Les magouilles de sa Majesté [ Krish ]

6^ième jour de la 6^ièmeennéade de Favrius, An 11

Maints sabliers s’étaient égrainés depuis la journée fatidique où le gouvernement fût renversé, pour ne pas dire que deux ennéades les séparaient désormais de cet instant. Depuis, pour se remettre de ses états, Kah s’était évertué à remettre le nez dans ses affaires. Bien que florissantes, ses entreprises se montraient fort complexes à exploiter et il ne s’en voyait guère ardu d’y voir quelques filons de richesses lui filer entre les doigts. Entre l’extraction de gemmes, leur raffinement et leur vente, nombres de mains se devaient de toucher à la matière première et donc, pouvaient compromettre les profits de ce commerce. Quant à la vente d’esclave, c’était tout comme. Et puis, il y avait la concurrence qui se montrait au Puy plus féroce que partout ailleurs, faisant même de ce marché l’un des plus capricieux. Un jour, foule pouvait se tasser à vos portes et à l’autre, suite à un arrivage concurrentiel, le désert. Ces moments à trousser paisiblement ses livres de comptes, il les devait à cette période de dormance pour la Dotkha. Muselée par les récents événements du Puy, l’illustre organisation était tenue en laisse et donc, ne pouvait ni agir, ni parler. Autant pour le Barra que le Maître des Ombres, un congé leur fut fortement conseillé, pour ne pas dire imposé.

Enfin, au bout de deux ennéades, les choses allaient bouger. C’est au porche du palais de l’Al’Serat que Kah fût convoqué, sans toutefois étaler de long en large sur le vélin de son invitation les motivations. Sous les coups de midi, il s’y rendit tout bonnement, sans escorte ni protection : il aimait à ne pas faire d’entrée remarquée. Les pattes tenues chaudement dans les poches de ses braies, il n’arborait de vêtements autres que cette paire, de même que ses bottes et son ceinturon. Rien ne couvrait ni son poitrail, ni ses épaules, ne serait-ce que les centaines de cicatrices –dont quelques-unes plus fraîches que les autres- et une imposante brûlure contre son flanc droit. Ainsi presque à nu, il pourrait montrer sagement patte blanche, qu’il n’avait ni idées belliqueuses, ni possibilité de surprendre par la possession d’une quelconque arme dissimulée. Son long mantel, dont il avait habitude de passer par-dessus ses épaules, en avait maintes fois montré son utilité en y dissimulant quelques guets apens de son cru.

On le fouilla sommairement, mais sans plus. Son arrivée avait-elle été annoncée aux gardes qu’ils s’en montrent moins surpris ? Kah chemina au travers du palais, décrivant chaque détail du regard, comme s’il chercha à se souvenir de chaque racoin. Il se douta qu’il aurait à revenir prochainement, que ce fût de son gré ou pas, pour des bienveillants motifs ou pas. Enfin, il la vit : elle était là, aussi impétueuse qu’il la connaissait. Elle était postée en plein centre de l’atrium, ordonnant un tel ou une telle à quelques strictes tâches. Visiblement, la toute désirable millénaire n’avait pas chômé : elle avait pris le taureau par les cornes et s’assurait que tout soit à sa convenance. Ses nouvelles fonctions lui permettant plus de latitude encore, il se douta qu’elle en profite pleinement.

« Ma Reine m’a fait demandé ? » Il s’inclina sommairement, la gratifiant de ce sourire mutin qui le caractérisait tant. Même élevée par ses nouvelles fonctions, il aimait à la piquer, à l’agacer un peu. De toute façon, aussi vrai qu’il était talentueux dans son métier de coupe-jarret, tous s’entendaient à l’unisson à affirmer que le sérieux ne faisait pas partit de ses qualités premières.

De très nombreux yeux et de très nombreuses oreilles appartenaient à toutes sortes d'indésirable dans la ruine métaphorique qu'était devenue le Palais de l'état Major. Une fois remis sur pied, les nouveaux dirigeants avaient convenu des premiers changements hiérarchiques et commençaient à préparer le terrain pour que ni l'armée, ni les vestiges crasseux qui se baladaient sous leur nouveau toit ne posent de problème. Rien n'avait été officiellement annoncé mis à part les identités de la nouvelle tête de l'hydre et Krish ne portaient le présent de ses hommes ni en privé, ni en publique.

Par contre, elle prenait sa part de travail, comme les autres... Et en matière de Devoir, les eldéens n'étaient clairement pas des thaaris. Ceux qui avaient conscience des enjeux ne rechignaient pas à l'effort et les profiles de quelques conseillers de bon ton se dessinaient déjà. L'exigence qu'elle avait envers ceux qui recevaient ses ordres n'était pas non plus la même que de son temps de Princesse. Ils devaient faire les choses parfaitement et pour le moment elle n'hésitait pas à laisser son regard grave peser sur eux au détour de ses inspections.

Pourtant, de tous les changements qu'ils prônaient, une seule ne pourrait jamais être touchée : les puissants attiraient les rumeurs et les œillades.

Aussi n'était-elle pas des plus amusé lorsqu'elle entendit une certaine vieille connaissance la charrier sur un titre bien trop spécifique pour qu'il soit lancé de façon innocente.

- Je ne suis pas ta reine.

Sans se retourner, elle rendit son épée à l'un des gardes qui avaient eu le malheur de ne pas se déplacer au pas pendant leur changement de poste. Les quatre homme s'étaient fait remonter les bretelles façon ordalie et devaient avoir une bonne centaine de bleus et d'estafilade pour le prouver... Ainsi que bien des conseils sur la façon d'améliorer leur style de combat.

- La prochaine fois, je vous envoie dans l'arène à la gloire du Père et un seul en ressortira. "

Elle les jaugea une dernière fois d'un regard brûlant. En parlant de rumeur, deux d'entre elles étaient en passe de s'incruster durablement dans l'esprit des Eldéens : le Premier Feu ne mentait pas et il ne se répétait pas.

Krish se retourna vers son visiteur en libérant sa crinière blanche de la courroie de cuir qui la maintenait en arrière. Ses pieds nus émirent un bruit mât sur le sol de pierre et sa tunique sans manche de mousseline noire à moitié transparente floutait à peine les contours de son buste au dessus de la ceinture qui tenait son pantalon de cuir.

- Vient. On va causer. " lui intima-t-elle en tendant le bras vers un couloir latéral. " Un charmant collègue dont je terrai le nom m'a conseillé de te voir avant que tu finisses par décidé qu'on est pas... la bonne solution. " gromela-t-elle " Et puis j'ai peut-être deux boulots pour toi. "

Houlà, Krish n’entendait pas à rire et seul un fol irait la piquer suffisamment fort qu’elle s’en irrite une bonne fois pour toute. Kah était peut-être l’un d’entre eux … Mais pour l’instant, alors qu’il aurait pu soutenir son trait d’humour d’une seconde remarque, il se tut. Il est vrai qu’en public, elle désirait probablement tout comme lui conserver une certaine image sur laquelle, lorsqu’on venait à la dénigrer, elle pouvait s’en voir courroucée. Il la suivit sans autres ambages ni forme de procès, elle ici désormais maîtresse des lieux et il ne se voyait pas contester son autorité si tôt après sa nomination. Lorsqu’il arriva près des quatre malheureux, il leur fit un clin d’œil un peu moqueur, comme si intérieurement il s’amusa de leur triste sort. Cela lui rappela les difficultés auxquelles il fut soumis lors de son jeune temps. Depuis, de l’eau avait coulé sous les ponts et il n’avait plus de compte à rendre à personne. Pas même au Barra, qui lui donnait un peu trop de latitude à son goût. Il devait peut-être ça à son manque d’ambition d’accéder à ce titre de prestige, mais ça, c’était un tout autre dossier.

« Tu pourras dire à ton ténébreux collègue que si mes intentions divergeaient des tiennes, je me serai arrangé pour te donner à peu près le même sort qu’à Malag’eyl. Or je me verrais bien incapable d’attenter à la vie du Detholusin Chath d’Uriz … Et qui plus est, quel monstre ferais-je si j’abîmais une aussi délicieuse créature. Tu sais l’effet que tu me fais … » Il avait lancé l’information comme si la chose fût anodine, comme s’il n’avait rien en ce monde de plus commun que d’en pincer pour la femme de pouvoir qu’elle était. Si seulement elle savait ce qui l’attirait en elle, elle était bien loin de se douter. « Quant au travail, c’est bien pour ça que je suis venu ici : pour mettre mes services à disposition du nouveau gouvernement. »

Spoiler:

- Non je ne sais pas l'effet que je te fais et ça me va très bien. " ... la plupart du temps... répondit-elle avec un moue faussement dédaigneuse. Il valait mieux que cette vieille relique reste loin d'elle... Mais en même temps il fallait reconnaitre qu'il avait un certain talent.

Ils poussèrent une porte du palais, gardée par deux hommes en armure de cuir et de mail et se retrouvèrent dans la salle des archives. Ils passèrent les premiers rayonnages, quelques coffres et poursuivirent leur chemin en bas d'un escalier dans une autre grande salle aux étagères bien moins remplies. Elle s'approcha de l'un d'eux et en tira un gros volume très récent par rapport aux volumes antiques de la salle du haut. La couverture était ferré d'argent et une tablette de marbre gravée servaient de première page. Tout en continuant vers la seule table de travail qui trônait dans la moitié de salle vide, elle lança à son accompagnateurs.

- Je vais faire court. Tout ce dont nous allons parlé aujourd'hui doit rester strictement confidentiel et tant que nous sommes en privé, tu peux parler librement. Tu sais quoi sur le précédent Triumvirat et la façon dont chacun de ses membres ont fini ? "

Elle posa le livre fermé sur l'imposante table de pierre, tira une chaise pour son hôte, une pour elle, et s'assit sur la table en posant l'un de ses pieds sur l'une des assises.

