Besoin de parler, besoin de soutient. [Taurë]

Cela faisait maintenant plusieurs années que Lùthien perdait goût à la vie. Sa fille était devenue une femme, belle, responsable, qui savait profiter des jours qui passent sans arrêt. Depuis l'intervention de la Déesse, Lùthien ne savait plus quoi penser, ne savait plus quoi faire. Les elfes des bois ne supportaient plus les elfes des pierres, et vice-versa. Une tension régnait, une tension que Lùthien ne savait plus gérée. La protectrice était demandée sur tous les fronts. Toutes ces responsabilités qu'elle ne pouvait plus supporter. Non pas par agacement mais par fatigue mentale. Ses conseillers ainsi que ses plus proches amis la voyaient descendre de plus en plus profondément dans la mélancolie. Pour améliorer la situation, ils firent appel à une gardienne qui pourrait certainement répondre à ces questions. Soulager sa peine. Elessar lui manquait plus que tout. Et cela se voyait de plus en plus. C'est donc par une belle matinée que Lùthien décida d'aller se promener dans ses jardins. La journée se promettait d'être ensoleillée, elle s'accordait donc une journée de "congé". On vint alors la prévenir que la gardienne était arrivée.

Lùthien se dirigea donc vers sa salle de conseil. S'installant dans un de ses salons, attendant avec impatience la gardienne. Même si cela ne l'amusait pas d'être fouillé à la loupe, une conversation ne pouvait pas faire de mal. Les gardes accueillirent donc la gardienne puis la conduis vers Lùthien. Une fois entré dans le salon, elle fut présentée.

Ma Dame, voici la gardienne de Kÿria, Taurë.

Lùthien se leva et se dirigea vers la femme. Lui prenant la main tout en s'adressant à elle.

Je suis heureuse de vous rencontrer. Je vous ai si longuement attedue. Je vous en prie, prenez place. Avez-vous fait bon voyage?

Lùthien se réinstalla à nouveau, se forçant à montrer un léger sourire.

La Forêt avait murmurée à la Gardienne, et le chant s'était vu accompagné de quelques envoyés portant une missive orale. Lorsqu'on désirait trouvait Taurë, rien n'était plus facile. Il suffisait de se laisser guider par le Chant, ou alors lui murmurer à lui, qui alors s'octroyait le rôle de messager. Rapidement le chemin était fait, et la Gardienne dispensait son aide. C'était à présent ce qu'on lui demandait, en Tethien dans le Nord de l'Anaëh, où la Protectrice des lieux avait requise son arrivée dans les plus brefs délais. Le message était porteur de détresse, et c'est dans une grande hâte que l'ancienne Conseillère s'était mise en route, pour finalement arriver aux aurores à la lisière de la ville.

Elle fut accueillie comme on accueillait les plus hautes personnalités, et les manants venaient s'incliner devant elle, toucher ses vêtements, ses mains, sans pour autant l'offusquer, car tous connaissaient le tempérament de la Nature. Rapidement, la foule fut scindée par des gardes qui vinrent, dans la plus grande douceur empreinte de respect, guider la Gardienne victime de cécité à la Protectrice. Elle fut annoncée, comme le protocole l'exigeait, et ce fut une voix de femme qui lui répondit. Douce, suave mais ferme, témoignant d'une certaine expérience. Lui prenant la main et s'adressant à elle pour la première fois, la Gardienne répondit par un franc sourire. Elles prirent place, et d'un regard jeté aux alentours, il était aisé de comprendre que la Gardienne désirait être seule avec l'hôtesse.

« Comme un voyage de Forêt, en compagnie des Arbres et de ceux qui la peuplent. Mais vous ne m'avez pas fait venir pour parler de l'Anaëh, je gage, ou du moins, pas directement...le Chant peut être porteur et révélateur de nombreuses choses, et ce que j'ai entendu ressemblait à de la détresse. Que puis-je pour vous, Fille de la Mère ? »

La gardienne était arrivée à bon port. Escortée dans une ville qui l’accueillait chaleureusement et respectueusement. Il ne fallait pas s’attendre à d’autres comportements par rapport à la population de Tethien. Même si la déesse avait dévasté la ville, ces habitants n’en avaient aucune rancœur. C’est donc ainsi que la Dame fut accueillie et menée tout près que Lùthien. Une fois que les femmes furent installées, le ton était donné. La gardienne avait ressenti l’appel de la protectrice. Elle avait ressentie sa détresse qu’elle essayait pourtant de cacher au plus profond d’elle-même. Décidément, la forêt était un messager à lui tout seul.

