La conséquence de ses actes

Barkios,
De la dixième année du onzième cycle.

Incrédulité, peur et colère. Les sentiments qui grondaient dans le coeur d’Eliwa. Les pleurs de sa fille la sortirent un peu de sa torpeur mais n’adoucirent en rien ses émotions. Elle n’était pas encore folle de rage, cela pourrait venir. Elle avait envie de frapper, de hurler, de laisser sortir toute cette noirceur qui l’emplissait. Quand elle avait déshabillé sa fille un matin, elle avait vu cette tâche noire, qui ne partait pas au fil des jour. Au contraire, elle s’installait. Mirmae sentait bien la tension de sa mère et même si l’agressivité n’était pas dirigée contre elle, cela la touchait. Essuyant ses larmes et la prenant contre elle, Eliwa lui chuchota que tout allait bien. Tout irait bien, parce qu’elle n’allait pas laisser celui qui avait fait subir cela à sa fille s’en sortir à bon compte. Dans son monde, c’était la loi du talion. Et dans son monde, personne ne blessait son enfant.

***

Les ennéades passaient inexorablement et cette tâche ne s’en allait pas. Cette tâche qui avait l’étrange forme du symbole de Tyra. Elle s’étendait à vrai dire, commençant à noircir la peau de son ventre. Eliwa était retournée à Thaar, avec la permission de la reine. Elle avait pris un léger congé pour sa fille et sa supérieure n’avait pas été difficile à ce sujet. Elle avait elle-même des enfants et Eliwa lui avait confié combien elle s’inquiétait pour la santé de la sienne. Là-bas, un prêtre de Tyra lui avait assuré que ce n’était pas bon signe, il apparentait cela à une punition divine.

 - Une punition divine, vraiment ? C’est une enfant, encore un bébé ! Comment veux-tu qu’elle aie fauté ?

Alors elle avait écouté son explication, qui ne l’avait pas convaincue. Elle même avait du fauter. Bien entendue elle ne voulait pas l’avouer et c’était normal, lui avait-on dit. Mais elle n’avait pas fauté. Elle avait douté, un instant, à propos de sa vie passée. N’avait-elle pas assez priée, n’avait-elle pas assez souffert ? S’était-elle laissée faire trop souvent, ou en revanche était-elle punie pour avoir pris la vie de son « Père » ? Mais cela n’avait aucun sens, pourquoi la punirait-on maintenant, pourquoi Tyra et pas Tari ? On avait avancé des hypothèse à propos de l’Ithri’vaan, région cosmopolite, et Thaar plus précisément où elle avait résidé et finalement vécue toute sa vie. Elle avait gardé si peu des elfes qu’il était probable que ses dieux l’aient abandonnée. Elle avait eu mal, quand on avait avancé cette hypothèse, parce qu’elle avait douté toute sa vie. Alors elle en avait parlé, à d’anciens amis. On lui avait amené rapidement des recherches et des hypothèses de toutes part. Aucune n’avait satisfait la demande d’Eliwa jusqu’à ce que Lil’Ssinum revienne vers elle.

La drow avait été, comme à son habitude, très réactive. Et comme à son habitudes, elle lui avait fait des avances. Elle aimait la taquiner de temps à autre, comme un chat jouerait avec une souris. C’était une image assez parlante et elle décrivait à merveille leur relation. Du moins telle qu’elle était au début, avant qu’elles ne se prennent d’affection l’une pour l’autre. Mais des fois, la drow aimait revenir à ce qu’étaient leurs débuts. Cela avait détendu un peu l’atmosphère, avant qu’elles ne passent aux choses sérieuses.

 - J’ai un ami… Enfin, un ami, tu m’auras comprise, qui m’a soufflée une idée à l’oreille, entre deux gémissements ! Alors ni une ni deux j’ai voulu vérifier, enfin je l’ai laissé terminé, je n’ai pas eu à attendre bien longtemps. Et j’ai trouvé quelque chose d’intéressant, dans la bibliothèque d’un autre ami, un peu plus fortuné celui-ci. Il a reçu une plus grosse récompense, du coup, même s’il n’a pour ainsi dire rien fait ! Au moins j’ai été payée en conséquence… Bref, je m’égare, tu vois ça ?

Eliwa prit le temps de lire consciencieusement ce qui était écrit sur la page qu’on avait mise sous son nez.

