[Linaëh] Je l'entend dans la Symphonie | Iarin'Dath

Non loin de la frontière avec l'Aduram, Favrius de l'an 16:XI

Leurs pieds effleurent à peine la couverture végétal. Leur présence, filante, fait se suspendre un infime instant le chant animal qui règne sous la canopée, avant qu'il ne reprenne de plus belle, à peine dérangé. Leurs sens sont aux aguets, à l'écoute de la symphonie, à l'écoute de tout ce qui ne se fond pas dans l'harmonie des bois... Et leur cœur chavire, car malgré la distance, ils en entendent le murmure douloureux : la Dissonance. Si loin, et pourtant douloureusement proche. Une terre maternelle inaccessible, dont les enfants errent depuis si longtemps... Ces mêmes enfants qui s'en approchent avec grande crainte et grand espoir. En effet, ils ont entendu. Entendu le murmure de cette présence, disparue et perdue, mais... Peut-être pas. Et l'espoir les saisit avec bien trop de force pour qu'ils s'en détournent sans aller, au moins, vérifier.

Faelwen ouvre les yeux. Point d'envol entre les arbres millénaires pour elle, ses sens la ramènent à l'instant présent, et à son rôle. Ni chasseresse, ni éclaireuse, plus seulement. Sa place n'est plus en avant mais auprès des siens, organisant, rassurant, attendant. Derrière elle, la jeune elfe perçoit la présence murmurante des Anciens débattant; la Noss s'active à ses affaires, feignant de ne pas prêter l'oreille; les Fanuë apparaissent et disparaissent à leur gré aux alentours, fidèles guides des Iarin'Dath, à la patience immuable. Certains des Anciens jugent que cette halte est futile, une perte de temps en un lieu qu'aucun de leur guide n'a approuvé, d'autres arguent qu'ils auraient dû continuer et laisser les éclaireurs les rattraper, d'autres encore sont de l'avis de Faelwen. L'héritière de la Gardienne a jugé préférable une halte temporaire, pour que les leurs ne risquent pas de passer la nuit loin de la Noss. Les marques laissées aux alentours les années précédentes désignent le lieu comme sûr. Résolue, l'ancienne éclaireuse attend, l'air presque endormie. A vrai dire, ses oreilles ne sont plus que réceptacle pour Symphonie, tandis que ses yeux couleurs d'automne ne fixent rien, attentifs à percevoir le moindre mouvement étranger à la mouvance fluide des profondeurs végétales.

Derrière le dos couvert de cuir, dans les remous familiers que Faelwen connait comme les battements de son propre cœur, une présence s'affirme et se rapproche, au son des feuilles foulées par un pied léger. Au milieu des rigoles cuivrées, une oreille frémit et se tourne légèrement, avant que la tête ne suive. D'entre les paupières mi-closes, des mires miroitantes accueillent, dans l'attente.

" Anha l'nafrath:: Ourvas Bethet;: Dorien Dielve:: "

Là. Sous la surface courent les rhizomes et les tiges et les racines. Dorment les bulbes et pleurent les oignons. Tu te sauve, petite chose. Tu erres hors de ma vue. Les murmures de la Sylve marmottent à mon oreille. Sa pointe vibre comme celle d'un chat agacé par un insecte. Un frisson me déconcentre, mais je repends contenance avant que le courant des arcanes ne s'effiloche entre mes doigts. Oui, je cherche. Et tous les géants de bois savent pourquoi. Ils m'observent. Le plus jeunes sont curieux. Je souris.

Autour de mon doigts, je fais rouler l'anneau de bois tout en suivant les gravures élégantes. Leur tracé régulier m'aide à me focaliser. Ici ? Non. Là ? Ce serait parfait. Libérant ma bague, ma main droite s'étant, paume ouverte. Chef d'orchestre de ce qui ne peut être vu. Je referme les doigts, doucement, sentant cette vie si particulière battre au rythme de mon propre cœur.

Un sourire au lèvres, je murmure, l'oreille de nouveau tendue :

- Acceptes-tu de nous aider ? Je te promets que ça ne te feras pas mal. "

Ils m'observent. Ils se demandent. Je ne sais s'ils comprennent mes mots, mais ils sentent mes intensions. Le vent se fraie un chemin dans leurs branches, caressant les premiers bourgeons d'un printemps à peine éclos. Ils sont heureux. Je souris. Leur bienveillance me touche. Ils acceptent. Il accepte. Je souris de plus belle.

Mes yeux, braqués sur le sol, arrêtent de ciller. Sans pouvoir le constater moi-même, je sais que mes iris d'un bleu céruléen virent vers une couleur ambrée. Le picotement qui les traverse, traverse également mes bras, gonfle mes mains et réchauffe mes doigts. Ma main se referme à distance sur la première racine qui m'intéresse.

Le grand cèdre qui se dresse entre la tente du Shaman et celle de la Chef frémis et la Symphonie avec lui. Précautionneuse pour ne pas dépasser son point de rupture, j'accélère sa pousse et j'oriente son mouvement jusqu'a ce qu'une robuste tentacule enlace la première attache de la tente. Puis une seconde racine. Une troisième. Et je raffermis ma prise. Le Cèdre gigote comme si je le chatouillais. La toile se tend sous l'effet et la tente finit de s'encrer dans le sol. Je réitère pour la tente de la Chef.

Puis, la magie retourne à son courant naturel. Je m'assure qu'il n'y ait ni reflux, ni signe de détresse. Je prête l'oreille à l'amusement de la Symphonie. Tant de mouvement d'un seul coup !

Enfin je revins aux seules limites de mon corps, étouffant un rire. Deux pas. Je pose ma main et mon front sur le tronc rugueux du conifère. Mes cheveux lâchés frôlent le tronc, caressant la ligne de peinture rouge qui souligne mon œil. Les étages plats de ces grappes d'aiguilles molles dégagent une douce odeur de sève et de résine si propre à cette essence.

- Merci.

En me tournant vers le reste du campement improvisé, je remarque sans surprise que mon Maître s'est occupé de toutes les tentes communes sous lesquelles nous dormirons tous entassés cette nuit. Les seules à bénéficier d'un espace personnel seraient la Shaman et de la Chef. Une habitude lorsque nous étions sur les routes en quête d'un nouvel endroit où passer quelques mois.

De l'autre côté, la dites Chef n'a toujours pas bougée d'ailleurs. Elle regarde. Elle écoute. Immobile sur son rocher. La Symphonie entend souvent des choses étranges, elle fluctue sans cesse... Alors comment être certain que c'est bien l'un des nôtres que nous trouverons ici. L'espoir semble si fugace que je ne sais quoi en penser. Mais cela ne change rien. Il ne me revient ni de la juger, ni de la contester.

- Ungwë. " Je laisse la mes rêveries pour accourir à l'appel de mon Maître.

Elle n'a pas haussé le ton, occupée qu'elle est à poser de longues tiges aux multiples feuilles sur le bras de la petite Melwen. Je saisis la main de la fillette encore en train de renifler et lui souris avant d'accorder mon attention la plus totale à la Shaman qui ne m'offre pas un regard.

- Oui, Maître ?
- Envoie les petits chercher de la Millefeuilles. Lindil a lâché l'un des arceaux de la tente principale et nous allons en manquer.
- Bien, Maître.

Je me prépare à repartir, mais une inspiration caractéristique m'en dissuada. La suite ne me dis rien qui vaille. Pour garder contenance, je resserre autour de ma tunique et de mon court pantalon de cuir, le sari que je m'étais concocté avec mon grand pan de soie colorée.  

