D'homme à homme à homme [PV Telenwë&Fineldor]

Septième ennéade de Fävrius
Onzième année du Onzième Cycle
Quelques heures après le Haut-Conseil

dans une taverne du Teluïme





Tu devais avoir à peine un siècle et cinq lorsque tu as oublié ce que c’était que de passer inaperçu. Oh jusque là, avoir été frappé par l’adolescence quelques années plus tôt que tes camarades n’avait pas été bien douloureux. Tes membres n’avaient pas encore commencé à proprement s’étirer, et tes épaules étaient encore moins prêtes à s’élargir. Ton visage était lisse comme une pierre polie et ta voix commençait à peine à craquer… puis une année était passée, une autre s’y était ajoutée, et tout se passait pour le mieux. Un peu avance, mais pour le mieux. Et finalement, tu fêtais ton premier siècle, et c’était comme si ton adolescence vivait sa propre adolescence.

 Qu’est-ce que tu pouvais t’être senti ridicule en ce temps-là. C’est qu’être déjà plus d’une tête plus grand que la majorité de tes camarades n’avait pas toujours été l’expérience la plus agréable qui soit. Surtout après avoir grandi si vite. Tu te rappelles avoir beaucoup souffert de maux de dos, en cette période. Les sièges destinés aux enfants de ton âge étaient un véritable enfer, tenir debout droit était un enfer, et tes rêves de grandeur militaire s’échappaient un peu plus loin chaque année. Mais au moins entre l’inconfort et l’idée de ne jamais pouvoir défendre ton peuple exactement comme tu le voudrais, tu auras certainement été plus assidu qu’autrement face à ton précepteur.

Et puis… tu t’es senti ridicule au début, mais à mieux y repenser, c’est que c’est au début de ton service militaire que tu devais être beau à voir ! Tu n’aurais pas plus être plus heureux d’avoir les épaules qui se décidaient enfin à se déployer. Ah ça ! Tu étais fier ! C’est qu’à ne plus avoir mal au dos, même taillé comme un porte-manteau tu te sentais fort ! Tu te souviens encore de ta surprise lorsqu’on avait commencé à soumettre ton corps à de véritables exercices. Pas comme ceux que ton père t’imposait depuis petit. Ils n’en avaient rien à faire de savoir à quel point tu étais tonique et endurant à la caserne. Il fallait être fort ! Par ce maudit Calimenthar ! Fort !
D’ailleurs tu ne peux pas dire que ça ait joué en ta défaveur. S’il y avait bien eu un bon côté à l’adolescence de ton adolescence, c’est que grâce à ça, il y répondait bien ton corps, au véritable exercice. T’es pas resté un porte manteau bien longtemps. Alors si passer inaperçu quand on fait une tête de plus que ses petits camarades c’était difficile, autant en abandonner l’idée quand en plus on prend toute la place… et il avait fallu que tu ne termines ta croissance qu’à tes 140 ans…

C’est pour ça que tu as accroché les regards au moment où tu as passé la porte de la taverne, et c’est pour ça que ces deux-là au fond continuent régulièrement de t’envoyer une œillade. Parce que la seconde personne la plus grande ici est certainement une bonne demi-tête plus petite que toi, et que tu pèses probablement au moins une fois et demi son poids. Comment veux-tu que les regards ne soient pas sur toi, vu que tu prends toute la place ? Et bien oui, tu prends toute la place et maintenant c’est ton droit ! Parce que peut-être qu’ils ne le savent pas encore, mais leur nouveau Heru-Aran est parmi eux. Certainement qu’ils ne te lâcheraient définitivement plus s’ils le savaient !

Tu soupires. Le crâne beaucoup trop léger. Tu n’aurais peut-être pas dû engloutir cette seconde pinte de liqueur de cassis. Pas avant d’avoir pu discuter avec Neraën et Fineldor… et puis à quoi bon ? Depuis le temps que tu étais là, tu pouvais tout aussi bien considérer ton invitation comme ayant été déclinée. Haut les cœurs ! Personne ne t’empêcherait de fêter avant que le devoir ne s’abatte définitivement sur tes épaules.

- Une pinte de liqueur de framboise s’il vous plait !

Tes lèvres trempent timidement dans le sirop alcoolisé, et ta langue cueille les effluves sucrées jusqu’à la dernière goutte. Un jour ces satanés fruits rouges auraient ta mort sur la conscience.