 - Le sang de ceux qui ont repoussé les Cinq ? Mais je n’ai pas…
 - Il faut être deux pour faire un enfant ma jolie. L’aurais-tu si vite oublié, ton amant si peu présent ?

Et elle l’avait effectivement oublié. Ou plutôt, elle l’avait volontairement effacé du tableau, parce qu’elle ne voulait plus de lui dans leur vie. Alors pour elle, il n’était tout simplement plus. C’était son erreur sans doute et elle le comprit vite.

 - Il n’aurait pas… Pourquoi ? S’il doit s’en prendre à quelqu’un c’est à moi ! Elle est innocente, elle n’est qu’une enfant, elle aurait pu… Comment peut-il faire ça ?
 - Ne cherche pas beaucoup d’explications, c’est un humain voilà tout. Les humains ne se laissent pas vraiment guider par la logique mais par leurs émotions. Et par là je veux dire ce qu’ils ont entre les jambes pour la moitié d’entre eux. Nan, son enfant il s’en fiche, tu l’as repoussé, maintenant il pense à lui et à la gloire qu’il pourrait récolter. Après tout, il mourra bien assez tôt.
 - Tu ne crois pas si bien dire. Rejoins-moi demain. Et prépare moi des noms.

Guilin portant son masque

Après le départ de Zaahrian, Guilin avait continué à faire ce qu’il faisait le mieux : tuer. Il n’était pas comme Zaahrian. Ce dernier était comme le feu : magnifique, exubérant et dangereux. Il embrassait la vie autant que la mort et il se mélangeait au monde avec une aisance déconcertante. À l’opposé, Guilin était fait de glace : distant et mystérieux, les interactions sociales n’étaient jamais faciles pour lui et il les limitait autant que possible. Il observait la foule de loin et les gens ne lui adressaient guère la parole. Il avait cette façon de les fixer qui donnait droit dans le dos. À Thaar toutefois, on devinait aisément ce qu’il était. Dans une ville comme celle-là, les assassins ne prenaient pas la peine de se cacher et personne ne faisait quoi que ce soit pour les arrêter. On laissait les drows y résider, alors il ne fallait pas s’en étonner. Il avait survécu en acceptant de petits contrats ici et là. Il prenait garde à ne pas trop attirer l’attention des guildes en place et se contentait du minimum pour vivre. Zaahrian n’avait pas été aussi prudent avec le résultat qu’il avait connu. Sa tête était toujours mise à prix, mais pour plusieurs, l’assassin blond n’était plus de ce monde. Il avait pris la route des mois plus tôt sans laisser de trace. On disait que la forêt l’avait avalé tel l’idiot qu’il était. Tout indiquait que c’était vrai, mais une petite partie de lui croyait encore que son ami avait atteint la Péninsule et qu’il y préparait le plus gros coup de sa carrière. Zaahrian lui manquait plus qu’il ne l’aurait voulu. Non seulement le blond ne le regardait pas comme un monstre, mais il avait le don d’aller chercher le meilleur en lui. Il y avait dans les yeux de Zaahrian la compréhension de celui qui savait ce que vivait Guilin, car tous les deux venaient du même endroit. Ils avaient grandi ensemble comme des frères et traversé les mêmes épreuves pour devenir assassin malgré eux. Ils avaient fait la promesse de toujours être là l’un pour l’autre, mais Guilin avait accepté le désir de son ami d’aller voir son père. Il l’avait laissé partir, mais il redoutait maintenant que les au revoir aient été en réalité un adieu. Après un moment emmuré dans sa solitude, Guilin avait besoin de réponses. Il ne les aura peut-être jamais, mais il voulait au moins essayer. Il n’attendait plus que l’occasion de le faire…

Cette occasion se présenta d’elle-même quelques jours après qu’il ait arrêté sa décision comme si les Dieux avaient entendu sa prière silencieuse. Une femme cherchait à tuer quelqu’un et la cible se trouvait en Péninsule. Encore une mégère qui voulait tuer un amant décevant... Le contrat ne serait qu’un prétexte pour se rendre là-bas bien qu’il ait quand même l’intention de le remplir. Après tout, sa réputation en dépendait. Un soir donc, Guilin se présenta à la taverne indiquée par son contact. Il devait y rencontrer une femme, probablement celle qui proposait le contrat. Il connaissait bien les lieux, car de nombreuses têtes y étaient mises à prix tous les jours. Pour se trouver un travail, c’était l’endroit où aller. Il s’installa à une table et commanda simplement un peu de pain avec du beurre, du fromage et de la bière pour arroser le tout. Guilin n’avait pas mangé depuis des heures. Il avait sérieusement faim, mais ses finances ne lui permettaient pas de prendre un gros repas. Il devait absolument avoir une avance s’il voulait se payer la traversée, mais aussi préparer convenablement le voyage.