- Pourquoi n'as-tu pas tout de suite prévenu Faelwen que sa tente était prête ? " Les yeux dorés de la Shaman tombent sur moi. Je souris pour tenter de dédramatiser, mais ma gorge se tendit d'un cran.
- Elle a l'air occupée alors...
- Prévient la.
- Oui, Maître... "

Ca ne sert à rien d'argumenter. Je sais déjà ce que Lorna va me dire. C'est ma sœur. Je suis amenée à devenir Shaman et à ce titre nous devrons pouvoir travailler de concert, sans retenue ni non-dit. Je sais... Et j'essaie... Vraiment.

Sur un rapide baiser sur le front et le nez de Melwën, je pars rassembler les apprentis de tout âge pour leur donner leur mission, puis je préviens les chasseurs pour qu'ils gardent un oeil sur eux au passage. La plante n'est pas bien difficile à trouver et encore moins à identifier, donc ils n'auront pas à s'éloigner normalement, mais sait-on jamais...

Puis, je m'approche du trône de pierre sur lequel guette notre guide. Avant que je ne l'appelle pour attirer son attention, elle se tourne vers moi, à moitié absente. Incertaine de la conduite à adopter, je reste calme et annonce simplement :

- Ta tente est prête... "

Le calme d'un ruisseau, lisse en surface, troublé en son coeur. La Iarin'Dath ne réagit pas, détaillant du coin de l'oeil sa cadette, son souffle se fondant avec le rythme du vent dans les frondaisons.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

Dans l'intimité d'une clairière ombragée, une enfant écoute son père, la tête posée sur son giron dans un rare moment d'abandon. Au murmure végétal se mêlent les leurs.

"Elle n'y est pour rien, hén*.
- C'est vrai.
- Kyrïa bénit leur union d'un enfant. Il n'y a pas de rancoeur à avoir.
- C'est vrai.
- Elle l'aimait, et il l'aima en retour. Que peut-on espérer de plus pour l'être que notre coeur adore ?"

Seul le doux bruissement de la Symphonie lui répond.

"Combien de fois avons-nous eu cette conversation ?
- Beaucoup, adar*.
- Ah. C'est bien ce qu'il me semblait."

Alors l'enfant se relève et contemple son aîné d'un regard à la tristesse ancienne, autant que celui du vieil elfe est las.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

Le souvenir s'efface avec les remous du regard cuivré. Un autre temps, une autre émotion. Son esprit se raccorde au rythme de son corps et de la Symphonie : lent et apaisé. Son regard vagabonde par delà Ungwë, voyant les préparatifs se poursuivrent et les autres apprentis s'égayer. Tout ceci, peut-être pour rien d'autre qu'un mirage... La question a déjà été débattue , l'enjeu est de taille et le risque... Moindre.
Finalement, une infime inclinaison de tête répond à la jeune Noss.

Les voix du clan sont portées jusqu'à elles, en un doux chuchotis de vie et d'activité. Les demandes de la Shaman, bien accueillies par la vie disséminée dans le sol riche, ajoutent de nouvelles nuances dans le chant végétal, qui apaisent les ornedhels. C'est le son d'un nouveau lieu qui les accueille, d'une nouvelle halte dans leur perpétuelle voyage. Faelwen ne peut qu'apprécier voir les siens agir ainsi, acceptant sa décision, leurs habitudes souffrant cette entorse sans être davantage perturbées. Au même titre que le don qu'à son père pour la regarder, de loin, tandis qu'Ungwë attend. Les mires de la Chef hésitent, alors qu'elle devine la silhouette de son père, tournée vers elles deux, et les pensées qui doivent le traverser.

"Merci, hén*." lâche Faelwen après un long silence, revenant vers sa cadette.

Ces maigres mots sont accompagnés d'un nouveau mouvement de tête, tandis que le torse de l'ornedhel finit par suivre, la tournant un peu plus vers sa cadette. Dans son giron repose son arc, et à côté de son assise, une flèche, prête à être encochée d'un mouvement fluide. Malgré la douceur de peau de la Noss, son regard se fait plus franc alors qu'il s'appesantit peu à peu sur sa cadette. Autre chose ?

« Tu crois qu’ils vont te laisser revenir comme si de rien n’était ? » Une voix me demanda avec un ton inquisiteur. « Non… Mais ils m’accepteront à nouveau, je reste une Iarin’Dath. » Répondis-je sans même regarder le petit crâne accroché à ma ceinture. Je lui avais confié la garde de mes doutes pour qu’ils ne me pèsent plus et que j’avance sans eux, mais il me les rappelait de temps en temps pour que je puisse rester accrochée à la réalité. Et la réalité semblait simple. De là où j’étais, je sentais à travers la symphonie une multitude de communications de l’Anaëh vers les êtres qui la parcouraient, et plus loin, vers un grand groupe presque immobile. C’était eux, j’en avais la certitude, j’avais parcouru les sentiers migratoires des Iarin’Dath pendant des siècles et s’ils semblaient s’en être un peu déviés, aucune autre Noss n’avait croisé nos chemins dans ces environs.

Ma fierté m’exigeait de ne pas me montrer. Il fallait que j’arrive à passer entre ces hommes et femmes qui semblaient chercher quelque chose, pour faire comprendre que j’étais encore la meilleure, et que si la symphonie avait dû trahir ma présence à ceux qui l’écoutaient, les sens traditionnels eux ne pouvaient toujours pas me déceler si je ne le voulais pas. Au moment où ces pensées traversaient mon esprit, je sentis un éclaireur se rapprocher et l’évitai en changeant de cap. Je sentais qu’il me rameutait vers d’autres mais j’appris de ses déplacements la direction très probable du groupe. S’en suivit une partie de cache-cache comme je n’en avais pas vécu depuis de longs siècles. Tout y passait. Je me cachai derrière certains arbres, accroupie derrière de hauts buissons ou même dans les branches de certains arbres. L’un d’entre eux – un gamin très vif d’esprit dont j’avais en partie assuré la formation – sembla comprendre ce qu’il se passait, arborant à chaque fois que j’aperçus son visage un sourire joueur. Ses déplacements intelligents qui le rapprochaient encore et encore du campement attestaient également qu’il connaissait exactement mon intention et que je n’avais réussi à le détourner de ma piste.

Lorsqu’il ne resta plus que lui entre le camp qui se dessinait dans son dos et ma position, j’attendis. Je pouvais sortir de ma cachette, m’annoncer, mettre fin au jeu et m’en aller trouver Faelwen, mais tout ce qui aurait pu m’empêcher de continuer ce jeu était en ce moment confiné dans le petit crâne à ma ceinture. Je savais être plus patiente que lui, aussi attendis-je. Pendant cette longue attente, lui regardait un paysage d’arbres et de végétation en tout genre tandis que je détaillais le camp. J’avais la confirmation qu’ils avaient dévié très légèrement des chemins migratoires que j’avais bornés des siècles durant et ils ne comptaient pas rester là, ils s’arrêtaient pour moi ?

