Invitation [Alanya, Louis]

Renaud n'avait pas été invité au mariage du Marquis, et après la discussion qu'il avait eut avec son Sénéchal, il avait décidé de l'écouter, et d'essayer de renouer avec le nord. Pour ce faire, il allait organiser la fête qu'il avait prévu de longue date, mais qui était tombée dans les oubliettes avec tout ce qui s'était passé. Louis n'avait guère apprécié les fiançailles de Antonia et Renaud, mais puisque ce n'était plus d'actualité, Renaud devait essayer de rattraper le coup, surtout que le Marquis était l'une des très rares personnes qui avait la considération du Duc. Un coursier arriva donc en fin de matinée pour porter un parchemin portant le sceau d'Erac, à savoir les deux tours, l'aigle bicéphale, et le serpent

Erac, le 5ème jour de la 4ème Ennéade de Favrius,
11 ème année du 11ème cycle


Au Marquis Louis de Saint-Aimé, et à la Marquise Alanya de Saint-Aimé

Vos excellences,


Permettez moi de commencer par vous féliciter pour votre union. Il est connu de tous que ce mariage fait suite à un amour sincère, chose suffisamment rare pour le souligner. Je prie Néera pour qu'elle vous accorde ses faveurs, et que votre bonheur voit la naissance de vos futurs enfants.

Bien qu'un peu tardivement, je souhaite organiser une fête en Erac, pour remercier les bonnes gens ayant libéré le median de l'ogre. Ces réjouissances auront lieu le 9ème jour de la 6ème ennéade de Favrius, et j'aimerais naturellement vous compter à ma table d'honneur.


Je prie les cinq veiller sur vos familles

Renaud d'Erac, Duc d'Erac et Seigneur du Lyron

C’était à nouveau l’heure du manger de midi et ce jour-là, dans sa solitude la plus totale, Louis s’était enquit de toutes les paperasses lui étant destinées. Après avoir charogné tout ce qui était comestible de sa côtelette de veau, il se lécha les doigts, puis les décrotta en les torchant dans une guenille qu’il avait préalablement posé sur ses cuisses. Là, le ventre plein, il pouvait désormais digérer en paix, dans le silence, tout en se montrant productif. Ce ne fût qu’après trois lettres de peu d’importance, qu’il ne sut réprimer son hilarité en se raillant de son expéditeur. Renaud! Quelle surprise allait-il encore réserver à son éminent voisin ? Avait-il encore besoin d’aide pour mater l’un de ses vassaux ? Ou allait-il annoncer les fiançailles d’un de ses parents à une de ces richissimes femmes de joies Estréventine ? Ou mieux! Mieux! Peut-être irait-il pousser la blague à outrance, en allant s’étendre de long en large dans un interminable palabre, pour expliciter les justes et ô combien bonnes raisons qui l’incitèrent à conclure une union avec ces jeanfoutre du sud ? Pour sûr! Louis avait à ce moment précis folle envie de dévorer chacun des mots scellés par le sceau Éraçon. Il écrasa sa patte son le couteau nain qu’il avait tantôt posé à sa senestre, puis fit voler la cire qui mariait le papier ensemble.

Après avoir parcouru la très concise invitation, Louis posa le vélin contre la tablée puis s’arrêta, le temps d’une pause. Il reprit le communiqué entre ses doigts, puis le relut. Puis encore … Se raillait-il de lui pour simplement faire comme si rien ne s’était passé ? Par tout ce qui est mauvais, cet homme s’était promis à une famille impie! Du Sud, de surcroît! Louis chiffonna le communiqué avec hargne et empressement puis lança la boule dans sa gamelle baignant de jus et de gras.

« Impardonnable! » Tonna-t-il, tout en repoussant ses couverts plus loin d’un mouvement de l’avant-bras. La nouvelle lui avait coupé l’appétit. Alors, il n’était pas improbable du tout que Louis s’était attendu à de plates excuses ; qu’il avoue sa bévue comme tout homme aurait fait après avoir fauté! Il lui faudrait alors venir les lui faire cracher, ses explications!

Au soir venu, sous le couvert d’une timide chandelle, Louis s’attela lui-même à l’écriture de sa réponse, que Renaud puisse comprendre que selon la calligraphie –qui n’avait de celle d’un scribe de profession -, Louis désirait que son interlocuteur comprenne le sérieux de ses propos.

2^ième jour de la 5^ième ennéade de la 11^ième année de ce cycle
Cantharel, Sainte-Berthilde

À l’égard de son Excellence Renaud, Duc d’Érac

Il fait bon lire de telles pensées, monsieur le Duc! Je vous sui gré de vous tenir informé de l’intégrité de mes sentiments envers madame la Marquise, desquels comme vous l’avez mentionné, en a découlé un mariage ô combien festif! Et comme notre soif de folichonnerie est à la juste mesure des tourments subis pendant la campagne, c’est d’un grand ravissement que j’acquiesce à votre invitation. Il me tarde de m’entretenir avec vous, que nous puissions, entres amis, discuter de l’avenir de nos deux maisons respectives. Peut-être, alors, saurons-nous nous entendre sur de communs desseins, à défaut de reluquer en de divergentes directions …

En l’attente de vous revoir sous peu, je vous recommande Renaud, à la toute gracieuse et bonne Damedieu.

Louis de Saint-Aimé, Marquis Sainte-Berthilde, Seigneur de Saint-Aimé, de la Toranne et d’Erignacc.