La drow n’avait pas beaucoup de temps pour faire passer l’information. Elle utilisa donc ses réseaux les plus sûrs et les laissa faire la plus grande partie du boulot. Elle même essaya de contacter quelques assassins qu’elle avait connu fut un temps, mais beaucoup étaient portés disparus et les autres étaient morts. A vrai dire, ce n’était pas un métier où on faisait long feu et si les cinq avaient décidé que telle serait sa carrière, alors il valait mieux profiter de chaque instant de sa vie. Chose qu’à la réflexion elle faisait à la perfection. On l’avait généreusement formée, après tout, ne pas en faire profiter les autres aurait été un pur gâchis. Rien de pire que le gâchis. A l’heure qu’il était, ses réseaux avaient du donner des rendez-vous. C’était à ceux-ci qu’elle se rendait. Jamais au même endroit, jamais à la même heure. Elle aurait pu aussi respecter la politique de « jamais le même messager » mais elle voulait s’assurer qu’Eliwa n’aurait pas à faire à n’importe qui. Elle avait fait quelques rencontres non concluantes, avait donné une fin de non recevoir à certains tandis qu’elle faisait encore espérer les autres, avant de se rendre dans une taverne qu’elle fréquentait rarement. Il fallait dire que depuis le temps, elle avait ses préférences et ses habitudes. Selon ses humeurs, ces dernières changeaient, mais elle était relativement facile à suivre en ville pour qui se donnait la peine de l’observer.

Lil’Ssinum ne mit pas bien longtemps à rejoindre le lieu de rendez-vous et encore moins à trouver la bonne table. Quiconque y était assis avait déjà commandé à boire et à manger. Alors par principe, elle prit à boire en double et s’assit face à celui qui l’attendait. Comme tous les autres, il devait croire qu’elle était l’employeuse. Elle tapota légèrement des doigts pour s’assurer avoir son attention et une fois qu’il y eut toute la commande sur la table, elle le salua.

- Je viens rarement ici. J’espère que la bière est bonne. Ca m’ennuierait de payer pour de la pisse.

Elle avait développé au cours des années des goûts à la limite du luxueux. Elle se faisait entretenir et n’hésitait jamais à faire payer ses grâces le prix fort. Même quand le semi dirigeait encore l’établissement au sein duquel elle travaillait, elle réussissait à se tirer du lot une plus jolie somme que les autres. La drow remarqua le jeune homme reluquer ses atours, à moins qu’il ne la détailla juste et qu’elle colla à ce regard ce qu’elle voulait bien y voir. Il fallait dire qu’il y avait de quoi la regarder, elle s’accoutrait toujours de telle sorte. Si on ne se retournait pas sur son passage, ou si au moins on ne la fixait pas un peu trop longtemps, elle avait la désagréable impression d’avoir raté sa sortie. Comment cela pouvait-il lui être profitable si elle ne ramassait pas quelques futurs clients sur la route ? Un léger sourire vint parer fugacement le coin de ses lèvres.

- Comme ça, la péninsule te fait de l’oeil ? C’est pas fréquent, j’irais pas m’enterrer là-bas de bon coeur. A moins d’être au bord du gouffre, plutôt faire le trottoir que perdre ma liberté.

Un petit clin d’oeil vint ponctuer sa phrase. Si sa réponse la satisfaisait, elle l’emmènerait voir Eliwa. Sinon, elle passerait au suivant en le remerciant.