Tout allait se régler en un instant, alors qu’un bruit provenant du campement allait finalement avoir raison de la concentration et de la patience du jeune éclaireur, il se tourna à moitié vers la droite et je me précipitai un petit morceau de bois mort en main. Il se tourna au dernier moment et ne vit qu’une forme lui appliquer un morceau de bois sur le thorax, au niveau du cœur. Je le laissai planté là et dans la continuité de ma course me dirigeai vers Faelwen qui attendait quelque chose, Ungwë à ses côtés. Je touchai d’une main distraite le petit objet à ma ceinture et récupérai tout ce que je lui avais confié. Les doutes revinrent, et une honte dont je n’avais pas eu conscience depuis de longues ennéades me submergea alors que le petit objet redevenait complètement inerte, vide de mes émotions. Une fois à la hauteur de la chef, je touchai terre de mes deux genoux en même temps et baissai la tête, symbole de soumission à une autorité que j’avais bafouée il y a bien longtemps.

C'est elle. constate Faelwen. Une brusque agitation lui fait faire volt-face, oubliant Ungwë, arc en main et flèche encochée après avoir pivoter souplement sur un pied, pour mieux se camper sur les deux. Cependant, la pointe d'os ne se fait menaçante qu'un bref instant, le temps pour la Iarin'Dath de réaliser qui surgit, tel un esprit revenu des profondeurs de l'Anaëh. Ses yeux s'agrandissent fugacement avant qu'elle ne baisse le regard sur l'éclaireuse disparue, à genoux. Abaissant son arme, la Chef de la Noss demeure silencieuse, ignorant la vague de murmure qui s'emparent des siens, derrière elle, qui réalisent ce qui vient de survenir.

Faelwen observe : la pâle chevelure, hirsute, plus négligée que dans son souvenir; les épaules nues, à peine griffée par la végétation; le visage dont elle lit les contours si familiers, à la trace rouge reconnaissable sur sa pommette... Peu de chose accusant le temps écoulé. Un battement de paupière pour une immortelle. Une éternité de questions et d'inquiétude pour la Noss.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

Sur la voie, la Noss s'aventure. Suivant les traces des éclaireurs, accompagnés des Fanuë, les Iarin'Dath recherchent une nouvelle terre d'accueil pour une nouvelle saison. En tête de file, une jeune Chef, nommée il y a quelques saisons à peine, est concentrée sur l'observation. Les signes laissés par ceux qui les précédent, le moindre murmure annonçant un retour brutal... Repoussant ainsi la pensée qui la trouble constamment, depuis l'annonce des Anciens : elle guide et protège à présent les siens. C'est vers elle que se lèvent les visages en proie au doute. Alors, la jeune Chef ne doute plus. Essaye du moins.

Aucun murmure ne l'annonce, seulement une ombre qui prend vie et révèle l'un des éclaireurs, qui les attendait. L'air nerveux, il annonce la nouvelle à la jeune Chef : une aînée a disparu. Toujours en tête des autres éclaireurs, qu'elle a formé pour certains, l'aînée a soudainement dévié de la voie et s'est éloignée trop vite, trop loin, pour qu'ils la suivent. L'un s'est lancé à sa poursuite néanmoins, l'autre a préféré attendre. Stupéfaite, la jeune Chef hésite, saisie par la pensée des siens qui filent, hors de sa portée, loin de la protection de la Noss... Et voit le trouble s'emparer de son vis-à-vis. Alors, elle se décide.

Le soir venu, dans un campement monté à la hâte, la Noss voit l'un des siens lui revenir, éreinté par sa recherche... Mais seul. Une Iarin'Dath s'est égarée. Une mémoire a été engloutie par les profondeurs de l'Anaëh.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

Les paupières se rouvrent sur les mires cuivrées, qu'un battement de cil a replongé dans cet autre temps un infime instant. A présent, l'aînée est de nouveau parmi les siens, saine et sauve. Un murmure agité se fait entendre jusqu'à ce qu'un jeune éclaireur surgisse des broussailles, serrant un morceau de bois, l'air agité comme un enfant trop heureux. Bondissant vers eux, il se reprend en croisant le regard de Faelwen et s'incline nerveusement, ses yeux faisant des allers-retours entre l'ornedhel agenouillée celle qui lui fait face. Les Iarin'Dath qui ont assisté à la scène délaissent leur tâche, le temps de voir et d'écouter. De savoir.

Déposant son arc sur la roche où elle veillait, Faelwen en descend, imperturbable de visage. Lentement, elle vient s'agenouiller devant son aînée, pose ses mains sur les épaules de l'éclaireuse disparu et son front contre la tête penchée. Entre la chevelure et sa peau, Faelwen sent le contact froid de la petite pierre qui ne la quitte pas.

"Nous sommes heureux que ta mémoire n'ait pas été perdue, einior*." l'accueille-t-elle, une infime trace de soulagement perceptible dans son timbre clair.

Le temps d'un souffle partagé puis elle se relève, les yeux baissées vers son aînée. Autour d'eux, certains membres de la Noss se sont rapprochés, les oreilles frémissantes d'attention, montrant soulagement comme curiosité, attente comme impatience. Parmi ces figures familières, la Chef devine du coin de l'oeil les Anciens. Il n'y a plus de débat : leur sœur perdue est revenue.

"Qu'est-il arrivé ?" demande simplement Faelwen.

La figure de Faelwen se tourne vers les profondeurs de l'Anaëh et la mienne avec. Il y a quelque chose. Une silhouette rapide. La Chef se relève en pivotant, souple comme le vent lui-même. Je n'ai que le temps de reculer d'un pas et de me baisser un peu sur mes appuis par pur réflexe.

Heureusement, l'apparition se stabilise aussi vite qu'elle est apparue. Non...

- Ancienne Alcariël ! "

Un immense souvenir me vient aux lèvres et je dois admettre que les larmes montent aussitôt. Seule la pensée que les yeux de Lorna sont peut-être posés sur moi réussit à les empêcher de déborder. Tout comme la seule chose qui me retiens de me jeter au cou de l'aînée se trouve à mon côté, armée d'un arc.

Dans mon dos, les autres vibrionnent soudain. Mon exclamation en a surpris plus d'un. Je n'en reviens pas ! Elle est là ! En vie et visiblement en bonne santé ! Plusieurs mines curieuses, heureuse ou haineuses s'assemblent de plus en plus près...

... Et c'est cet instant que choisit Tuo pour débarouler, un morceau de bois à la main et ses longs cheveux bruns à moitié défaits. Il pile nette et se plie en deux, ne sachant plus quoi dire ou faire. Ses iris mauves font des allés-retours incertains entre les deux femmes qui se font face. C'est à ce demander comment il fait pour trouver le moyen de m'adresser un minuscule sourire excité. Difficile de se retenir de glousser. Elle est de retour ! Et on va enfin savoir pourquoi elle a été obligé de nous quitter ces dernières années. Ça a du être tellement dur. Une vie tellement solitaire.

J'ai hâte de l'entendre de sa bouche... Et je ne suis pas la seule pendue à ses lèvres.

L’émotion était forte, en cela aucun doute n’était possible, et si j’avais eu la tête relevée, si j’avais vu leurs visages, à ce moment là, j’aurais peut-être fondu en larmes. J’avais été si faible ? Un appel d’une forêt dans laquelle aucun d’entre nous n’avait vécu et je les avais tous abandonnés ? Comment pouvais-je me justifier désormais ? Je ne pensais même pas être pardonnable, aussi n’allais-je rien essayer, je leur devais bien la vérité, toute la vérité. « J’ai fauté. Je vous ai tous abandonnés. » Je voulais être la plus sévère de mes juges, je m’en voulais tellement… J’étais obligée de leur faire comprendre ça, et j’avais une peur immense que les mots ne suffisent pas, qu’on croirait mes mots n’étaient qu’un brouillard que j’utilisais pour délester ma conscience. Je comptais sur Faelwen pour me laisser par mes actions prouver que je le pensais vraiment, et sentir son contact m’avait confortée dans la situation. Le jugement serait peut-être dur, mais il serait mérité, et je n’avais pas à avoir peur d’elle.

