Besoin d'air ! [pv Louis]

6ème jour de la 4ème énéade de Barkios, 10ème année du 11ème cycle.

Si le message venu de Missède et porté par cette farouche Emilie était un souffle de bienfait incroyable, une idée avait taraudé dans l'esprit d'Aliénor depuis qu'elle avait assisté au Conseil de guerre quelques jours plus tôt. Depuis lors, elle s'était affairée à rendre son idée possible et d'ici demain elle en connaîtrait le résultat et saurait si elle est réalisable ou non. Le geste missédois avait simplement terminé de la convaincre que c'était la chose à faire.

Depuis quelques temps, Aliénor n'était plus heureuse mais cela n'était en soit un secret pour personne. Plus encore, elle tournait comme un lion en cage, ce qui risquait de poser des problèmes un jour ou l'autre. Plus que la frustration d'être rejetée, c'était avoir à être le témoin silencieux de ce qui lui faisait le plus profondément de mal qui était tout simplement insupportable. Elle devait y mettre un terme et faisait tout pour depuis ce jour. Ce jour du Conseil où elle avait bien compris ce qui se tramait sous le nez de tous, ce jour où Louis de Saint-Aimé avait perdu en quelque sorte son âme. Elle ne le reconnaissait plus et si en tant que vassale, elle avait peur pour la direction politique que prendrait la régence sous une telle influence, en tant que femme amoureuse la vue de celui qu'elle aimait faire semblant de ne pas être entiché d'une autre alors qu'il était plus que lié à elle était tout bonnement insupportable. Savoir qu'elle allait devoir supporter ça durant tout le reste de la campagne était au-dessus de ses forces.

Ainsi, elle avait écrit une missive des plus courtes un peu plus tôt dans la matinée à son intention qu'elle avait fait porter au jeune cervidé par l'un de ses hommes. Elle requérait une entrevue avec le régent de Sainte-Berthilde afin d'évoquer une question importante. Elle lui avait donné rendez-vous dans un coin qu'Aliénor avait pris en affection à l'occasion de ses balades à cheval quotidiennes. Il s'agissait d'un amas de rochers dans un sous bois. Là ils seraient seuls et tranquilles pour évoquer ces questions à l’abri de regards indiscrets. Elle ne voulait pas encore qu'une dispute éventuelle se déroule publiquement. La dernière leur avait semble-t-il suffit.

Prétextant sa balade habituelle, elle prit sa monture et partit chevaucher jusqu'au lieu de rendez-vous fixé. Elle espérait que le régent du marquisat de Sainte-Berthilde comprendrait que de se voir en un lieu choisi par ses soins l'aiderait à faire face à la situation et qu'il ne s'en offusquerait pas ni qu'il se sentirait quelque peu convoqué par la dame. Chevaucher lui faisait du bien et emplir l'air à plein poumons l'aidait à lutter contre le stress que provoquait une telle entrevue pour elle.

Une fois arrivée dans cet endroit tranquille, elle constata qu'elle était la première sur les lieux. Elle attacha donc son cheval avant de s'adosser à l'un des rochers et de fermer les yeux. Ecouter la nature, toute la vie dont regorgeait le sous-bois, les animaux qui faisaient leur vie et qui s'inquiétaient de savoir si elle était plutôt amie ou ennemie, l’apaisait. C'était vraiment un lieu où elle aimait se ressourcer, ce qui en ce moment n'était pas du luxe. Elle se ressourçait ainsi lorsqu'elle entendit les sabots d'un cheval au loin se rapprocher. Elle ne bougea pas d'un pouce et laissa son visiteur s'annoncer de lui-même et rompre ainsi le silence ou venir à ses côtés et le partager un instant.

« Entrez. » Répondit sèchement le régent, à l’écho d’un coursier s’étant annoncé au pan de sa porte. Ce dernier chassa du revers de la main les pesantes toiles qui clôturaient l’intimité du Cerf. Là dans la tente, l’estafette retrouva sur la grand table, éparpillés par dizaines, des rapports, cartographies et au sommet de cette prépotente paperasse, une maquette grossièrement montée des environs. Derrière cet amas bordellique, se redressa à sa venue le Régent de Saint-Berthilde, venant croiser sagement à son dos ses deux mitaines.