Il souffla des naseaux en rehaussant à peine ses babines dans l’ombre d’un sourire, les prémices d’un rictus étouffé quoi. Elle savait très bien et sa fierté l’empêchait de lui donner raison. Il se douta que la chose vienne à se reproduire souventefois encore et qu’il devrait jongler avec ce cuisant trait de caractère. La salle des archives … Voilà un endroit qui offrait à la fois savoir, connaissances et puissance. Du temps du dernier Triumvir, la Dotkha avait ratissé les étagères, encore et encore et encore, s’imprégnant de chaque menu détails dans l’unique but de mettre ce savoir à profit. Évidemment, de telles connaissances ne pouvaient être maîtrisées par une seule et unique tête, mais c’est ce qui faisait la beauté de l’entité qu’était la Dotkha. Le nœud principal de ces espions et coupe-jarrets constituait à lui seul et unique personne, réunissant un bassin d’informations si conséquentes qu’il se montrait indispensable à tout gouvernement qui désirait voir à bien leur fonctionnement. Quant à Kahveka, il ne faisait évidemment pas exclusion de ces têtes riches de connaissances. Et malgré cela, une éternité ne serait suffisante pour tout connaître. Bientôt, il en serait la preuve.

« Tu sais que tu peux me faire confiance. » Il acquiesça quelques fois pour lui-même, ne sachant réprimer cette fois une expression faciale amusée. Il savait que sa première tirade empestait l’ironie.

« C’est ce qui est étrange, avec le dernier Triumvir. Tous ses membres n’ont laissés que bien peu de traces. Malag’eyl, enfin, tu sais aussi bien que moi ce qui s’est passé. La très délicieuse et exquise Elvanshalee est portée disparue. La dernière fois que nous l’avons aperçue, elle était chez elle, accompagnée par sa mère et ton ex-mari. Par après, plus rien. Aucunes traces, aucunes informations, rien. Elle s’est volatilisée, tout simplement. » Et sachant le talent de la Dotkha pour la traque, cela relevait de l’exploit. « Quant à Haldren, des rumeurs courent, mais aucunes ne sont confirmées. Dans tous les cas, tous s’entendent pour dire qu’il ne remettra plus jamais les pieds au cœur du Vatna. » Il perdit son sourire cette fois, comme si de ne pas avoir plus d’informations à ce sujet l’embêtait vraiment.

Était-ce enfin quelque chose à laquelle il ne trouva rien à se gausser?

Confiance en tant que personne ? Certainement pas. Mais la Doth'Ka était suffisamment bien faite pour que ses traitres ne vivent pas assez longtemps pour s'en venter. Et de ça, il n'y avait pas de doute. Pour le reste, le fait que Kahveka suspecte le fait qu'Haldren n'était pas vraiment mort était déjà une marque de qualité concernant son réseau d'information.

- Pas mal. " elle lui offrit un sourire appréciateur avant de tapoter deux fois sur la couverture du gros volume. " Les gens de Malag'eyl ont fait disparaitre la plupart des document concernant les affaires politiques depuis le Voile, mais entre mes voyages et mes hommes, j'ai trouvé deux trois choses qui nous seraient utiles. " Avant d'ouvrir une bonne fois le livre, il y avait un véritable point à aborder... Et un point qui ne devait sortir que sous certaines conditions.

- Comme tu le sais, des rumeurs circulent depuis la perte d'Eraison. Certains disent qu'Haldren serait en vie. Et bien je peux te l'assurer. Haldren est en vie. Et je veux sa tête cuite à point sur un plateau avec des piments et des champignons. " Elle retenait sa colère, mais le simple fait de prononcer son nom lui écorchait les lèvre. " Il s'en ai prit à moi et à mon fils il y a quelques... Mois, si je ne me trompe pas. Je me suis retrouvée prisonnière des elfes par sa faute. Ce traitre à abandonné Elda et s'est réfugié en Anaëh. Il est protégé par des elfes. Je le tiens de Loethwil, le chef de guerre qui a détruit Yutar. J'ai envoyé des assassins à au troupe de l'elfe pour nous venger, mais je n'ai pas réussit à localiser ce putain d'ex-Prime Sorcier. "

Ses ongles se plantèrent dans le cuir qui galbait sa cuisse. Aujourd'hui, la mort d'Haldren n'était plus une priorité de chaque instant mais elle ne pouvait pas non plus abandonné avant d'avoir tenter le moindre mouvement.

- Si les nôtres apprennent qu'un ancien triumvir à trahit le Puy pour se ranger du côté des elfes et qu'il vit là-bas sans être inquiété, cela pourrait avoir de sacré répercutions. Voilà donc ma première question : Est-ce que tu penses pouvoir monter une mission d'espionnage en Anaëh, en manipulant des esclaves elfes ou en envoyant des marcheur d'ombre pour retrouver sa trace ? "

Elle avait un plan B pour récupérer quelques informations, mais autant commencer les plans dans l'ordre alphabétique adéquat... D'autant plus qu'elle tenait personnellement à ce que ce connard soit débusqué.

Visible au devant du feu d’uriz, Kah se redressa légèrement sur son assise à mesure qu’elle s’approchait dudit livre. Sa couverture ne lui disait absolument rien et le fait qu’il soit, hypothétiquement, l’un des derniers recueils traitant du dernier Triumvir, l’alléchait franchement. À ce niveau, lorsqu’on connaissait un  tant soit peu l’animal, on pouvait deviner que sa soif de savoir n’avait d’égal que son amour pour la douleur. Et à l’instar d’une tentatrice qui se refusait de lui donner ce qu’il désirait, elle se retint d’ouvrir la couverture et préféra simplement y passer ses doigts graciles sur sa surface. Intérieurement, il ronchonna d’agacement et se hâtait de connaître ses réelles motivations.

Et puis il fallut qu’elle lui rentre un doigt dans la gorge, bien profondément, pour que le cœur lui lève suffisamment à l’écho de cette nouvelle à propos d’Haldren. Cet enfoiré était bel et bien vivant … Mais il ne pouvait se contenter de ça, il fallut qu’il cherche à devenir le plus illustre paria de tous les temps. Un tic nerveux fit frétiller la paupière droite de Kah, tant la nouvelle le dérangeât. Et bien que toutes les insultes possibles et inimaginables lui taversèrent la tête, ses lèvres ne s’en virent pas contrainte à les exprimer. Seul son regard froncé, loin de l’humeur taquine et malicieuse qu’on lui affublait usuellement, témoignait de son grand agacement.

Enfin, elle mit cartes sur table et lui fit la demande qu’il attendait. Son limier, c’est ce qu’elle désirait qu’elle devienne ? Dans le feutré, peut-être aurait-il souhaité qu’elle lui passe la laisse au cou, mais au quotidien … Son nez se plissa et de l’index et du pouce, il vint caresser sa lippe de manière pensive. Elle ne lui demandait pas qu’un simple service, car sa demande était conséquente. Elle lui demandait d’envoyer des hommes –les plus talentueux, pour le coup- au cœur de l’Anaeh, dans l’unique but de glâner quelques informations à son propos. Et le pire, c’est qu’iceux avaient comme sujet d’étude probablement le plus dangereux sorcier de Miradelphia … Tout de même, pour un premier mandat, elle ne manquait pas de culot. N’aurait-elle pas simplement put lui demander la tête de quelques vils drow qui ternissaient la nouvelle image qu’elle s’évertuerait à redonner au peuple Vengeur ?

Pour autant que la demande lui sembla monstrueuse, après un temps de réflexion, il dénoua ses lèvres pour lui dire ces quelques mots :

« Je suis persuadé que tu l’es, mais tu es consciente de ce que ça coûtera à la Dotkha que d’entreprendre une aussi périlleuse mission ? Je pourrais envoyer des hommes qui cumulent ensembles un millénaire de connaissance et d’expertise, qu’ils pourraient tout aussi bien ne plus jamais remettre les pieds au cœur du Vatna. » Puis Kah soupira, s’esquivant momentanément du regard de Krish pour mieux y revenir. « Mais oui, tout est possible. Dis-moi seulement ce que tu as besoin de savoir et je me débrouillerai pour te l’obtenir, quoi qu’il en coûte. »

Alors il chercha à la rassurer, regagnant naturellement son air habituel, un sourire un brin mutin collé aux lèvres et des yeux plus éclatant de malice qu'un précieux joyau.

Le prix, c’était celui du sang. Du sang qu’il connaissait et respectait.

Elle soupira mais acquiesça tout de même. Elle ne s'attendait pas à un accord aussi simple alors qu'il était visiblement sur la réserve quant à la mission qu'on lui confiait... Et c'était un très bon point pour lui.

- Je ne demande pas seulement si tu acceptes, mais si cela te semble sensé. A vrai dire, j'ai peut-être une autre source de renseignement à tester, mais le fait d'envoyer quelques éclaireur en Anaëh étant potentiellement bien plus long, je préférais t'en parler avant. " Elle croisa les jambes, s'appuyant sur la table d'un bras nonchalant. " Un homme nommé Don'Dar a égaré une esclave en Anaëh et il monte actuellement une équipé pour aller la récupérer. Elle a vécu plusieurs années parmi eux et elle devrait avoir toutes sortes d'informations sur leur culture... Mais surement pas celles qui nous importes le plus sur leur organisations et le traitre. Pour l'instant tu connais mieux les ressources de la Doth'Ka que moi, alors dis moi comment tu me conseille de procéder ?

« Alors non, c’est insensé. » Lui lança-t-il lorsqu’elle lui demanda son franc avis. « Quand bien même ais-je en horreur de le dire, les elfes ont des ressources qui ont tout pour mettre en déroute nos plans s’ils manquent de préparation. Envoyer des éclaireur au cœur de l’Anaeh, espérer y rencontrer Haldren et d’analyser ses faits et gestes, glaner des informations à son sujet sans se faire repérer, c’est une mission que je considère comme très improbable. » Et Kah n’était pas drow à avoir froid aux yeux, c’était un joueur sans l’âme qui adorait à prendre des chances. Mais quand les probabilités sont contre vous… Alors il faut de suite remettre pieds sur terre.

« Ce qu’il faudrait, c’est trouver un moyen de l’écarter de cette damnée forêt. Quelque chose pourrait l’intéresser à le faire? Ou quelqu’un? Sais tu s’il a complètement abandonner sa vie d’avant pour sa nouvelle? Nous pourrions l’amener à le faire sortir et là alors, la chose serait déjà plus sûre…» C’était un plan fort bien moins ambitieux, mais qui avait quand même son charme. L’âme d’Haldren avait-elle a ce point changée qu’il en balaie du revers de la main toutes ses affaires du passé ? Et puis, il vit Krish qui lui sembla bien peu emballée… À quel point le feu d'Uriz pouvait se voir impatiente de le voir refroidit sous ses mires de braises?