Une femme s’assit devant lui. La peau sombre, le regard de feu… Un seul coup d’œil suffisait pour identifier la drow. Une parmi tant d’autres… Ils étaient plusieurs à arpenter les rues de Thaar. Guilin n’était pas spécialement surpris d’en voir une d’aussi près, mais il avait développé une méfiance instinctive envers les gens de cette race. Ils étaient réputés pour leur cruauté et leur imprévisibilité et l’assassin fut témoin à quelques reprises de leur caractère instable. Il gardait le souvenir vif d’une fête organisé par quelques représentants de cette race où son meilleur ami faillit y perdre la vie. Toutefois, la femme devant lui ne semblait pas particulièrement de mauvaise humeur. À l’image de la majorité des femelles de cette espèce, la drow aimait se dévoiler. En fait, Guilin avait l’impression qu’une seconde paire d’yeux le dévisageait avec insistance et, n’ayant pas côtoyé de femmes de très près récemment, il ressentait un certain malaise. Il détourna le regard juste au moment où la drow demandait si la bière était bonne. Homme de peu de mots, Guilin répondit simplement. « Vu le type de clientèle... » Il haussa les épaules sans finir sa phrase. En effet, il serait dangereux de contrarier la clientèle composée en grande partie d’assassins avec des produits de mauvaise qualité. Pour sa part, Guilin n’avait jamais trouvé à se plaindre de ce qu’il prenait ici. La bière était buvable et le pain bien frais. Ça lui suffisait.

Heureusement pour Guilin, elle ne perdit pas son temps en banalité. Elle savait à qui elle avait à faire et lui fit simplement remarquer qu’elle n’irait pas se perdre dans ce trou à rat qu’était la Péninsule. L’assassin aurait tendance à être d’accord avec elle, mais il avait quelqu’un à récupérer… À condition qu’il soit toujours en vie et bien à l’endroit où il le supposait être. « J’ai quelqu’un à retrouver là-bas. » Il aurait pu lui dire qu’elle était un drow et que, par définition, elle était honnie en Péninsule. Lui-même, en tant que semi-elfe, il aura du mal avec les Péninsulaires, mais il aura moins de chance d’être abattu à vue que la femme qui se trouvait en face lui. Guilin pouvait être plus bavard quand il y mettait un effort, mais depuis que Zaahrian avait quitté l’Ithri’Vaan, il était tombé dans un mutisme brisé seulement lorsqu’il parlait à un potentiel employeur. Le ténébreux ne se mélangeait pas à la population. Contrairement à Zaahrian, il ne fréquentait pas les tavernes et sa populace. Il restait dans son coin, terré dans la pénombre en attendant que quelque chose arrive. Or, comme rien n’arrivait jamais, il voulait retrouver Zaahrian, car quand le blond est dans les parages, il y a toujours quelque chose d’intéressant qui se présente. D’ailleurs, il n’eut aucun mal à imaginer le genre de remarque que Zaahrian aurait fait lorsque la peau sombre parla de faire le trottoir et cela le fit presque sourire.

La crainte première de Lil’Ssinum fut balayée quand elle trempa ses lèvres dans son verre. Elle s’attendait à recracher en bloc et à renvoyer son verre aussi sec mais finalement, la bière était buvable. De là à dire qu’elle était bonne, cependant, il y avait un gouffre, mais au moins elle désaltérait. Et comme l’avait dit le semi, vu le type de clientèle… Il ne fallait pas s’attendre à grande qualité ! Mais elle n’était pas là pour boire. Chez son interlocuteur, elle n’eut aucun mal à discerner une certaine gêne, chose qui l’amusa particulièrement. Le regardant toujours fixement, elle attendit qu’il lui dise ce qui valait la peine d’aller en péninsule et, oh surprise, c’était quelqu’un. Ni une ni deux, elle se leva pour s’asseoir non plus en face mais à côté de cet homme dont elle ne connaissait pas encore le nom. Dans le déplacement, elle effleura peut-être son bras de ses doigts, chose dont elle ne s’excusa pas. La drow le sentait mal à l’aise et elle adorait ça.

- Quelqu’un ? Une femme qu’on t’a ravie peut-être ? Ou non, mieux encore ! Une qui est partie parce qu’elle se devait de vivre correctement et qu’il était temps pour elle de penser à son confort. Ca expliquerait que tu essaies vigoureusement de ne pas regarder mes formes. Enfin, on n’est malheureusement pas là pour s’amuser, même si j’aurais aimé…

Elle lui sourit en se mordillant la lèvre avant de se pencher pour murmurer à son oreille.

- Une fois que t’auras fini de manger, on va aller faire un petit tour, histoire de discuter boulot. Si ça t’intéresse toujours.

Et quand ce fut chose faite, elle régla sa bière et le repas de l’assassin avant de partir. Quand ils furent bien protégés par le brouhaha de la ville, elle reprit la parole.