« Adoncques, monsieur. Que puis-je pour vous ? » Sans autres ambages, les yeux abaissés de déférence, le messager sortit de son ample manche une lettre non-officielle, dont le sceau de cire manquait, mais dont l’écriture ampoulée rappelait celle d’une femme. Son cœur manqua un battement, lorsqu’il crut cette attention grattée des mains de son aimée. Souffrait-il seulement de problème cardiaque, pour que son cœur lui octroie une crampe seconde, alors qu’il prit connaissance du réel auteur ? Piqué au vif de curiosité, il renvoya le jouvenceau de ses appartements pour dévaler des yeux le bout de vélin. Il appréhendait la véhémence de la pauvresse et goûtait pratiquement d’ores et déjà la toxicité des mots qu’il y verrait.

Sa curiosité étanchée, c’est tout penaud que le régent s’affaira à replier le message en silence. En saligaud, il avait poignardé sauvagement le cœur de sa vassale et avait perdu au change, un peu de lui-même. En retour, que faisait-elle, elle ? Elle le conviait, non poliment, mais sans faire montre d’irrespect. Était-il seulement possible à ce point qu’il en refuse l’invitation ? Certes pas, point après ces heures d’insomnies à ruminer ses acariâtres agissements récents. Il prit un bon respire, puis décida d’acquiescer à cette requête en y faisant acte de présence.

Pour la cause, il s’approcha de l’une de ses huches pour en soulever le couvercle et ainsi, farfouiller à la recherche de quelques vêtements qui sauraient remplacer les guenilles qu’il avait pris en affection depuis le début du siège. Il enfila un surcot monté d’une teinte verdâtre-foret, portant à la taille quelques dorures rayées. Un vêtement somme toute bien sobre, mais qui ne manquait pas de rappeler de son statut nobiliaire. Ses braies quant à elles, amples, étaient noircies de pigmentation et masquaient le début de ses lourds bottillons. Ainsi, son accoutrement le rafraîchissait drôlement! Hélas, les preuves de son éreintement pendaient toujours sous ses yeux, de même qu’un teint plus pâlot ponctuait son faciès poilu. Depuis Velteroc, aucun rasoir n’avait rencontré son chemin, si vrai que certains se demandaient parfois s’il était le même jouvenceau qui quitta il y a pratiquement deux mois sa précieuse Cantharel. Au moins ne l’agaçait-on guère sur son teint blême, pouvant aisément jeter le blâme sur ses journées alourdies de tâches.

Monté au sommet de son palefroi, c’est d’un trot lentement cadencé qu’il se dirigeât à l’endroit prévu. Il n’eut guerre temps de s’éloigner complétement des installations militaires qu’il s’approcha déjà du point de rendez-vous. S’attendait-il à se faire poivrer ? Totalement. Il allait la laisser se vider le cœur, il serait pour sa peine un exutoire et en prendrait le blâme en son entièreté. Le moment était venu, il tourna le coin, fit freiner son canasson puis trouva le sol des talons. Une caresse seule était réservée à son compagnon, avant d’aller le nouer près de celui d’Aliénor.

« Aliénor … » Il abaissa la tête légèrement, la saluant brièvement, mais surtout, laissait voir qu’il était prêt à encaisser.

Aliénor resta quelques temps dans le silence, écoutant les pas du cheval soudain rompre le souffle du vent puis les deux pas du berthildois toucher lourdement terre et ensuite s'avancer.

Dans une autre vie, ils se seraient retrouvés pour vivre quelque amour courtois, se compter fleurette, parler de ce qu'ils aiment, partager des moments heureux. Dans une autre vie, il n'aurait d'yeux que pour elle et elle pour lui. Elle ne serait pas fiancée ou alors si mais à celui qu'elle aime. Roderik serait revenu d'entre les morts et aurait repris en partie sa place tout en lui laissant le soin de représenter Wenden qu'il lui aurait laissé. Dans une autre vie, il lui aurait proposé de continuer la campagne à ses côtés. Dans une autre vie tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais au fond, ça aurait été une vie sacrément chiante à vivre que celle là. A la place, son frère était mort noyé alors qu'il partait en mission. On lui avait forcé la main pour éviter une guerre civile à s'engager dans un mariage qu'elle ne voulait pas. Elle régentait les terres de son neveu sans être non plus totalement chez elle. Elle se battait tous les jours pour faire oublier sa condition féminine. Et pour finir l'homme qu'elle aimait était épris d'une autre. Autrement dit, quelle vie de merde !

