Kÿrianos de la 1ère ennéade de Fävrius
Onzième année du Onzième Cycle
Caserne de Daranovar
Ton corps entier n’est que braises ardentes, rougies par le sang y pulsant abondamment sans parvenir à calmer cette désagréable chaleur. Désagréable ? Tu l’aimes pourtant tellement cette chaleur. La sensation des fibres qui se déchirent, l’impitoyable combat contre l’épuisement, la douce brûlure, récompense des efforts de l’homme cherchant à entretenir sa force. La douce brûlure, qui finissait toujours par remporter la bataille. Un râle de douleur contenu, l’insupportable sensation que tes bras venaient d’exploser, et tu lâchais la barre. De ta chute, seul le tintamarre d’acier hurlé par les poids accrochés à tes jambes traduisait dignement la lourdeur. C’était fini pour aujourd’hui.
Tes mains chancelantes défaisaient péniblement les liens de ton lestage. Tes jambes toujours épuisées aux suites des exercices précédents peinaient à te soulever. Mais tu souriais. Tu souriais de l’un de ces sourires que seuls peuvent s’autoriser les vainqueurs. Tu souriais, roulais maladroitement des épaules, et une fois droit, tu te contemplais. Tu te contemplais comme l’on ne peut se contempler que loi des miroirs, tes propres mains courant de tes épaules vers tes poignets et de ta nuques jusqu’à tes cuisses. Malaxer ta propre musculature, encore gonflée et endolorie t’était moins agréable pour le soulageant massage que le geste était censé t’offrir que parce que le moment t’autorisait à te sentir puissant. Tout-puissant.
Une grande inspiration. Une grande expiration. Un pas en avant.
Tes épaules tanguent, autant à cause de la fatigue que dans un éhonté étalage de ton imposante personne.
Tu marches, lentement, le galbe de ton fessier, outrageusement épousé par tes collants perpétuellement resculpté par ton lascif déhanché. Tu marches, lentement, chaque fibre de tes jambes se dévoilant à travers le tissus, comme le font les muscles des beaux étalons à travers leur robe. Tu marches, lentement, laissant tout loisir à tes congénères de s’éblouir de la lumière du soleil couchant miroitant sur la pellicule de sueur glissant de ton puissant torse jusqu’aux profondes vallées sillonnant ton abdomen. Tu t’étires, tous les quelques pas, chassant les congestions de ta poitrine pour les envoyer dans tes bras, chassant les congestions de tes bras pour les envoyer dans ton dos, faisant rouler individuellement chaque muscle dans une ô combien fière démonstration de ce que tu venais d’accomplir. Parfois tes mains iraient jusqu’à chercher ton crâne, à attirer avec elles les regards vers ton visage. Et là, quand les paupières se retrouveraient forcées de ciller, coupées dans leur élan par ta mâchoire ciselée par les plus grands forgerons, tu sourirais de plus belle. Là tes yeux chercheraient les leurs, ton regard redoublerait d’intensité, et jusqu’à ce que la distance brise l’échange, tu les défierais, tous à la fois, sans craindre une seule seconde d’avoir à t’avouer vaincu. D’instinct, les yeux finiraient par se baisser, et tes doigts finiraient leurs trajets à travers les larges boucles d’une chevelure plus brillante que jamais, dont les reflets se paraient d’un léger mais tout aussi audacieux rosé.
Et s’ils étaient nombreux ceux que ce petit jeu poussait dans leurs retranchements, au moins trouvaient-ils réconfort dans l’idée de ne pas t’avoir croisé aux bains. Parce que si vous, les soldats de Daranovar n’étiez pas bien pudiques, nudité restait symbole de vulnérabilité. Ou du moins, le restait pour les autres.
Ta manière de nonchalamment te déshabiller, dans la plus hypocrite des innocences, d’exhiber aux yeux de tous ce que ces satanés collants avaient depuis longtemps dévoilé. Ta manière de rappeler à tous les mâles que tu portais
bien plus de masculinité qu’eux… même pour celui qui d’ordinaire accorde bien peu d’importance à ce genre de démonstrations de statut avait de quoi la trouver rageante.
Mais tu étais leur supérieur. Le Mainyth de Daranovar. Celui sur lequel pesait la responsabilité de leurs vies. Alors que pouvaient-ils y redire ?
Presque trois mois. Presque trois mois que cela durait. Mais pour eux, il valait mieux l’accepter. Parce que malgré tout, tous ces frères d’armes étaient tes amis. Ta seconde famille. Tous ces subordonnés étaient ta meute, et tu étais l’alpha. Et pour la meute, il valait mieux un alpha se rassurant dans des crises de narcissisme que le Commandant démoli par l’échec qu’ils avaient retrouvé il y a peu.
Artiön Laergûl se devait de marcher la tête haute.