« Tu sais que la Dotkha est désormais à ton service : ainsi vont les choses et elle te sera fidèle… » Pour une fois il n’y avait pas de pointe d’amusement dans son ton, cette pointe qui laissait toujours planer un doute sur ce qu’il affirmait. « Mais… Je ne suis que l’humble serviteur du Barra, moi. Je dirige le corps d’arme des assassin, pas des espions. Et je suis encore moins habileté à prendre ce genre de décision. » Il l’était, en vrai. Mais il savait que cela l’agacerait. « Ces doux mots que tu me rend, ne devrais-tu pas les murmurer au Barra plutôt qu’à moi? »

Le débusquer... Tandis que Kahveka lui rappelait gentiment qu'il n'était pas le Bara, elle remâcha l'idée, tentant de la ployer et de la réduire en miette pour n'en garder que la substantifique moelle. Elle n'y avait pas pensé une seule seconde... Amener Haldren sur son terrain au lieu d'aller le chercher. Comment ? Pourquoi ? Et surtout, si comme elle le pensait, il trompait les elfes pour se mettre à l'abri d'Uriz et retrouver la dernière triumvir, comment estimer les force et le réseau qu'il avait de son côté... Si elle voulait obtenir vengeance pour ce qu'il leur avait fait à elle et à son fils... oui... C'était si évident pourtant qu'elle aurait du y penser dès son retour.

Kahveka achevait de rendre à son supérieur ses prérogatives lorsqu'un sourire détendu naquit sur le visage de la nouvelle triumvir.

- Hein ? A oui. Le Bara. Mais tu es tellement moins orthodoxe que lui. " gloussa-t-elle. En réalité, elle avait passé plus de la moitié de sa vie à se tenir le plus loin possible de la doth'ka et encore plus loin du Bara. Dès ses trente ans, son abruti de père lui avait ordonné de l'appelé toujours pas son titre, même dans le privé, aussi n'avait-elle pas une grande affection pour ce grade qui pâtissait de l'ombre de mauvais souvenirs. L'automatisme viendrait avec le temps, c'était un début et comme tous les débuts, il était plutôt chaotique. " Blague à part. Je verrai ça avec lui, mais autant que tu saches à quoi t'en tenir. Je ne sais pas à quel point Haldren peut être dangereux, même à cette distance. " Une menace qu'on ignore est toujours plus dangereuse qu'une menace visible. " Bref ! "

Elle se tourna légèrement pour ouvrir le volume. Elle tourna les grandes pages. Certaines étaient visiblement des brouillons, d'autres à moitié brûlées ou tâchées. Des feuilles volantes de toutes sortes devaient avoir été rassemblées là dedans.

Elle s'arrêta sur une page froissée aux bords cendreux dont tout l'espace était occupé par un diagramme représentant les plans de plusieurs étages d'un manoir ou d'un domaine...

- Comme tu le sais sûrement, le père de la Voix des Ombres et ancienne triumvir Elvanshalee, Elkantar Hune'Baenre était Streaa du Ier Ost en son temps et il était par conséquent très lié à la famille Zaurahel. Et comme tu le sais, ces deux lignées de Prima ont produites les deux dernier élus divins que notre peuple à connus. Tebirahc et Elvanshalee elle-même. Le soucis c'est que le premier à renoncé à l'attention d'uriz avant de se faire tué et la seconde a fuit le Puy, ce qui n'a pas été leur plus grand moment de gloire. Etrangement, ça les a encore rapproché. " Elle tourna le livre pour que Kahveka puisse admirer les détails des quatre étages de la construction. De nombreuses indications étaient ajoutés en pattes de mouches et bien des traits tracés avec des encres diverses et variés rendaient le schéma difficilement compréhensible. " Étant donné que les Zaurahel vont gardé leur contrôle traditionnel sur le Ier Ost et que je suis le nouveau Premier Feu, ils ne sont pas trop opposé au nouvel ordre que nous instaurons... Mais les Hune'Baenre et le culte de Teiweon prennent assez mal qu'en plus d'avoir laissé leur fille se faire remplacé deux fois par des arrivistes, le culte de la Dame aux Ombres ne soit pas représenté dans le Triumvirat. A l'heure ou je te parle, ils tentent tout pour rallier les Zaurahel à leur cause et si les deux familles s'allient, il y a de grande chance pour que l'armée s'écroule à cause de guerres entre Osts. Du côté des Hune'Baenre, c'est Lualyrr, la mère d'Elvanshalee qui tient les reines. En tant que mère d'une gardienne de Teiweon, et ancienne Grande Prêtresse d'Uriz, on en peut pas prendre le risque de la laisser continuer. " La vieille drow avait renoncé à servir activement en tant que Grande Prêtresse peu avant l'Incendie. Certains murmuraient - bien innocemment - qu'elle n'y était pas étrangère, malgré la révélation des Repentis deux ennéades plus tôt. Elle pointa une sorte de gribouillage creux sur le schéma. " Les triumvir devaient se surveiller entre eux car ce que tu as sous les yeux est un plan reconstitué du domaine des Hune'Baenre. Et ce qui se trouve juste là, c'est un passage qui mène vers une champignonnière à quelques centaines de mètres de la périphérie de la ville. En la surveillant, nous avons apprit qu'elle y a organiser une rencontre avec ses appuis les plus influents mais nous n'avons ni la liste des invités, ni la date exacte. Le charmant collègue qui m'a conseiller de te voir était d'accord avec moi sur ce point : elle ne doit pas vivre assez longtemps pour faire cette réunion, et sa mort ne doit pas nous être imputée. ça c'est dans tes cordes ou je demande aussi au Bara ? " termina-t-elle en se penchant un peu plus, un sourire de défi sur les lèvres.

Enfin ! Il redressa à peine la pointe de son nez pour mieux y apercevoir le contenu du fameux bouquin. Enfin, bouquin, pour ne pas dire un chaos total de feuilles lousses, de barbouillis et de vélins rescapés des flammes! Ah oui, toute suite, il y avait entre eux du beau contenu! Aussi fallait-il que toutes ces informations gribouillées et torchées sur chaque morceau de papier parlent intelligemment. Puis, elle se lança dans une diatribe de tous les diables, l’amenant à pas de souris vers le nerf de sa convocation … Et le bougre s’en serait probablement courroucé, eut été d’une autre! Mais là, c’était de suite moins évident de montrer les crocs devant la nouvelle cabotine populaire du Puy, surtout lorsqu’elle était, à toutes fins pratiques, la supérieure de son supérieur à lui … À la fin, il ne put vraiment lui en vouloir de n’avoir omis aucuns détails. L’historiette parlait d’un mal latent, prêt à enfler à outrance jusqu’à ce qu’il n’éclate complètement à la face du gouvernement. Alors là, leur règne n’aura été que de très courte durée, car s’il fallait qu’au devant du peuple le premier Ost se soulève contre le Triumvirat, les conséquences pourraient causer des dommages irréversibles. Avant longtemps le peuple retomberait dans une guerre civile, remettant en question les bases même de leur présence sur cette damnée terre … Non, elle avait raison : des têtes devaient tomber pour le bien du Puy. Mais cela, ça n’a rien de bien différent de l’habitude. C’est une chose qui, de près ou de loin, fût toujours considéré comme une coutume, voir même une nécessité au bon fonctionnement du pouvoir en place.

Lorsqu’elle pointa l’esquisse griffonnée à la va-vite, Kah tendit le bras et se saisit à son tour dudit livre pour mieux l’étudier pendant qu’elle continua son exposé. Ça n’avait rien du labeur d’un scribe, mais le gribouillis avait au moins la qualité d’être compréhensible. Et c’est tout ce qu’on demandait à ce genre d’information mise sur vélin. Comme plus tôt, sa main vint épouser son menton de l’index et du pouce, réfléchissant d’ores et déjà aux techniques qu’il emploierait pour mener à terme sa demande. Elle put lui reconnaître qu’en matière, dès qu’il devait s’appliquer, il héritait d’un sérieux qu’on ne lui connaissait pas et d’un professionnalisme indiscutable. Et il fallut qu’elle vienne le piquer pour le sortir de cette ô combien rarissime état d’âme, lui intimant aussitôt la pique lancée un air mutin. Il referma le livre dans un claquement de papier bien audible, puis redisposa le livre contre le plat de la table en soutenant le regard moucheté d’ambre de sa consœur. Et il la fixa au moins dix bonnes secondes, à tenter d’y lire la provenance même de cet oripeau particulier …

Alors il sourit, montrant ses quenottes bien blanches pour lui répondre :

« Il n’est de voix plus vibrante que la tienne et il m’a plut que tu me racontes tout ça, mais … Un nom et un endroit seulement, c’est tout ce qu’il faut à une lame. » Il retint un rictus en soufflant un coup par les narines, l’œil brillant de la malice que sa réputation lui affublait. « C’est tout ? Parce qu’il me brûle d’envie de te poser une question personnelle … On dit que depuis que tu as été choisie, un feu aussi ardent que les entrailles du Vatna sévit en toi … Depuis, t'es-tu surprise à brûler ceux que tu approches ? » À savoir si l'ancien Drow parlait au figuré où au sens propre, c'était à elle d'en déduire. Mais connaissant l'homme ... Les deux étaient probables. Sa curiosité le tuerait probablement un jour, mais ce jourd’hui, ce qu’il désirait, c’était de vérifier si l’ancienne Krish différait vraiment de la nouvelle.

Après tout, la Dotkha connaissait tout de la Forgelâme, mais que connaissait-elle du Feu Premier ?  

Elle faillit lui répondre qu'un nom et un lieu suffisaient a des exécutant mais qu'elle préférait qu'il comprenne bien les calvaires qui l'attendait, lui, en cas d'échec, pour le motiver un peu. Malheureusement, ou heureusement selon le point de vue, il ne lui en laissa pas le temps. Un sourire amusé revint sur ses lèvres, calquant désormais son humeur taquine sur celle de l'assassin... Comme au bon vieux temps auraient dit certains. Elle lui ferait donc passé la liste des cibles secondaires un peu plus tard.