Toutefois, elle était une Wenden, une battante et comme ce fut le cas lorsqu'ils avaient perdu leurs terres, elle ne lâcherait pas et irait reconquérir une par une les pans de sa vie où elle avait déserté ou qu'elle avait perdu.

Ainsi l'apaisement commençait à la gagner quand la voix du régent du marquisat de Sainte-Berthilde prononça (chose qui n'était pas habituelle) son prénom. Elle ne savait pas vraiment quel message il voulait lui faire passer ainsi. Etait-ce qu'ils étaient à ce point intimes désormais qu'ils s'appellent par leurs prénoms ? Elle ouvrit tout doucement les yeux, comme imprégnée d'une sérénité intense et les posa sur l'être aimé qui pourtant lui avait fait tant de mal et contre qui elle ressentait une intense rancoeur. Elle était ici dans son élément et se sentait assez bien pour entretenir cette conversation à ce moment précis. Elle remarqua qu'il avait changé ses vêtements habituels, qu'il n'avait pourtant pas quitté semble-t-il depuis Velteroc disait-on. Aliénor n'en savait rien à vrai dire puisque ça faisait précisément depuis ce moment qu'elle l'évitait et qu'elle faisait tout pour ne pas se retrouver en sa présence. Elle avait même envoyé un de ses vassaux pour la représenter à la plupart des réunions, excepté au Conseil de guerre qui se faisait en présence du sénéchal du royaume. Toujours est-il qu'il avait l'air plutôt bien habillé pour l'occasion. Elle ne savait pas trop s'il voulait ainsi lui témoigner de l'importance ou au contraire appuyer son rang et donc sa supériorité sur sa vassale. S'il avait dû apprendre une chose des derniers évènements c'est qu'elle accordait beaucoup plus d'importance à l'un qu'à l'autre au fond de son coeur.

Aliénor se redressa et fit une courte révérence. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien en avoir à faire des convenances en ce moment ? Rien. Elle remarqua que Louis de Saint-Aimé semblait surtout en pénitence, comme s'il s'attendait à ce que l'escarmouche qu'avait constitué leur dernière conversation se poursuive aujourd'hui. Elle crut bon lui donner immédiatement le ton des choses et prit la parole la première. Les mots sortirent de sa bouche avec un calme des plus absolu. Un calme qu'elle ne s'était encore jamais connu. Peut être était-ce dû au sentiment de ne plus rien avoir à perdre ?

- Je ne cherche pas la querelle Louis. J'ai découvert le poteau rose et donc je sais tout. Je souhaite simplement vous informer qu'à l'heure qu'il est, demain, je serai loin d'ici si le sénéchal du royaume me le permet. Je ne serai ainsi plus un poids pour qui que ce soit, ni pour Arnaud, ni pour mes hommes et encore moins pour vous. Vous serez libre de vivre cet amour auquel vous semblez tant tenir, comme vous le souhaitez avec la Baronne d'Alonna sans craindre dorénavant mes réactions ou encore ma présence. Je ne serai plus. Mon ost restera à vous aider dans le siège de Chrystabel et sera commandé par Arnaud de Stern mon sénéchal. Je doute que vous ayez besoin de moi car tout passera par lui dorénavant. Il ne me reste plus qu'à vous dire adieu car il en va sans doute mieux ainsi.

Aliénor s'était montrée des plus claires et sa décision était visiblement prise et ne laissait que peu de place à un quelque opposition de la part du berthildois s'il venait à lui prendre l'envie de jouer les seigneurs. Elle avait soutenu durant tout ce temps le regard bleu remplis de fatigue et de tristesse qui n'osaient pourtant pas affronter son regard. Voyant qu'il restait silencieux (sans doute pour digérer le flot d'informations importantes à prendre en compte qu'elle avait réussi à lui débiter en une seconde), elle ajouta tout en marchant d'un pas allant vers son cheval, passant ainsi juste à côté de lui.