Quelques heures, c'était tout ce qu'il lui fallait pour prendre un bol d'air quelque peu bien mérité. Marché tranquillement vers la forêt, retourner dans la petite clairière où il avait longuement discuté avec Halyalindë, retrouver celle pour qui son coeur battait... puis la laisser repartir de ses propres ailes, loin de lui. Pour une journée uniquement, peut-être. Et pour se retrouver face à sa future belle-mère (enfin si jamais il venait à se marier) ! Vraiment, il aurait préféré ne pas la croiser. D'une part parce qu'il était loin d'être à l'aise, et ce pour plusieurs raisons, et d'autre part car celui qui avait étudié le domaine de l'esprit avait l'envie fortement retenue de prendre des traités de psychologie et de les enfourner dans le crâne de Maliss afin qu'elle se rende compte que cloîtrer sa propre fille vis-à-vis des sentiments de celle-ci n'était vraiment pas la meilleure idée. A vrai dire, l'avait-il réellement appris à l'Académie ou bien son lien magique disparu avec Macabre faisait-il qu'il était intimement persuadé que la mère agissait mal malgré toute sa bonne volonté ? En y réfléchissant, il n'arrivait même pas à trouver la réponse à cette question... mais était-ce si important que cela ?

Complètement plongé dans ses pensées, évitant plusieurs fois de justesse de se fouler une cheville à cause des pavés, Telenwë se dirigea instinctivement vers l'une des portes de la cité afin de retourner dans les bois. Ce n'est qu'en passant celle-ci qu'il s'arrêta finalement, ayant un éclair de lucidité, et releva la tête. Attentif, il regarda vers les frondaisons des arbres et huma l'air. Sans rien dire il finit par lever sa main droite, son moignon d'index étant son seul... doigt non replié, regarda par terre puis fit demi-tour d'un coup de talon. Ca sentait la nourriture... Con comme il était, sa si douce - hum ! - rencontre avec Maliss l'avait rendu tellement ronchon qu'il n'avait ni vu l'heure passer, ni ne s'était souvenu qu'il devait aller boire un verre avec une certaine personne... qui aurait très bien pu ne pas l'inviter, soit-dit en passant, vu la petite altercation qu'ils avaient eue en début de haut-conseil. Mais bon, il n'allait tout de même pas laisser le nouveau seigneur-protecteur d'Anaëh fêter son élection sans aller y faire un tour, non ? Non. De toute façon il risquait d'y avoir beaucoup de monde, vu l'énergumène que semblait être devenu Artiön. Donc autant boire un verre pour le féliciter puis repartir dans sa chambre. Il n'était plus vraiment du style à aimer les fêtes avec beaucoup de m...

L'etenirili écaruilla les yeux. La porte de la taverne grande ouverte, la poignée toujours dans sa main, il admirait... ou du moins regardait avec grand étonnement la personne au physique si reconnaissable seule, assise au comptoir. Visiblement, il s'était mépris sur son nouveau roi... Alors que le pauvre daranovan commandait une liqueur de framboise qui semblait ne pas être la première de la soirée, Neraën s'avança en silence jusqu'à se positionner juste à côté de celui qui avait de par le passé été un frère d'armes très apprécié.

"Moi qui pensais être en retard... Serions-nous deux à nous être trompés de taverne ou bien me serais-je trompé de soir ?"

Tout en s'assayant, il commanda la même boisson qu'Artiön, histoire de ne pas le laisser déprimer seul. Mais que s'était-il donc passé pendant l'après-midi ?!

Tu ne te serais pas rendu compte à quel point tu es déjà atteint par la boisson si tu n’avais pas presque sursauté au moment où l’Etenirili t’a interpellé. Pour toute réponse d’abord tu souris, du coin gauche du visage seulement, et puis tu sirotes deux petites gorgées de plus de ta boisson. Tu laisses passer le temps, le regard vissé dans le sien, lui laissant envisager une réponse. Et ce n’est que lorsqu’il se prépare à prononcer une nouvelle phrase qu’enfin tu retrouves ta voix.

- Je pense que je me serais moi-même posé la question si tu m’avais laissé le temps de finir cette pinte-là avant d’arriver. tu glousses Mais en parlant de temps, c’est qu’on dirait que ça fait un moment que tu as lâché l’épée ! Remarque au moins comme ça personne ne peut te reprocher de prendre toute la place.

Tes sourcils se froncent, et tes pupilles glissent vers les coins de tes yeux de manière tout à fait théâtrale, trop indiscrète pour que la demoiselle dont tu surveilles la surveillance ne le remarque pas. Et s’empêche d’en rire. Mais quand elle rit ses yeux se ferment, et alors tu es satisfait. Tes bras se croisent sous ta poitrine et toute ton attention se retourne vers Neraën.

- Vu que Fineldor et toi êtes les seuls visages du Haut-Conseil que je connais à peu-près, je me disais que ça aurait pu être sympathique de se retrouver dans des conditions moins… strictes. tu lèves les yeux au ciel un instant Enfin, j’ai voulu inviter la Protectrice de Wirskeinfyl aussi, mais elle a décliné. Mais une soirée entre ellyn ce n’est pas plus mal !

Heureusement qu'il n'est pas arrivé plus tard. Tu aurais eu l'air fin, Heru Aran, si tu n'étais plus maître de toi-même.