Libérée de ses deux principales interrogations de la matinée, elle pouvait retourner à plus de légèreté. La Vengeance demandait de la préparation, mais elle ne signifiait pas qu'il fallait arrêter de profiter de la vie jusque là. Assise sur la table en le surplombant, appuyé sur son bras juste derrière le livre, elle se pencha vers lui, le surplombant légèrement. Sa main agrippa le haut dossier de la chaise tandis que ses pupilles se dilataient en cherchant celles de l'assassin.

- Tu pose des questions sur notre Père avec tant de nonchalance... Qui te dit que ce n'est pas toi qu'Il va brûlé par mon entremise ? "

Il eut l’impression qu’il venait vraiment de capter son attention, un peu à l’instar du fauve que l’on observe au loin et qui prend connaissance de votre existence … Lorsqu’elle se redressa totalement, il retint son souffle pendant cinq ou six secondes, contraint involontairement à ressentir en lui une sorte d’oppression. Il l’avait vu de ses propres yeux vu pendant l’ordalie, à occire la redoutable Haute-Prêtresse de la plus atroce des manières. Son biceps contraté, elle avait serti son arme dans la pierre et l’avait soumise à se fendre en deux sous la pression … De cette simplette démonstration de force, il put dès lors s’imaginer l’étendu de ses pouvoirs. Mais il ne saurait dire pourquoi ni comment, c’est à cet exact moment, où elle posa sa patte griffue contre le dossier de sa cathèdre qu’il réalisa pleinement à qui il avait à faire. Son titre, de même que ses talents ne pourraient convaincre un tel pouvoir à l’épargner, si jamais elle venait à se courroucer réellement contre lui …

C’était pourtant à la fois terrifiant et si excitant … Lui qui l’avait toujours connue sans vraiment la côtoyer s’en vit franchement ébranlé de la savoir si près de lui, capable de lui broyer les os d’une seule poignée de main, si l’envie lui en prenait … Et il fallut qu’il vienne à fixer ses mires tachetées d’or et de cuivre … Pour la première fois, son sourire perdit involontairement un chouia d’assurance. Un étrange sentiment d’insécurité lui retourna les entrailles, comme lorsque son instinct souffle à votre oreille et vous dit : « Ta gueule et dégage ducon! ». Évidemment, plutôt que d’écouter la voix de la sagesse, il fallut que ses lèvres en fassent autrement.

« Jamais personne ne saurai remettre en doute ma ferveur, ô mon ardente Reine. » Il vint à nouveau piquer Krish par cet épineux terme, sachant que l’ardente saurait prendre sur elle cette fois-ci dans le feutré de leur entretient. Et puis, il commençait déjà à s'y habituer : un doux sobriquet pour son amie. Il chercha à poursuivre, mais encore, il ne sut l’expliquer, elle le mettait mal à l’aise, d’une certaine façon. Il secoua ses épaules pour mieux trouver le confort de sa cathèdre, ne sachant plus comment masquer l’effet qu’elle lui intimait. « S’il fallut toutes ces années que je me retienne d’approcher ce qui brûle, je serais passé devant les plus voluptueux plaisirs de ce monde. Mon corps n’est-il en soit guère preuve suffisante ? » Il est vrai que son poitrail, de même que ses côtes et son dos, en plus des cicatrices éparses, comptabilisaient un bon nombre de brûlures qu’il avait volontairement préservé des bons soins des soigneurs pour que son derme s’imprègne de leur morsure.

« Quel effet ça fait … D’être celle qu’Il a choisit pour être l’extension de sa Vengence ? » Intérieurement, sans qu’elle ne lui ai jeté le moindre sort, il commençait d’ores et déjà à bouillir lentement. Était-ce les conséquences d’une crainte certaine, ou l’aura qui ouatait la charpente de la Doyenne du sombre peuple ?  

Elle le mettait mal à l'aise... C'était une première.

Il soutenait son regard, mais elle lisait en lui une sorte d'hésitation qu'elle n'avait pas souvenir d'avoir déjà constaté. Il se tortillait comme un verre au bout d'un fil bien que ses mouvements restent suffisamment discrets pour passer pour de simples engourdissements. N'importe quelle autre personne en aurait fait autant... Pas lui. Pas en temps normal.

Son sourire se fit plus carnassier lorsqu'il recommença à l'appeler Reine, mais elle ne dit rien. Durant un instant, elle se plut même à voir le chemin qu'elle avait parcouru depuis ce jour où elle avait tourné le dos à sa famille pour prendre en main sa vie contre vent à marées. Une fille de bonne famille promise à un brillant avenir, dégringolant jusqu'à devenir esclave, et glissant à travers le temps jusqu'à devenir à la fois Princesse d'une terre lointaine et dirigeant du Puy. Une forgeronne. Une femme issue de l’artisanat, cette caste de travailleurs qui ne faisait que soutenir l'effort de gens plus puissants et glorieux qu'ils ne le seraient jamais. Une femme possédant renommée et puissance. Crainte autant que respectée. Une reine parmi ses pair... Et pourtant ça ne valait à ses yeux que les moyens dont elle disposait pour continuer sa route.

Tout cela ne lui appartenait pas en propre. Elle aurait put y arriver un jour. Elle n'avait pas de complexe sur ce point là. Mais la peur, l'adoration, le respect... La plupart de ce qu'elle possédait au Puy ne lui étaient donnés sans un instant de doute parce qu'elle était l'outil d'un autre. Et elle l'acceptait désormais.

Si elle avait voulue être admirée pour ses seuls faits, elle serait restée à Thaar.

Ses yeux flirtèrent avec le torse de l'assassin, détaillant les cicatrices, les brûlures, les accidents, les cadeaux et les attaques. Les brûlures... Voilà quelque chose qui avait disparu en grande parti de sa propre peau... Toutes les tâches accumulées au gré des heures passées à forger sans la moindre protection avaient été balayées par l'épreuve d'Uriz. Toutes remplacées par les cicatrices de combats et de survies acquises dans les Ombres, en Anaëh, à Thaar et au Puy. Elle suivit du bout du doigt une marque distinctive dont elle se souvenait la provenance. Dans cette première vie durant laquelle ils s'étaient connus. L'une des premières qui avaient marbré la peau du mage des ombres. Puis elle replaça sa main sur le dossier, y prenant même appui pour glisser le long de la table et faire totalement face à son hôte. L'un de ses pieds vint se poser sur le rebord de la chaise, juste entre ses deux genoux.

Ainsi, le monde qui existait en dehors de leur face à face avait drastiquement réduit. Ses yeux ne prêtaient plus attention qu'à ce souvenir d'un passé lointain, revenu dans son quotidien sans qu'elle ne sache au final si c'était une bénédiction ou un arrêt de mort dissimulé.

- Nul daedhel n'a plus peur de Lui que moi. " murmura-t-elle en le regardant droit dans les yeux. " Et personne ne L'aime avec une ferveur plus grande que la mienne. " Elle s'approcha imperceptiblement. " Il m'a déjà pris beaucoup. Je sais qu'il me prendra plus encore. Et malgré toute ma ferveur, je sais aussi que je me battrais contre ça. Car c'est lui qui nous a offert la possibilité de désobéir, et que ma volonté est aussi importante que mon adoration. " Et pourtant elle l'avait accepté. La façon dont elle avait été transformée était si intime qu'elle ne pouvait la décrire, mais elle s'était aperçu qu'elle ne s'était pas perdu dans le processus. Au contraire. La retenue à laquelle elle avait renoncé l'avait révélé. Elle était à lui. Son outil. Son arme. Son messager. Elle était Sienne. Et elle l'était d'une façon si absolu qu'elle avait encore du mal à en éprouver les contours. " Je reste moi... Et j'ai disparu tout à la fois. Comment pourrais-je t'expliquer cette sensation d'être maître de son destin sans connaitre d'avance le chemin ? La peur de cette immensité qui pourrait me balayer d'une simple pensée ? Le plaisir d'accueillir des sensations d'une puissance indescriptible et de choisir encore et encore de s'y abandonner ? " Sa voix n'était plus qu'un souffle rauque " Le regard des autres n'est rien. C'est en me dressant sur mes deux jambes, en avançant, en trébuchant et en me relevant toujours que je me suis montrée digne de lui. C'est ainsi que je continuerai. Mais cette fois, Il m'offre un but si grand que des yeux mortels ne peuvent l'embrasser que par cette particule à la fois infime et colossale qu'est la Vengeance. " Les secondes s'égrainèrent sans qu'elle ne s'écarte de son visage. " Est-ce que cela répond à ta question... ? "

D’interminables et fastidieuses heures à narrer l’histoire d’une vie ne saurait y parvenir plus fidèlement que les fresques et arabesques creusées à même la peau. Chaque taillade, chaque empreinte et chaque brûlure possédait son histoire propre, tandis que l’ensemble de ces stigmates en formait le recueil d’une vie. Et chez les Drow, il n’y avait rien de plus inspirant et intriguant que le cheminement personnel d’un collègue à la peau zébrée de cicatrices. En ce qui l'attrait, Kah était un beau spécimen en son genre et il aimait à exposer chacune de ses historiettes, qu’elles relèvent autant d’un exploit que d’une intime expérience. L’absence de ses haillons habituels et le « L.R » qui ornait dorénavant son flanc dextre en étaient de jolies preuves. Quant à elle, il se remémora avec éloquence le plaisir qu’il avait eu à l’admirer, lorsqu’il l’avait déjouée la veille de son Ordalie. Sanguinolente et meurtrie autant d’ecchymoses que de meurtrissures : il l’avait trouvée à l’apogée de son élégance. La toute plantureuse et ambitieuse Isten lui en fût témoin, il aurait rallongé jusqu’à l’irraisonnable, eut été qu’elle décida de lui narrer les provenances de chacune d’elles. Toutes fraîches qu’elles étaient, à peine ternies par l’âge et …

Sans faire attention à son discours, il redressa le nez vers elle pour mieux ausculter la peau exposée et démunie de tissus. C’est louche, quand même … Une femme qui reconnue pour ses techniques de forge, pour son travail acharné, dotée d’une capacité au combat hors du commun … Comment se fait-elle qu’elle soit décorée simplement de tares fraîches ? L’assassin plissa du nez d’un air dubitatif. Il n’y avait décidemment plus rien à comprendre avec elle. Du moment où elle fut choisie comme le vaisseau de leur Père, le maître des ombres s’était résigné à ne pouvoir déceler tous les secrets qui entouraient l’élue.