- J’ai deux trois questions à te poser avant de pouvoir te présenter le contrat. Tu comprends, je ne voudrais pas que cela se retourne contre moi. Ca fait longtemps que t’es assassin ? J’ai cru comprendre que tu étais plutôt fiable, mais tu vois pour moi ça ne veut pas dire grand-chose ici. Si tu pouvais me donner le nombre de contrats que t’as rempli sur le nombre de contrats que t’as accepté ce serait pas mal aussi. Les débutants ça ne m’intéresse pas.

La drow souriait parfois à quelques hommes qui la regardaient avec insistance et elle tapa sur la main d’un qui, un peu trop aventureux, essaya de la presser la fesse. Et frottant son pouce et son index en s’éloignant, elle lui fit comprendre qu’ici, rien n’était gratuit. Il ne manquerait plus qu’elle se fasse exploiter ! Mais attentive à son compagnon éphémère, elle attendait ses réponses pour savoir si elle le conduirait ou non à Eliwa. Il était, pour l’instant, le candidat le plus favorable.

« Je cherche mon frère. » Dit-il simplement. « Il est parti il y a plusieurs mois et je veux savoir ce qui est advenu de lui. » Il pouvait tout aussi bien être mort, mais bon, Guilin voulait en avoir la certitude. Puis comme le blond n’était pas du genre très discret, il entendra certainement parler de lui arriver au royaume des hommes.

Il termina de manger en silence, mettant toute son attention sur l’assiette devant lui plutôt que sur la femme qui comprenait un peu trop bien le malaise qu’elle provoquait chez lui. Que ferait Zaahrian dans cette situation? Il rirait avec elle, embarquerait dans son jeu avant de la planter juste avant de passer au lit.

Le repas terminé, le duo improbable quitta l’intimité relative de la taverne pour le brouhaha de la ville. Ils marchèrent silence, Guilin n’étant pas celui qui entretient les conversations d’habitude. Éventuellement, ils laissèrent derrière eux les rues animées pour les ruelles tranquilles hantées par quelques chats faméliques. « Je suis assassin depuis aussi longtemps que je me souviens. J’ai pris ma première vie vers l’âge de 45 ans, ce qui est jeune pour un semi-elfe et j’en ai 103 aujourd’hui. J’ai perdu le compte depuis un moment déjà. » Il haussa les épaules. Guilin n’allait certainement pas commencer à détailler tous les contrats qu’il avait remplis depuis. Plusieurs avaient été faits avec Zaahrian. Ensemble, ils formaient un duo très efficace que Daeron avait utilisé sans hésitation. « Sinon, je suis un archer, je frappe à distance. La cible va mourir avant même de comprendre ce qui lui arrive. »

HRP:

Si la drow s’amusait particulièrement, elle n’en oubliait pas moins sa mission principale. Et les réponses qu’on fournit à ses questions furent particulièrement agréables à son oreille. Un assassin qui tuait depuis son plus jeune âge, dont l’arme de prédilection était l’arc et qui voulait se rendre en Péninsule pour retrouver la trace de son frère, c’était parfait. Alors elle le conduisit dans la maison close de celle qui voudrait sans doute s’entretenir avec lui. Rien que d’imaginer sa tête quand ils entreraient dans l’établissement la fit éclater de rire.

- Je crois que tu ne t’attends absolument pas à c’qui va t’arriver, mais mon bonhomme je te jure que ce n’est pas une blague, aussi sincèrement que je sais l’être. Tu t’doutes bien que c’est pas moi la commanditaire, ou peut-être pas en fait. Mais je te le dis, je ne suis que l’intermédiaire. On va aller rencontrer celle qui tire les ficelles !

Alors d’un pas assuré, elle le guida dans l’établissement qu’elle considérait être chez elle. Depuis le temps, elle avait pu s’y faire et s’y plaire. Elle ne se voyait pas ailleurs et c’était pour cette raison qu’elle n’en était pas partie, le jour où Eliwa avait tué Ezra. Quand elle ouvrit la porte, elle sentit que son invité avait marqué un temps d’hésitation avant d’entrer. Après tout, il n’était pas à l’aise avec elle, pourquoi le serait-il dans ce genre d’endroit ?

- Allez viens, c’est juste en haut. Tu materas en redescendant !