« Je me suis laissée envoûter par le Linoïn. Je me suis trop approchée et il m’a absorbée. » Mon ton n’était pas celui de celle qui se justifie, mais celui de celle qui alarme, celle qui admet qu’elle aurait dû faire plus attention, et que tous devraient prendre cette leçon et la graver dans leur âme. Le Linoïn revêtait pour nous tous une importance plus grande que chaque individu, car nous étions autant tournés vers le passé que nous l’étions vers le futur, et si nous pouvions contrôler notre rationnalité, il existait une force invisible qui pouvait nous happer, et j’y avais succombé. Je choisi ce moment pour relever la tête et observer celle à qui je devais le respect yeux dans les yeux.

« Je savais qu’il n’était plus aussi malade, je savais que je pouvais y survivre, je savais que si quelqu’un avait une chance d’y survivre, c’était moi. » A force de parler, je me rappelai plus clairement ce qu’il s’était passé lorsque j’avais cédé devant l’insistance de l’ancien Linoïn, les quelques cordes sensibles que la forêt tombée avait activé pour avoir raison de ma volonté étaient celles de mon nom, celle de ma vie. On m’avait promis la gloire que je n’avais jamais approché, et l’Aduram et sa dissonance m’avaient fait miroiter cette gloire. Ils étaient les seuls qui arboraient en leur sein ce qui pouvait m’amener la gloire, et nous le savions tous. « Je voulais le retrouver pour vous guider jusqu’à lui, seule, je voulais… » Ma voix mourut dans ma gorge, j’avais eu la mauvaise idée de jeter un unique regard circulaire autour de moi. Les visages qui m’observaient me faisaient comprendre la futilité de mes ambitions, et elles parurent d’un coup complètement ridicules. Je baissai la tête à nouveau pour éviter d'exposer à tous cette grande tristesse qui venait de me frapper avant de conclure mon discours dans un murmure.

« Je sais que le jugement sera juste, je m’y soumets. »

Non...

C'est faux.

Mes yeux ne quittent plus Alcariël. Elle parle et je l'entends, mais chaque mot m'écorche les oreilles. Je ne veux pas entendre la suite. Non. Tais-toi. Juste, tais-toi ! Je mords fermement l'intérieur de ma lèvre au point d'en avoir un léger goût cuivré dans la bouche. Le pincement douloureux ne m’atteint pas. Elle ne peut pas être partie de son plein gré. Elle n'avait pas le droit d'avouer nous avoir volontairement abandonné.

Une phrase. Un battement de cil. Cela lui avait suffit pour voler leur raison de croire en elle à tous ceux qui l'avaient défendu, bec et ongle. Perdu dans ma propre déception, je ne peux comprendre que d'autres verraient dans le chant de l'Aduram une raison suffisante d'avoir fauté. Je ne vois, moi, que la trahison d'une Ancienne et la douleur qu'elle a causé. Je l'ai défendue, tout comme Tuo. Il doit être tellement déçu... J'ai eu tort.

Mes poings se serrent et la Symphonie vibre dans l'attente du dénouement. Je détourne enfin les yeux pour regarder obstinément le sol, serrant mes bras autour de ma poitrine. Je n'envie pas la décision que notre chef  doit prendre. Je ne l'avouerai certainement pas à Lorna, mais je suis bien contente de ne pas être encore Shaman. Prendre la responsabilité d'un bannissement, comme seuls le peuvent ensemble les deux guides du clan, est bien au delà du genre de décision que je me sens capable de prendre... Pourtant, par égare pour mon mentor, je réfléchis.

Derrière le goût de la trahison qui ne me passe pas, Alcariël reste une aînée, l'une des nôtres et l'une des mémoires sur lesquelles je dois veiller. Par son geste, elle nous a mis en danger, mais les conséquences ont été bien légères. Comment choisir... ?

Mon regard retrouve le profile de la disparue. Mes dents se serrent un peu.

Et comment choisir sur le moment en oubliant ce qu'elle venait d'avouer... ?

Alors que son aînée se dévoile, Faelwen écoute, attentive. Dans sa position, la Chef des Iarin'Dath se retrouve prise entre deux feux : face à elle, la chaleur fautive du regret et de la supplique; derrière elle, les vagues de stupeur, de rejet, d'incompréhension et de colère. Un goût amer lui vient en bouche, sous l'influence de ces présences et de la Symphonie que troublent les émotions naissantes.

Ainsi, elle prit sur elle d'aller errer sur notre terre natale corrompue, dans le but, un jour, de nous y guider... Laissant ses responsabilités, son devoir et la Noss derrière elle... Si ancienne, si riche de souvenirs... Prête à s'égarer dans un rêve comme le ferait un enfant avide d'exploit. Impatiente et irréfléchie. Qu'est-ce que son existente face aux cycles d'attente des Iarin'Dath ? Les mires de l'ornedhel paraissent être des miroir, renvoyant à Alcariël sa propre image, prostrée. Malgré son repentir, Faelwen entend l'orgueil dans ses arguments. L'étreinte de la déception se fait sentir sur son jeune coeur, d'un demi-cylcle la cadette de celle qui se soumet, alors qu'une lourde question reste en suspend : que faire de pareille ancienne ?

Solennelle, Faelwen exige les armes d'Alcarïel, ne souffrant par ses gestes et sa posture aucun refus. Celles-ci en main, elle se détourne, le visage fermé, et dévisage ses semblables... Une mauvaise idée peut-être, le poids sur ses épaules se faisant plus lourd, mais nécessaire : à son devoir, Alcariël a failli. Ainsi qu'à sa famille. Faelwen en prend pleinement la mesure.

"Einior*, Shaman, il nous faut nous réunir. déclare-t-elle distinctement. Noss*, ne parlez pas plus que nécessaire avec elle tant que son jugement n'aura pas été rendu. Elle regarde par dessus son épaule, vers le jeune éclaireur. Tuo, tu n'étais pas seul. Attend le retour des autres et explique-leur la situation."

Ces ordres donnés, la Chef donne la mesure en prenant le chemin de l'une des grandes tentes, les armes de la jugée en main, ainsi que son arc. Autour d'elle, les Anciens et la Shaman lui embôitent le pas tandis le reste de la Noss reste un temps indécis, retournant finalement à leurs tâches pour certains, prisonniers de l'interdiction et de leurs sentiments pour d'autres. Personne ne retient Alcariël. Elle est libre de partir, seule et sans arme, ou d'attendre, et souffrir le jugement des siens.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦

"Elle ne peut pas rester parmi nous."

Sous les peaux tendues, que maintient en place une structure végétale, Anciens, Shaman et Chef argumentent. Les avis sont divers, les sentiments vivaces... Faelwen observe et écoute, faisant taire ses propres sentiments. Un impétueux a parlé, la gravité de sa sentence démentant la douceur de son timbre. Tous anciens, tous éprouvés par les épreuves et les choix qui furent pris en leur temps. Cependant, c'est là une situation sans précédent. Une nouveauté, dont les enjeux sont encore flous, à déterminer dans le flots d'arguments que déversent chacun.