Son discours … Voilà bien longtemps qu’il n’avait odit de chose plus intéressante que celles-ci. La veine qu’il avait, d’avoir ce genre de témoignage sincère et profond à propos de l’être le plus près de leur Créateur … Chaque mot valait son pesant d’or et s’inscrivait à jamais dans sa tête comme un souvenir indélogeable, qui perdurerait jusqu’à son trépas : cela, il y veillerait. Et à mesure qu’elle enchaîna ses explications, derechef il sentit sa pression monter. Le battement de son propre cœur raisonnait entre ses deux oreilles. Il sentait jusqu’au bout de ses doigts les pulsations sanguines pompées par son battant, tant il donna de crédit à son homélie. Pourquoi ce jourd’hui seulement il réalisa l’importance de Krish, alors que tantôt il lui était si familier, ça, il ne saurait l’expliquer …

« C’est … limpide, ô ma Reine. » Répondit-il d’un chuchotement à peine, involontairement soumis à ce ton pour masquer son malaise. Ses deux paluches se réveillèrent d’où elles étaient posées, c’est-à-dire contre les accoudoirs, puis se dirigèrent vers le pied nu du Feu, s’en allant exercer quelques pressions préliminaires contre le dessus de ce même pied.

« Il faudra pardonner ma curiosité, tu comprendras que je tends souvent à y succomber … » Il laissa un petit silence pour apercevoir si oui ou non il devait continuer son traitement. Agissait-il en serviteur, ou en vil moqueur ? « Pour ce qui est de ses desseins, je dois et me fierait à jamais sur ce que voient tes yeux, ma Reine. Les miens sont rendus vieux, ils ne peuvent ni voir le chemin qu’il m’a tracé, ni voir le feu qui brûle en toi … » Clairement, il avait retrouvé son ton de voix de pince sans-rire. En quelque part, il cherchait à lui montrer qu’il lui était dévoué même s’il tendait naturellement à la provocation. Et provoquer le Feu d’Uriz n’avait rien d’une mince affaire.

« Maîtresse des Forges de Lave … Feu d’Uriz … L’Ardente Reine … Tu cumules de brûlants titres, mais au final … Le feu qui t’habite est-il seulement à la hauteur de tous ces noms ? » Ses mains s’immobilisèrent au profit de son sourire qui s'aiguisa, calquant l'air malicieux de son hôte.

Il commença à lui masser le pied. Un geste qu'il n'aurait jamais eu envers celle qu'il avait connu des siècles auparavant... Qu'il se moque ou se plie, le simple fait que ce geste lui vienne montrait à quel point ils avaient tout deux changés... A moins que ce ne soit qu'elle ? Quelle importance en vérité ? Elle le laissa faire, se redressant pour s'étirer comme un chat, son dos se détendant au fur et à mesure qu'il réchauffait son peton.

Mais là où les mains de l'assassin étaient douces, ses mots se voulaient plus abrasif que la pire de ses affreuses décoctions. Il ne plus voir aucun feu en elle. Le sens des mots qu'il ne prononçait pas frisait l'hérésie et se vautrait dans l'insulte la plus pure. Elle leva un sourcil, plus surprise qu'outrée, se demandant vers où il s'acheminait ainsi. Il retrouvait peu à peu la voix qui lui avait manquée, enrouée par une émotion sincère. Il lui vendait ses titres ronflants... Et tout cela se finit dans une mise en question pire encore. Le doute de sa nature même. De sa volonté, de son caractère, de sa passion, de sa colère et de sa bravoure. Et aussi la remise en question de son état d'Avatar d'Uriz. Des oreilles malveillantes auraient même put y discerner un blasphème à l'encontre du Père lui-même.

Si elle était le Feu, alors il n'y avait pas de doute. Il jouait allègrement avec.

Pourtant... aucune rage, aucune froideur, aucune réaction brusque ne déforma les traits de l'elfe noire.

Elle s'approcha. Doucement. Se pencha. Elle scrutait les yeux de Kahveka avec la même malice, sûre d'elle et de ce qu'elle était.

- Étant donné que tu viens de rajouter le titre d'Ardente Reine, je ne pense pas avoir besoin de répondre à la question. " roucoula-t-elle en le prenant à son propre piège. " Mais si ça ne te suffit pas, libre à toi de m'appeler comme tu veux. J'avais un ami qui me surnommait la Princesse du Vent." Et elle était aussi sincère que détendue. Les titres et les surnoms, ça venait et ça repartait en quelques années. Elle ne s'était battu que pour l'un d'entre eux. Celui de Maîtresse des Forges de Lave. Et même celui là, on pouvait le déformer et l'égratigner à l'envie, elle l'avait. Mais il y avait bien une chose qu'elle s'amusa à murmurer à un souffle des lèvres de l'assassin, juste assez près pour pouvoir encore le regarder dans les yeux. " Par contre, je ne pense pas que remettre l'intensité de la force qui m'habite en doute soit très judicieux... Tu sais de qui vient le Feu qui m'habite..." La malice avait progressivement disparue. Le crépitement logé entre son cœur et son estomac se tortilla, inondant son corps d'une douloureuse et brûlante approbatrice comme il ne le faisait que lorsqu'elle ne s'y attendait pas. Mu par cet instinct qu'elle acceptait sans le décrypter, elle posa sa main nu au niveau du cœur de son vis à vis, sur son pectoral gauche.

En échos, le cœur de Kahveka s'emballa, courant de plus en plus vite sans raison ni contrôle. A chaque coup, un tambour martial, oppressant, laissait déferler dans son corps une vague de chaleur brulante. La douleur, supportable lors des premières secondes devint bien vite ignoble. Il put sentir quelque chose se craqueler en lui, se fissurer sous l'effet de ce feu qui lui ravageait les entrailles. Et en une brève épiphanie, il put s’apercevoir que les doigts du Premier feu étaient enfoncés dans son torse jusqu'à la seconde phalange... Et ils semblaient touché à sa Braise même.

Une voix grave et vibrante lui parvint, raisonnant dans son être. Était-elle seulement faite de son ?  " Et tu sais ce qu'il en coûte à ceux qui doutent de Lui... "

Les geôles de glace. L'oubli. La douleur et l'angoisse. Le froid. Pour l'éternité. Son jugement ne connaissait aucune compassion.

Les guerriers drows priaient pour attirer le regard d'Uriz sur eux pendant la bataille. Aujourd'hui, Kahveka l'avait eu tout à lui sans prononcer une seule supplique. Les pupilles étrécies du Premier Feu laissaient toute la place au feu solaire rayonnant dans ses iris pour guetter les moindres réactions de l'homme à la langue bien pendue... Il ne hurlait qu'une chose : Bat toi !

Elle allait s’y faire, à ce doux sobriquet. C’était là une certitude à laquelle elle ne s’aurait s’y échapper! Il était du genre opiniâtre, même lorsqu’il s’acharnait à ce genre de futilité … Enfin, elle mordit à l’hameçon. Elle se départie doucement mais sûrement de la distance qui séparait leurs deux visages. Toujours empreinte de cet air malicieux dont sa bouille ne savait se départir, elle s’approcha toujours un peu plus, jusqu’à temps qu’elle cesse son approche à quelques centimètres à peine de ses lèvres. À cette distance il pouvait humer son parfum, son odeur, profiter de la proximité pour mieux décrire les subtilités de son regard si particulier et même, de se lover dans cette aura dangereux qui chatoyait autour d’elle en permanence …

« Par contre, je ne pense pas que remettre en doute l'intensité de la force qui m'habite soit très judicieux... Tu sais de qui vient le Feu qui m'habite... »

Il avait à peine entendu l’échos de son souffle murmuré à son oreille. Plutôt, il préférat s’imaginer de quelle manière allait-elle le traiter, dans la mesure où elle déciderait vraiment de lui montrer l’étendue de sa fougue … Lorsqu’il vit mourir à petit feu l’air de chat qui planait aux traits de sa patronne, il entendit l’échos de sa messe basse raisonner entre ses deux esgourdes. Il ressentit la chaleureuse présence de ses doigts contre son poitrail, mais avant qu’il n’eut l’occasion d’en profiter pleinement, un sentiment familier l’assailli. Son cœur s’emballa à l’instar de ces moments d’éreintement, lorsqu’il usait de trop son talent dans l’art des ombres. C’était d’abord et avant tout une sensation des plus étranges : au niveau de sa cage thoracique, ce fût comme si une lame s’était logée entre ses os, incendiant toute cette zone d’une douleur telle, qu’il s’en vit contraint à cesser toute inspiration. Et quand il crut que la douleur eut atteint son paroxysme, quelques secondes suffirent pour le convaincre du contraire : un hurlement à en déranger la quiétude des morts résonna dans toute la bibliothèque.

La panique. Carrément. Il n’avait plus sous les yeux la Krish qu’il connaissait, il faisait face à son Créateur. Ça avait de quoi faire flipper même le plus courageux de tous les hommes. Il ne savait plus où donner des yeux : devant lui, les mires de son hôte étaient gorgée d’une teinte toute autre, ses muscles étaient tendus à un point tel qu’il se demanda comment était-ce seulement possible que son corps résiste à une telle preuve de force et finalement, ses cinq doigts étaient nichés au travers sa peau, cherchant avidement à lui arracher le cœur. Comme tout homme aurait réagi, ses deux pattes vinrent sauvagement s’agripper à l’avant-bras de sa tourmenteuse, cherchant à s’extirper de sa mauvaise condition en faisant usage de quelques torsions.

Vaine tentative, lorsqu’il comprit que ce n’était pas elle qui le tenait, mais Lui. La bouche tordue par le supplice, il tenta à son meilleur d’articuler quelques pieuses paroles. Son temps était compté et s’il ne lui accordait pas sa miséricorde, il trépasserait avant longtemps dans la poussière des décombres de ce palais.  