« La forêt vous a fait venir à moi et c’est pour une bonne raison. Je ne sais vraiment pas par où commencer. Je n’ai plus goût à rien. Je perds mes forces, je me sens vide, fatiguée, essoufflée par moment. J’ai l’impression que la vie ne veut plus de moi et qu’elle me fait comprendre qu’il est temps pour moi de m’en aller voir notre mère. C’est l’impression que j’ai terminée tout ce dont on attendait de moi. Mon cœur ne peut plus supporter son l’absence, je le crains. Je n’y arrive plus. Il ne me quitte plus. »

Lùthien marqua une pause, fixant du regard un coin de la pièce, s’y perdant un moment. La protectrice commença à trembloter. Elle en pouvait plus de ce chagrin qui la rongeait de plus en plus. En temps normale, elle était entourée de sa fille, mais depuis qu’Itarillë était devenue la Dame d’Elrioden, les deux femmes ne se voyaient quasi plus.

« La forêt me punit-elle pour les erreurs que j’ai commise ? Pouvez-vous me guider sur ses intentions à mon égard ? J’avoue que je ne sais plus quoi penser. Je ne sais plus quoi faire. »

Dit-elle avant de regarder la Gardienne avec une lueur de détresse dans son regard. Elle espérait pouvoir sortir de cette mélancolie par tous les moyens possibles.

Rare étaient les personnes qui venaient à se confier ainsi à Taurë. Mais aujourd'hui, elle ne serait pas Taurë, mais la Gardienne. On avait requis sa présence, pensant ainsi qu'elle pourrait soulager une peine croissante d'une âme usée. L'Elue prit une longue inspiration, fermant doucement les yeux. Elle n'était pas sans coeur, contrairement à ce que l'on aurait pu croire. Et voir une Elfe, protectrice de surcroît, en appeler ainsi à l'aide, se rappelant dans les pires moments que seule la Mère pouvait changer le cours des choses, cela toucha Taurë au plus profond d'elle même. Après avoir pris une longue inspiration, les émeraudes vides de l'Elfe se tournèrent vers l'hôtesse des lieux et du palais, et elle murmura presque, sur un ton conciliant et bénédictin.

« La Forêt ne vous punit point, Protectrice. Si la Mère jugeait nécessaire de vous rappeler auprès d'elle, ce n'est pas avec moi que vous auriez cette conversation, mais avec Elle. Vous avez encore un rôle à jouer pour vous même, et pour tous ceux qui croient en vous. Comme la Mère a placée ses espoirs en vous, votre peuple a suivi Son exemple. »

Taurë marqua une pause. Il n'était pas étrange de voir les Elfes les plus âgés, ceux dont les yeux témoignaient non seulement de leur grand âge, de leur expérience, mais également des choses dont il avait été les spectateurs, ces Elfes là devenaient souvent des être mélancoliques et nostalgiques. Souvent, l'Être cher n'était plus là pour être garant de leur bonheur, et souvent le temps ne tardait pas à conclure l'office d'un suicide, afin de trouver la paix.

