Retour à Thanor (RP solo)

Assise à mon bureau, je fais crisser ma plume sur le papier sans interruption depuis presque une heure. Je suis lancée dans un passage assez épique de mon histoire, un de ceux qui seront appréciés par les dawis, contrairement aux histoires d'amour que j'affectionne tant mais que je dois me contenter de distiller à petite dose. Ecrire pour ses lecteurs ou son public plutôt que pour soit... ça a été une leçon difficile à apprendre. Comme bien d'autres d'ailleurs car on ne peut pas dire que je sois une tresse comme les autres...

Enfin bref.

Je suis tellement aspirée par mon récit que j'en oublie tout. Je pourrais bien manquer l'heure du dîner d'ailleurs, et ma mère viendrait me chercher pour me traîner jusqu'à la salle à manger en me tenant par l'oreille. Mais ça ne me préoccupe même pas pour le moment... Mes fesses sont collées à mon siège. Mon genou gauche se trouve près de ma tête parce que mon pied est lui aussi sur l'assise. Ce n'est pas vraiment ce qu'on appelle une position confortable pour écrire mais je suis bien comme ça. Je profite d'être plus souple que les autres pour prendre des postures parfois un peu bizarres...

Lorsqu'on frappe à la porte, je ne réagis pas. Pourtant, la lumière qui émerge depuis mon mini logis suffit à prouver que je suis bien là. Mais si mon visiteur insiste, je finirais par l'entendre et aller ouvrir. A moins qu'il ne s'invite à l'intérieur, comme le font mes parents et mes frères quand ils ne veulent pas attendre. D'ailleurs, la porte s'ouvre et, lorsque je découvre le visage de mon père dans l'ouverture, je lâche tout pour m'élancer vers lui et lui sauter au cou.

-Papa !!

Je me suspend à lui, cette manœuvre m'ayant demandé un petit saut pour parvenir à l'atteindre. Il faut dire qu'il est bien plus grand que moi et... beaucoup plus rond aussi. Après un petit moment passé ainsi à lui dire combien il m'a manqué, je me décroche enfin pour retrouver le plancher des béliers.

-Alors, ton voyage ? Kirgan est toujours aussi belle ? Et le roi, tu l'as vu ?!

Il a intérêt à m'arrêter parce que je peux durer comme ça longtemps...

Mon regard s'illumine devant l'ouvrage que mon père sort de son sac. Je m'en saisis avec délicatesse puis sautille sur place en découvrant de quoi il s'agit. Bon nombre de dawis diraient que ce n'est qu'un livre d'histoires mais, pour moi, c'est un véritable trésor. Et j'ai le droit d'en faire une copie pour le garder toujours !

-Rah, c'est malin ! Dis-je dans une exclamation contrariée avant de continuer. Maintenant, je vais pas savoir quoi faire entre commencer à le lire et continuer à écrire le passage de mon livre.

Je suis surexcitée par ces deux projets et je n'arrive vraiment pas à choisir. J'en ris tellement je suis joyeuse. On dirait une enfant face à un rêve qui se réalise. On risque de ne pas beaucoup me voir les prochains jours, voire le prochain mois à ce rythme !! L'ouvrage serré contre moi, j'attrape la main de mon père pour l'attirer à l'intérieur pour qu'il vienne s'asseoir tandis que je referme porte d'un geste du pied.

-Oh, 'pa ! Je suis restée bloquée sur mon ouvrage pendant des ennéades ! A en avoir des insomnies ! Et puis, j'ai eu une illumination ! Et depuis, je n'arrête pas d'écrire !

Je lui ai laissé ma chaise. Moi je me suis mise face à lui, en tailleur sur mon lit, le grimoire de Kirgan posé sur mes genoux. J'en caresse la couverture avec précaution.

-J'approche de la fin et je suis en plein milieu de la scène où le groupe affronte le sorcier fou ! Un mélange de combat, des mise en scène et ruse... Tout ça pour lui tendre un piège et lui prendre le cristal qui l'a rendu comme ça ! J'hésite encore à ce qu'il redevienne comme avant. Il pourrait se tuer en découvrant ce qu'il a fait dans sa folie, parce qu'il ne pourra jamais se racheter. J'ai peur que ça déplaise.

Je suis tellement prise par cette histoire que j'en oublie que je l'avais à peine commencée peu de temps avant le départ de mon père pour la capitale et qu'il n'a pas la moindre idée de ce que je raconte. J'aime bien lui parler de mes récits pour avoir le point de vue d'un nain qui rentre plus dans la norme que moi. C'est lui qui m'a fait comprendre que mes livres basés presque exclusivement sur une histoire d'amour ne feraient jamais mon succès. Il me gâte mais il sait aussi me parler avec assez de franchise pour m'aider.

J'écoute papa me délivrer ses conseils tout en étudiant la couverture du livre qu'il m'a confiée. Ma main passe dessus avec délicatesse, comme une caresse, et puis, presque involontairement, elle l'ouvre, me faisant découvrir la première page. De quand date l'ouvrage exactement ? Est-ce que celui qui a rédigé ces mots est encore vivant ? Ça me fascine d'imaginer la personne qui s'est penchée sur ces feuilles pour tracer ces lettres à l'encre fraîche. Aujourd'hui, elle n'est plus qu'un trait noir sur le papier. Elle a perdu toute son odeur. Tout ce que l'on sent, c'est le vieux livre fermé depuis des lustres et la poussière.

Le faire mourir pour de bonnes raisons. Pour réparer sa faute. Il me vient plusieurs raisons à l'esprit. L'idée que ce soit pour détruire sa propre créature me semble pas mal mais j'ai peut-être mieux en tête... Et si ce fameux cristal renfermait le Souffle d'un être malfaisant et que le seul moyen de l'envoyer dans le royaume des morts où est sa place était de tuer son hôte ? Attends, comment je justifie ça ?... Mais oui ! Il faut que l'âme de son hôte l'entraîne avec lui pour l'emmener jusqu'au Senarda des malfaits !! Son sacrifice est alors d'autant plus grand qu'il le fait tant dans la vie que dans la mort ! Et comme ça, ça devient logique !!

Mais j'ai à peine trouvé ma nouvelle inspiration que papa me tire de mes rêveries pour m'annoncer quelque chose. A peine aborde-t-il le sujet que j'oublie tout le reste. Le livre et mon roman, je les occulte soudainement pour relever les yeux vers lui. Il me parle de voyage et de la compagne de notre Roi que je pourrais rencontrer. D'abord, mon visage se fige. Puis j'exulte ! Je ferme l'ouvrage et le pose près de moi avant de sauter dans les bras de mon père, folle de joie ! Je l'assaille alors de mille questions pour savoir quand on part, avec qui, ce que je dois préparer, ce qu'on va faire, ce qu'on va voir... Je veux tout connaître, impatiente d'y être. Et au diable la surprise !

De toute façon, je ne suis pas connue pour mon sens de la mesure.