"Qui sait comment le Linoïn l'a marquée ?
- Sage, nous la croyions, mais son nom l'aura détournée de son devoir... Elle n'est plus digne de confiance
- Pareil tempérament ne devrait cotoyer nos jeunes, Au risque de leur mettre des idées invraisemblables en tête.
- Le bannissement est la solution la plus simple !
- La plus évidente. Mais cela signifierait une grande perte.
- Peut-être pourrait-elle vivre en bordure du campement ? Qu'elle n'enseigne plus, ne mène plus jamais les éclaireurs..."

Propositions, contre-arguments, inquiétudes, exaspération... Dans ce tumulte, une voix soudainement, se fait entendre, surprenante de calme et de rêverie.

"Alcariël s'est aventurée dans le Linoïn et elle en est revenue. N'est-ce pas une bonne chose ?"

Faelwen frémit en réalisant que c'est son père qui a parlé. Grand par l'âge, Barhador siège depuis longtemps parmi les Anciens. Connu pour son calme et sa sagesse, et sa grande empathie envers les siens. Cependant, depuis la perte de son amour, son esprit s'éloigne de plus en plus, au point que pour certains, Ancien n'est plus qu'un titre honorifique pour lui. Sa réponse ne manque pas d'en agacer certains, tant elle semble manquer l'escence de leur problème. Le point ne semble cependant pas négligeable pour Faelwen.

"Shaman... souffle-t-elle. ... Que dit la mémoire des Iarin'Dath au sujet des enfants s'écartant de notre voie ?"

Je tourne les talons pour suivre mon Maître, mais elle m'intime de m'arrêter d'un simple geste. Les autres anciens s'éloignent à la suite de Faelwen pendant qu'elle pose sa main sur mon épaule. Ses yeux d'or sont un peu moins neutre qu'ils ne le sont d'ordinaire. Très bien... Je comprends.

- Pas cette fois. Reste avec elle. Et ne cherche pas à te couper de ce que tu ressens. Acce...
- ... Accepte, écoute et retient.

J’acquiesce en soupirant, un sourire soumis sur les lèvres. Elle serre mon épaule, un air de fierté passe subrepticement sur ses traits et elle rattrape la petite cohorte.

En la regardant s'éloigner sans produire le moindre son, j'inspire profondément. Elle a raison. Ce n'était pas mon rôle de juger ou de trancher. J'étais là pour comprendre et aider. Le pouvoir du Chef et celui du Shaman était aussi séparer pour ça. Ne pas se focaliser sur la faute de l'autre, mais comprendre ce qu'elle fait résonner en soi. L'accueillir. Ici, par exemple, je ne supporte pas l'idée de pouvoir un jour renoncer au devoir qui m'incombera d'ici peu et qui me semble si écrasant.

Demi-tour.

En quelques pas, je me retrouve près d'Alcariël. Elle n'a pas bougée, gardant même la tête baissée. Elle a l'air si... pitoyable. Son aveux et son comportement sont à ce point en opposition que ça me fait mal au cœur de voir une chose pareille. La Symphonie frisonne de confusion comme l'ensemble des nôtres. C'est une chose triste...

Une idée me traverse l'esprit. Je regarde à droite et à gauche. Tuo se tient immobile, en retrait, tournant le dos à l'Ancienne, bien décidé à intercepter les éclaireurs sur le retour et à obéir scrupuleusement à Faelwen. Il faudra que je lui parle mais ce n'est pas le moment. Une simple pichenette et il allait exploser. En revanche, l'une des faiseuses d'arc est à deux pas et porte exactement ce que je cherche à la ceinture. Quelques mots échangés et elle me remet son bien sans discuter, quoi qu'un peu réticente.

Et je viens m'asseoir sur le sur de terre meuble et les courtes pousses qui l'ornent. En tailleur devant Alcariël, je lui tends l'outre d'eau que je viens de récupérer avec un sourire incertain.

Je ne sais quoi penser de tout cela, mais Elle a l'air fatiguée et si elle voyage seule depuis si longtemps, qui sait quand elle a pu se désaltérer et se reposer sans crainte la dernière fois...


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Lorna ferma les yeux à la question de Faelwen. Rien de bien étrange pour ceux qui la côtoyaient depuis si longtemps. Ses oreilles frétillaient légèrement tandis qu'elle explorait les recoins de son immense mémoire... Tout en y ajoutant l'air de rien ce qui venait d'être dit et ce que la Symphonie continuait de murmurer.

- Il n'y a pas de précédent concernant des membres qui soient partis puis revenus. Tous ceux qui se sont aventurés seuls dans l'Anaëh l'ont fait sans retour. Les rares qui ont recroisés la route du clan l'ont fait les armes à la main. Et si certains des nôtres ont explorés le Linoïn, envoyés par le clan ou contre son avis, aucun n'en est revenu. " laissa-t-elle finalement tomber en posant ses iris dorées sur Barhador. " Mais cela fait plusieurs années que les rumeurs courent... " Elle repassa sur Faelwen. " Cependant, hors de ces considérations sur l'état du Linoïn et le bien relatif que pourrait apporter l'exploration d'Alcariël, je dois parler honnêtement. Le bannissement ne me semble pas être une solution. Nous avons la charge des mémoires et aucune d'entre elle n'a été menacée, encore moins perdue, à cause de ses actes. Même si c'est un risque de l'accueillir à nouveau, la seule personne qu'Alcariël a risqué de perdre et de briser, c'est elle-même. En tant que Shaman, je ne peux souhaiter la laisser seule face à une telle épreuve. Aucun enfant du clan ne mérite un tel traitement. "

Sans grande surprise, les Anciens y allèrent chacun de leur commentaire et ils n'avaient pas vraiment tort. En effet, la reprendre sans savoir les séquelles qu'avaient laissé la Dissonence sur son esprit pouvait propager un mal dangereux. Son influence pouvait monter des groupes violents ou laxistes. Mais tout cela n'étaient que des spéculations face à la certitude de briser la mémoire d'Alcariël en refusant de l'accueillir à nouveau. Aussi, Lorna ne démordit pas de son choix, sans avoir d'idée précise sur l'éventuelle sanction que semblaient vouloir certains ou la façon de palier au mieux aux risques qui se présenteraient.

La seule chose qui allait me blesser, étrangement, était l’exigence de Faelwen de m’ôter ces lames inutiles qui reposaient à mes côtés. Qu’on demande aux plus jeunes de m’éviter pour ne pas que je les corrompe faisait sens, que le jugement n’ait lieu que dans une tente à laquelle je n’avais pas accès faisait sens, que plus personne ne m’ait adressé la parole directement faisait sens… Qu’on me retire mes armes ? Avaient-ils si peur de moi qu’ils me pensaient capable de me retourner contre eux ? M’en voulaient-ils tant que si je prenais la fuite, incapable d’assumer mes actes, je n'aurais rien pour survivre ? C’était presque injuste, mais dans une situation comme celle-là, je n’étais pas de ceux qui établissent la justice. Mon salut ne vint pas de l’objet qui était à ma ceinture, vers lequel ma main s’était dirigée instinctivement pour y déverser ma douleur et d’en être anesthésié, mais d’une présence.