« Nous traversons tous des heures sombres, Protectrice. Souvent nous nous croyons vidés. Mais même dans les heures les plus sombres, où tout semble nous abandonner, gardez à l'idée que la Mère est toujours là, et que si vous l'êtes également, c'est qu'elle juge que vous avez encore votre rôle à jouer pour Son Œuvre. »

*Elessar... Pourquoi me fais-tu tant souffrir Elessar ? Pourquoi ne me laisses-tu pas finir ce que la Mère a prévu pour moi ? Laisse-moi encore un peu de temps Elessar. Je te rejoindrais, dès que ma mission sera achevée. Elessar, je t’en conjure, donne-moi encore du temps...*

Perdue dans ses pensées, voilà comment était Lùthien une fois que la Gardienne avait terminé de s’adresser à la protectrice. C’était un souhait, un souhait que Lùthien adressa directement à son défunt mari. La Gardienne avait raison, il n’était pas encore l’heure. Il fallait qu’elle tienne le coup. La Mère avait encore des choses de prévue pour elle. Même si ces choses n’étaient pas dévoilées, il n’était pas encore l’heure de renoncer, de se lamenter ou encore de perdre la raison. Cette Gardienne avait entendu son appel, elle avait senti sa détresse et avait fait le déplacement, juste pour la soulager dans sa peine. La soulager de ses maux. Elle se devait de lui rendre ce qu’elle lui avait si gentiment donné. Mais Lùthien gardait néanmoins des interrogations dont elle ne trouvait pas les réponses. Elle espérait que la Gardienne pouvait lui donner quelques réponses, ou du moins quelques pistes qu’elle pourrait suivre.

« Notre Mère ne me punit-elle donc point ? Pourquoi ai-je donc ce sentiment ? Pourquoi est-ce que je ressens que de la négativité dans tous mes actes ? Je suis perdue… On doit sans cesse me remettre sur le droit chemin. Je suis vraiment navrée de vous poser autant de questions. Je ne suis plus sûre de rien. Dois-je prier d’avantage Notre Mère ? Dois-je me soucier d’autres choses que mes principales tâches ? Croyez-vous qu’il est temps pour moi de laisser ma place et de m’abandonner entièrement à la forêt ? »

Lùthien avait déjà envisagée cette solution. Sa fille était prête à s’occuper du Protectorat. Alors pourquoi devait-elle continuer ainsi ?

« Croyez-vous que cela offusquera Notre Mère si j’abandonne tout simplement mes fonctions ? »

La protectrice espérait être éclairée avec l’aide de la gardienne. Il fallait avouer que Lùthien n’avait assez de la politique.

« Si la Mère devait s'offusquer dès que les Elfes commettaient des actes qui ne lui plaisaient pas, soyez assurée que les choses ne seraient nullement comme elles le sont actuellement. Notre Déesse ne souhaite pas que vous laissiez votre siège vacant. Cependant, elle désire le meilleur pour Ses enfants, et si votre bonheur doit passer par votre abdication en tant que Protectrice, qu'il en soit ainsi. Le tout est de savoir si cela est la réelle raison de votre malheur. Avez vous pensé à votre peuple ? Votre mal-être puise probablement ses racines dans plusieurs endroits. Si vous estimez que votre charge de protectrice en est un, alors quittez-la. »

La Gardienne ne pouvait dispenser de meilleurs conseils. Manifestement, la Protectrice manifestait un cruel sentiment de désapprobation dans ses actes, et si l'assurance de Taurë qu'il n'en était rien ne suffisait pas, rien ne pouvait la convaincre du contraire. La Mère n'avait pourtant pas fait part à sa Gardienne de sa volonté de retirer la Protectrice en question de l'échiquier politique Elfe. La Forêt quand à elle ne murmurait nullement sa désapprobation à son encontre. Mais il était des choses dont seule Kÿria était détentrice des clés de lecture. La Gardienne repensa au suicide soudain d'une protectrice peu avant, et ne put s'empêcher d'éprouver de la pitié et du dédain pour cette lâche qui avait préférée mettre fin à ses jours plutôt que de chercher remède au problème.

En ces points, Taurë fut reconnaissante à l'encontre de son hôte du moment d'avoir cherchée à la joindre afin d'y trouver une réponse. Encore fallait-il constater par le temps si celle que la Gardienne apportait était celle que la Dame recherchait. Etait-elle en quête d'une vérité dure à entendre, ou ne cherchait-elle par Taurë qu'une phrase lui prouvant qu'en effet, elle n'avait plus qu'à laisser son trône, et ainsi partir en sérénité ? Avait-elle encore la volonté de régner, ou ne cherchait-elle qu'un prétexte pour laisser la main ?