« Je … n… n’ai jamais … douté … Je le … jure … Père … »

En retour, elle ne pipa mot à sa supplication, mais il l’entendit se moquer. Peut-être se gaussait-il de sa faiblesse, ou du fait qu’à la fin, il avait trouvé ce qu’il avait cherché. Oui, il avait clairement trouvé ce qu’il cherchait : elle brûlait sacrément … Il ou elle la relâcha enfin, retirant sa vilaine patte empoissée en laissant derrière elle la présence de cinq trous sanguinolents au travers sa poitrine. Il appréhenda la suite, mais fût bien vite soumis à ce terrible constat : l’apparition du Dieu de la Guerre l’avait complétement vidée. Momentanément, ses yeux virèrent à la renverse et elle perdit connaissance. Son corps fut drainé de toute teneur et s’écroula comme un pantin de chair contre Kahveka. Il l’accueillit bien évidemment, mais se demanda bien ce qu’il pourrait faire si elle ne retrouvait pas conscience rapidement … Après tout, c’est lui qui aurait dût s’effondrer sous l’affliction qui venait de lui secouer les intestins, par l’inverse. Une poignée de seconde suffit pour qu’elle retrouve vie et avant qu’elle ne comprenne quoi que ce soit, Kah tordit son visage d’une vilaine grimace en forçant pour l’aider à se redresser de contre son corps. Pas qu’il détesta la proximité, au contraire, mais avachie contre ses plaies, il la trouva toute suite moins confortable.

Lorsqu’elle retrouva pleinement conscience, il s’assura à capter son regard avant de lui assurer :

« Tu es … formidable. »

Elle sentit le contact des mains sur son poignet mais n'eut pas même l'idée de reculer avant qu'Il ne l'incite à céder. Il voulait du feu, elle était bien contente de pouvoir lui prouver ainsi et de prendre, dans l'ombre de leur Créateur, une petite vengeance pour le plaisir qu'il montrait en lui rappelant de trop vieilles dettes. Elle était pleinement consciente du moindre détail. Elle était même plongé dans l'instant avec une rare intensité... Un état de plénitude.

Puis Kahveka jura avec une ferveur qui n'était pas due qu'au désespoir. Elle recula sa main car c'était ce qu'il convenait de faire, tout simplement. Les plaies cesseraient de saigner en une poignée de secondes, comme cautérisées de l'intérieur. C'était une évidence. Par contre, elles lui lanceraient faiblement pendant plusieurs ennéades, un simple picotement, un rappel.

Et la douloureuse présence solaire se rétracta jusqu'au brasier ronflant qui crépitait en permanence au creux de sa poitrine. Une sensation de vide. Le monde se mit à tourner. Puis le monde sombra tandis que la présence la happait pour avoir toute son attention.
* Doué. Secret. Tu te méfie de lui. *
* Oui. *

Une vague de ferveur, de proximité, d'attachement. Un étrange sentiment d'appartenance.

* Il reste Digne... pour l'instant*

Cela lui laissait un goût amer dans la bouche, mais elle accepta. Elle le devait. Elle n'en avait pas envie, mais pour Lui...

Le monde se dessina de nouveau. Ses yeux papillonnèrent. Ses genoux reposaient sur le sol froid. Sa joue était à un souffle d'un torse nu et chaud, couvert de cicatrices. On la tenait fermement, mais ce n'était pas comme si on la retenait, plus comme si on a repoussait. Sa main poisseuse vint s’enrouler autour de l'avant bras sans réellement lutté. On l'empêcha de se rasseoir sur ses talons pour éviter qu'elle se fracasse le crane contre le rebord de la table. Elle capta de nouveau le regard de Kahveka. Et le reste revint en quelques battements de cils.

Il était... sérieux. Et excité. Et un voile de douleur rendait ses yeux incertains. Et pourtant il reprenait à peine son souffle. Sa peau frissonnait encore, entachée de quelques gouttelettes de sueur froide.

- Kahveka... " Elle prononça son nom comme pour s'assurer qu'il allait bien, tout en le scrutant. Contrairement à la quasi-totalité des gens qu'elle avait rencontré après son départ du Puy, elle ne lui avait jamais donné de réel surnom. Ce prénom revenait de loin, et cette façon de le prononcer également. Ce n'était après tout, pas le premier nom qu'elle lui avait connu.

Sa main se glissa sans y penser sur son torse, rencontrant la boursoufflure de l'une des marques qu'elle venait elle même de laisser. Ses yeux quittèrent ceux de l'assassin pour regarder les cinq blessures... Et elle déglutit. On avait l'impression que cinq poissons chauffés à blanc s'étaient enfoncés dans son torse, passant entre les cotes au niveau du cœur, comme si ça avait pu suffire à le menacer. C'était une sacré leçon... Ne sachant quoi dire, elle souligna les marques de sa main et laissa tomber sur un ton qui jouait parfaitement bien la neutralité autoritaire :

- Tu n'auras pas de complication. Ça te tirera seulement quelques temps. Jouer avec le feu comme tu l'as fait était risqué... "

Elle ne doutait pas de son geste... Mais être directement confronté aux conséquences étranges de sa nature était encore nouveau. Quand à ce qu'Il avait voulu lui faire comprendre par la suite, elle ne savait pas trop quoi en penser...

C’était là une bien maigre compensation pour tout le mal qu’il dut endurer, que le passage doucereux d’une main curieuse contre son poitrail. Son nez s’abaissa de sorte à ce qu’il puisse surveiller de prêt ce que fouilla les doigts de la forgeronne. À mesure qu’elle s’approcha des plaies encore ouvertes qui cerclèrent son tambour de chair, ses muscles se crispèrent subtilement. Étonnamment, la peur commençait à le tourmenter… Crainte qu’elle réitère derechef, qu’elle termine le labeur qu’elle avait amorcé si sournoisement plus tôt. Probable qu’en ce monde, le bougre sache talonner de près même les plus adroits prêtres de Kiel niveau adoration de la douleur. Et quand bien même chercha-t-il majoritairement à subir le châtiment de ses plus féroces compagnes, jamais il n’avait autant rebuté celle-là. Son corps se remettait à peine de ses émotions que le poil sur ses bras s’hérissait à la simple pensée de ce mauvais traitement.

Ses yeux s’en retournèrent quérir l’état de sa patronne. La voyant si vulnérable, il se demanda si d’arborer le titre de Premier Feu, n’était au final pas plus une malédiction qu’une bénédiction. Il y avait en cette question matière à débattre de longues heures durant et, maintenant qu’il avait conscience que son hôte n’était nulle autre que l’extension du bras de leur Créateur, ce n’était pas demain la veille qui lui proposerait de deviser à ce propos!

Il l’écouta, sagement, sans sourire une seule seconde. Il lui donna entièrement crédit, elle avait raison sur toute la route. Il avait poussé le jeu trop loin et trop longtemps avec la mauvaise personne. C’était une leçon qui aurait très certainement du bon pour la Matronne. Elle qui se devait de bien le tenir en laisse afin de s’assurer que le maître des ombres n’en perde à nouveau le nord avait désormais un bien bel argument pour le tenir au pas. Et c’était d’autant plus embêtant pour lui, qui perdait un peu du levier qu’il avait sur elle concernant les dettes qu’elle lui devait.

Il tendit sa patte en direction de sa joue et du pouce, chercha à lui débarbouiller le visage de son propre sang. Plutôt, dans ce candide geste, il ne parvint qu’à en étendre d’avantage l’hémoglobine. Cela lui donna des airs de guerrière sanguinaire, un peu à l’instar de cette fois où il l’avait surprise dans ses appartements … Là, enfin, son nez se plissa d’amusement, la contemplant sous un jour nouveau.

« Nos vies ne sont constitués que de risques, Krish … » Sa main resta contre sa joue, pendant un instant, alors qu’il se perdait dans l’infime tache dorée de ses yeux sanguins. Il l’admirait, sous tous ses traits et cette fois, même sans qu’elle n’exhibe totalement son corps couturé de cicatrices, il la trouva complètement hallucinante. « Si on m’avait prédit qu’un jour je serais au service de la plus importante et puissante Drow que le Puy ait connu … » Ces deux qualités avaient tant de sens, qu’il lui sembla inutile d’essayer de la convaincre qu’il disait la vérité. Il mit en suspend le restant de sa phrase, faisant couler ses doigts en une caresse jusqu’à la naissance de sa tignasse immaculée. « J’aurais souhaité chaque jour de ma vie que ce jour arrive enfin. » Il prit bien temps d’analyser ses réactions, ne cherchant plus à la confronter, mais plutôt à lui rendre son sourire. « Ton destin me semble si vaste… que … je crois qu’il m’effraie. » Légèrement, sa poigne se raffermit involontairement, comme lorsqu’il cherchait à se rassurer lui-même qu’il venait de mentir.

Elle eut un éclat rire sans joie.

- Cela faisait longtemps que personne ne m'avait donner une leçon. " ne put-elle s'empêcher de glisser lorsqu'il lui rappela que la vie et les risques étaient intimement liés. C'était une phrase de sagesse surannée et éculée, mais c'était aussi une vérité qu'ils avaient tout deux embrassés à bras le corps. L'entendre formuler à voix haute lui rappelait sincèrement qu'elle n'était pas la seule à agir ainsi.

Elle ne repoussa pas la main de l'assassin, scrutant ses mires comme il scrutait les siennes. A travers elle, il venait d'être confronté à une part infime de ce qui n'avait ni fin ni limite, et il en était visiblement chamboulé. Elle sentait la texture chaude et humide du sang sur sa joue, et cela ne pouvait venir que du torse qu'elle avait ouvert de ses propres mains. Pourtant, il osait la toucher, la regarder dans les yeux et lui parler sur un pied d'égalité.

Faisait-il d'instinct la différence entre elle et Celui qu'elle servait ? Le fait qu'il l'ai connue au plus bas tronquait-il l'importance qu'il était capable de lui attribuer ? Après tout n'était-ce pas la seule personne encore en vie mis à part son frère, qui se souvenait d'elle, le dos portant marque des esclaves en lieu et place de celle de maître des forges ?

Comme s'il lisait la question dans son regard, il y répondit d'une phrase vibrante. Il se moquait d'elle ? Il n'avait pas l'air... Ses doigts caressaient la peau d'obsidienne de la forgeronne. Son air légèrement amusé, quoi que moins provoquant que d'ordinaire, ne se souciait pas des traces laissées par son propre sang.

- Flatteur... " souffla-t-elle avec l'ombre d'un sourire. Comme si quelqu'un pouvait sérieusement aspirer à servir d'autres personnes de chair, aussi puissantes soient-elles, durant toute son existence.