Le bureau qui avait été celui d’Ezra n’était plus d’une chambre parmi les autres. Eliwa avait installé ses quartiers dans une autre pièce, un peu moins grande, mais qu’elle savait dénuée de mauvais souvenirs. Non pas de sang parce qu’il devait y en avoir sur tous les sols et sur tous les murs, de toutes provenances, elle avait juste besoin de ne pas revivre encore et encore le crime qu’elle avait commis. Elle avait senti à cet instant qu’elle s’éloignait peut-être à jamais de Kÿria. En avait-elle été un jour réellement proche ? Lil’Ssinum toqua en annonçant qu’elle avait fait les courses. Un candidat avait retenu son attention donc. Aralaurë leva aussitôt une oreille et attendit que l’elfe aille ouvrir pour se mettre debout.

- Je te donnerai la différence ce soir, s’il manque quoi que ce soit. Merci beaucoup ! Entre je t’en prie. Mon nom est Eliwa.

Il ne la connaissait pas encore et elle ne le connaissait pas non plus. Et pourtant, il pourrait s’avérer être celui qui allait mettre sa fille en sécurité pour toujours. L’elfe retourna s’asseoir derrière son bureau et l’invita à faire de même sur le fauteuil qui lui faisait face. C’était un semi, discret et effacé. Parfait. Elle aurait certes eu une préférence pour un humain mais à vrai dire seul le talent comptait réellement. S’il était doué, sa race était loin d’être discriminante.

- Si on t’a amené ici, c’est que je peux te faire confiance. Du moins qu’on a jugé ton profil suffisamment intéressant pour que je fasse un effort. Il me faudrait juste un rappel de tes motivations et de tes compétences, tu l’as bien je n’ai pas pu discuter avec mon entremetteuse.

Quand ce fut fait, elle sourit.

- Un archer, ça me plait. La cible est Altiom d’Ydril, l’ancien archonte d’Ydril qui cherche actuellement à récupérer sa terre. De ce que je sais, il mène actuellement un combat pour récupérer le titre et le devoir de protection de son peuple qu’il a perdu. Il sera peut-être plus facile pour vous de vous infiltrer dans un tel cadre, quoi qu’il doit quand même être protégé. Il faudra donc vous rendre en Ydril, aussi rapidement que possible. Cette mission doit passer avant tout et doit être vitale pour vous. Il ne vous sera pas possible de revenir ici sans être constamment en danger sans cela. Des questions ?

Il y en aurait sans doute, parce que des détails elle n’en avait pas tant donné. Elle avait seulement exposé la mission dans ses grandes lignes, pour lui laisser la possibilité de se retirer maintenant si tout ceci ne lui convenait pas.

« C’est rarement les commanditaires qui se déplacent en personne pour placer les contrats. » Qu’il fit remarquer du même ton égale avec lequel il s’exprimait depuis le début de cette rencontre. Donc non, il n’était pas surpris d’apprendre que la Drow n’était pas celle qui voulait un assassin. Toutefois, il était curieux de rencontrer la tête pensante derrière ce projet et d’en apprendre un peu plus sur ses motivations.

La femme l’entraîna vers un bordel. Ça ne l’étonnait pas non plus, mais il eut un peu plus de mal à cacher son malaise. Il ne se considérait pas comme prude, mais peut-être qu’il l’était finalement. Sa maladresse et son incapacité à interagir avec la gent féminine autrement que pour un contrat d’assassinat l’empêchaient de développer des relations. Ce n’était pas par désintérêt, car il trouvait les femmes belles et attirantes, mais dès qu’il se trouvait avec une demoiselle un peu trop entreprenante, Guilin perdait ses moyens et prenait la fuite. Plus d’une fois Zaahrian l’avait rattrapé par la peau du cou alors qu’il s’apprêtait à décamper comme un lâche et ça, c’était à l’époque où son ami le traînait dans les tavernes pour qu’il se mélange au monde…

On le fit monter à l’étage où il trouva derrière une porte la fameuse commanditaire. D’un regard, Guilin comprit que c’était une elfe, belle, grande et immortelle. Il n’était pas si commun d’en croiser dans l’Ithri’Vaan, mais ils devaient bien y traîner à l’occasion vue les sang-mêlé qui pullulaient. Déjà pas très bavard, il en perdit momentanément le sens de la parole et c’est avec un léger temps de retard qu’il lui dit son nom. « Guilin... » Il avait l’intime conviction qu’il gâcherait tout s’il parlait trop, mais rarement dans sa vie il ressentit un tel empressement à satisfaire les désirs de quelqu’un. Peu importe qui elle souhaitait voir mort, Guilin allait lui rapporter sa tête sur un plateau.