Tradocs:

Au vu du regard posé sur lui, Telenwë se dit qu'il avait peut-être bien réussi à trouver plus retardataire que lui-même... Il pensait en faire la réflexion mais le daranovan reprit alors la parole, confirmant bien que c'était une question de retard et non pas de jour ou de taverne. L'etenirili le laissa parler, remarqua le regard prolongé posé sur une femme un peu trop curieuse puis attendit qu'Artiön ait terminé de parler pour répondre quoi que ce soit.

"Une soirée entre ellyn... c'est vrai que du peu que j'en fais ces derniers mois, c'est toujours avec les mêmes. Et prendre le temps de boire et discuter en ta compagnie ne devrait pas m'être désagréable, loin de là." Il eut un sourire amusé. "Pour ce qui est de Fineldor, je ne le connais pas encore... j'apprendrai à le connaître !"

Il remercia d'un signe de tête le tavernier qui venait de poser une chope devant lui et sirota quelque peu sa boisson avant de continuer. Il ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour Ciryië et la conversation qu'ils avaient eue plus tôt dans la journée. Dans le fond, il était heureux que tous ses problèmes magiques se soient enfin arrêtés. Même si cela signifiait sacrifier une partie de lui-même - ce qu'il avait déjà fait, en fait.

"On ne peut plus me reprocher de prendre toute la place mais à y regarder, ce temps où je tenais encore l'épée me manque... j'ai l'impression d'avoir la carrure d'un rat de bibliothèque maintenant. Pour un etenirili et ancien aigle, ça dénote. Mais toi, depuis tout ce temps, que deviens-tu ? A part la décision du Haut-Conseil, j'entends."

- Neraën Yeldorei !

Un sourire en coin, un regard en coin, un sourcil relevé, une narine retroussée… Neraën aurait pu être une table d’angle que tu n’aurais pas pu le regarder plus de travers. Ta poitrine tressaute, peinant à retenir un éclat de rire qui serait certainement beaucoup plus sonore que la situation ne le justifiait si tu le laissais échapper.

- Soyons honnêtes. Tu as toujours eu une carrure de rat de bibliothèque. Pas le plus maigrichon des rats, je te l’accorde, mais même pendant tes beaux jours, tu étais loin de tout ça.

Tu décroises les bras pour fièrement contracte et présenter un énorme biceps, tirant sur les coutures d’un manteau pourtant – contrairement à la majorité de ta garde-robe – à la base pas particulièrement ajusté, ta seconde main posée dessus en guise de mesure. Tu souris comme un enfant, tout content que tu es de constater que même ton immense paluche est bien loin de réussir à en faire le tour, mais le jeu ne dure pas bien longtemps. Tes bras retrouvent finalement assez rapidement repos l’un contre ton flanc, l’autre sur la table, et en même temps qu’eux tu te détends, laissant échapper un discret gloussement.

- Mais plus sérieusement, après la décision du Haut-Conseil, j’ai l’impression d’avoir passé des siècles à ne rien faire de particulièrement notable. J’ai rempli mon devoir de soldat, je me suis attelé à faire honneur à mon Art en tant que mage, et je me suis maintenu en forme. mais ça, près de trois siècles et 25 kg plus tard, il s’en était certainement rendu compte C’est que l’esprit a une drôle de manière de fonctionner tout de même. Depuis la dernière fois que l’on s’est vraiment parlé il y a eu Uraal, Ellyrion, le Voile, la perte de ma pauvre Lanthaloran, Eraïson, encore Eraïson, de grandes batailles sur le front Sud Est… et dans tout ça des événements qui remontent à à peine une décennie… et qui malgré tout paraissent tellement loin... tes yeux se perdent un instant dans le vide Enfin, au moins je me dis que si après avoir vécu d’aussi près les péripéties de notre peuple, j’arrive à plus être préoccupé par mon élection en tant qu’Aran et pour le mariage que j’en ai assez de repousser que par les traumatismes de guerre… ce doit être bon signe !

Tu ris doucement à nouveau. Maintenant que tu y penses, c’était tout de même incroyable que l’atmosphère des allées d’Alëandir soit déjà à nouveau aussi calme suite aux tribulations qu’avait connue la forêt il y a une poignée de saisons à peine. Mais tant qu’à faire, autant prendre les choses du bon côté et y voir un peuple et une forêt ayant fait l’effort de guérir après le grand deuil.

- Les affrontements n’ont pas été très généreux avec toi à ce qu’il paraît.

Comme pour illustrer en partie ton propos, les doigts de ta main posée sur la table s’ourlent et se déplient à l’image de membres engourdis cherchant à reprendre possession d’eux-mêmes. S’ajuster à la perte d’un doigt – entre autre – ne devait pas être l’expérience la plus agréable qu’il soit donner à quelqu’un de vivre.