Elle repoussa de son visage l'une de ses courtes mèches venues lui barrer le visage dans leur court affrontement, la laissant retomber auprès de ses consœurs au ras de ses épaules. La poigne de l'assassin se raffermit. Elle laissa couler la propre main jusqu'à son épaule nue.

- Moi, il m'effraie. C'est une certitude. Mais ce n'est pas vraiment la grandeur ou les défis. J'ai confiance mais Sa volonté est imprévisible. " Et il pouvait être témoin de ce que cela pouvait donner à petite échelle. Cette fois pourtant, un sourire un peu plus sincère se dessina sur ses lèvres. " Enfin, je préfère ça à la torpeur qui m'a tirée vers le bas pendant longtemps. " La moitié de Thaar aurait sûrement été outré d'entendre une Princesse Marchande considéré que sa période d'escalade et de rétention du pouvoir l'avait tiré vers le bas, mais comment considérer autrement ce qui l'avait fait douté au point de tourner le dos à sa foi ? Son sourire se fit quelque peu amusé sans en être le moins du monde moqueur. Sa tête s'inclina inconsciemment pour se lover dans la poigne de l'assassin. " A ce stade, et étant donné ce dont nous sommes en train de parler, avoir peur est la preuve que même deux vieux Ferns comme nous ne sont pas encore totalement devenus fou, tu ne crois pas ? "

Si près d’elle, la poigne perdue contre sa nuque et fermement agrippée contre une tapée de cheveux immaculés, son corps refit des siennes. Son cœur s’emballa derechef, s’en allant se placarder contre les nouvelles cicatrices qui le cerclaient. Il se trouva à avoir un souffle plus court, plus concis, aussi. La voir agenouillée devant lui, elle qui était si puissante désormais aux yeux du peuple l’excitait à ce point ? Où était-ce le fait qu’en quelque sorte, jamais il n’avait touché ni même approché d’aussi près son Créateur qu’en cet exact moment ? Vulnérable et à sa Mercie, d’un unique et simple claquement de doigt, le maître de la Guerre se serait débarrassé de lui que personne n’aurait rien eu à redire. Pourtant, quelques instants à peine après avoir jouit de sa miséricorde, il était là, à deux doigts d’être en mesure de faire de son héraut ce qu’il désirait.

Au fond de son âme, il avait foi que son Père l’entendait, qu’il savait même ce à quoi il pensait. Il savait tout l’effet que lui procurait cet être de chair qu’était Krish … Si puissante et si vulnérable à la fois, capable d’être occis par la simple caresse d’une lame traîtresse et capable de réduire un peuple à genoux … Son sourire redoubla d’ardeur en oubliant pratiquement la douleur qui élançait son poitrail sans jamais s’amoindrir. L’intimidante voix caverneuse et autoritaire qui fit tantôt écho entre ses deux esgourdes n’était plus, mais cette affliction qui lui tiraillait autant les muscles que les os, cette douce torture qui n’arrivait jamais à terme lui rappelait amèrement Sa présence continuelle. Or, il lui faudrait dorénavant faire preuve de moult précautions, s’il désirait encore se divertir aux dépends de sa patronne.

Se trouvant à lutter contre son irascible ardeur, sa poigne se radoucit et livra à la nuque de sa patronne une caresse. Après l’avoir cherchée, après l’avoir piquée, il n’avait plus guère envie de la confronter. Sa main posée contre elle exerça une légère pression, l’invitant à se remettre en équilibre sur ses guiboles. « Comme quoi la vie vaut la peine d’être vécue longtemps … Il m’aura fallu près d’un millénaire pour voir de mes yeux vus une merveille telle que toi. » Il la sentit dubitative, la voyant s’équiper de l’un de ses sourires moqueurs, de ceux qui ne croyaient en rien ce qu’il disait. « C’est vrai pourtant … Du haut de ton millénaire, cumulant titres, richesses et renommée, tu es passée d’esclave à … Reine du Puy. » Du bout des doigts, il se saisit du tissu qui couvrait ses hanches pour l’inciter à prendre place sur ses genoux, glissant ces mêmes doigts distraitement contre les tissus qui masquaient la chute de ses hanches. « Si ce n’est pas la définition même d’une merveille, je me demande bien ce que c’est … » Au travers le tissus presque transparent qui voilait son grand dorsal, Kah exerça une pression toute simple de sorte à y venir délivrer quelques caresses bien précises. Il connaissait l’une de ses plus illustres cicatrices et l’idée d’aller en caresser les reliefs l’emballa franchement. « J’ai grande envie de … »

Il mit en suspend son aveu, ses mires s’écarquillant comme des billes. Son regard se ficha dans le sien, encore plus frappé par cette réalité : il tenait en équilibre sur ses genoux une miraculée, la femme la plus sacrée de tout l’Elda. « Notre Créateur s’est montré bien cruel, lorsqu’il t’a privé de tes cicatrices … » Ses doigts filèrent sous la mousseline de son haut, son touché se montrant avide et curieux, à la recherche de quelques nouvelles cicatrices à admirer. « Il me semblait ne pas reconnaître toutes ces marques … » Il ricana tout bas, se trouvant à la fois bien bête et bien observateur pour avoir pris autant de temps à remarquer ce détail. « Il t’a donné la chance d’avoir un nouveau visage, un nouveau corps où y écrire ton histoire. » Ses doigts remontèrent jusqu’à la naissance de sa nuque, entre ses deux omoplates. « Plus aucune trace de ton ancienne vie … Cruel et généreux à la fois … » Sa patte chuta d’une lenteur atroce, laissant en son sillage une respectueuse caresse contre son derme particulièrement brûlant. « De vieux ferns, dont seul un des deux ne l’est réellement. » Il avait murmuré la chose d’un ton mielleux, avouant si bas qu’il l’admirait, qu’il en avait pratiquement honte.

La merveille qu'il avait tant attendue... Il l'avait pourtant connue plus de six siècles plus tôt. Elle avait fait forte impression à la jeune recrue qu'il était puisqu'elle était encore en vie pour en parler... Ou pour le taire aurait été plus adéquat. Un sourire moqueur étira ses lèvres sans qu'elle ne cherche à résister aux manigances de l'assassin pour l'attirée à lui. Oh oui il avait grande envie. Elle était bien placée pour le savoir... Mais elle se tendit pourtant instantanément, perdant son sourire lorsqu'il arrêta son geste, palpant son dos sans s'en cacher.

Lui s'amusait follement... Mais pas seulement. Au lieu de s'éloigner ou de détourner les yeux, elle s'obligea à garder leurs regards fermement vrillés l'un à l'autre tandis qu'il montait et descendait le long de son dos. Elle affrontait aujourd'hui sa propre honte en la fixant droit dans les yeux, comme jadis elle l'avait fait avec la mort. Ses propres mains cascadaient le long du torse nu de l'homme buriné qu'il était.

Oui. Elle avait failli. Oui. Uriz lui-même l'avait jugée aussi faible qu'elle avait été forte. Elle avait perdu jusqu'à la plus infime preuve de son dévouement, de ses hauts-faits, de sa longue vie. Et pourtant, dans les Ombres, son derme s'était couturé de cicatrices plus nombreuses qu'auparavant. Des coupures, des brisures, des éraflures. Son bras gauche - son bras de forge comme cet homme était l'un des rares à le savoir - était couturé de longues et larges serpents de peau grise entremêlés comme les mailles d'un filet de pèche. Le résultat de dizaines de fractures brisées encore et encore pour espérer récupérer un membre aussi droit que possible. Les prêtres lui avaient rendu la mobilité de sa main et de ses articulation, mais ce n'était pas pour cela qu'il était pleinement revenu à la normal. N'avait-elle pas su rattrapé ses erreurs passées ? Et si ce n'était pas le cas, pourquoi Il fera d'elle son vaisseau ?

Elle laissait Kahveka parler, stoïque. Proche de son visage, elle saisissait chacune de ses paroles comme une insulte supplémentaire... Mais une insulte mérité. Une chance ? Comment pouvait-il considérer que perdre un millénaire de passé était une chance ? Y écrire une nouvelle histoire... Elle ne l'avait jamais vu ainsi. Les souffles se croisaient, incapables de lâcher simplement les armes le temps d'une discussion. Scrutant ses iris purpurines, elle sentait sa propre peau se hérisser au son mielleux de cette voix mâle. Mais son expression était toute autre, bien que ricanante comme à son habitude. Elle y sentait une sincérité étrange... mêlée à ce qu'elle avait ressentit durant son moment d'absence.

- Et ça lui va si bien... " murmura-t-elle sur un ton qui cachait la saveur de l'aveu derrière un sourire moqueur.

Le bout des doigts de la Forgelâme croisa un tracé plus précis sur la peau de l'assassin... Et un sourire de chat reprit place sur ses lippes.

- On dirait que je ne suis pas la seule à avoir de nouvelles marques. " Son index suivit les contour de l'initiale une seconde fois. " Raconte moi. "

Sa patte parcourait librement les reliefs et les saillies qui s’offraient sous ses doigts à mesure qu’icelle parcourait son grand dorsal. Ses doigts s’échappaient au rachis du Feu d’Uriz pour mieux s’approcher de ses omoplates, de ses épaules, chutant parfois dans un tracé qui venait frôler de près –trop près- la naissance de la poitrine de Krish. Il aimait à déguster ces moments, à apprécier ses découvertes comme on déguste un vin nouveau. Il l’avait vu dans son plus simple appareil et maintenant, il pouvait vraiment apprécier les fresques dessinées à même sa peau. Dans la manœuvre, il eut bien désiré de lui réchauffer la peau, mais c’était bien vain : elle brûlait d’ores et déjà. L’âtre qui sévissait en elle ne la laisserait plus jamais souffrir des affres du froid.

Elle l’avait cerné. Elle avait cadré qu’il avait changé depuis l’irruption d’Uriz, qu’il sembla plus doux, plus servile, peut-être qu’au premier coup d’œil. Il agissait comme un cabot qui jappait trop et qu’on aurait sauvagement strangulé d’une laisse. Il avait compris. Il avait saisi à qui il avait à faire. Son regard soutint le sien en tout temps et encore là, il se trouva en misère de lui tenir tête. Le bougre avait-il à ce point été traumatisé par l’apparition de leur Père et Maître ? Dans ses réflexions, dans l’admiration des marques qu’il découvrait petit à petit, il ne fit pas même attention de sa présence à elle contre son poitrail. Les chatouillements que lui procurèrent le passage de ses ongles lui hérissèrent à son tour les poils, le ramenant à l’ordre. Le chemin qu’elle emprunta, toujours du haut de son air mutin, voir même moqueur, n’allait pas pour l’enchanter.