Alors il s’agissait d’un homme souhaitant récupérer ses terres. Tant mieux! Il n’avait probablement pas que des amis autour de lui et il serait facile pour Guilin de faire passer l’assassinat pour une conspiration à l’interne, mais oui, ça voulait aussi dire qu’il serait bien protégé. « Je saurai me débrouiller. Il y a-t-il des choses que je devrais savoir sur cet homme avant? Je ne tiens pas particulièrement à connaître vos raisons de le voir mort, mais plus vous m’en direz, plus ça me facilitera la tâche. De plus, je ne refuserais pas une carte de la région pour me repérer, si vous en avez une. Je ne suis pas très familier avec la Péninsule sauf que c’est le royaume des hommes et qu’ils sont constamment en conflit. D’ailleurs, je compte utiliser cela pour maquiller le meurtre. En volant des flèches sur place, il sera facile de faire croire qu’il a été abattu par l’un des siens. » Guilin venait de dire plus de trois phrases consécutives. Visiblement, Eliwa avait un effet fou sur lui.

S’il lui avait donné l’impression de se prendre les pieds dans le tapis avec tout cet empressement, elle appréciait tout de même la chose parce qu’il ne lui ferait sans doute pas défaut. Il n’était pas curieux non plus, tant mieux parce qu’elle n’aurait pas répondu, et avait des demandes purement rationnelles. Parfait. Une carte de la Péninsule et particulièrement d’Ydril, elle saurait trouver. Ici, pour peu qu’on cherche au bon endroit, on pouvait absolument tout trouver. C’était sans doute une des choses qu’elle préférait dans Thaar. La diversité faisait tourner des têtes mais elle s’y était particulièrement bien adaptée.

- Effectivement, je ne peux pas prendre le risque qu’on remonte jusqu’à moi. Si on sait qu’un assassin d’Itrhii’vaan a pris cette vie, on ne tardera pas à venir à mes trousses. Ce qui est totalement impensable, mais je crois que vous l’avez bien compris.

Sa louve était venue se recoucher à côté du bureau et elle regardait fixement celui qui serait sans doute le futur employé de l’elfe. Elle ne sentait pas de danger, sans quoi elle aurait déjà agi, mais on n’était jamais trop prudent. Eliwa la caressa la nuque avant de reprendre son discours.

- Je vous trouverai une carte de la Péninsule, plus particulièrement de la région visée. Quant à ce que je peux vous dire de lui, je n’ai pas grand-chose de plus. Dans la mesure du possible évitez de le faire souffrir, mais l’important reste sa mort. Je vous payerai une partie avant, qui devrait couvrir vos frais de voyage, et le reste quand vous reviendrez. Je vais vous rajouter une difficulté supplémentaire mais comprenez que je ne pourrai être certaine de votre réussite qu’ainsi : ramenez moi son amulette. Il ne s’en séparerait jamais vivant. Cependant, si j’entends entre temps qu’il est mort de la main d’un archer, c’est là qu’est votre vaine, je considérerai votre mission comme remplie et vous pourrez venir chercher votre somme. Si ces modalités vous vont et si vous n’avez pas d’autres questions, alors je pense que nous faisons affaire.

L’elfe n’avait pas besoin de bien plus. S’il avait déjà plu à LilSsinum, alors il n’avait plus beaucoup à prouver. Elle espérait tout de même ne pas se tromper sur la personne, parce que de lui dépendaient son avenir et celui de sa fille.

« Je comprends... » Elle n’était pas différente de ses autres clients. S’ils payaient quelqu’un pour faire le sale boulot à leur place, c’est qu’ils ne souhaitaient pas être directement impliqués. Guilin pouvait vivre avec ça sans problème et l’avantage d’être bon avec un arc, c’est qu’il n’avait pas à s’approcher de la victime, sauf si le commanditaire souhaitait une preuve concrète du décès. Malheureusement pour lui, elle voulait une preuve. « Sans vouloir faire le difficile, l’idée en le tuant d’une flèche, c’est d’éviter de s’approcher de lui. Je peux tenter de prendre l’amulette si vous la voulez vraiment, mais cela augmente considérablement les risques autant pour moi que pour vous. Je doute qu’on pense que je suis un habitant du coin. Si ce que vous me dites à propos de lui est vrai, qu’il tente présentement de reprendre ses terres, la nouvelle de sa mort sera rapidement connue de tous. Je ne vous décevrai pas. » Lorsque Guilin donnait sa parole, il la tenait jusqu’au bout. Puis bon, c’était un gros contrat et, comme tout le monde, il avait besoin de manger. « Juste une dernière chose, je veux simplement m’assurer que le déplacement jusque là-bas sera payé. Je peux me prendre une place moi-même sur un bateau pour l’allée et le retour, mais il me faut l’argent, quitte à piger sur le montant que vous offrez pour ce contrat. » Une fois encore, il aurait aimé que Zaahrian soit là. Il était nettement meilleur que lui pour négocier les contrats, gagnant généralement ses clients avec son charme et ses belles paroles, deux choses que Guilin ne possédait pas.