- Si vous n'avez plus rien à ajouter je pars organiser les préparatifs de mon départ.

Aliénor n'avait pas atteint son cheval qu'une main ferme mais douce à la fois avait pris comme dans un réflexe, son bras pour l'arrêter dans son élan alors qu'elle était arrivée au niveau du jeune régent berthildois. Aliénor alors releva la tête et plongea pour la première fois depuis leur dispute ses yeux dans ceux de Louis de Saint-Aimé. C'est alors qu'elle remarqua combien il avait mauvaise mine (quoi que la sienne n'était pas tellement mieux), camouflée sous cette barbe hirsute qui semblait vouloir s'évertuer à faire ressembler un jeune homme à un homme d'expérience et plein de virilité. Un homme qui n'était pas le Louis qu'elle avait appris à connaître à Sainte Berthilde et à Erac. Un homme qui n'était pas celui qui avait peu à peu gagné son coeur. Un homme qui n'était pas lui tout simplement.

Il la retint d’une main à l’avant-bras.

Ainsi elle avait trouvé la force de surmonter sa hargne envers la bête qu’il fût lors de leur dernière escarmouche. Ou du moins s’était-elle entendue à réprimer son envie de cracher à sa figure tout son fiel, de sorte à réajuster les pendules à l’heure. C’est ce qu’elle fit à peu près, bien que l’annonce ne manqua guère de surprendre le jeune régent qui en montra toute sa stupéfaction d’un haussement de sourcil des plus expressif. S’il eut désiré interrompre à quelques moments, tant la nouvelle lui sembla invraisemblable, il n’en fit rien ; par respect pour celle qu’il avait tantôt tellement offensé. Ne méritait-elle pas obtenir le dessus sur cette discussion, après la droite qu’il lui avait asséné au visage ? Il s’assura du coup que ses lèvres restent bien cousues l’une contre l’autre tout le long de ce monologue d’une âpre saveur.

Quelques chose toutefois l’agaçait. Pourquoi devait-elle mander permission au Sénéchal afin de prendre le large ? Ne demandait-on guère à tous les vassaux seulement de faire acte de présence de leurs hommes et de commandants ? Si elle avait parcourue ces lieux aux devants de ses piques Arétannes, c’est bien car elle avait quelque chose à prouver. Aujourd’hui, elle se détournait de ce but qui lui était si cher et ceci qu’à cause de lui. Quelque part, plus encore que ce coup à la figure qu’il lui avait fait bouffé, il s’en voulait. D’abord ses sentiments, maintenant ses ambitions, il les lui avait tous arrachés cruellement d’une poignée rêche. Une boule d’amertume lui resta prit dans la gorge et, elle passant encore moins bien que le premier homme dont il avait écourté l’existence. Elle était la première femme à subir de ses mauvais soins et les blessures qu’il lui avait administré ne manquaient de profondeur … Or, non seulement ne savait-il guère comment il y était parvenu, mais ne savait encore moins comment cautériser ce genre de meurtrissure … Un cœur assombri n’a de baume que le temps.

« Avant que vous ne quittiez, comprenez ceci : jamais n’ais-je voulu vous blesser, Aliénor. Si je me suis montré rude voir même violent et offensant, je n’en pensais rien. Vous fûtes la première à me faire montre d’une telle affection et croyant qu’il vous serait moins douloureux de croire vain cet amour, j’ai de suite tenté de vous faire comprendre l’absence de sentiment envers vous. En réalité, vous dites juste, mon cœur appartient effectivement à une autre et elle en détient tous les battements. Néanmoins, il me faut vous dire que j’entretiens pour vous un profond respect duquel j’ai toujours souhaité y voir naître une amitié sincère et véritable. Nos deux pays se sont tirés les oreilles trop longtemps pour que cela ne dure encore plusieurs années. Lorsque je vous ai aperçue pour la première fois, là, j’y ai vu une femme qui ferait bouger les choses, envoyée par la DameDieu pour y apporter sur nos terres cette paix que tous espèrent. Ce jourd’hui, j’ai moi-même œuvré à ce que cette paix s’en voit compromise de mes mots outrageux et pour cela, je vous demande le pardon. » Il relâcha son bras, lui redonnant de sa liberté.