Ma position était voulue comme une carapace, que personne ne pouvait rompre tant que je ne le voulais pas, qui renvoyait tous les regards négatifs de ceux qui m’entouraient, qui me permettait d’attendre simplement un verdict qui déciderait de ma vie, mais elle venait d’être brisée par une Ungwë qui semblait être allée à l’encontre des désirs de Faelwen. J’aurais pu m’interroger longuement sur ses raisons et arriver à une conclusion qui ne me donnait qu’envie de m’enfermer sur moi-même, j’aurais pu la repousser, mais elle était la seule qui ne semblait pas prendre part à la tempête qui m’entourait, et en cela, elle me désarma. Relevant la tête juste assez pour pouvoir plonger mes yeux dans les siens, j’en remarquai pour la première fois l’intensité de ce bleu dans lequel on pouvait se perdre. Elle me tendit une outre que j’acceptai d’un geste. Elle était hésitante, mais n’importe quelle présence qui n’étaient pas entièrement négative me convenait en vérité. Je m’étais désaltérée avant de réapparaître, mais mon aveu m’avait asséché la gorge et c’était comme un don du ciel.

Mon regard n’avait pas quitté le sien pendant de longs instants quand je brisai le silence d’un murmure. « Je suis une idiote. » Les mots étaient doux mais n’appelaient pas de réponse, c’était simplement une constatation. L’avouer à quelqu’un faisait du bien, surtout qu’elle n’était pas sous la tente et ne s’en servirait pas contre moi. Personne ne savait ce qu’il allait advenir de moi, et il y avait un risque qu’on se serve de moi comme exemple pour empêcher tous les autres de suivre mes pas. Je failli me servir de cette inconnue pour choisir mes prochains mots mais quelque chose en moi m’empêcha de m’apitoyer sur mon sort. Au lieu d’être pour moi, ces mots allaient être pour elle. « Merci. » Ce n'était pas seulement un remerciement de son attitude à ce moment précis, c'était un remerciement plus profond, qui la remerciait d'exister, ainsi que tous les autres. Cela n’avait pas toujours été évident pour moi, lorsque la partie de moi qui ressentait était enfermée dans le crâne du Linoïn, mais je les aimais tous, et cette réalisation rendait encore plus cruelle la situation.

***

Un des anciens profita de la fin de la tirade de Lorna pour s’exprimer à son tour. Il était celui qui avait subi la première conséquence de la disparition d’Alcariël, il avait pris sa place au conseil, il était comme beaucoup tiraillé en cette journée de douleur. Il était resté silencieux et avait écouté les uns les autres s’exprimer, il pensait désormais avoir dégagé une opinion assez solide pour être écoutée. « On ne peut pas uniquement considérer les conséquences visibles de son acte, voyons. Quel message est envoyé aux plus jeunes ? "Si vous revenez indemne tout est pardonné" ? Les plus orgueilleux vont faire la même chose qu’elle, pensant qu’ils sont assez forts pour ne provoquer aucune catastrophe. On ne sait même pas ce qu’elle a fait en Aduram, nous sommes peut-être encore en danger. Vous l’avez tous senti, la Symphonie elle-même nous communique ses doutes. » Il s’était exprimé un peu plus fort qu’il ne l’avait voulu, mais il était outré que certains ne regardent pas plus loin que ce qui pouvait être observé. La Symphonie avait changé depuis qu’Alcariël était rentrée, on ne pouvait pas balayer ça d’un revers de main.

Il marqua une pause, il s’aventurait maintenant sur un terrain glissant, alors que la Dissonance était un phénomène qu’il maitrisait mal et ne voulait pas que ses mots marquent une faiblesse dans son raisonnement en s’exprimant maladroitement. « Et si les graines que la Dissonance a semé en elle n’éclosent qu’après qu’elle nous ait tous convaincu de la sincérité de son repenti, devrons nous régler une nouvelle crise plus grave encore en regrettant n'avoir rien fait aujourd'hui ? » Il marqua une pose, laissant ses arguments être commentés par des murmures, avant d’achever son intervention par une nuance. Il ne voulait pas voir Alcariël disparaître car elle était un risque pour sa place parmi les anciens, il était convaincu qu’elle pouvait poser un danger à son insu. « J’ai grandi avec Alcariël, elle n’est mon ainée que de quelques années, je ne souhaite pas la voir disparaître aussi peu de temps après qu’elle nous ait été rendue, mais, et encore plus depuis que j’ai pris sa place ici, je ne sacrifierais pas la Noss pour une amie. »

"Vous l’avez tous senti, la Symphonie elle-même nous communique ses doutes.
- Elle est fait échos de nos émotions. Etant donné notre état, Sa perturbation est plus de notre fait que de celui d'Alcariël." avait répondu la Shaman, d'un ton égal et patient, avant de redevenir muette, écoutant les avis des uns et des autres et observant le père de Faelwen avec attention..

Faelwen écoute, toujours, acceptant l'absence de réponse dans la mémoire de la Shaman. Faute de précédent, il lui faudra en créer un... Et l'assumer. La petite pierre à son front lui semble plus froide. Que la Gardienne veille sur les nôtres... Ses mires cillent à peine, alors que l'Ancien qui avait rempli la place laissée vacante par Alcariël s'exprime. Elles s'étrécissent cependant à ses derniers mots. D'un lent mouvement de tête, l'ornedhel le salue, acceptant ses émotions avant de les mettre de côté, pour finalement parler.

"Amie, soeur, mère, ancienne... Cela ne peut nous influencer. Nous ne devons la voir que telle qu'elle est, à travers notre devoir : une mémoire égarée. souffle-t-elle froidement avant de reprendre, d'une voix plus affirmée. Certes, en nous quittant ainsi, l'Aînée qu'elle était a trahi la confiance que nous avions en elle. Certes, en errant si longtemps au Linoïn, elle peut être devenue un danger... Dont nous ne saurions cerner l'étendue aujourd'hui. Elle n'en reste pas moins une mémoire que nous ne pouvons laisser derrière-nous. Certains s'en offusquent, bien entendus, mais Faelwen leur fait signe d'attendre, d'un geste de la main. Aussi riche d'expériences et de connaissances soit-elle, son comportement doit être sanctionné. Plus encore, il serait bon que lui soit rappelé ce que signifie être un membre d'une Noss, et non pas un individu solitaire et sans racines. Elle abaisse sa main, pesant ses mots avec gravité, regardant un instant les lames d'aciers qu'elle a exigé d'Alcariël. Qu'elle soit réintégrée parmi nous en tant qu'enfant. A ce titre, elle ne sera pas autorisée à porter une arme qu'elle n'ait pas faite de ses mains, elle écoutera les enseignements de notre Shaman avec nos jeunes et devra obéissance à tout adulte, le temps nécessaire à ce qu'elle fasse ses preuves. Ses mires cuivrées se relevèrent. Qu'il advienne que le Linoïn ait laissé sa marque sur elle et j'en prendrais la responsabilité.
- Lui ferons-nous de nouveau confiance ? demande Barhador, nullement ébranlé.
- Nous ne le pouvons plus, einior*.
- Je t'entend, hén*. Cependant, cela nous rend-t-il aveugle à la richesse de sa mémoire, qui est allé là où nous ne nous aventurons plus depuis des cycles ?"

Les oreilles de la Chef frémissent, d'être ainsi nommée "enfant" à la vue de tous. Dans ses yeux, elle ne voit pas la solennité d'un Ancien discutant avec ses confrères, mais le regard d'un père rêveur contemplant son enfant. Un regard rempli d'espoir. M'a-t-il seulement écoutée ? Cette question ravive un sentiment de solitude familier, qu'elle préfère repousser. Son attention doit se porter sur les Anciens, qui demandent, hésitent, n'approuvent pas ou encore, demeurent silencieux. C'est une situation sans précédent. Sans précédent, cette décision l'est en conséquence aussi. Sur ce point, leur mémoire ne les préserve pas du gouffre de l'incertitude. Seul le temps permettra de se prononcer. Faelwen se sent se détachée, en observant ses Aînés en proie à des émotions d'enfants.