Evidemment, l’amulette posait problème. Comme elle l’avait déjà mentionné, elle n’était pas primordiale pour qu’il récupère sa somme. Elle lui fit donc savoir qu’elle aimerait seulement, à titre personnel, l’avoir mais qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une obligation. Disons qu’un trophée ne se refusait pas. Et puis ainsi, elle saurait dire à sa fille qui était son père. Celui qui lui avait fait subir cette horrible malédiction. N’ayant su, comme de coutume, faire le choix le plus raisonnable, il avait fallu qu’il brille par son incompétence et qu’il blesse celle qu’il voulait récupérer à tout prix. Dans ces circonstances, comment pourrait-il prétendre être un bon père ? Quand sa fille ne comptait pas plus que lui, il ne pouvait pas prétendre à lui donner un quelconque avenir.

- Evidemment, je vous donnerai de quoi payer la traversée. Pour le retour, vous aurez assez sur la somme que je vous avance. Je comblerai l’écart une fois revenu ici, le contrat réglé. Disons que j’aimerais éviter de perdre de l’argent inutilement. Mais il vous reste quand même une belle somme, de quoi palier à vos besoins le temps que durera cette mission. Je pense que nous sommes bons ?

Elle ne voyait pas bien ce qu’il pouvait lui manquer d’autre.

- Comme je vous l’ai déjà mentionné, c’est une mission urgente. Je vous prierai donc de vous rendre au plus vite en Ydril.

Entre temps, elle avait fait mander une carte de la Péninsule, une qui ne datait pas d’un cycle. Une de ses filles la lui apporta et elle la donna sur le champ à son nouvel employé.

- Comme convenu, une carte de la péninsule, centrée sur Ydril. J’espère qu’elle vous guidera au mieux. Il vous faudra l’annoter une fois sur place. Elle est à vous, considérez cela comme un gage de ma confiance en vous. Vous pouvez la perdre ou la revendre, peu m’importe. Seule la réussite de la mission vaut quelque chose à mes yeux. On peut passer à la réalisation de cette dernière ?

Elle était passée de l’autre côté de son bureau et Aralaurë l’avait suivie du regard. Lui tendant une main, elle n’attendait que la sienne pour sceller leur accord. Quand cela serait fait, il recevrait sa première moitié, plus un supplément pour l’aller.

Le moment était donc venu. Guilin avait tout ce qu’il lui fallait : de l’argent pour faire la traversée et une carte pour s’y retrouver. Il n’avait jamais imaginé aller aussi loin, traverser la mer et mettre les pieds en Péninsule, surtout pas seul. Il avait une bonne raison de le faire. Au-delà de ce contrat, il devait retrouver Zaahrian et le ramener avec lui. Guilin voulait savoir ce qui lui était arrivé et si ça impliquait se rendre jusque là-bas sans avoir la certitude de pouvoir rentrer, il le fera. N’ayant rien de plus à ajouter, le semi-elfe inclina légèrement la tête. « C’est parfait, je peux me mettre en route. Considérer déjà cet homme comme mort. » En redressant la tête, une étrange lueur brillait au fond de ses yeux, du genre que l’on voit chez un homme qui a si souvent vu la mort en face qu’elle le laissait indifférent. Pire encore, il semblait même se délecter à l’idée de prendre une vie. L’impression dura qu’un bref instant avant qu’il ne reprenne son masque d’impassibilité. Lorsqu’il eut l’argent et la carte en poche, Guilin laissa l’elfe pour prendre la direction du port où il réserva immédiatement une place sur un bateau. Le plus loin où il pouvait se rendre était un endroit appelé Sybrondil, car la guerre imminente l’empêchait de pouvoir s’approcher plus de sa destination. C’était toujours mieux que rien. Sur le pont du navire, il regarda Thaar peu à peu s’éloigner en se demandant s’il y remettrait un jour les pieds.