« Je puis concevoir que cela soit bien quinteux pour vous d’adhérer à ces excuses. Sachez seulement que si vous tournez le dos à ces mots sincères, sortis droit du cœur, ils tiendront toujours demain.Et le jour d’après, jusqu’à ce que vous en trouverez la force. »

Il la retint certes, mais ce ne fût que pour mieux la laisser partir.
Elle devait voyager, prendre du recul, panser ses plaies à son rythme …


« Aliénor … » Il abaissa la tête légèrement, la saluant brièvement, mais surtout, laissait voir qu’il était prêt à encaisser.

« Avant que vous ne quittiez, comprenez ceci : jamais n’ais-je voulu vous blesser, Aliénor. Si je me suis montré rude voir même violent et offensant, je n’en pensais rien. Vous fûtes la première à me faire montre d’une telle affection et croyant qu’il vous serait moins douloureux de croire vain cet amour, j’ai de suite tenté de vous faire comprendre l’absence de sentiment envers vous. En réalité, vous dites juste, mon cœur appartient effectivement à une autre et elle en détient tous les battements. Néanmoins, il me faut vous dire que j’entretiens pour vous un profond respect duquel j’ai toujours souhaité y voir naître une amitié sincère et véritable. Nos deux pays se sont tirés les oreilles trop longtemps pour que cela ne dure encore plusieurs années. Lorsque je vous ai aperçue pour la première fois, là, j’y ai vu une femme qui ferait bouger les choses, envoyée par la DameDieu pour y apporter sur nos terres cette paix que tous espèrent. Ce jourd’hui, j’ai moi-même œuvré à ce que cette paix s’en voit compromise de mes mots outrageux et pour cela, je vous demande le pardon. »

Lorsqu'il lâcha enfin son avant bras, elle fit alors quelques pas en arrière et se laissa le temps de complètement assimiler tout ce qu'il lui avait dit. Ainsi donc il s'excusait pour la violence de ses propos mais pas forcément en soit pour les avoir tenus. Alors à quoi avait donc rimé toute cette mascarade entre eux ?

- Mais Louis, si certes en tant que régente je souhaite également autant que vous l'apaisement entre nos deux pays et une franche amitié entre nos peuples, plus personnellement je souhaite être bien plus que votre amie. Vous aviez pourtant tant semblé y adhérer vous-même à nos rencontres, au bal mais également après à Erac... Ces moments tellement agréables passés ensemble n'ont fait que nourrir ce que je ressens pour vous aujourd'hui et je vous avoue que jusqu'à maintenant, j'étais convaincue que vous nourrissiez les mêmes égards envers moi. Je pensais que si vous aviez tardé dans vos projets de mariage avec l'une des soeurs du sénéchal de Brochant, c'était parce qu'au fond vous souhaitiez me proposer un tel projet. Pourquoi m'avoir retiré ainsi soudainement votre affection?

Aliénor marqua une pause et se retourna, faisant alors dos au berthildois. Elle n'attendait pas en soit de réponse à sa question qui était pour le coup, plutôt rhétorique. Elle était désormais pleine de doutes et revivait tous les moments partagés. Elle dit d'une voix faible. Elle souhaitait en soit, lui rappeler l'homme qu'il était. Un homme qu'elle avait appris à aimer et qui avait sans doute commencé à l'aimer en retour. Peut être suffirait-il pour lui de s'en souvenir afin de créer une brèche dans cette carapace que la Veuve noire avait tissé autour de lui ? Une carapace qui commençait à l'étouffer et à le pourrir de l'intérieur vu l'immense conflit intérieur qu'il semblait vivre en ce moment.