« C’est le résultat de plusieurs siècles d’amitié avec la Phor’Dur. Elle m’a laissé une marque indélébile de son affection, lorsque nous avons souligné sa promotion. » De sa main libre, il vint sagement chasser les doigts curieux du Feu, les redirigeant à peine à côté de la marque. Comme si ce dernier ne désirait pas la voir tripotée, pour une raison ou une autre. « Quand je te dit que j’aime jouer avec le feu … » La patte à son dos eut suffisamment goûté de toutes ces nouvelles découvertes, mais n’eut été en mesure de satisfaire sa faim d’elle. Se soustrayant de sous la mousseline d’ébène qui recouvrait sa silhouette, à l’aide de sa jumelle, il vint poser ses deux pattes contre ses hanches et l’incita à prendre place à califourchon sur ses deux genoux et lui faire face. Ainsi positionnée, elle sut le couvrir de son ombre, tant elle le domina en grandeur. Et plus il se sentit soumis face à elle, plus il se sentit … bien.

« Maintenant que tu es habitée de cet ardent foyer … Tu aurais pris habitude de tenir seule la couche ? » Sa gêne, si elle avait existé, s’était complètement dissipée. Et bien qu’il aimât plus que tout qu’elle le domine, elle qui était si puissante, il n’en montra rien. Cette fois, l’invitation ne pouvait être plus claire, parce qu’avant qu’elle ne puisse répondre, il se dressa comme il le put pour venir l’embrasser farouchement. La tension avait assez enflée depuis le temps et, il était temps de tenter le coup. Qu’elle lui refuse ou adhère à ses pulsations, il n’en eut plus cure. De toute façon, que pouvait-elle lui faire de pire, que les marques qui cerclaient divinement son cœur battant ?

Oui. Il aimait joué avec le feu, il n'y avait plus de toute. L'Renor en personne... Et bien ! Il fallait qu'il soit sacrément sur de lui pour oser s'attacher à cette gracieuse petite maniaque du sang. Un éclat de rire siffla entre ses dents pendant qu'elle venait le surplomber. ça ne l'étonnait même pas tant que ça.

- Et oui... C'est pas pour me plaire mais jemfh... "

Les lèvres de Kahveka s'emparèrent des siennes avec force, lui clouant le bec du même coup. Elle frissonna du haut du crâne à la pointe des pied tandis qu'une vague de chaleur rugissait en sens inverse. Une main se retrouva en une seconde à fourrager dans la crinière de l'assassin. L'autre lui attrapait l'épaule, toutes griffes dehors, tandis que celle de l'homme agrippaient ses hanches pour la presser contre lui, sentant sans peine les ondulations instinctives de la belle. Un soupire lui échappa lorsqu'il quitta ses lèvres pour dévorer son cou...

La main du garde silencieux disparue une seconde de sa hanche... Et Krish se tendit immédiatement. Elle recula d'un bond, en s'arrachant à la poigne du maître des assassins de la Doth'Ka " Non ! "

- Et merde ! " Elle se laissa retombée sur les genoux de Kahveka sans reprendre la où ils en étaient, écartant la main qui pourrait vouloir reprendre leur jeu. " Je peux pas ! "

- Isten me maudisse... " Ses yeux ne semblaient pas convaincus. " Oh si... crois moi j'aimerai. Mais tu es... Maître des Ombres ! " laissa-t-elle tombé comme s'il s'agissait d'un potentiel gros mot qui aurait pu blessé le meilleur assassin du puy. Elle avait passé sa vie à fuir la Doth'Ka. Elle ne l'avait approché lui que parce qu'il s'agissait de la meilleur façon de survivre... Et à l'époque il n'était qu'une jeune recrue. Le Bara et ses âmes damnées... C'était comme une brutale rechute dans les profondeurs de son passé. Au moment ou elle avait sentit sa main s'éloigner un tant soit peu, elle s'était instinctivement préparée au pire. C'était d'une connerie !

Elle respira à fond, ses yeux profitant du spectacle qui s'offrait à elle. Dieux... Elle aurait voulu pouvoir lui arracher ce qui restait de ses vêtements et le chevaucher sans plus de cérémonie jusqu'à ce qu'ils soient tout deux assouvis et même plus encore. Sa propre angoisse la répugnait... Et la sensation d'habitude si apaisante qui flambait en elle sans jamais la laisser seule devenait de plus en plus douloureuse.

Comme pour se prouver qu'elle était stupide et qu'elle pouvait passer outre, elle s'approcha pour l'embrasser fougueusement, sentit ses tripes se tendre. Oui, elle pouvait... Mais tu parles qu'elle n'arriverait pas une seconde a vraiment lâcher prise. Après un langoureux baiser, elle posa sa tempe contre celle de l'assassin, grondant sa frustration.

- Tu sais quoi... Fini ta première mission et nous verrons à quel point les dettes que tu accumules depuis tant de siècles ont gagné en valeur. "

D'ici là elle aurait vaincu cette saloperie de mémoire.

Par le saint con d’Isten, le cul et tout ce qu’il y avait de sacré, enfin, il y goûtait ! Et comme il s’y attendit, il fût loin d’être désappointé. Loin d’être sceptique de tous les ravages que pouvait provoquer le feu qui ardait en elle, l’irrépressible tentation de la connaître sous toutes ses coutures lui intimait à aller de l’avant. Elle s’emballait comme une furie et lui, ne sut faire autrement que d’essayer de lui tenir tête. À ce compte, il eut l’impression qu’un fauve s’était jeté toutes griffes sorties afin de le déchiqueter. Il la sentit le décorer de quelques éraflures, lui laissant en souvenir l’estampille de ces quelques secondes d’euphorie auxquelles tous deux, avaient fait abandon de raison. Et comme lors d’un brusque réveil, faisant s’envoler toute rêvasserie, il la sentit se retenir.

De nouveau, il ressentit la présence des griffes de ce fauve indomptable, cette fois s’en allant chasser les mains inquisitrices de sa proie. Les rubis incandescents de l’assassin s’ouvrèrent donc à nouveau à ce triste monde, voyant là sur ses genoux, sa Patronne au regard hagard. Et bien que son refus soudain fût ponctué de peu de mots, il comprit. Son passé, autant en ce qui concernait son paternel que du contrat qui jadis, planait constamment contre son chef … Et milles années ne pouvaient s’avérer suffisantes pour effacer une telle angoisse, cela, Kah n’en avait nulles doutances. Alors, il la laissa sombrer dans ses pensées les plus profondes : cherchant à lire en ses prunelles tout le micmac qui se jouait entre ses deux oreilles. Interdites, ses deux paluches restèrent en retrait de sur elle, bien qu’elle put, parfois, ressentir la pointe de ses ongles venir frôler la surface du cuir qui couvrait ses deux cuissots.

Enfin, elle arc-bouta le dos afin de se pencher derechef contre lui. Si la sauvagerie n’était plus, ce ne fût guère au dépend de l’intensité de leur échange. Kah n’était rien pour elle, au pire un vulgaire coupe-jarret sans parole ni honneur, au mieux un allié qui servirait ses intérêts … Et bien malgré tout, bien malgré le fait qu’ils ne se connaissaient qu’à peine de corps, il ressentit qu’il avait sur elle une certaine emprise. Voilà pourquoi, peut-être, se sentait-il à ce point affriolé à l’idée qu’elle déverse sur lui ses plus bas instincts.

Leurs lèvres s’unirent à nouveau dans un boléro de tous les diables, se montrant digne des plus luxueuses débauches des ambitieuses dévotes d’Isten. L’une de ses pattes quitta le terrain interdit de sa cuisse au profit de sa nuque, auquel il fourragea ses cinq doigts à la recherche d’un endroit à se saisir ou à caresser. Il eut désiré que ce moment perdure, qu’elle fasse de lui ce qu’elle désirait, quitte à le laisser trois quart mort après leur ébat … Uriz dans sa toute bonté, laissa donc à son héraut suffisamment de résilience pour qu’elle sache freiner ses ardeurs, alors soit! Si elle l’avait dompté une fois de cinq marques autour du cœur, elle se devrait de réitérer autour de sa pine si la sulfureuse forgeronne désirait le voir si docilement acquiescer à sa requête.

« Parfois je me demande si tu as seulement conscience de ta condition au sein du Puy … Ni Dotkha, ni assassin ni rien ne pourra plus jamais t’atteindre. Tu es assise sur la dernière marche, la plus haute de tous, bien au-delà de tes compatriotes du Triumvir. » Il alla l’embrasser encore, d’une union toute brève, tout tentateur qu’il était. « Il t’a choisie, toi. Ton corps renouvelé, il a effacé toute traces de ton passé. Tes années à Thaar, tes années de forge et tes années passée le boulet à la cheville … S’il a fait ça, c’est pour que puisses mieux embrasser ce qui se dresse devant toi sans te soucier de ce qui est derrière toi. » Oui, c’était un sujet épineux, voir même hasardeux compte tenu des débats que cela pouvait soulever, mais il n’en avait plus cure. Ces souvenirs qui la hantaient, ces chimères qui freinaient ses ardeurs, ne se sont pas dissipés d’eux même en mille ans. Pourquoi le ferait-il en quelques ennéades ? Elle devait comprendre, tout simplement. « La Dotkha te sert, Krish. Et elle te sera fidèle tant que toi aussi tu lui voueras ta fidélité. » Encore, il retourna l'embrasser du bout des lèvres, emportant en toute légèreté sa lippe entre ses canines. Quant à main interdite, celle zébrée des griffes de sa patronne, elle réessaya une nouvelle intrusion contre sa cuisse, laissant glisser le passage de ses doigts contre le lisse matériau qui recouvrait sa gambette.

Sa tempe ne s’était éloignée de la sienne sous aucun prétexte, se balançant parfois dans l’unique but de faire se caresser leurs têtes. Mord-moi, brûle-moi, tues-moi s’il le faut, mais fait quelque chose bon sang …