Pourtant, il lui faut se relever. S'inclinant pour sortir, elle tend les armes d'Alcariël à un visage familier, dont elle appelle le nom. Sans s'attarder sur le frémissement curieux de ses oreilles alors qu'il s'approche, la Chef lui demande de les porter dans sa tente. Puis, tandis que les Anciens sortent à leur tour dans son dos, elle retourne là où a été laissée Alcariël, agenouillée. Sur son chemin, elle a conscience que, une nouvelle fois, la Noss délaisse un temps ses activités, aux aguets. D'un pas preste et souffle, l'ornedhel a tôt fait de retrouver son aînée dans la même position... En compagnie d'Ungwë. Un infime froncement de sourcils accompagne cette découverte, mais faute d'entendre un échange de paroles, Faelwen se concentre sur l'ancienne éclaireuse. Le coeur lourd mais la voix ferme, elle se tient face à elle et baisse la tête sur son visage aux traits marqués par l'émotion.

"Alcariël, ta culpabilité a été reconnue. Ses mots s'abattent tels des arbres morts, sans hésitation ni regret. Tu as abandonné les tiens et mit en danger inutilement ta mémoire. Ta Noss, néanmoins, te reconnait et t'accueille... En tant qu'enfant. Tu ne sera pas autorisée à porter une arme que tu n'ais pas faite de tes mains, tu écouteras les enseignements de notre Shaman avec les autres jeunes et devra obéissance à tout adulte et ce, aussi longtemps que nous le jugerons nécessaire, afin que tu te rappelles ce que cela signifie que d'être l'une des nôtres. Aussi dure soit-elle, sa voix se fait murmure dans une ultime question. Acceptes-tu ton jugement ?"

En silence et sans perdre le vieille homme des yeux, Lorna avait sourit. Elle n'avait rien ajouté à la décision de leur chef acquiesçant tout simplement pour se soumettre à son pouvoir séculaire. Elle était seulement resté dans la tente, laissant les anciens sortir pour s'entretenir paisiblement avec Barhador loin des regards et des oreilles qui cherchaient toujours à juger l'état du vieil homme.


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Il n'est pas nécessaire que je parle, et par respect pour notre Chef, je ne parlerai pas. Pourtant, j'aurai bien voulu. En un sens, cette interdiction est une bénédiction car elle m'oblige à écouter. Et en lui prêtant une oreille attentive, j'entends son repentir, son doute, et sa reconnaissance sincère. Une reconnaissance que je ne comprends pas tout à fait, mais qui me va droit au cœur, ravivant mes propres doutes et déceptions.

Je reste là, à l'observer, à l'écouter. Je respecte autant les ordres de mon mentor que ceux de notre Guide... Enfin c'est toujours ce que je pourrai dire si Faelwen vient me taper sur les doigts, même j'ai comme un doute sur la sincérité de cette double ascendance.

Lorsque cette dernière revient vers nous d'ailleurs, je ne m'écarte pas. Un geste précipité aurait été un aveux de culpabilité. Je devais accepté de jouer mon rôle malgré les regards qui n'étaient pas toujours d'accord. Encore une fois, j'écoutais... Et la sentence me permit de respirer à nouveau à pleins poumons.

Elle était sévère. Et c'est parce qu'elle était sévère que je me sentais en droit d'avoir de la compassion pour l’ermite qui revenait vers nous. C'est la première fois que je comprends réellement l'un des premiers enseignements de Lorna. " Le Chef prend les décisions qui séparent pour que nous n'ayons qu'à rassembler. " Elle l'avait dit une fois où l'ancien chef avait pris une décision avec laquelle elle n'était pas d'accord. Je n'avais pas compris pourquoi elle le soutenait tout de même.

Je crois que je commence à comprendre. Faelwen vient de s'occuper de la justice, de la sécurité des nôtres. Pas besoin de retourner l'affaire dans tous les sens pour comprendre que c'est une décision difficile qui ne lui vaudra pas que des amis. Aucun de nous n'a a prendre cette décision qui nous impacte tous. Nous devons simplement accueillir à nouveau cette ancienne. Nous pouvons lui pardonner sans avoir à penser aux autres ou aux retombées possibles puisque notre Chef s'en ait occupé. Et si quelque chose se passe mal, ce sera à elle d'en assumer les conséquences.

Mes yeux dérivent naturellement vers le profile de la grande archère, amplis d'un respect renouvelé. Puis ils se reposent sur Alcariël, libérés de toute retenue, attendant sa réponse.

Je n’eus pas de réponse de la part d’Ungwë, je m’y attendais et ne m’en formaliserais pas, sa présence et le réconfort qu’elle apportait rien qu’en étant là étaient plus importants. Les mots de Faelwen me surprirent presque alors que je ne l’avais pas entendue arriver. La sentence tomba comme un coup de massue. J'eus un hocquet de surprise d'abord, complètement assommée par une telle annonce. La surprise fit place à une colère muette, et seule Ungwë que je n'avais pas quitté du regard pu apercevoir les éclairs verts que mes yeux renvoyèrent pendant quelques instants, avant de disparaître comme ils étaient venus. À qui en avais-je voulu ? Je n'en savais rien, peut-être à moi-même ? Ou étais-ce cette nouvelle mention d’armes ? C’était important, à n’en point douter, surtout quand on savait les rôles que j’avais pu occuper, mais en faire un point important de la sentence était douloureux, encore une fois, allais-je un jour me débarrasser de ces soupçons ?

« J’accepte le jugement. » La voix ne semblait pas être mienne, elle semblait même sortir du petit crâne que j’avais à ma ceinture, comme si elle profitait de mon état abasourdi pour prendre le contrôle. Je ne pouvais pas le refuser maintenant de toute façon, je l’avais déjà accepté avant de l’entendre et fuir n’était plus acceptable. On ne me laisserait probablement pas, on m’avait répété que ma mémoire était ce qui leur importait le plus, ce qui devait importer le plus à tout membre de la Noss, ce que j’étais allé chercher en Aduram. Mais maintenant, cette voix reprenait, cherchant à éclairer tout doute malgré moi. « Pour toujours ? Comment puis-je faire pour revenir ? »

Puis, l’hébétude fit place à une soudaine clarté d'esprit, je repris vivement, pour empêcher cette voix d'avoir le temps de prononcer un mot ou celle de Faelwen de répondre à ses questions qui me mettaient encore une fois au centre de la discussion quand il n’était presque plus question de moi, mais de la Noss tout entière. « Non, ne me réponds pas, je n'ai pas besoin d'une réponse, que ce soit un ou dix cycles, je ferais ce que les Iarin'Dath attendent de moi. » Oui, c’était mieux ainsi, me montrer trop pressée ne m’apporterait jamais ce salut que je comptais obtenir un jour, la patience était ma seule option, et montrer que je l’avais compris était une des premières étapes que je venais de me fixer.

« Par quoi je commence ? » La question me fit finalement comprendre la portée et l'unicité de la situation. Je ne devais pas "faire semblant" d'être un enfant, je devais "être" un enfant, par où commencer lorsque l'on avait près d'un cycle derrière soit ? Et ce genre de question n'était-elle pas réservée à un enfant qui découvrait le monde, justement ? Puis la réalisation tomba. Ce n'était pas unique, j'avais fauté, j'abandonnerais mon expérience pour repartir de zéro, c'était la première fois depuis la chute du Linoïn et des terres ancestrales de la Noss des Iarin'Dath, assurément, mais cela prédisait-il un retour à ces temps immémoriaux ? Des images mentales de l’Aduram m’atteignirent comme pour me confirmer mes pensées, mais je n’avais plus rien à faire avec ces souvenirs maintenant, je devais me reposer entièrement sur les miens, et leur vouer une confiance absolue. Je me relevai enfin.