- Je m'excuse Louis, j'aurais dû vous embrasser le soir du bal, lorsque vous m'avez raccompagnée à mes appartements mais en vérité, j'avais peur que ce ne soit pas ce que vous vouliez également et de vous froisser comme je l'ai finalement fait à Velteroc. J'en mourais d'envie mais j'avais trop d'amitié pour vous pour risquer de vous perdre. Je pensais qu'avec le doux baiser que j'ai déposé sur votre joue, vous comprendriez combien vous êtiez unique et cher à mes yeux ainsi qu'à mon coeur déjà. J'étais convaincue que vous en auriez compris la signification et d'avoir ainsi une autre occasion ou que vous viendriez tout simplement à moi... Quand j'osais enfin, vous étiez devenu un autre. Un homme que je ne reconnais plus du tout. Je ne suis même pas sûre au fond que vous vous reconnaissiez vous-même. Toutefois si je puis me permettre un sage conseil, il est de notoriété qu'un garçon devient un homme grâce à la femme qui se trouve à ses côtés. Si vous n'aimez pas l'homme que vous devenez et vu votre état, je ne doute pas que ce soit le cas, c'est que vous êtes sans doute mal accompagné.

Une larme nostalgique perla sur la joue de la jeune femme où désormais régnait une légère cicatrice, celle qui fut provoquée par le coup qu'Arnaud lui avait porté. Elle se distinguait à peine mais elle était en revanche lourde à porter. C'était le poids de sa liberté, celui d'une éventuelle guerre avec les sternois. Mais ce qui était le plus révélateur c'était l'ombre de tristesse que l'on pouvait lire dans ses yeux depuis l'escarmouche. En soit, elle avait bien compris qu'il n'était plus lui-même car en d'autres temps, jamais Louis de Saint-Aimé ne se serait ainsi adressé à elle. Il fut un temps ou peut être même, il aurait accueilli avec un grand plaisir ces aveux d'amour qu'elle lui avait fait quelques semaines plus tôt. Ainsi, la joie de vivre qui avait toujours été la sienne avait cédé la place à la tristesse car elle était tellement triste à l'idée de ne pas réussir à faire revenir le Louis qu'elle avait appris à connaître et dont elle était tombée amoureuse. Elle avait peur que l'amour qu'elle lui portait n'était pas suffisant pour surmonter les intrigues de la Veuve Noire qui l'éloignait de lui. Elle approcha alors de son interlocuteur et prit avec douceur et tendresse ses mains abimées par la guerre dans les siennes. Elle les caressa avec amour sans aller plus loin ni sans chercher cette fois, autre chose que ce doux contact entre eux, tout en lui avouant par ces mots.

- Je vous remercie beaucoup pour vos paroles d'excuse. J'ai bien conscience que vous n'étiez pas vous-même Louis. Toutefois il est trop tôt pour les accueillir et vous accorder mon pardon, je vous pardonnerai avec le temps. Louis, ne pensez pas que mon amour pour vous n'est qu'une amourette de jeune fille inexpérimentée. Je suis bien plus mature que vous ne le pensez, vous le savez bien au fond de vous. C'est au contraire un amour sincère et profond que j'éprouve pour vous et qui me hante désormais. Je souhaite avant tout votre bonheur et c'est la raison pour laquelle je m'efface. Toutefois un jour vous voudrez redevenir vous-même et lorsque ce jour arrivera faites moi la faveur de vous souvenir que l’aveu des sentiments profonds que j'éprouve pour vous était des plus sincère hier mais il le sera tout autant demain et le jour suivant, jusqu'à ce qu'un jour vous vous souveniez de moi. Et ce jour, si vous souhaitez venir enfin cueillir cette fleur pure que je vous ai offerte à Velteroc, elle vous sera toujours offerte.

Aliénor déposa un doux baiser emplis d’amour et de tendresse sur les mains chéries qu'elle avait eu l'occasion une fois de tenir vraiment dans les siennes et de caresser comme elle aurait toujours voulu le faire sans jamais l'avoir osé jusque là. Ce baiser n’était pas un adieu mais l’espoir qu’il ne s’agissait que d’un au revoir. Puis elle les lâcha et commença à se diriger vers sa monture, regarda une dernière fois un Louis de Saint-Aimé en piteux état avant de lancer sa monture au galop et de quitter les lieux, le coeur serré.