part. La joue sur le sable noir, ses oreilles sifflaient. Le monde flou n’avait plus de sens. Un coup violent au ventre visa des poumons. D’autres pleuvaient sur ses flancs. Assez implacables pour que son armure ne les adoucissent qu’à peine. Battant des jambes et des bras dans le vide quand elle le pouvait pour tenter de se défendre, le cœur battant à tout rompre, elle tentait de retrouver une perception même incomplète de ce qui l’entourait.
Et toujours se rire écrasant.
Un bruit de lame. Plusieurs silhouettes. On l’avait laissée. Quelques instants seulement. C’était suffisant. Plusieurs prêtres étaient arrivés. Un mage de guerre et un Repentis les tenaient en respects. Une attaque la visa de nouveau, elle se mêla au combat. Un duel s’engagea. Le sang coula. Les coups pleuvaient d’un côté et de l’autre mais elle finit
par en sortir victorieuse. Une douleur au dos l’envoya définitivement rouler au sol, inconsciente.
Elle se réveilla en toussant. Une fumée acre baignait l’espace immense de l’arène. Un regard et elle s’aperçut que même les gradins n’étaient plus visibles. Rabattant, un pan de tissus sur son nez, elle regarda en tous sens jusqu’à retrouver son masque à quelques pas de là. Un grognement de douleur dépassa ses lèvres au premier mouvement mais elle se força a l’ignorer pour se traîner jusqu’à son masque puis, une fois rajusté, aux corps écroulés autour d’elle. Cinq prêtres dans la fleure de l’âge portant armes et armures ainsi que des insignes de vétérans. Trois Repentis. Le premier dont elle découvrit le visage était Trel’Zorm, un mage du C’nros, à n’en pas douté, il avait été d’un secours inestimable. Le second Mef’tia, épéiste du IVe. Le dernier… Eshk’Oroth. Il respirait à peine. Son plastron avait été emboutit d’un coup de masse. Utilisant son corbin, la Repentie fit sauter les attaches de son armures. Il prit une respiration un peu plus profonde quoi que sifflante. Une gifle, puis deux, lui firent ouvrir les yeux.
-Lève toi.On avait glissé un morceau de tissus sous son masque. Il avait l’impression d’étouffer.
-Je ne peux pas te porter alors LÈVE TOI ! » répéta la voix plus pressante.
Agar, zombiesque, il obéit à l’injonction. Se hisser sur ses pieds était déjà un miracle en soit. Soutenu d’un côté, il suivait la progression de son guide, incapable de se repérer ou de penser. Des langues rougeoyantes ponctuaient leur parcours, bloquant des issus et propageant une fumée qui leur mettait les larmes aux yeux et les poumons au supplice.
Ils tombèrent et il fallut se relever une deuxième fois.
Ils tombèrent et il ne put se relever.
On le tira. On le poussa. Et sans savoir comment, il se traînait à nouveau. Un pas après l’autre. La têt bringuebalant sur ses propres épaules.
Un hurlement de douleur lui fit vaguement relever le nez mais il ne sut trop ce qu’il se passait.
Puis la chaleur redescendit. La lumière également. On le força à grimper à des échelles à marcher à quatre pattes. Puis grimper encore. Et enfin il put s’effondrer sur un sol plane.
- Appelle Zaïch’Ker... » entendit-il de la part d’une voix rauque avant de sombrer dans l’inconscience totale.
Au matin, les rumeurs allaient bon train. Des flammes étaient sorties des fresques de la façade du Temple d’Uriz dans la Chambre Magmatique. Les gardes en étaient restés tétanisés, ne sachant s’il était autorisé d’éteindre un tel brasier entre les murs du sanctuaire du Dieux dont la Flamme était le Don et la Marque. Certains disaient même avoir entendu mille voix chanter le
Kyorl Uns’aa. Tombant à genoux, ils avaient priés le Père des Batailles. Ce ne fut que tard dans la nuit que des prêtres venant d’autres temples - trouvés
par ceux de Valas et de Teiweon qui partageaient la même esplanade que le temple en flamme - étaient venus ordonner que le feu soit maîtrisé.
Entrant avec forces mages, ils avaient progressé dans l’ombre, croisant corps brûlés ou partiellement mis en pièces. Mêlés dans la cendre qui tapissait le sol et les mur, corps, armes, armures, œuvres d’art et meubles ne se distinguaient que
par des éclats d’os, de verre ou de métaux informes. Plus profondément, la fumée rendait plus difficile encore la progression. Pour éviter que tout cela stagne dans les cavernes de la Cité, des chaînes d’élémentalistes furent mises en place, rallongeant encore le temps de la découverte.
Ce ne fut que le soir venu qu’on dressa le bilan. Des prêtres et des initiés morts
par poignées entières. Asphyxiés dans leur sommeil. Brûlés durant leur garde. Certains portaient des sortes de blessures qui sous-entendaient un combat. Mais contre qui ou quoi ? Certains corps avaient le visage couvert d’une couche de métal qui leur avait fondu dans la peau jusqu’à ronger leur crâne. Rares étaient les survivants, des chanceux qui avaient put fuir avant de se faire enfermer
par les flammes ou qui en contrôlaient suffisamment le flux pour s’en sortir sans trop roussir. De cela, la plupart étaient encore entre la vie et la mort. Malheureusement, même un mage brillant n’a que peut de chance de maîtriser un incendie lorsque le sommeil l’emporte.
Les portes étaient intactes. Les façades également. L’attaque, avait eu lieu de l’intérieur si s’en était bien une. Les statues et les objets de cultes avaient été respectés, certains enfermés dans des salles dont les portes avaient été magiquement couvertes de givre et imbibées d’eau.
Plus dérangeant encore, tous les membres les plus âgés qui se disputaient les sièges de Haut-Prêtre et de Grand-Prêtre et qui s’étaient rassemblés pour des conclaves aussi sanglant qu’incertains avaient trouvés la mort. Avant cette nuit, plusieurs d’entre eux avaient déjà perdu la vie aux mains de rivaux mais maintenant, totalement étêté, le culte perdait le peu de repères qui lui restait… Beaucoup voudraient sûrement comprendre ce qu’étaient ces étranges faces d’argent retrouvées parmi les décombres. Beaucoup croiraient à une action divine si peu de temps après la mort de ses deux plus hauts représentant sur Miradelphia. D’autres se maîtrisaient en chasse de traîtres. La suspicion roderait. Mais pour l’heure, il y avait beaucoup trop de Flammes à remettre aux mains de Teiweon pour que la plupart des eldéens, choqués dans les fondements de leurs croyances, ne s’en préoccupe… la plupart seulement.