Ton coeur, au rythme forcé, s'appaise quand Alcariël se soumet. Ses hésitations, tu les mets sur le compte de la gravité de ce qui vient de lui être asséné. A moins que, déjà, l'emprise du Linïn ne se fasse sentir... ? Tu repousses cette inquiétude : seul le temps permettra de se prononcer. Garde en tête la différence entre être aux aguets et chercher la petite bête. Dominant ton aînée, tu l'observes encaisser le choc... Puis se reprendre, sans chercher à rassurer ou nuancer. Cela n'est pas ton rôle.

Sans t'attarder sur le goût pour l'exagération d'Alcariël - Il est loin, le temps, où nous vivions si vieux... -, tu la salues alors qu'elle se relève, dans l'attente. Tu en sourirais presque de soulagement ! Du moins, tes lèvres se permettent une légère montée, changement infime au coeur de ton faciès impassible, aux miroirs sans émotions. Cependant, ta peau se hérisse, sentant le poids des attentions. Tournant doucement la tête, tu adresses à tes semblables une dernière déclaration.

"Alcariël est de nouveau des nôtres. Accueillons cette enfant comme il se doit."

Peu s'en faut que des voix ne s'embalent, envoyant aux orties le calme végétal dans lequel ils baignent. C'est que les émotions sont fortes : colère, soulagement, inquiétude, peur... Le négatif est balayé, pour certains, par cette acceptation. Si les Anciens, la Shaman et la Chef ont décidé de la laisser revenir, c'est qu'elle ne doit pas représenter un danger. Ainsi, certains la voient à nouveau simplement comme une parente perdue et revenue. D'autres préfèrent garder leur distance, mais ceux qui s'avancent pour l'étreindre les cachent bientôt à leur vue. Face à pareilles réactions, tu te tournes de nouveau vers ton aînée, que par ton choix, tu as faites enfant.

"Reposes-toi, hén*, ta route a dû être longue. souffles-tu, avec une ombre de douceur dans ton timbre. Demain, ton apprentissage commencera."

Demain, il faudrait défaire ce qui avait été fait dans l'urgence, pour accueillir un fantôme dont la venue n'était qu'espérée. A présent qu'elle est revenue, le temps passé en une terre qu'un Fanué n'a pas désigné en se couchant hérisse doucement ton poil, toi la Guide des Iarin'Dath. S'écarter de votre voie a porté ses fruits... Mais tu ne saurais vous en tenir trop longtemps à l'écart. De plus, tu ne souhaites pas t'attarder davantage, tu en connais qui se feront une joie d'être porteur du bonheur du clan, à voir l'une de ses mémoires revenir. Du coin de l'oeil, tu vois Tuo qui hésite, son bout de bois toujours dans les bras - Que fat-il avec... ? -, entouré des éclaireurs revenus après lui. Pour leur peine, tu adresses à ces derniers un signe de tête reconnaissant.

Sur le point de te détourner, tu hésistes un instant puis te tournes vers Ungwë. Elle est la Première de la Shaman, alors pourquoi pas...

"Ungwë, veille sur elle le temps qu'elle trouve ses repères, veux-tu ?" demandes-tu.

Sans guère lui laisser le temps de répondre, tu la salues d'un signe de tête et te recules, laissant la place à ceux qui, jusqu'à présent, étaient demeurés en retrait, dans l'expectative. Sans autre regard tu te détournes et va là où ta présence est requise. Distraitement, tu vois Barhador sortir seulement de la tente où s'est tenu le conseil, la Shaman sur ses talons. Le coeur lourd d'un poids familier, la Guide que tu es va finalement rejoindre cette mémoire qui t'es chère, que tu sais égarée en elle-même.

Je me lève en acquiesçant à l'attention de notre chef, mai c'est à Alcariël que va toute mon attention. Un sourire enfin sincère sur les lèvres, je suis la première à l'étreindre au sens propre. Les bras passés autour d'elle, mon épaisse crinière bouclée ne doit pas lui permettre de voir grand chose de l’œil droit, mais cette amusant pensée s'envole bien vite.

- Quand on rentre chez soi, on commence par poser son sac et embrasser sa famille. " Je murmure avec légèreté. " Bon retour Alcariël. " J'aurais pu ajouter le mot 'tante' mais il est habituellement si implicitement comprit dans la façon que j'ai de parler aux aînés qu'il ne manque pas vraiment. Fille de tout un clan, j'ai mieux connu la plupart des anciens que mes propres parents. Que je le veuille ou non, Alcariël fait partie des figures qui ont bercées mon enfance. Je jure de faire en sorte que son retour parmi nous se passe le mieux possible et qu'elle apprenne de cette horrible erreur. Enfant on non, on enseigne rien à coup de bâton... Sauf l'astronomie peut-être si je me prends pour exemple, mais c'est un autre sujet.

Lorsque je recule d'un pas pour laisser place à tous ceux qui veulent l'accueillir à nouveau, je frissonne en sentant mon poignet brusquement cerclé d'une entrave implacable. Tuo...

- Arrête de faire comme si ça n'avait pas d'importance. " Souffle-t-il entre ses dents serrées.

Son bout de bois serré dans la main gauche, la droite blanchie sur mon poignet, il me regarde avec une rare désapprobation. Il fronce tellement les sourcils que ses iris violacées en paraissent noires. Sa prise devient rapidement douloureuse et il est suffisamment tendu pour servir de piquet de tente. Il avait répondu au signe de tête de Faelwen. Il ne ferait jamais rien pour lui déplaire et c'est sûrement la seule raison qui l'empêche de hurler à l'heure qu'il est. Il s'est retenu pour ne pas faire d'esclandre, mais il est blessé... sacrément blessé.

Au lieu de tenter de me défaire de sa poigne, je pose ma main sur la sienne avec douceur.

- C'est mon devoir. Nous en parlerons dès que j'aurai un moment, je te promets. "

Il recule en poussant un grognement sonore, s'attirant plusieurs regards au passage... sans choquer grand monde. Il est reconnu pour son talent précoce, pas vraiment pour son flegme. En revanche, lorsqu'il balance son bout de bois au sol, le regard qu'il envoie à Alcariël avant de tourner les talons vaut plus qu'un long discours. Je fronce un sourcil agacé en secouant légèrement la tête, désapprobatrice. Il n'aide vraiment pas sur ce coup là.

Retournant sur le visage d'Alcariël, un peu plus entouré cette foi, je souris avec la même douceur sincère que d'habitude.

- Comme ça tu peux voir qu'il n'a pas changé... Bon. Le camps est presque monté. Que dirais tu de te reposer les jambes en pelant des racines ? " L’interdiction concerne les armes, certainement pas les couteaux de cuisines dont tout le monde se sert pour mettre la main à la pâte. J'étais sensé allé vérifier les trouvailles des apprentis concernant leur cueillette d'achillée mais je sais que Lorna ne m'en tiendra pas rigueur, bien au contraire. D'une main, j'invite l'ancienne à m'accompagner au coeur du campement, là ou les feu de cuisson sont peu à peu dressés et cerclés de pierre.